Mon nouveau livre sera-t-il l'occasion d'une prise en compte plus large de mon travail par les spécialistes et autres passionnés ?
Voici en tout cas l'occasion de prolonger quelques réflexions de mon mémoire d'habilitation
http://derniereguerremondiale.net/DGMHS1.php et de répondre à certains détracteurs qui refusent d'entrer dans le débat, en arguant que je figure peu dans les bibliographies universitaires (entre autres considérations du même genre -pas forcément exactes d'ailleurs, mais je n'ai jamais jugé urgent de nuancer des propos aussi hostiles et de dresser un tableau d'honneur des lucides... un peu court, je l'admets; on peut toutefois se reporter là-dessus aussi au mémoire d'habilitation, qui égrène une liste de personnes avec qui les échanges sont féconds et l'estime, réciproque).
En d'autres termes, à en croire ces partisans de la loi du plus fort : tant qu'une recherche novatrice reste inconnue, on peut répéter les manuels en toute sécurité !
Je voudrais aujourd'hui traiter d'un cas
emblématique, celui de François Kersaudy (bien noter l'adjectif : je le prends comme un exemple, et ne cherche nullement à démonétiser sa personne ni ses livres).
Après deux décennies de cohabitation sereine, il m'a soudain attaqué, sur Passion-Histoire, à propos de Rudolf Hess
http://www.passion-histoire.net/n/www/v ... &start=345. Il procède par accumulation de témoignages sur le vif courroux de Hitler contre Hess dans les jours suivant son vol, sans prendre en compte une seconde l'hypothèse d'une comédie (ce que fait, au moins, Kershaw). Je le luis fais gentiment remarquer et il quitte très vite la discussion, non sans avoir excipé de ses relations personnelles dans les années 70 avec un ancien aide de camp de Hitler, témoin, lui, de colères... très postérieures.
Une dérobade typique :
Hélas ! Hélas ! Il y a les journaux des aides de camp, des gens disciplinés qui n'affabulaient pas en pensant aux discussions d'après-guerre entre historiens.
C'est là, si on prend un instant le propos au sérieux en retirant la part de l'énervement, une véritable déclaration de désamour envers la recherche historique, dont le rôle est justement de soupeser la documentation sans jamais la croire sur parole. Je viens de trouver dans un recueil d'articles de Moses Finley, historien de l'Antiquité, une phrase sur
La Cité antique de Fustel de Coulanges qui s'adapte merveilleusement à ce cas :
Le déploiement d'une connaissance impressionnante des sources grecques et latines va de pair avec une absence presque incroyable de critique de ces mêmes sources.
(
Mythe, mémoire, histoire, Flammarion 1981, p. 98)
Surtout, la question du vol de Hess a été complètement renouvelée par la prise en compte tardive d'un document publié en 1986, le télégramme Lequio, dévoilant une intoxication anglaise envers Hitler sur la possibilité d'un prochain renversement de Churchill, à la mi-mars 1941. Je cite ce télégramme et demande à FK de le commenter, sans obtenir sur ce point la moindre réaction.
Episode suivant : la parution du livre d'Eric Kerjean sur Canaris, en février 2012. Kersaudy sonne la charge sur Amazon.fr, en relayant et en citant des proses peu nobles parues ailleurs, notamment celle de Pierre Jardin. Dossier :
http://www.delpla.org/article.php3?id_article=530 . Kersaudy dévoile en juillet une artillerie de gros calibre
http://www.amazon.fr/Canaris-Le-ma%C3%A ... 2262036713 :
Pauvre Amiral 16 juillet 2012
Par Kersaudy Francois
Format:Broché
Gott im Himmel ! Une "biographie définitive" de Canaris en 160 pages de texte, avec théorie du complot à tous les étages, scénario passablement tiré par les cheveux, "debunking" à l'américaine, instruction menée exclusivement à charge , documents auxquels on fait dire tout ce qu'ils ne disent pas, le (véritable) biographe allemand Heinz Höhne mis très fortement à contribution dans un sens qu'il n'avait sûrement pas prévu, un soupçon de mysticisme sur Mein Kampf, un doigt de James Bond, et la meilleure preuve que Canaris a trahi les résistants, c'est qu'une de leurs bombes n'a pas explosé... Enfin, allez savoir pourquoi, Hitler fait pendre haut et court celui qui a trahi tous les résistants de l'Abwehr par amour pour son Führer ! Curieusement, d'ailleurs, il y a un grand absent dans cette histoire: c'est Adolf en personne. Il y aurait pourtant beaucoup à dire sur sa conception du rôle de l'Abwehr, de l'OKW, des militaires en général et de l'amiral en particulier; enfin et surtout, il faudrait parler des opérations de renseignement de Canaris et de l'Abwehr à l'étranger, ce qui constituait après tout l'essentiel de leur mission. Voilà qui permettrait par la même occasion de renouer avec la réalité.
