Illusions perdues.

Les Totalitarismes à l'assaut de l'Europe !

Illusions perdues.

Message par Jean Defranchi » Jeudi 05 Avril 2007 19:09:21

Bonsoir,

Après l'armistice de juin 1940, qui sanctionnait la défaite de la France, mon unité fut partiellement dissoute et, avec bien d'autres, je fus muté à la base de Toulouse-Francazal.
Nous nous demandions tous à quelle sauce nous allions être dévorés. Les engagés pensaient que leur contrat allait être résilié. Les appelés et réservistes exigeaient leur libération immédiate.
En attendant nous étions occupés à des tâches très diverses. On m'avait chargé de réceptionner et de stocker, dans un des grands hangars de la base, le matériel d'habillement arrivant, chaque jour, des unités dissoutes. Il m'avait été demandé d'en tenir un inventaire. Tâche impossible.
Chaque matin une file de camions était en attente devant le hangar. Dès que j'ouvrais les portes les camions s'engouffraient dans celui-ci. Les conducteurs baissaient la ridelle arrière de leurs véhicules et, avec l'aide de leurs copains, poussaient le contenu à l'extérieur. Pas question de contrôler quoi que ce soit. Les conducteurs disaient attendre " La Quille " et n'en avoir rien à foutre.
Après plusieurs semaines le sol du hangar étant recouvert sur sa totalité les conducteurs se mirent à rouler sur les vêtements, afin de pouvoir déverser leur cargaison plus loin et plus haut. Ainsi, de jours en jours, se formait une sorte de colline de frusques s'étendant sur près de 1000 m².
Chaque matin un certain nombre de « quillards » était désigné pour " donner la main " lors du déchargement des camions. Comme ils pensaient être bientôt démobilisés ils profitaient de leur venue au hangar pour chaparder des treillis. Puis ils se rassemblaient, pour faire des essayages de leurs acquisitions, derrière la colline, dans une sorte de vallon.
Un matin, en me rendant " au travail " je fus interpellé par un fringant lieutenant qui me demanda où se trouvait ce qu'il appela pompeusement le " magasin d'habillement ". Cet homme paraissait vivre dans un autre temps. Il avait revêtu une tenue que portaient certains officiers-pilotes avant les événements des derniers mois : Un ensemble en gabardine bleu marine comportant une veste classique et une culotte de cheval. Le tout complété d'une paire de bottes rutilantes de couleur noire. Il me parlait d'un ton péremptoire en frappant ses bottes à l'aide de son stick.
Voulant lui indiquer ou se trouvait le " magasin d'habillement " je lui dis : " Mon lieutenant les vêtements se trouvent dans le troisième béconard ". Il devint furieux et me reprocha vivement de lui manquer de respect parce que l'emploi du terme " béconard " n'était pas de mise dans une conversation avec un officier.
Il est vrai que le mot hangar aurait été plus approprié mais au sein du personnel d'entretien des avions il y avait des habitudes dont il était difficile de se débarrasser. Depuis des lustres la maison Bessoneau fabriquait des hangars en toile pour l'armée. Partant du mot " bessoneau " pour désigner ces hangars, on avait glissé doucement, avec le temps, au terme argotique "béconard" que nous utilisions pour désigner un hangar, qu'il soit en toile ou en dur.
Après cet incident je conduisis l'officier au hangar dont j'avais, en principe, la responsabilité. Je pensais que le ciel allait me tomber sur la tête.
Lorsque le lieutenant se trouva en face de l'inimaginable et monstrueux tas de vêtements il resta figé, cessant de battre ses bottes avec son stick. Tout cela dépassait son entendement….
Je m'attendais à le voir exploser mais rien ne vint.
En regardant les réservistes hilares balancer à coups de pieds, hors des camions, les paquets de tenues de l'armée de l'air, sans se soucier de sa présence, il avait sans doute compris que les temps n'étaient plus aux certitudes inébranlables……Peut-être même venait-il seulement de réaliser que nous venions de perdre une guerre. »

Bien amicalement.

