Lieutenant Gonthier,Organisation du terrain
147ème R.I.F.
11e C.M.
Rapport
du Lieutenant Gonthier, ex commandant de la 11ème C.M. du 147ème R.I.F., relatif
à la période du 23Aout 1939 – 13 mai 1940.
Organisation du
terrain
Evolution
L’organisation de la position en septembre 1939, porte sur une position d’avant postes et sur la ligne principale de résistance. Sur la rive droite de la Meuse, à proximité de frontière belge, la position d’avant poste est jalonnée par un réseau qui n’est pas terminé. La 9e Cie du 155e R.I.F. y travaille quand l’ordre de mise sur pied de guerre de l’échelon A lui parvient dans son cantonnement provisoire de Vrigne aux Bois. Toutefois, le matériel est presque entièrement à pied d’œuvre et des travailleurs seront envoyés par le III/147, pendant les mois de septembre afin de tout terminer. Sur les itinéraires venant de Belgique, des fourneaux de mine ont été préparés. Ils se trouvent :
a) un à la sortie Nord de Rossignol, au milieu des bois, aux Margannes.
b) Un à la hauteur de la filature de la Claire.
c) Un, très important, au carrefour de Montimont, gardé par une maison forte, armée d’un canon de 37 et de 2 fusils mitrailleurs.
d) La destruction du ponceau de la Claire, à la sortie Nord de Vrigne aux Bois, au lieu dit la Grève est prévue. Elle devait être gardée par une maison forte dont la construction n’est qu’ébauchée.
La ligne principale de résistance comprenait un obstacle continu : la Meuse. Le seul passage situé à proximité de la 11e C.M., dans le S/quartier occupé par le 10e C.M. (Capitaine Heff) se trouvait à Donchery. La rivière doublée par un canal latéral donnait accès à une écluse comportant deux ponts.
Le pont sur la Meuse, en maçonnerie se composait de plusieurs arches. Comme dispositif permanent, seule la destruction de la troisième pile, à partir de la rive Nord était préparée. La destruction de la culée de la rive ennemie fut préparée par le génie. La brèche produite ne semblait pas devoir être très importante. Le pont sur le canal, en béton armé, comportait un dispositif complet, deux fourneaux de culée et deux coupures de la travée. C’est sans contredit la destruction principale qui aurait coupé en même temps de son entonnoir d’entrée, la route de Sedan-Charleville.
Or le 12 mai, le pont sur la Meuse seul sauta Cf : croquis1
A titre documentaire, ce même pont avait déjà été détruit dans les mêmes conditions en 1914. Des témoins rapportent que l’infanterie allemande tourna facilement l’obstacle par l’actuelle usine électrique et le déversoir ouest à sec par suite des basses eaux. Les pionniers dressèrent ensuite une échelle contre l’arche et les troupes purent regagner le pont intact.
Dans mon sous quartier, un dispositif de destruction existait : c’était celui de la route Sedan-Charleville au pont de la Bar. Les fourneaux existaient et avaient été reconnus par le génie. Cette destruction devait parait-il, amener une inondation de la vallée de la Bar, mais elle exigeait trois tonnes d’explosifs, matériel dont on manquait. Elle ne fut donc jamais préparée d’autant plus que n’étant pas à proprement parlé sur la Meuse, elle n’était que secondaire. Cf croquis 2 Un réseau de fil de fer longeait la Meuse. Dans mon sous-quartier, il s’écartait du cours de la rivière, traversait la route Sedan-Charleville, passait au Sud de la petite agglomération de Pont à Bar, sur le canal des Ardennes pour aller se raccorder avec l’Armée voisine. La plus grande partie du réseau avait été réalisée depuis mars 1938. les quelques trous qui existaient furent comblés dans le courant des premiers mois de la guerre. Il fallut également, à la dernière minute, boucher les très nombreuses chicanes qui permettaient l’accès aux champs et pâtures. Quelques ouvrages en béton du type « Barbeyrac » avaient été construits avant 1936. Leur dalle avait de 0m70 à 1mètre d’épaisseur. Dans la portion de terrain qui m’était impartie en couverture, on trouvait de l’ouest à l’est :
1°) le « 82 bis » pouvant contenir deux mitrailleuses à missions délimitées, 1 fusil mitrailleur et un canon de 25.
2°) le « A » du même type.
3°) le « 1bis » du même type.
Il y avait donc sous béton de la place pour dix armes automatiques et deux armes antichars.