Rémi Kaufer, pas exactement un amateur en matière d'espionnage, parle dans Historia d'une "ébauche de biographie", exposant une "thèse renversante mais trop peu étayée pour emporter la conviction". Malheureusement pour la thèse... renversante d'Eric Kerjean, l'un des tout premiers résistants au régime nazi a écrit ceci après la guerre: "L'amiral Canaris et le général Oster, qui avaient été l'âme de la résistance contre Hitler au sein de l'armée, [...] ont été soumis à de fréquentes tortures pour les obliger à parler. Le fait que nombre de leurs proches qui faisaient partie de la conjuration n'aient pas été inquiétés par la Gestapo prouve qu'ils ont su garder le silence sous la torture." (Erich Kordt, Wahn und Wirklichkeit, UDV, Stuttgart, 1948, p. 392) Sous une forme ou sous une autre, trente-six autres membres survivants de l'opposition allemande, de nombreux hauts fonctionnaires de la Gestapo et tous les biographes allemands de Canaris (qui ne sont pas exactement des plaisantins et sont richement documentés) présentent Canaris comme un des principaux opposants à Hitler, et celui qui a protégé tous les autres (avec l'aide d'Oster, etc). Et ils se seraient tous concertés pour mentir, afin de nuire à l'hypothèse géniale de MM. Kerjean et Delpla ? Allons, il faut être raisonnable ! Mieux vaut sans doute renoncer aux délices du sensationnel et relire sur Canaris les ouvrages de Höhne, de Mueller, et la remarquable biographie d'André Brissaud qui - Ô merveille - a également été publiée jadis par la librairie académique Perrin.
S'ensuit un long débat où, comme dans le précédent, l'ironie facile se substitue à toute réponse précise.
On peut aussi remarquer ci-dessus que l'auteur cite en modèle un journaliste, André Brissaud, écrivant en 1970 sans la moindre attention à la recherche universitaire de l'époque sur les forces armées allemandes. Sur ce livre, voir l'analyse très détaillée d'un internaute en 2007 :
http://www.courtois.cc/blogeclectique/i ... brissaud-1 . On voit qu'il ne se refuse pas aux hypothèses tirées par les cheveux, notamment celle d'un assassinat de Heydrich commandité par Londres pour protéger sa "taupe" Canaris !
Les réactions d'écorchés vifs à la réouverture par Kerjean du dossier Canaris situent bien les enjeux :
le navire nazi était commandé, ou ne l'était pas. Jusqu'ici on l'a très majoritairement décrit comme ne l'étant pas : la majorité des auteurs croit et écrit que la majorité du navire échappait à tout contrôle centralisé. Cette situation est due en bonne part au talent de Hitler pour masquer son jeu, et ses interventions. Cette image d'un régime anarchique, que dès les années 1940 certains auteurs se sont crus très malins de découvrir, provient en fait et avant tout de l'image trompeuse que Hitler cherchait à donner de son régime. Il l'a en particulier toujours, depuis la fin des années 20 au bas mot, présenté comme traversé par une division principale entre "durs" et "mous", pour inciter des groupes de toutes sortes à pactiser avec les mous tout en développant un chantage permanent à la victoire des durs.C'est cette disposition que mon nouveau livre dévoile dans toute sa crudité. On peut aussi se référer à l'article de Marie Levant dans le dossier d'
Histomag http://www.39-45.org/portailv2/download ... mag+44.php , montrant le Vatican, autour de 1930, hésiter à condamner le nazisme parce qu'il s'imagine qu'il est divisé entre des gens hostiles au christianisme et d'autres qu'ils le sont moins, et qu'il s'agit d'aider ces derniers à l'emporter.