Un effet incontestablement néfaste (et incontesté comme tel, même par Boisbouvier et consorts) de l'armistice est qu'il mine la position de Churchill. D'ailleurs, dès l'après-midi du 17 juin 1940, le "il faut cesser le combat" radiophonique du chevrotant maréchal détermine Halifax et Butler, complètement affolés, à protester de leur bonne volonté auprès de Hitler et quasiment s'engager à renverser Churchill dans les dix jours, par l'intermédiaire de Bjorn Prytz, ministre de Suède à Londres :
http://www.delpla.org/article.php3?id_article=102 .
Ce sur quoi mon précédent message appelait l'attention, c'est la "main" que le renversement de Churchill et la paix (signée de préférence fin mai grâce au Haltbefehl, mais aussi fin juin si l'axe Halifax-Kennedy-Roosevelt l'avait emporté sur l'astre Churchill et ses frêles lunes de Gaulle, Cooper, Spears -et l'on en fut bien près), aurait donnée à Hitler. Lui qui avait commencé la guerre à cinquante ans pour ne pas la faire quand il en aurait soixante n'en avait encore que cinquante-et-un et pouvait se donner du temps, relâcher la pression, démobiliser des troupes (c'était en cours), entamer vis-à-vis de Staline un discret chantage pour se faire livrer l'Ukraine et la Biélorussie pas forcément tout de suite, pas nécessairement par la guerre...
Pendant ce temps il ne restait pas, à l'ouest, les deux pieds dans le même sabot. Il avait tenu à faire figurer dans le traité de paix la livraison non du Cameroun (Bruno, comment pouvez-vous penser une chose pareille, diamétralement opposée aux mamours faits à Londres depuis 1927 au bas mot ?) mais de Madagascar. Pour y faire un Etat juif, officiellement; en fait, les textes internes à l'administration allemande en font foi, il se serait agi d'un "grand ghetto", entièrement contrôlé par les SS, avec l'espérance de vie, pour les pensionnaires, que cela suppose. Mais le simple fait de laisser la flotte allemande jouer les négriers jusqu'à la lointaine île, en transportant des Juifs non seulement allemands mais polonais et probablement hongrois, voire palestiniens, aurait signifié une collaboration au moins passive de l'empire britannique au génocide, donc l'accomplissement, sur ce point aussi, du programme de
Mein Kampf : entraîner l'Angleterre et sa colonisation dans une logique de "domination aryenne" où les colonies n'auraient plus de rôle civilisateur du tout, mais une simple fonction, assumée, d'oppression.
Pendant ce temps, sur le continent européen, Hitler avait tout loisir d'écraser la France non plus par les armes, mais par un remodelage économique et culturel. N'oublions pas que les trois grandes démocraties devaient faire des élections à l'automne : Churchill perdait son siège ainsi que les précités et même un poisson sachant nager comme Eden; en France, Reynaud était soit balayé (si par extraordinaire il s'obstinait dans une nostalgie churchillienne), soit à la tête d'une majorité de droite enterrant le Front populaire au profit d'une révolution nationale censée redresser moralement un pays avachi (avec un langage bien proche de celui que Pétain allait adopter dans l'histoire réelle); aux Etats-unis enfin, soit Roosevelt se convertissait au "réalisme" et concluait des traités économiques avec Hitler, soit il était balayé par les républicains... à supposer qu'il ait pu se représenter (il ne justifie en effet une entorse à la tradition des deux mandats que par l'état de guerre).
C'est cette situation-là, avant tout, que la France favorise (et que d'ailleurs Pétain, Werygand, Baudouin, Darlan et consorts espèrent comme un moindre mal) en baissant les bras le 16 juin au soir et c'est à cette aune, essentiellement, que ce geste doit être apprécié.