Les héros de la IIème guerre mondiale...

Les Totalitarismes à l'assaut de l'Europe !

Les héros de la IIème guerre mondiale...

Message par BRH » Jeudi 11 Octobre 2007 21:34:35

Peut-être en avez-vous connu ? Donnez votre témoignage.

En ce qui me concerne, celui que j'ai le mieux connu (à part mon oncle, mais il n'a pas eu l'occasion de faire grand chose, ni en 40, ni en 45), c'est André Astoux qui fut l'un des proches du général de Gaulle pendant l'épisode du RPF.

Enseigne de Vaisseau en 1940, il était sur le Bretagne quand celui-ci fut touché à Mers-el-kébir. Et encore à Toulon en 1942, lors du sabordage de la Flotte.

Eh oui, les traditions de la Royale l'ont empêché de rejoindre Londres ou Alger.

Il va se rattraper ensuite. Responsable de la Résistance dans l'Oise, il accueille les unités de la 2ème DB débouchant de Paris et intègre illico l'unité de tank-destroyers où sert Philippe de Gaulle. Ce qui le conduira jusqu'à Strasbourg, le temps d'être remarqué par Leclerc.

Mais la marine le réclame. Il rejoint Toulon et prend le commandement d'un escorteur qui chasse les vedettes lance-torpilles allemandes dans le golfe de Gênes où elles sont encore actives. Ce qui lui donne l'occasion d'en couler une de nuit en avril 45...

La guerre se termine et il se retrouve comme instructeur à l'école navale près de Brest. Le voilà capitaine de corvette, mais comme il me le confiera, il était un des seuls gaullistes dans cette structure avec... Philippe de Gaulle !

Il faut croire que la marine avait des choses à se faire pardonner car il passera très vite capitaine de frégate. Cependant, l'appel du général après la fondation du RPF ne le laisse pas insensible: il démissionne alors de la Royale pour suivre de Gaulle.

Il aura des fonctions départementales puis régionales au sein du RPF. Et finalement sera un des derniers secrétaire national du RPF jusqu'en 1956.

Aux élections municipales de Tours en 1953, il arbitre un conflit entre Michel Debré et Jean Royer en faveur de ce dernier. Le futur 1er ministre ne le lui pardonnera jamais et s'emploiera toujours à lui savonner la planche...

Ayant fait violence au général pour être licencié ("Le RPF était en coma avancé"), il s'engage comme ouvrier chez Simca, pour "vivre la condition ouvrière". La direction met six mois à s'apercevoir qu'il est un ancien officier de la marine. Le directeur du personnel (ancien amiral) le somme de devenir son adjoint ou de prendre la porte. Il prend la porte ! Mais le grand patron, le sieur Piggozi, intervient. André Astoux va devenir directeur du personnel chez Simca.

Après avoir été président des comités de Salut public pour la métropole en mai/juin 1958, il refuse le poste de commissaire à la jeunesse et aux sports car il veut un véritable ministère: "la jeunesse le mérite, tonne-t-il".

Les barons se méfient de lui, car il est un peu la "tête chercheuse" du général. Finalement, il sera nommé directeur-adjoint de l'ORTF en 1964 et prendra de plein fouet la crise de mai 68 qu'il parviendra à gérer avec les journalistes syndicalistes. D'une manière jugée trop libérale. Les proches de Couve de Murville obtiendront son départ.

André Astoux décèdera malheureusement prématurément en 1990.

Mais j'ai amplement débordé de la 2ème guerre mondiale. Je m'en excuse...

L'une de ses citations pour son action dans la Résistance:

"ASTOUX André

Il sera cité à l'Ordre de la Division pour son engagement dans le Compiégnois: "Enseigne de vaisseau chargé des 3e et 4e Bureaux du secteur Est. A, par son allant, imposé et communiqué aux troupes une ardeur et une ténacité dignes des plus belles traditions de l'armée française. A participé à de très nombreuses opérations de sabotage, notamment le 22 juillet 1944, à une action de destruction contre une usine travaillant pour l'ennemi. Belle figure de vaillant officier de marine."
Aussitôt la Libération de Compiègne, le capitaine Astoux rejoindra l'armée et sera cité par deux fois en Alsace pour sa vaillante conduite.

Sources
L'Oise républicaine, 26 novembre 1945

Tant que les Français constitueront une nation, ils se souviendront de mon nom !

Napoléon
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BRH
 
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A Noyon

Message par BRH » Jeudi 29 Octobre 2009 12:48:36

1er BATAILLON DE CHARS DE COMBAT

2e Compagnie



Témoignage du Caporal-chef Jean LABAYSSE

recueilli par E. Barbanson Août 1999


J'étais Caporal-chef et chef de char à la 2ème Compagnie du 1er bataillon, compagnie qui a été lamentablement et tragiquement décimée par les Allemands à Noyon, le 7 juin 1940. Un char près du pont du canal, sept dans la rue de Paris et les deux derniers sur une petite place en V bordée alors d'arbres et d'un café. Sur les 20 membres d'équipages, un seul a pu regagner les lignes françaises et six autres ont été grièvement blessés et prisonniers. De ces six, je crois être le seul pratiquement intact et non infirme. Je me considère comme un miraculé et je suis impressionné qu'un petit rien marque un destin; comme honteux, moi l'engagé, de m'en être sorti à si bon compte. Je vais maintenant vous faire le récit complet de cette histoire.

