par boisbouvier » Mardi 10 Novembre 2009 22:16:27
Voici l'un de ces deux textes:
M. Boisbouvier Paris, le 29 octobre 2009
A Colonel Le Pargneux
Mon cher Colonel,
Pour expliquer comment les Juifs de France ont été relativement favorisés il faut se reporter à deux dates.
La première se situe le 7 mai 1942.
Heydrich vient à Paris pour installer la SS et le général Oberg. Ils doivent remplacer la Militarbefehlhaber (MBF) et le général Stulpnagel à la tête de la police de la France occupée. L’heure est grave car c’est pour réaliser la déportation des Juifs décidée à la conférence de Wannsee, le 20 janvier, que ce changement a lieu. (Himmler et Heydrich craignent que la Wehrmacht soit trop sentimentale pour effectuer correctement cette tâche si éminemment prioritaire à leurs yeux.)
L’entrevue a lieu à l’hôtel Ritz et Heydrich parle haut et fort. Il ne vient pas pour négocier mais pour ordonner. « Les Français doivent obéir. », dit-il. C’est pourquoi il a refusé de parler avec le ministre français des Affaires étrangères et de l’Intérieur, Pierre Laval. Il suffira que le Secrétaire général à la Police, René Bousquet, soit informé.
Or, c’est au tour de Bousquet de le prendre de haut.
Dans ces conditions, dit-il, vous mettez fin immédiatement à mes fonctions. Et de se lancer dans une sévère diatribe contre le régime fait à la France par l’autorité d’occupation. Il se plaint que les interventions de la police allemande dans le travail du maintien de l’ordre ne fassent que compliquer inutilement la tâche des Français. Et il ajoute : « Moi qui ne suis qu’un fonctionnaire français qui n’approuve pas votre régime, je vous dis que vous faites fausse route. »
Or, Heydrich semble avoir été médusé par cette « sortie » à laquelle il n’était pas habitué, car il répond : « M. Bousquet vous m’avez tenu un langage d’Homme et vous m’avez ému, mais que me conseillez-vous ? »
« Je n’ai rien à vous conseiller », dit Bousquet. N’empêche qu’il suggère que le commandement de la police en zone occupée soit restitué à la France car il était dévolu, jusque-là au MBF, de sorte que les trois déportations de Juifs qui se sont produites en zone occupée, en 1941, l’ont été sans que Vichy en ait été informé.
Heydrich promet à Bousquet qu’il va voir à Berlin s’il peut le satisfaire.
Résultat inespéré, donc, mais obéré par le fait que Heydrich meurt trois semaines plus tard des suites d’un attentat.
Quoiqu’il en soit des pourparlers sont ouverts entre Bousquet et Oberg sur la restitution au gouvernement français sis à Vichy de l’autorité sur la police de zone occupée. Ils aboutiront aux « accords Bousquet- Oberg » en août 42 qui rendirent –en principe- la police française de zone occupée indépendante de l’autorité allemande, comme l’était déjà celle de la zone libre.
Mais, dans l’intervalle, Eichmann, a réclamé de Berlin son contingent de chair humaine : il veut 15000 Juifs hollandais, 10 000 Juifs belges et 100 000 Juifs français. Les transports sont dégagés et les trains de déportation doivent être remplis. Son correspondant à Paris s’appelle Dannecker. Il transmet l’ordre d’Eichmann.
Oberg et son adjoint, Knochen, détestent ce Dannecker, type parfait du SS fanatique et zélé. Ils parviennent à le faire rappeler à Berlin.
Restent ces trains tout prêts qu’il faut remplir.
C’est là que se situe la deuxième date, le 2 juillet 42, au siège de la SS Polizei, au 72 avenue Foch, à Paris.
Sont réunis là, l’Etat-Major de la SS avec son chef, le général Oberg qui, ne parlant pas notre langue, laisse volontiers l’initiative des pourparlers à son adjoint le colonel Knochen qui, lui, la parle très bien, d’une part, et René Bousquet, d’autre part.
Les paroles échangées furent celles-ci :
Bousquet : Le Maréchal s’oppose catégoriquement à la déportation des Juifs que vous réclamez.
Knochen : Ne craignez-vous pas que votre intransigeance n’irrite notre Führer ?
Bousquet : Puis-je faire une contre-proposition ?
Knochen : Nous vous écoutons.
Bousquet : Si nous vous livrons des Juifs émigrés, renoncerez-vous à déporter les Juifs français ?
Oberg et Knochen : C’est d’accord.
Ainsi s’expliquent les rafles dites du Vel d’Hiv. des 16 et 17 juillet 42 qui entraînèrent la déportation de 12000 Juifs environ vers les camps du Loiret et de Drancy, d’une part, et aussi, celles effectuées en août 42, dans des camps d’internement, en zone libre.
Par la suite, il y eut d’autres rafles pendant la seconde partie de l’occupation quand toute la France fut occupée.
Laval et Bousquet se servirent de la zone italienne d’occupation pour obvier aux exigences allemandes. Ils refusèrent de dénationaliser les Juifs entrés en France après 1929. Oberg et Knochen ne furent pas dupes de la mauvaise volonté de Vichy et ils taxèrent Laval de « renardise » ou de « quand l’insolence devient une méthode ».
Heureusement, bien que membres de la SS, Oberg et Knochen font figure de « modérés » mais ils n’agissaient pas seuls et d’autres chefs SS comme Lischka, Aloïs Brunner ou Zeitschel firent du zèle et, sur un total de 350 000 Juifs de France, 76000 furent déportés dont 2500 seulement revinrent. Après une certaine date, même des Juifs français furent déportés - environ 25000.
Raul Hilberg a écrit une somme : « La destruction des Juifs d’Europe » qui fait autorité sur la question. Il résume bien la situation faite aux Juifs de France quand il dit : « Dans ses réactions aux pressions allemandes le gouvernement de Vichy tenta de maintenir le processus de destruction à l’intérieur de certaines limites. Celles-ci eurent pour objet de retarder l’évolution du processus dans son ensemble. Les autorités françaises cherchèrent à éviter toute action radicale. Elles reculèrent devant l’adoption de mesures sans précédent dans l’histoire. Quand la pression allemande s’accentua en 1942, le gouvernement de Vichy se retrancha derrière une seconde ligne de défense. Les Juifs étrangers et les immigrants furent abandonnés à leur sort et l’on s’efforça de protéger les juifs nationaux. Dans une certaine mesure cette stratégie réussit. En renonçant à épargner une fraction, on sauva une grande partie de la totalité. »
Le choix de Sophie, en quelque sorte.
Voilà, mon cher colonel un petit résumé.
Répond-il à votre attente ?
Bien cordialement,