Or dans le sous quartier primitif, il y avait :
4 armes anti-chars
4 mortiers de 81m/m
17 mitrailleuses
15 fusils mitrailleurs
Pendant toute la période de septembre 1939 à mai 1940, mon souci constant, envers et contre tout, fut d’assurer la mise en service du plan des feux initial. En effet, à la suite des changements d’unités de renforcement, des modifications incessantes dans la répartition des commandements, un certain flottement s’était manifesté. D’autre part, des blocs de béton étaient entrepris en grand nombre. Ils correspondaient à de nouvelles missions, à un supplément d’armement, en engins auto-chars et il n’était pas douteux que lors des mise en oeuvre de ces nouveaux ouvrages, il faudrait de toute nécessité, modifier et réajuster toute l’organisation primitive. Mais tant que tous ces nouveaux ouvrages ne seraient pas terminés, il fallait s’en tenir à un plan ferme qui s’il n’était pas parfait, était du moins homogène et connu des petits échelons. C’était l’ancien plan.
Le 10 mai, il y avait donc dans mon sous-quartier des emplacements pour toutes les armes.
A proximité se trouvaient des abris pour tout le personnel. La 11ème Compagnie, étant très mal partagée comme cantonnement, dès le début de la campagne, les hommes furent contraints de coucher sur les positions, dans des abris de groupe, réalisés suivant le plan primitif ’occupation. Il n’était d’ailleurs pas question de creuser des abris à l’épreuve par nos propres moyens, l’eau se trouvant à fleur du sol. Sur les pentes du Rouillon seulement, après maints tâtonnements, les sections parvinrent à se créer des abris sous 1m 50 de terre avec dalles l’éclatement, ce qui représentait une assez bonne protection. Certes, la vie fut rude au cours de l’hiver, mais cette occupation permanente des positions avait mis chacun dans le cadre de la mission.
Signalons toutefois l’extrême difficulté d’obtenir le matériel nécessaire à tous les travaux. Dans la plupart des cas, il fallait se débrouiller.. ce qui amena quelques incidents. Un réseau de communication enterré reliait les divers emplacements de combat. Certes les boyaux n’étaient pas clayonnés sur toute leur longueur ; l’hiver, le mauvais temps, le ruissellement les abîmèrent, ils n’en existaient pas moins. Grâce à cette organisation, aucune perte ne fut occasionnée par l’intense bombardement d’aviation qui pilonna les positions, particulièrement le 13 mai. Le remblai de la route Sedan-Charleville fut utilisé et aménagé comme fossé anti-chars. C’était un très gros travail qui fut poussé activement mais qui exigeait beaucoup de personnel et de matériel. Le 10 mai, il était terminé sur la partie comprise entre le canal des Ardennes et la Bar. Toute cette organisation fut réalisée en transgressant les ordres du génie. Tout l’effectif étant occupé aux travaux de bétonnage et dans bien des cas, ce n’est que par des tours de passe passe que nous arrivions à fournir les corvées demandées. Or les hommes ayant travaillé une demi journée au béton, devaient avoir repos l’autre demi journée. C’est précisément ces
demi-journées de repos qui furent employées à l’organisation des positions. J’eus d’ailleurs d’assez durs rappels à l’ordre de la part du génie.. mais je tins bon, estimant que tant que le béton ne serait pas entièrement terminé et équipé, c’était comme s’il n’existait pas.
Dans la portion de terrain où je commandais initialement, cinq ouvrages furent entrepris
de l’ouest à l’est.
Le 201 (type II°Armée) pour un 25 et une mitrailleuse.
Le 202 du même type.
Le 301 pour deux mitrailleuses et 1 fusil mitrailleur.
Le 153 (type G.A.1) pour un 25, une mitrailleuse et plusieurs fusils mitrailleurs.
Le 154, du même modèle.
Aucun de ces ouvrages n’était terminé le 10 mai
.
Le 201, le 202, le 301 étaient coulés.
Le coulage du 153 se termina dans la nuit du 11 mai.
Le radier du 154 venait d’être fait.
A tous manquait l’aménagement intérieur ; défaut très grave, les créneaux n’étaient pas mis en place. Leur absence créait d’immense fenêtres de plus d’un mètre carré qui furent une cible facile pour les coups d’embrasure…l’expérience l’a démontré. Ainsi donc pour conclure, le 10 mai 1940, malgré un travail acharné rendu extrêmement pénible par l’hiver et la pluie - un travail dont le 147e R.I.F. supporta le poids presque seul l’organisation permanente fortifiée, pourtant formidablement ébauchée, n’est pas en état de servir. Le travail fourni l’a été aux dépens de l’organisation proprement dite de la position.
Faut-il ajouter que chacun constate avec étonnement que le travail de fortification s’arrête à la limite de la II° Armée ? Au-delà, à l’ouest, pas de béton en construction, pas même la préparation sommaire de la position.
Gueret, le 26 juin 1941
Signé GONTHIER