Le matériel et les hommes
Notre régiment était équipé avec le char Renault R35 dont le poids était de 10 tonnes. Ce char était l'un des premiers blindés à remplacer le Renault FT 17. Cependant, il manquait de nervosité et de crabotage. Il était muni d'un canon de 37 datant de la guerre de 14-18. Ce dernier était précis pour lancer la valeur d'une grenade à 300 m. Pour la mitrailleuse, il était prudent de ne tirer que de très courtes rafales pour éviter que les cartouches ne se mettent de travers. La lunette était peu pratique pour la hausse.
Je vous dirai en toute franchisse que je ne jouissais pas d'une grande sympathie parmi les hommes de ma section car avec 3 éléments troubles affectés à la mobilisation, j'avais de sérieux problèmes de discipline élémentaire. De plus, engagé, caporal-chef au-dessus de la durée légale, je percevais une solde mensuelle au bureau de la compagnie aux yeux et à la vue de tous et très sobre je ne participais pas aux beuveries de mes camarades. C'est pourquoi, je n'ai pas essayé de nouer des relations avec les non combattants sauf avec mon mécanicien Istilart, de Podensac ( Gironde ). J'avais de bonnes relations avec ceux du contingent. Ils ne m'ont jamais fait de reproche à l'inverse de trois réservistes au mauvais esprit, petits voyous et pilleurs de bistrot.
Chaque char avait trois bons conducteurs sauf le hasard, moi ! Tous les conducteurs, bien formés, étaient du contingent de la classe 38, soit un an mes aînés car j'étais de la classe 39 mais de recrutement 37 car étant engagé. En mai 1940, le premier était hospitalisé pour la gorge, le deuxième, Reynaud, sortant des enfants de troupe (18 ans) avait été nommé automatiquement après 6 mois au grade de caporal-chef et était devenu chef de char, quant au troisième, le capitaine l'avait pris pour assurer la popote des officiers. J'essayais d'en former un autre mais il mettait de la très mauvaise volonté pour apprendre et en plus il cassait tout. C'est le 6 juin que mon lieutenant m'a cédé son deuxième conducteur.
Je ne saurai terminer sans dire que de petite taille 1,65 m, menu ( guère plus de 50 kg à l'époque ), très entraîné avec deux stages de 5 mois puis instructeur et enfin connaissant bien mon matériel, j'étais très à l'aise dans le char. Parmi les chefs de char il y avait seulement que Reynaud et l'adjudant-chef Giroir ( vétéran de 14-18, mais un peu trop grand et trop gros dans la tourelle ) expérimentés et de métier. Mauny et Griffon étaient du contingent de la classe 38, les autres chefs de chars et officiers étaient des réservistes donc peu entraînés.
A ce propos, nous n'avons eu qu'une seule manœuvre avec l'infanterie, dans un camp très sablonneux dans les environs d'Haguenau !!!

La drôle de guerre
Remarque préliminaire :
J'ai avec moi la photocopie du livret rédigé par le capitaine Duchet-Suchaux, commandant la deuxième compagnie mais dans mon récit je ne vais nullement en tenir compte sauf pour certains noms de villages où nous avons cantonné. En effet, dans les bois nous ne savions pas où nous étions à moins de posséder des cartes des lieux.
Dans son livret le capitaine ne parle guère de notre séjour en Alsace. Pourtant, j'ai été surpris de voir que les jeunes adultes ne parlaient pas le français. J'ai vu aussi le portrait de Guillaume II dans la cuisine de la ferme où ma section logeait.
Dans le camp, tout près de Haguenau, nous faisions avec le sous-bois ( noisetiers ) des fagots d'un mètre de diamètre. Ces derniers devaient nous faciliter le passage des fossés. Invention de de Gaulle, son utilisation fut un échec lors de son essai à Blamont. Nous étudions constamment le terrain de Wissembourg au Rhin.
Nous étions aussi impressionnés par le grand nombre de canons de tout calibre et en particulier par un long tube sur rail.
Près de Saverne, agréable séjour bien au chaud et hiver froid. Au printemps, un avion français fut abattu tout près de moi et trois camarades ramassant des pissenlits. Quelle frayeur ! Je découvre, avec stupeur, le fusil gras en service chez les ramasseurs d'épaves.
Au deuxième séjour à Blamont ( champ d'entraînement des chars de la 5ème Armée ), nous avons participé à une vaste démonstration de division cuirassée devant un parterre de gros galons, juchés sur un mamelon ( très bon poste d'observation sur une vaste vallée ). Mon bataillon faisait parti de la contre attaque étudiée à pied plusieurs fois. La 2ème Cie se trouvait à gauche et moi à l'extrême gauche. Quand nous avons eu le signal ( feux de Bengale ), nous nous sommes élancés en avant, aussi vite que l'on pouvait dans une terre lourde pour voir défiler dans la vallée de magnifiques colonnes de chars avançant avec assurance. On se replie prévoyant une contre attaque qui nous surpris à peine prêt. La manœuvre terminée nous rentrons, mais ma compagnie passe devant le tertre.
Nous nous arrêtons pour ne pas gêner la critique. Par curiosité, j'essaye d'entendre ces dernières, mais je n'entendis que des éclats de voix. Sur ce tertre que d'étoiles sur les manches; des marins, des aviateurs et beaucoup d'officiers dont deux généraux à cinq étoiles. Un général m'amusait beaucoup car il trépignait de colère avec de nombreux gestes. Un grand colonel a côté paraissait bien plus paisible. Plus tard en captivité, parmi mes camarades je racontais, toujours bavard, cet épisode. Un sergent me dit: " Mais j'étais au pied du tertre". Ce grand colonel, qui n'avait pas peur de tenir tête à ces généraux, était le futur général de Gaulle. C'est incroyable. Il y a eu un général qui a bout d'argument a répondu : " C'est une parade militaire que vous avez montrée". Le grand colonel a répondu calmement mais fortement : " Vous verrez dans quelques mois, la parade que nous ferons les Allemands..". Les noms des généraux Georges, Bourret, Prételat ont été cités mais ?.....
Je vous assure que je n'invente rien. On doit bien retrouver trace de cette importante manoeuvre dans les archives !

