Un film-catastrophe sur la libération de Paris

[Francois Delpla]

Aujourd'hui 5 mars 2014 apparaît sur les écrans français un film du grand cinéaste allemand Volker Schlöndorff. Il s’intitule Diplomatie et recycle, tout en les aggravant, les libertés prises avec l’histoire dans un célèbre film de René Clément, sorti en 1966 et intitulé Paris brûle-t-il?

A l'instar de cette oeuvre, inspirée d’un livre homonyme, celui-ci est issu d’une pièce de Cédric Gely (2009) qui portait le même titre et avait triomphé à Paris pendant plusieurs années. Les deux principaux acteurs, Niels Arestrup dans le rôle du général von Choltitz et André Dussolier dans celui du consul Raoul Nordling, sont les mêmes à la scène et à l’écran. Cédric Gely cosigne le scénario.

Le réalisateur, les comédiens et, à l’heure où ceci est écrit, la critique, ne présentent hélas pas ce scénario comme une fiction littéraire prenant l’histoire pour prétexte, mais bien comme un fidèle reflet de la réalité. Certains détails auraient bien été inventés pour les besoins du spectacle, mais sans rien ajouter ou retrancher d’essentiel. Ce serait en quelque sorte un condensé des entretiens de Nordling et de Choltitz, qui étaient en fait bien antérieurs et portaient sur d’autres objets, comme le sort des prisonniers ou la fameuse trêve des 20 et 21 août. Schlöndorff est allé jusqu’à dire dans une interview en février 2014, à l’occasion de la Biennale de Berlin, après avoir parlé d’un « combat de boxe en cinq ou six rounds » : « Si par malheur Paris avait été rasé, je vois mal comment le couple franco-allemand aurait pu émerger et au-delà comment l'Europe aurait pu s'en remettre ».

Rappelons que Hitler n’avait nommé le général von Choltitz gouverneur de Paris, le 7 août, que comme un syndic de faillite, chargé d’éviter un sauve-qui-peut et de protéger par des combats défensifs une évacuation ordonnée. Aucun ordre de détruire gratuitement les monuments ne lui est jamais parvenu et, s’il est bien question de laisser derrière soi un « champ de ruines », c’est dans un message très tardif, le 23 août. Choltitz n’a alors plus les moyens de détruire grand-chose avec ses 20 000 soldats retranchés dans des « points d’appui » et la Résistance aurait, en revanche, bien des ressources pour l’en empêcher, sans parler des chars de Leclerc, dont l'avant-garde arrive dans l'île de la Cité au moment même où la dramatique discussion est censée s'ouvrir. Si ruines il y avait, ce serait, d’après cet ordre de Hitler lui-même, pour retarder l’adversaire, dans une logique purement militaire. Le dictateur ne prend jamais son téléphone pour demander si Paris brûle. Il veut simplement, dans ce message du 23, rappeler que la guerre continue, qu’il reste le chef et qu’il faut se battre coûte que coûte sans faire de sentiment, surtout vis-à-vis de l’ennemi. Il n’est pas homme à préconiser des reculs. Il ne laisse guère d’autre solution aux exécutants, mais au moins ce n’est pas lui qui aura ordonné autre chose que de se battre. Quant au minage de la capitale, filmé avec un grand luxe de détails apocalyptiques, il n’avait concerné, en l’état actuel des sources vérifiables, qu’une partie des ponts.

Notre fiction franco-allemande défigure donc l’histoire sans profit pour la morale. Quels que soient les mérites de Raoul Nordling pour empêcher, notamment, des massacres de prisonniers, ce n’est pas un homme providentiel qui a sauvé la capitale, mais les millions de combattants mobilisés contre l’Axe, les résistants levés avant l’heure que la mort ou la déportation ont souvent empêchés de voir le dénouement et, pour finir, un soulèvement intelligemment conduit, coordonné avec l’arrivée des armées alliées.