Petit détail amusant : Lors de la dissolution de mon unité je dû rendre ma caisse à outils. Le magasinier me dit alors :" Il te manque une clé de 10. Même si tu retournes à la vie civile tu recevras un jour une facture de l'armée". La dessus il y a eu l'occupation et, de plus, j'ai été affecté en Afrique du Nord jusqu'en 1945. Soixante sept ans se sont écoulés. Je n'ai toujours rien reçu......
Jean Defranchi
 

Message par Baron Percy » Jeudi 05 Avril 2007 23:48:17

Vous n'auriez pas dû mentionner cet oubli de l'administration militaire.
La redoutable machine va se mettre en branle sans plus tarder.
Surveillez votre boîte aux lettres dans les prochains jours... :lol:
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Message par A.Lionel » Vendredi 06 Avril 2007 07:59:41

Bonjour, j'avais une question un peu personnelle à laquelle vous pouvez sans problème ne pas y répondre, je comprendrai.
Voilà, on dit souvent que les Français ne voulaient pas faire cette guerre, qu'en était-il du jeune soldat que vous étiez et de vos compagnons d'armes, comment avez vous vécu cet incroyable défaite de mai-juin 1940? Pensiez-vous que tout était fichu?
Bien à vous.
"Les vraies conquêtes, celles qui ne donnent aucun regret, sont faites sur l'ignorance."
A.Lionel
 
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Message par Jean Defranchi » Vendredi 06 Avril 2007 10:57:55

Bonjour Duc de Reichstadt,

Je pense que tous les militaires de l’armée d’active, qu’il s’agisse des militaires de carrière ou des engagés volontaires, étaient fortement motivés. En ce qui me concerne je m’étais engagé pour servir et il en était de même de tous mes camarades qui, comme moi, venaient de l’école des apprentis mécaniciens de Rochefort. D’ailleurs à 18 ans et demi que n’aurions-nous pas fait ?
Vers le 15 juin nous savions bien qu’il n’y avait plus guère d’espoir.
Nous avons quitté Chartres, ou nous étions depuis le 2 juin, le 13 juin. Nous avons alors fait retraite sur Châteauroux puis sur La Rochelle où nous avons séjourné du 16 au 19. Ensuite ce fut Landes de Bussac, Mont de Marsan et Toulouse. Parmi les équipages les mitrailleurs commençaient à manquer. Le bruit courait que l’on allait embaucher les jeunes mécanos pour assurer cette fonction. Nous nous en réjouissions. Cependant l’armistice est arrivé sans que cette mesure ait été mise en pratique.
Chez les navigants, avant la mission du 12 mai, le moral était au beau fixe. Tous étaient persuadés que l’aviation d’assaut allait faire merveille. Malheureusement ce ne fut pas le cas. Même si l’enthousiasme n’était plus aussi présent les navigants avaient un très fort sens du devoir et ils accomplirent, sans broncher, leurs missions jusqu’au bout.
En ce qui concerne les appelés et réservistes du personnel au sol la situation morale était très différente. Certains réservistes avaient participé à la première guerre. Les appelés savaient, par les récits de leur pères, ce qu’avait été cette guerre qui devait être la dernière. Et voila que 22 ans après il fallait recommencer. Le moral n’était pas au rendez-vous. Que de réflexions désabusées, voir choquantes n’est-je pas entendu.
Il faut dire, je crois, que le pacte Germano-soviétique y était aussi pour quelque chose.
Le 24 juin nous étions à Mont de Marsan. Le bruit courait toujours que les Allemands étaient à une heure derrière nous, ce qui était faux. Nous savions que des pourparlers d’armistice étaient en cours. Un autre bruit s’est fait jour : il était question de mettre les avions en ligne de vol, face aux entrées du terrain, et de mettre les jeunes mécaniciens à bord pour actionner les armes lors de l’arrivée des Allemands.
Les appelés et réservistes vinrent nous voir et nous dirent : « Les gars, si vous tirez sur les Fritz on vous descend ! ». Heureusement l’ordre a été donné de faire route sur Toulouse.
Voila comment s’est terminée ma campagne de France. Je n’ai rien fait de spécial, pas plus d’ailleurs que durant le reste de mon séjour dans l’armée. Je suis retourné à la vie civile en octobre 1945.

Bien amicalement.
Jean Defranchi
 

Message par Jean Defranchi » Vendredi 06 Avril 2007 11:18:00

Baron Percy a écrit :Vous n'auriez pas dû mentionner cet oubli de l'administration militaire.
La redoutable machine va se mettre en branle sans plus tarder.
Surveillez votre boîte aux lettres dans les prochains jours... :lol:


Vous avez raison mais dans cette ordre d'idée il m'est arrivé bien pire. J'aurai peut être l'occasion d'en reparler.
Cordialement.
Jean Defranchi
 

Message par A.Lionel » Jeudi 12 Avril 2007 03:48:04

Bonjour Sostène et merci pour ce récit, il devait régner une certaine confusion politique tout de meme, vous nommiez le pacte germano-soviétique, j'imagine que ce fut un sacré coup de poignard dans le dos?!
Et que dire du ralliement massif des socialistes lors du vote des pleins pouvoirs au Maréchal?

Bien à vous.
"Les vraies conquêtes, celles qui ne donnent aucun regret, sont faites sur l'ignorance."
A.Lionel
 
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