La campagne et la destruction de la 2ème compagnie
Le 10 mai, les avions allemands passent à très faible altitude mais pas de mitrailleuse en DCA pour les recevoir. De retour à Momenheim, trois avions allemands ont mitraillé la gare lorsque nous avons embarqué tout près pour aller dans le nord.
Quand nous avons débarqué à Noyon, calme plat, gare intacte, il pleuvait. J'étais en DCA et me mouillais. Long trajet avant de rentrer dans un bois. La première section se plaçait en arrivant, tandis que les autres se mettaient plus loin. A chaque déplacement nous faisions toujours la même chose. De garde toute une nuit, j'entendais, à d'assez longs intervalles, le départ de tirs d'un gros canon, puis le froufroutement de l'obus avant son éclatement.
Quand les avions allemands ont bombardé Paris, ils sont passés juste à notre verticale à très faible hauteur ( on distinguait nettement les membres d'équipages ). Pas un tir de mitrailleuse, personne n'avait pensé à installer une DCA. Il n'y a pas eu non plus de compliment de la part du commandant.
Pour le second cantonnement, nous étions abrités seulement par d'immenses pommiers. En spectateur, on admirait la voltige de nombreux avions allemands. Le commandant de mauvaise humeur nous a fait rentrer dans le bois beaucoup plus loin.
Pour le troisième cantonnement, déplacement à la tombée de la nuit dans une forêt. Nous croisons un convoi de gros et courts canons. Mon mauvais conducteur casse l'arbre reliant le levier de changement de vitesse à la boîte. Mauvaise humeur des artilleurs qui sont bloqués. Heureusement, connaissant bien le matériel, avec un long tournevis j'engage une vitesse et rejoint le cantonnement.
Le 5 juin 1940, perdus en plein bois, de vagues échos nous parvenaient pour nous persuader que " le moment d'entrer en action n'allait pas tarder ".
Le 6, branle-bas de combat. Personne ne montrait de l'inquiétude, nous étions persuadés que cela arriverait seulement aux autres; d'où la photo de ma section prise au dernier moment. Je suis, sur ce document, à l'extrême gauche et on peut voir mon étui à pistolet bien grand pour mon 7,65. Ensuite, longue descente dans ce bois où nous campions pour nous abriter guère plus loin sous d'immenses pommiers. Les autres sections, où sont-elles passées? Pendant que je distribuais la ration du midi ( singe et pain de campagne ), une violente canonnade à couper l'appétit. Des 75 tout proche et à grande cadence ! Peu de temps après, le lieutenant Lecointre est venu et après un court entretien banal nous a prié de le suivre. Où étions-nous ? Interdit de le savoir, je n'ai aucun souvenir de l'environnement ( maison, hameau ....). Peu de temps après, en bordure d'un bosquet, Arrêt. Le Lt Lecointre vient directement à ma rencontre et sans autre commentaire me dit :" Il y a un début d'incendie dans mon char, je prends le vôtre un point c'est tout".
Je suis resté là, perplexe avec Dubet Raymond, conducteur du char du chef de section. Nous avons pleuré comme des gosses! Très beau temps, calme et l'on voyait à environ 500 m, les deux chars de notre section en action. Ils allaient, venaient, tournaient en louvoyant et tirant de nombreuses rafales. Des balles sont venues taper sur la route et même dans les arbres du bosquet où nous étions, et cela à plusieurs reprises. Aussi, nous nous sommes abrités derrière le char, trop près car je n'ai pas vu venir au loin un side-car, moteur au ralenti, avec trois hommes. A peine ai-je vu un léger mouvement de main gauche pour saluer. Bizarre ! ( J'avais un garde à vous correct ). Un lieutenant, dans un excellent français, me pose une question normale :
- Que faites vous là ?
- Un début d'incendie.
- Avez-vous vu telle ou telle unité.
- Non
- Pourtant, c'est étonnant car elles doivent attaquer avec vous !
Puis le side démarre sans précipitation et continue sa route. Brusquement, je me ressaisis et fouille trop nerveusement dans ce grand étui bien raide pour prendre mon pistolet. Hélas, ils sont hors de portée. Bizarre ces trois hommes dont les deux motards étaient bien bronzés, un regard de travers sans sourire et de trop grands fusils pour des motards ! Ils avaient des Lebels à la place des mousquetons qui sont beaucoup plus petits. Je suis persuadé qu'ils étaient allemands. Ceci est vraiment important car on connaîtra par la suite la très faible présence en soldats français, lorsque nos chars essayeront de faire récupérer à ces derniers des positions prises. Un motard de chez nous, cette fois, en patrouille seul, surpris de nous voir là, va en rendre compte au capitaine de la "2" puis revient nous chercher pour rejoindre l'axe de commandement. Ne connaissant ni notre mission ni où nous étions, cela aurait été difficile de rejoindre notre cantonnement. Je n'ai pas pensé dire au capitaine cette histoire du side. Là, je mets ma mitrailleuse en DCA et le temps passe...
Le capitaine, qui n'a pas le commandement de l'opération, trouve le temps long et me demande d'aller chercher nos chars. Comme nous étions le long d'une voie de chemin de fer, le capitaine m'explique où trouver un passage à niveau, pendant qu'un coucou vole à très faible altitude. Je m'empresse, avec ma mitrailleuse, de tirer des rafales courtes. Aussitôt, un panache de fumée, il accélère et prend de la hauteur avant de disparaître. Courtes félicitations du capitaine collé à mon char. Brusquement je le vois pâlir et s'effondrer. Surpris de son malaise, je penche mon buste pour voir. A ce moment des obus éclatent. A l'abri dans ma tourelle, je ne peux qu'assister à ce beau spectacle, celui des accompagnateurs du capitaine à plat ventre dans les fossés, le nez enterré.
Pas besoins de faire le rappel des chars car ils arrivent. Un blessé, le sergent Lucazeau ayant ouvert la porte de sa tourelle pour respirer. On rentre tous dans un assez gros bourg pour boire, ayant tous oublié de l'eau. Les quelques soldats présents, apeurés de nous voir là stationner nous auraient tout donner pour déguerpir. Au cantonnement, tout le monde nous attendait avec inquiétude. Pas d'exploit à raconter, la seule impression, c'est le peu de soldats pour soutenir les chars. Le conducteur Cazenave fait voir un fusil allemand et un casque avec le nom d'un soldat allemand tué dans un grand pommier. Guère de temps après notre arrivée, le caporal-chef, motocycliste secrétaire du commandant, arrive affolé en me disant : " Labaysse, ça va mal. Il faut déguerpir. Où est le capitaine ?". Je m'empresse d'alerter tout ce qui est dans les parages. Le lieutenant Lecointre me sermonne car il ne faut pas céder à affolement. Qu'à fait le capitaine ? Où est-il allé aux renseignements ? Il n'y a pas eu de panique. A la nuit noire, nous sommes partis sans aucun signe de repérage et assez lentement. Nos officiers regardaient les cartes avec une petite lampe électrique sous une petite bâche. Vers 3h00 du matin, chaque section cherche à tâtons dans une forêt très propre, sans sous bois, un emplacement. J'avais signalé que mon char virait avec difficulté à droite et que le bandage d'un galet porteur du char du lieutenant n'existait plus.