[boisbouvier]

Un soulèvement intelligemment conduit ?
Parce que ça s'est bien terminé (toujours l'anachronisme) et que Eisenhower s'est laissé convaincre d'envoyer la division Leclerc prendre Paris au bout d'une semaine ce qui n'était pas prévu dans ses plans. Mais s' il avait imité Staline à Varsovie qui n'a rien fait pendant deux mois alors qu'il avait, contrairement à De Gaulle, encouragé l'insurrection de la résistance locale, qui peut dire avec certitude si Paris n'aurait pas subi le même sort que Varsovie ?
Ce soulèvement fut très imprudent. Il s'est bien terminé, tant mieux, mais on ne peut en dire davantage. Pourquoi les résistants n'ont-ils pas obéi à De Gaulle qui avait donné comme consigne de ne pas tuer d'Allemands ? Y eut-il des insurrections pour libérer Bruxelles ou Amsterdam, Strasbourg ou Metz ?
La vérité c'est que la résistance était divisée et qu'elle obéissait plus à Staline qu'à De Gaulle dans la plupart des régions y compris en Ile de France.
Ceci étant dit, je t'accorde, Delpla, qu'il faut poser des limites aux droits que se donnent les cinéastes de jongler avec les évènements historiques.

[Francois Delpla]

C'est parti !

Le très imaginatif dossier de Gaumont se retrouve intégralement sur un site de l'Education nationale... et non des moindres !
http://www.ac-paris.fr/portail/upload/d ... pedago.pdf

[boisbouvier]

Pour un tour ? Ça manque ! J'oubliais que tu avais été "compagnon de route". Peut-être même l'es-tu toujours. Si c'est le cas je te demande pardon : je ne voulais pas te peiner. La vérité m'oblige, c'est tout.

[Francois Delpla]

aurais-tu un avis sur le sujet ?

[boisbouvier]

Non. Et toi ?

[Francois Delpla]

tu ponds de plus en plus n'importe où sans rien lire ?

[boisbouvier]

Je ponds là où je peux tout comme toi qui es bien empêché d'avoir été viré de PH.
Alors, vas-tu répondre à la fin : compagnon de route du PC, oui ou non ?
Lebel à qui j'avais posé la question a eu la franchise de répondre, lui. Non, il avait toujours été atlantiste.

[Francois Delpla]

Sur Passion-Histoire http://www.passion-histoire.net/viewtop ... 62#p477362 , un post porteur de liens précieux :

Sujet du message : Re: Diplomatie
Message Publié : 19 Mars 2014 11:23

J'ai bien aimé ce film, mais il est un peu éloigné de la réalité historique.

Choltitz aurait déjà mis à l'abri sa famille, ce qui rend caduc une bonne partie du film, selon Wikipedia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Dietrich_von_Choltitz .

Choltitz n'aurait pas seulement empêcher des destruction par des mines, mais aussi des destructions par des avions bombardiers, selon la page http://avisdepassage.com/articleparishommage0704.htm .

La réalité de la pose des mines est contestée car on ne retrouve pas de trace du déminage, selon la page http://avisdepassage.com/articleparishommage0704.htm .

Il y a tout de même eu des destructions volontaires des Allemands en partant de la région parisienne, par exemple l'incendie du musée du château de Vincennes, http://www.persee.fr/web/revues/home/pr ... 2_1_403898 .

Et de toutes manières, Napoléon III avec Haussmann et Viollet-le-Duc ont plus détruit Paris que n'aurait pu le faire Choltitz (et ne parlons pas de la pyramide du Louvre ni des colonnes de Buren).

Le site "avis de passage" http://avisdepassage.com/articleparishommage0704.htm est une belle illustration de la qualité des travaux d'amateur qu'on rencontre au hasard de la Toile. Après un utile recensement des pages de Paris brûle-t-il ? qui ont lancé la légende, Martine de Bony pose une question de bon sens : si minage il y a eu, quid du déminage ?
Puis elle s'enquiert auprès des diverses instances qui devraient posséder des documents à ce sujet, et n'en possèdent pas, et se fait confirmer cet état néant par l'historienne du déminage de la France à la Libération, Danièle Voldmann.

Du très beau boulot !

Remarques :

-les instructions données en mains propres par Hitler à Choltitz le 7 août ne parlent pas de destructions;

-Speidel ne peut avoir reçu le 26 août l'ordre de bombarder Paris avec des V2, pour au moins deux raisons : l'arme n'était pas encore opérationnelle; son maniement ne dépendra jamais que du colonel SS Kammler, mû par des ordres directs de Himmler.