Donatien a écrit :Combien de séances hypnotiques ? je n'ai rien lu de précis là-dessus. Sur ce sujet, on semble mélanger allègrement psychanalyse, hypnose et psychiatrie lourde. L'hypnose, ce n'est pas de la psychanalyse, et celle-ci n'est pas de la psychiatrie.
Binion (si j'ai bien lu) fait un parallèle entre Hitler brûlé aux gaz et son désir de tuer "le " juif par le gaz... ce n'est pas sérieux. Déjà parce que le premier plan était d'expédier les juifs à Madagascar.
Pas plus que de croire qu'on peut induire un comportement de sociopathe par des suggestions hypnotiques !! Ou qu'un introverti à profil schizoïde comme Hitler peut se transformer d'un coup en tyran maîtrisant les foules. Un introverti (qui n'est pas forcément un timide sa vie durant) peut le rester (priorité donnée à la vision subjective sur une appréhension "objective" du réel) et développer, ouvertement cette fois-ci, le comportement de sociopathe qu'il était depuis quasiment toujours. Hitler a la chance (si l'on peut dire) de pouvoir, grâce au contexte historique, se libérer de ses complexes de n'être rien socialement pour transformer cette infériorité en mégalomanie. "C'est une chance pour l'Allemagne de m'avoir trouvé", dit-il dans un discours.
L'art oratoire d'Hitler ? des lieux communs martelés, avec toujours des boucs émissaires pour expliquer la défaite. Qui écoute ses banalités enfiévrées ? le petit peuple. Et qui a lu au moins quelques extraits de mein kampf est sidéré par la nullité de la réflexion.
Son "sens de l'organisation ?" Mais l'Etat hitlérien est un bordel innommable ! On n'arrive même pas à savoir où sont les compétences du parti et celles de l'Etat.. Alors où est la force de ce régime ? dans la terreur policière, dès le début.
Je m'explique sur les point forts et les limites du travail de Binion dans mon mémoire d'habilitation (lien ci-dessus).
Mon constat, renforcé tous les jours par tout ce que je lis sur le Troisième Reich et tout ce que j'observe de ses discours comme de ses actes : ce n'est pas du tout le chaos, mais Hitler s'efforce fréquemment d'en donner l'impression, pour mieux avancer ses projets.
Il souffre depuis fin 1918 d'une psychose non invalidante et, au contraire, stimulante et intégratrice. Sa folie repose essentiellement sur deux croyances : la nocivité universelle des Juifs, bacilles désormais sur le point de dominer l'humanité, donc de la tuer; la mission confiée par la Providence à Adolf Hitler d'y mettre obstacle en réveillant le peuple allemand, fer de lance de la race aryenne.
La cure de Forster à Pasewalk est attestée. Son déroulement, tel qu'il est conté dans un roman par Weiss qui avait eu un accès vers le dossier, est difficile à confirmer dans tous ses détails.
Le fou est conscient que ses fantasmes ne sont pas aisés à faire passer dans la réalité... aussi accorde-t-il à cette entreprise tous ses soins, par la maîtrise de la propagande et celle de l'organisation.
Le noyau dirigeant qui se dégage au début des années 30 -Göring, Goebbels, Himmler, Hess- est très compétent pour assurer la cohésion théorique et pratique, en ajustant les violons par des rencontres fréquentes avec le chef respectivement dans le domaine de l'Etat, de la propagande, des activités occultes et du parti. Il y a aussi le décorum, mitonné avec Speer, et la communion des grands meetings, dont se charge le maître en personne.
Il faut aussi faire la part de ce qu'on appelle aujourd'hui le storytelling : le régime se raconte en permanence et construit son mythe. A cet égard, on n'en est qu'au tout début d'une piste indiquée par Edouard Husson, le fétichisme des dates. J'en découvre encore tous les jours des applications : cette semaine seulement j'ai remarqué que, le 15 janvier 1934, Hitler avait prononcé un discours à Lippe, capitale du Land du même nom. Or des élections locales dans ce territoire minuscule, où tous les dirigeants nazis avaient mouillé la chemise, avec succès, pour enrayer une baisse amorcée le 6 novembre 32 et menaçant de devenir catastrophique, avaient eu lieu... le 15 janvier 1933, deux semaines avant la prise du pouvoir, et en la favorisant grandement.
Si personne n'a remarqué ce genre de détail avant 2013, c'est qu'en soi le fait paraît tout à fait secondaire et, en un sens, l'est. Mais replacée dans la problématique de la folie, l'anecdote prend sens, ô combien : le maître écrit son régime, en gros et en détail, comme une histoire guidée par la Providence.