Le 7 juin, la fin de la compagnie
Peu de sommeil. Je pars chercher de l'eau à une source toute proche. Toilette succincte et petit déjeuner sur le pouce. Les dépanneurs sont au travail. Sur mon char, la réparation est peu urgente ( une biellette à un point fixe un peu tordu ). Sur le char du lieutenant, il faut étendre la chenille, sortir avec difficulté le galet, en remettre un autre puis remettre la chenille en place. Pendant que je déjeunais, j'entrevois dans la pénombre de la forêt trois silhouettes qui semblent jouer à cache-cache. Etonné, sans alerter personne, pistolet au poing, j'attends. Les trois hommes, cachés derrière les arbres, jettent leur fusil et les bras en l'air se rendent. Il s'agit de trois fantassins français qui nous avaient pris pour des allemands. Ils nous préviennent que ces derniers sont tout proche à environ 200 ou 300 mètres. Peu rassurant, je les conduis au capitaine. Que s'est-il passé ? En rentrant, le lieutenant arrive et me dit : " Votre char peut rouler ? Je vais le prendre. Vous resterez là et vous agirez selon votre conscience". Il me confit alors son deuxième conducteur, Istilart. Tout le monde se prépare, les dépanneurs plient bagages. Inutile de dire qu'avec Dubet, nous avons remis un galet à coup de masse et le char fut rapidement prêt à rouler, tout ça sans trop se soucier de la qualité du travail.
Presque aussitôt, le lieutenant arrive et ordonne le départ sans explication. Ce dernier semble précipité, pas de capitaine ( il est sans doute parti aux renseignements ). A la sortie du bois, en plein champ, beaucoup de chars mitraillent sur la gauche. Je me retrouve en queue et j'accroche une rangée de barbelés avec je ne sais combien de piquets. A travers champs, les chars de la compagnie se réfugient dans une "garenne"
( Trois ou quatre rangées de gros arbres ), puis attend de nouveaux ordres. Groupés par section et un peu à l'écart des chars nous parlons des événements; Subitement quelques obus espacés tombent d'abord loin de nous puis de plus en plus dans notre direction. Nous rentrons dans nos chars. Cela semble être un tir de réglage et il est peut être pour nous ? Le tir cessé, le capitaine arrive et donne des consignes aux officiers. Je n'entends rien et bien entendu à nous pas d'explications. Départ dans l'ordre : chef de section, sergent et caporal-chef. A nouveau à travers champs nous gagnons une route. Le char de mon sergent manque un petit pont et le ventre du char touche la margelle, tandis qu'une chenille tourne dans le vide. Pas de crabotage comme sur les Hotchkiss. Je le tire en arrière. Nous perdons du temps et les autres chars, sans se soucier de l'ordre, traversent le fossé. Mon sergent se met dans la colonne et moi derrière. Le sergent Roumage ( char du capitaine ) me laisse passer pour fermer la marche. Ceci est très important pour moi pour la suite des événements! Nous rejoignons une route ( Laquelle ? ). Je signale que je n'étais pas dans mon char, mais assis sur la porte de la tourelle.
A ce moment et jusqu'au pont du canal à Noyon, la composition de la colonne sera :
- En tête de la colonne: le sous-lieutenant Lecointre, commandant la première section, conducteur Dubet, char 50687
La 2ème section, Giroir
- Adjudant-chef Giroir, conducteur Aujard, char 50032
- Sergent Chatenay, conducteur Gatineau, char 50666
- Caporal-chef Griffon, conducteur Mirande, char 50166
La 3ème section, Merlateau
- Sous-lieutenant Merlateau, conducteur Maurey, char 50404
- Sergent-chef De Noüel, conducteur Cazenave, char 50613- Caporal-chef Reynaud, conducteur Lacambra, char 50391
Le reste de la 1ère section Lecointre
- Sergent Mauny, conducteur Labéguère, char 50398
- Caporal-chef Labaysse, conducteur Istilart, char 50677
et enfin le char du capitaine
- Sergent Roumage, conducteur Labat, char 50619

L'entrée dans Noyon
Nous doublons une unité d'infanterie coloniale lourdement chargée avec mitrailleuses Hotchkiss, trépieds, caisses de munitions. J'ai l'impression que peu de temps après, nous avons bifurqué sur la gauche en direction d'un barrage d'artillerie. Nous savions vaguement que nous nous dirigions vers Noyon pour protéger le repli d'une division d'infanterie. Nous passons devant notre capitaine, visage très très inquiet. Tout proche, le fameux barrage d'artillerie ( du 75, il me semble ), je préfère rentrer dans ma tourelle. Les obus tombent drus mais tous à droite. Je crois que je ne risquais rien.
Peu après, ou peut être à l'entrée de la ville, nous tournons à gauche. En passant, je vois sur ma droite quelques autos et une ambulance aux portières ouvertes, qui ont été mitraillées. Il n'y a pas de cadavre. Inquiétant. Qu'à vu le char de tête ? Ces véhicules ont-ils décidé le lieutenant Lecointre à changer de direction? Je suis formel, à ces véhicules nous avons tourné à gauche! La route que nous prenons semble large car je vois sur ma droite un camion complètement calciné, auprès d'un immeuble à la façade effondré. Il y a en tas, derrière le camion et sur la route, des soldats allemands morts. Pour un début, cela est vraiment impressionnant. Presque aussitôt, nous tournons à droite. Nous longeons ensuite pendant un bon moment une voie ferrée ( wagons de marchandises enchevêtrés ), avant de passer devant une gare bombardée, wagons bousculés. A une petite place juste après la gare nous tournons à droite pour emprunter une longue rue pavée. Je remarque en passant ( vite, à 20 km/h ), dans un espace assez grand, une colonne, en pierre grisâtre de 2 à 3 mètres de haut, sur un rond de pierre. Cela coupe un peu la monotonie de la rue. Peu après, nous virons à gauche dans une sorte de carrefour ou place, de nouveau une longue rue très droite et large. Puis arrêt, Pourquoi?

Le Canal
Nous étions tous arrêtés et afin de ne pas se perdre nous nous suivions de trop prêt
( 4 ou 5 mètres ). On se cachait ainsi la vue, même celle de droite et de gauche. Nous avions roulé comme si rien ne devait se passer, armement devant soi.
A ce sujet, le conducteur disposait devant son visage d'une vitre rectangulaire (un court périscope ) qui lui permettait une bonne visibilité sauf lorsque de la poussière s'y était déposée. Le chef de char disposait, étant assis sur une large sangle, outre sa lunette de tir, devant lui à côté de la lunette, à droite ainsi qu'à gauche, d'un épiscope (semblable à des jumelles non grossissantes, gros blocs de verre très épais). En se levant, il pouvait mettre la tête dans le tourelleau mobile grâce à une tirette et avec le bourrelet en cuir du casque on dégageait une fente longue de 5 à 6 cm et haute de 4 à 5 mm. Très beau perchoir à l'arrêt, mais impossible d'étudier un paysage en marche et de plus nous n'avions pas été formés pour cela. Les chars n'étaient qu'un bon poste de tir et d'observation à l'arrêt.
Arrêté en fin de rue, le char de devant me cachait toute perspective et la dernière maison de gauche se terminait juste devant mon char ( 2 m ). Par contre, la dernière maison de droite était vraiment derrière ( 15 à 20 m ). Aucun tir à droite, tout sur la gauche; rivé à la lunette de tir, presque pas de perspective, comprenant tout juste qu'il y avait des jardins avec quelques petits arbustes. Je ne voyais rien, sauf subitement car on vient de bouger dans l'angle mort de ma lunette. C'était vraiment près, par l'épiscope à coté de l'arme, je vois avec surprise un soldat allemand sur le dos les bras en croix. Vite, je regarde derrière moi, le char du capitaine, mené par Roumage, a son armement tourné vers l'arrière. L'avait-il depuis le départ ?... Je suis donc paré vers l'arrière. Ma droite est très bien dégagée. Il y a un champ cultivé sur un terrain surélevé par rapport à la route. Dans cette culture, un homme allongé ne se serait pas vu. Effectivement, je vois deux fois deux hommes qui rampaient vite, leurs têtes dépassaient de temps en temps. Vite, vite, je tourne la manivelle à crémaillère de ma tourelle pour diriger mon armement, mais je n'ai pas suivi des yeux, par le tourelleau, leur progression. Ont-ils eu le temps de franchir d'un grand bond les 30 à 40 mètres pour s'abriter dans la grande brèche d'une maison ou se sont-ils dissimulés à plat ventre ? J'ai copieusement arrosé à la mitrailleuse et au canon leur emplacement. Nous avons décroché pour connaître le résultat, avec difficulté car le char virait mal sur la droite. Dès le petit talus franchi, la colonne a fait demi-tour. Je suis très surpris de ne pas voir mon lieutenant en tête. Oubliant de jeter un coup d'œil vers l'avant de peur de me perdre, je fais l'impossible pour me coller à mon sergent. Mais pourquoi ce demi-tour ?
Je sus la raison, peu de temps après par un caporal-chef du 33ème colonial. Prisonnier, je suis interpellé par ce dernier :
"- Tu es des chars ?
- Oui
- Où cela s'est-il passé ?
- A Noyon.
- Alors c'est avec vous qu'on a eu une histoire."
Il me raconte ensuite cette dernière. " Je m'occupais du fusil mitrailleur qui protégeait un canon de 25 antichar à l'entrée d'un pont enjambant le canal. Comme on vous voyait arriver, le lieutenant téléphona au commandant pour le prévenir de la présence de char français. Ce dernier affirma qu'il n'y avait pas de chars français engagés dans le secteur. Le lieutenant insista et dit apercevoir sur le char de tête un fanion tricolore. Le commandant précisa qu'il s'agissait sûrement d'un camouflage et qu'en absence de chars français, il fallait exécuter les ordres. Le pont étant miné, le lieutenant ordonna la mise à feu. Le pont sauta, puis le canon tira sur le char de tête.
Le lieutenant Lecointre fut tué en sortant de son char détruit, tandis que Dubet, son conducteur, indemne, a mis près de 36 heures avant de pour pouvoir rejoindre nos lignes. Dès qu'il levait la tête, les Français ou les Allemands lui tiraient dessus.

La destruction de la compagnie
Je croise le char de Roumage et excessivement surpris, je vois un canon antichar allemand sans servant. Que faisait-il là, comment y est-il venu, qu'avait fait Roumage ? Je suis persuadé que ce canon était déjà en place avant notre arrivée, face à l'infanterie française tenant le pont du canal, mais nous nous suivions tous de trop prêt et nous avons tous été aveugles devant un paysage dansant. Peu importe ce canon, nous partons. Hélas la colonne s'arrête de nouveau en plein milieu de la rue ! Qu'à fait l'adjudant-chef Giroir ? Ce vétéran de 18 était alors à la tête de la colonne. Et pourquoi est-il resté là ? Tout le monde est resté à attendre, mais une fois de plus nous étions beaucoup trop entassés. Je ne voyais à nouveau donc pas grand chose. Pas un mouvement de char, pas un fanion ne bougeait.
Je fais monter le char sur le trottoir pour être dégagé et mieux voir. Je n'ai pas eu l'idée de descendre du char et d'aller voir à pied, cela aurait peut être eu des conséquences moins dramatiques pour nous ? Las d'attendre, je décide mon conducteur d'aller en tête par le large trottoir de droite. En arrivant au carrefour, je constate, étonné, que le char du lieutenant Merlateau avait pénétré ( par le devant ) dans un garage ou remise muni d'un rideau métallique en parti levé. Porte de tourelle ouverte, je voyais bien que le char était vide. Je suis formel, le char était vide de ses occupants. Mon conducteur Istilart m'a dit avoir vu deux silhouettes qui s'enfuyaient vers la gauche. Que sont-ils devenus ? S'ils sont morts, ce n'est pas dans leur char et je ne les ai pas vu prisonniers. Je place mon char au carrefour longeant le trottoir. Paré en principe derrière moi, à ce carrefour je surveillais bien ma droite d'où nous venions. En face de moi, au loin, une rue très sombre et le clocher d'une église ( ou cathédrale ). J'ai mis du temps à réaliser que ce noir c'était l'ombre des bâtiments. J'avais beau agité mon fanion de détresse et faire des appels pressants avec l'autre, personne ne répondait. (en absence de radio, les chars pouvaient communiquer entre eux en utilisant des fanions que l'on pouvait dresser à travers la tourelle. Chaque fanion avait bien entendu une signification précise). J'apercevais dans l'ombre de l'église et à une bonne distance une masse indéfinie. Mon conducteur ne pouvait lui aussi comprendre ce que c'était. Je tire un obus au pied pour faire bouger. Rien ! Je vise mieux et ça bouge. Un tube, une roue, un timon; il s'agissait bien d'un canon antichar et il nous attendait.
Et toujours mes appels désespérés. Enfin un char bouge et se met tout près du mien. La porte de la tourelle s'entrebâille et le caporal-chef Reynaud me dit ( ma porte aussi ouverte ) :
- Il y a deux chars qui brûlent derrière nous. Que fait-on ?
- Il ne faut pas rester là.
- Et aller où ?
- Revenons sur nos pas et puis dans la nature on verra bien !
Je ne me suis rendu compte de rien sur le drame qui se jouait à ce moment car le bruit des moteurs des chars a complètement étouffé celui des tirs des canons antichars.
J'aperçois alors sur le trottoir, longeant le mur, Roumage, boitant et pleurant. Je lui demande ce qui se passe et il me dit :
- Mon conducteur est tué, moi blessé. Je me rends !
- Penses-tu ! Nous partons avec Reynaud.
Il ne se fait pas prier et Istilart descend pour l'aide à monter. Je suis aussi descendu pour l'aider, mais au même moment deux nouveaux chars ont bougé ; Celui du sergent Mauny, conducteur Labéguère et celui du caporal-chef Griffon, conducteur Mirande. Ils entrouvrent nettement leur porte et Mauny me demande :
- Que faut-il faire car je veux me rendre !
Griffon approuve. Les deux conducteurs n'ont probablement rien entendu.
- Non, on ne peut pas abandonner comme ça, nous sommes quand même 4 chars. Là,
on ne peut pas passer, alors revenons sur nos pas et dans la nature on verra bien.
- D'accord
- Mauny, tu es sergent, passe devant.
- Je ne peux pas, je suis blessé.
- Alors Griffon. Caporal-chef le plus vieux, c'est à toi.
- Ecoute Labaysse, je ne suis pas engagé comme toi.
- Bon, d'accord.
Je rentre sans affolement dans mon char, Roumage entre mes jambes. Il faut s'arc-bouter pour soulever la porte et la fermer. Comme je la verrouillais, le nez plongé vers les persiennes séparant le moteur, une très, très forte explosion a lieu et aussitôt des flammèches sur le plancher du moteur. Je m'en assure et comme elles grandissaient, je ne sus que crier aux hommes : " Le feu, le feu, l'extincteur ". Istilart actionna la manette pour les deux bouteilles. Les deux hommes sont vite sortis et se sont précipités sur les autres chars ; Istilart avec Mauny et Roumage avec Griffon.
Derrière mon char, je l'inspecte vite. Je ne vois rien, aucun trou, mais par contre la bâche négligemment pliée est sur la queue du char et se consume. Pensant à une grenade, je remonte dans le char car celui ne doit pas être détruit. J'actionne le démarreur plusieurs fois mais rien. Le carburateur est noyé par la mousse carbonique. Tentative infructueuse de démontage de la mitrailleuse et appels désespérés de Griffon : " Mais que fais-tu ?". Le char de Reynaud est fermé, je me dirige vers celui de Griffon, mais comme ils sont déjà trois je me suis alors assis sur la porte de la tourelle laissant pendre mes jambes dans le char. Griffon démarre aussitôt passe le carrefour et tourne à droite. Mauny suit mais hélas je ne vois plus le char de Reynaud.
A ce moment , huit chars ont été détruits ou abandonnés dans cette large rue menant au canal et à ce carrefour. Si les chars ont ensuite été retrouvés disperser hors de la rue de Paris, c'est qu'ils gênaient pour la circulation des troupes allemandes. Ou alors, ils ont été utilisés pour un simulacre de combat pour la propagande et les actualités. J'affirme que nous étions tous dans cette grande rue à part les chars de Mauny et Griffon.
Lecointre, au pied du pont , Roumage toujours derrière, mon char resté au carrefour avec peut être celui de Reynaud, Merlateau dans ce garage. Parmi les autres chars détruits se trouvait celui de l'adjudant-chef Giroir avec celui de Chatenay et de De Noüel. Je ne sais pas quels sont les chars à avoir brûler.

La fin tragique des deux derniers chars
Nous remontons la rue vers la gare. Je revois sur ma gauche cette colonne mais avec un grand écriteau sur lequel une grande flèche avec écrit au charbon de bois " Nacht Compiègne ". Nous tournons à gauche ( étant face à la voie ferrée ) et repassons devant la gare et là, je vois très nettement une importante masse de soldats allemands qui se mettait en mouvement avec deux canons antichars ( étant hors du char je voyais bien ). J'ai eu beau hurler : " Des canons! des canons! Arrêtez !", nous avons fait demi-tour. Le conducteur devait certainement les voir mais Roumage, déjà blessé dans son char et qui faillit aussi brûler dans le mien, assis sur le plancher du char et ne voyant rien, a dit au conducteur de faire demi-tour. Ce dernier fut effectué immédiatement, d'un seul coup de levier. Aussitôt dit aussitôt fait ! Je tournais maintenant le dos aux allemands. Ces derniers ont tiré. Je voyais autour de moi des étoiles filantes. Cela m'inquiétait. Le char de Mauny a fait de même. J'avais beau hurler de passer par la gare, même si cette dernière bombardée n'avait pas une approche rassurante,( mais qui dit gare, dit campagne proche) rien. J'ai alors eu une vive altercation devant la panique générale. Griffon m'a rétorqué que s'il n'y connaissait rien, je n'avais qu'à prendre sa place. Je ne demandais pas mieux que de me mettre à l'abri. Prenant place dans la tourelle, j'installais tant bien que mal mes jambes car avec maintenant deux hommes assis sur le plancher du char cela n'était pas facile. Je hurle alors ( à cause de l'important bruit du moteur et des chenilles sur les pavés ) au conducteur Mirande : "Ne reviens pas au carrefour, prend la première rue à gauche ou à droite". Ce fut chose faite au niveau de cette colonne sur son socle. Nous avons pris une courbe avant d'entrer dans une rue droite et d'arriver sur une petite place en V, bordée d'arbres qui va vers l'arrière de la cathédrale.
Là, je vois très surpris un groupe de soldats français bien aligné. Que font-ils là ? En fait, ils cachent cinq canons antichars; deux sont dirigés vers la colonne et se trouvent donc face à nous, tandis que les trois autres protègent les accès aux autres rues. Inutile de dire mon étonnement . J'ai fermé les yeux, je me voyais mort, puis j'ai hurlé "Fonce !". A peine dit, deux coups de feux très rapides, le char a semblé se cabrer. Nous nous sommes arrêtés net, puis un grand silence. Sur cette tragique place je venais d'être descendu pour la deuxième fois. Comme un pantin poussé par un ressort, je gicle debout sur le côté droit du char. Ma jambe gauche semble morte, je ne la sens plus. Je vois beaucoup de fusils allemands braqués sur moi, ils sont posés sur les épaules des soldats français. Cela était impressionnant. Un officier ( le commandant ) nu-tête, veste ouverte, un pistolet à la main, donne des ordres secs, répétés, puis un "Heil Hitler" général. Je me cache derrière le char espérant une porte ouverte ou une fenêtre, mais rien. Je jette alors mon casque et mon ceinturon avec l'étui à pistolet ( ce dernier était resté dans mon char, au carrefour ) et je me mets debout à la droite du char, les mains levées à hauteur de mes hanches. Malgré de grands signes, j'hésite à avancer puis je me décide très lentement et bien peu rassuré surtout quand je suis passé à côté du canon. Quelle oeillade sans sourire des servants. Un sous-officier, caché derrière un des arbres, braquait toujours un revolver sur les servants. Un sous-officier se dégage promptement de derrière les Français et d'un pas décidé vient à ma rencontre, dégage un revolver parmi deux grenades à manche et me met en joue. Un ordre sec du commandant, il remise son arme et d'un geste me fait signe de rejoindre les Français. En trois ou quatre bonds, ça y est et de plus je suis vivant même si ma jambe gauche est très lourde. Un prisonnier déchire ma combinaison et mon caleçon. Ma jambe est rouge de sang, criblée de grenaille assez profondément. Ma blessure sera suffisamment spectaculaire pour m'éviter de longues marches.
Le char de Mauny, situé sur le côté droit de la rue, reste silencieux. Roumage sort péniblement du char de Griffon, assis sur la porte de la tourelle, la main et le visage ensanglanté, il pleure à chaudes larmes en criant " Camarades, camarades ". Un capitaine du 126e régiment de Brive, m'a vertement reproché de n'avoir pas tiré. Comment lui faire comprendre qu'en roulant le paysage danse à travers les fentes du char et qu'au début nous n'avons vu que des soldats français et puis avec l'affolement du conducteur, connaissant le peu de puissance de nos canons...... Si je les avais vu dès le monument, je les aurais tiré à condition que le conducteur garde son sang froid. Ce capitaine en nous voyant remonter vers la gare et nous entendant revenir aurait dit:
" Voilà les chars français qui viennent nous délivrer. A mon commandement que chacun s'empare d'un fusil ".
Par la suite, ces français m'ont avoué qu'ils avaient préféré que nous soyons descendus. Le capitaine m'aurait également dit que j'avais eu de la chance de sortir du char seul, car le commandant allemand voulait un prisonnier pour obtenir des renseignements. Sinon ?... ...
Puis, je vois Istilart mon conducteur, l'avant bras droit déchiqueté, venir soutenu par deux allemands. Je me demande comment il a pu sortir seul du char de Mauny. Istilart me dit : " Va voir Mauny, ça ne va pas". Après de grands gestes, je décide deux allemands de m'accompagner. Mauny râlait , j'ai voulu essayer de le sortir mais il s'est effondré. Je saisis la pince monseigneur pour aider à ouvrir la porte du conducteur Labéguère. Cette dernière est déjà ébranlée, puis je vais au char de Griffon, où je me trouvais. Ce dernier est mort. J'essaye alors d'ouvrir la porte du conducteur Mirande mais à ce moment les Allemands semblent pris de panique et je suis traîné par ces derniers. En tout cas étonné d'être vivant et quelque peu honteux devant mes camarades qui m'avait écouté pour ne pas se rendre. Beaucoup de blessés graves qui ne cessent de gémir, installés inconfortablement sur des caisses de vin " St Estèphe" et sur des grosses meules de fromages. Il n'y avait pas de brancard. Je ne me souviens pas de la présence de Labat, le conducteur de Roumage.
Devant cette maison de deux pièces, on voyait bien les deux chars puis derrière, la colonne sur son socle. A gauche comme à droite une rue, celle de droite menait devant la cathédrale, tout prés d'elle un canon antichar abandonné. Un français motocycliste reconnaissable à son blouson me dit : " J'étais le premier prisonnier. Lorsque vous avez tiré tout à l'heure, il y a eu un tué".
A l'angle de cette rue, un café avec sur le trottoir des caisses en bois portant des arbustes ( genre citronnier ), c'est le PC allemand. Le commandant me fait appeler pour m'interroger. Il paraissait sympathique mais pas le capitaine à côté de lui. On appelle un interprète. Je reste assis sur une caisse faisant voir ma jambe. Le jeune interprète de circonstance parlait mal le français et je ne le favorisais pas vu mon fort accent et ma rapidité de parole. Prié sèchement de faire attention, voici la première question : " Qui vous a donné l'ordre d'attaquer?". Je n'ai pas saisi le piège ( prétendant être d'une unité autonome, nous n'avions pas d'écusson sur nos vestes en cuir ). Je ne peux tout de même pas donner les noms des officiers, je réponds :
- Mais nous n'avons pas attaqué parce que nous venions de la gare vers le sud.
- Ne me dites pas que vous n'avez pas attaqué car je vous ai vu venir à l'inverse.
- D'accord mon commandant, mais allez voir en bas vous verrez les autres chars immobiles ( il ne le savait pas ).
- Mais où étiez-vous, en me tendant une carte.
Je désigne du doigt le nom du bois où nous avons passé notre premier cantonnement car je crois que nous avons laissé de multiples traces de campement et de chenilles. En tout cas, nous n'avons jamais effacé ces traces et puis où étaient les autres compagnies. Que fallait-il faire ?

Prisonnier
Les prisonniers valides ont passé la nuit dans une cave puis ils sont partis à pieds. Je suis resté, quelle soif et ces blessés qui gémissaient. J'ai eu beau demander par signe de l'eau, on ne me montrait que du vin. C'est bien peu désaltérant. Deux jeunes officiers viennent avec un très beau et grand carnet. Ils regardent les numéros des régiments sur les écussons des uniformes et les comparent sur leur registre et écrivent. L'un d'eux, fine lunette, belles bottes en cuir, belle culotte de cheval avec de larges bandes rouges, m'interpelle dans un français sans accent. Je lui demande poliment à qui j'ai à faire. Surpris, il me répond :
- Lieutenant X, officier d'état major. Que pensez-vous de notre canon antichar.
- Ce n'est pas bien de votre part, car vous avez mis un rideau de prisonniers français.
- Peu importe seul le résultat compte.
Avec un autre officier, il consulte un très beau calepin et compare les numéros des chars. Par-dessus son épaule j'essaye de voir, il me le montre mais en souriant me le claque au nez.
Dans l'après midi, des avions allemands se présentent. Des soldats allemands déploient sur le sol de grandes banderoles à croix gammées, puis les avions vont lancer, un peu plus loin de là, leurs bombes en deux ou trois passages. A part cela, le silence complet.
Des officiers de hauts grades, sirotant au café, sont délogés par quelques obus français de 75. Cela devient inquiétant car ils sont de plus en plus nombreux.
Tard dans la soirée, un camion emporte les blessés. Je peux faire embarquer mes camarades. Nous sommes vus et soignés dans un poste de secours aussi bien que les soldats allemands et dirigés vers St Quentin, dans un lycée. Triste spectacle, peu de personnel soignant et l'on meurt faute de soins. J'y retrouve mes compagnons presque honteux de mes égratignures : Istilart, mon conducteur a le bras droit amputé, Labéguère a l'épaule abîmé et tout le bassin brûlé par la mousse carbonique des extincteurs, Mirande l'épaule abîmé, Roumage a un trou dans la fesse et un doigt déchiqueté ainsi que le visage égratigné, mais pas de Labat ( pourtant ce dernier a aussi été grièvement blessé dans l'action de Noyon ).
Toujours rien à manger, puis je suis transféré tout près dans un autre lycée, plein de paille. Là ce caporal-chef de la coloniale me raconte l'histoire du char du lieutenant Lecointre. Préoccupé surtout pour le manger ( rien, rien ), je me moquais de ces histoires et puis le moral ne brillait pas.....
Puis c'est la captivité comme bien d'autres.
Prisonnier à la citadelle de Cambrai, j'étais repérable avec ma veste en cuir, la seule. De nouveaux arrivants m'interpellent :
- Où as-tu été prisonnier ?
- A Noyon.
- Nous avons sorti tes copains, quelle corvée. Ce gros adjudant-chef et ce jeune caporal-chef !
Quand le commandant allemand m'a interrogé, je lui avais demandé de faire sortir des chars tous les corps mais il avait refusé.

Conclusion et réflexions
Je me pose toujours la question ; malgré cette précipitation pourquoi avoir choisi de revenir sur nos pas. En face, j'avais démoli un canon et à gauche, l'inconnu...?
Et puis pourquoi nous sommes-nous tous suivis si près ? Nous étions au secret, il nous suffisait de suivre et nous avions peur de nous perdre, aussi nous nous suivions de trop près, nous fermant la vue et oubliant une règle élémentaire importante : neutraliser la direction de l'armement plutôt vers l'arrière que vers l'avant du char.
Quel itinéraire devait suivre le lieutenant Lecointre ? Pourquoi a-t-il tourné à gauche ? Réflexion faite, se sont sans doute ces véhicules abandonnés en pagaille et ces traces de combats. Mais nul ne le saura.
Pourquoi n'a t-on pas vu ce canon antichar presque au bout de la rue? Nous sommes tous coupable mais j'estime surtout Roumage qui l'avait dans les pattes ( moi-même l'ayant vu à la dernière minute avec surprise ). Mais nous partions tous pressés. Puis nous avons stationné sans rien voir. Pourquoi aussi longuement ? En allant me positionner de moi-même au carrefour pour voir plus clair, je n'ai plus pensé à ce canon et hélas, s'est sûrement lui notre perte.
Je me suis souvent posé la question suivante : Que pouvais-je faire, moi l'engagé payé? Je m'en étais tiré à bon compte. Je n'ai jamais osé prendre de nouvelles de mes camarades. Honteux de n'avoir pas été blessé un peu plus par rapport à ces derniers de un an plus âgés que moi et qui étant dans la meilleure compagnie se mettaient par obligation au garde à vous, quelques mois auparavant dans la caserne.
Vers 1957, je suis entré en correspondance avec mon conducteur Istilart, amputé du bras droit mais écrivant très bien. Lettres banales où je n'ai pas su évoquer les événements me sentant responsable de son infirmité. Personne n'a franchi le pas et j'ai cessé la correspondance. J'aurai même pu aller le voir, car il était seulement à 170 km. J'ai su plus tard qu'il était décédé la même année.
Avec mon capitaine j'ai eu toute une série de correspondance mais il était inconsolable de la perte de son fils, mort dans les tabors comme lieutenant, sur les marches de Notre Dame de la Garde, lors de la libération de Marseille en 1944.
Après un pèlerinage à Noyon en 1984, je me suis adressé à la caserne de Pau, afin de retrouver l'adresse de mes camarades. Là, j'ai appris le décès de Istilart en 57. La famille Mirande m'a répondu que ce dernier venait de décéder. Malgré deux appels, Labéguère n'a pas répondu. Il vient lui aussi de décéder bien médaillé. Seul Dubet m'a répondu et est venu chez moi. Je n'ai pas recherché Roumage.
Je n'ai jamais osé écrire aux familles de mon lieutenant Lecointre, de Mauny, Griffon et Reynaud.
Regrets avec bien d'autres regrets !


Jean LABAYSSE
Tant que les Français constitueront une nation, ils se souviendront de mon nom !

Napoléon
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