Duc de Raguse a écrit :
Sujet du message : Re: HITLER, est-ce "tout le nazisme" ?
Message Publié : 20 Oct 2018 9:46
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Modérateur
Délicat de se lancer dans le What if ? à ce sujet...
Cela dit, il parait incroyable de voir les autres dignitaires nazis parvenir à faire ce que le führer a obtenu comme résultats dans la période de la "conquête légale" du pouvoir, après le putsch avorté de la brasserie.
Car avant de prendre le pouvoir par la force et d'imposer ses vues à la droite allemande traditionnelle - qui pensait s'en servir comme un pion, aussi bête que docile, de reconquête du pouvoir -, puis aux autres partis du pays et, enfin, à toutes les sphères économiques et sociales de la population allemande, il a fallu manœuvrer ces foules et masses allemandes, mais aussi le NSDAP, traversé par de nombreux courants, en faisant adopter le fameux Führerprinzip. Ses meetings, discours publics - surtout entre 1928 et 1932 - ont révélé que ce bonhomme parvenait à manœuvrer correctement (du moins, comme il l'entendait) l'opinion publique allemande - cela bien avant la mise sous tutelle de tous les médias du pays.
Il a sans doute dû s'abreuver des ouvrages et actes de Le bon et de Lippmann/Bernays...
Personnellement, je ne vois pas le timide Goebbels, le brutal Goering ou encore le très agité Hess parvenir à séduire les foules, comme AH a pu le faire. Si le nazisme est souvent confondu avec le terme d'hitlérisme (dans plusieurs langues européennes) pendant l'Entre-deux-Guerres, ce n'est pas pour rien.
On pourra toujours nous rétorquer le concept de polycratie, la théorie du "dictateur faible", rien n'aurait pu se faire sans lui.
Ce n'est pas son entourage - au sein du NSDAP, mais plus largement en Allemagne - qui a fabriqué Adolf Hitler, mais bien l'inverse.
Nier ou minimiser au maximum son rôle serait retomber - une nouvelle fois - dans la théorie du sonderweg : Hitler n'était pas un accident, vu le parcours particulier de l'Allemagne n'importe quel individu aurait pu mener ce peuple là où les nazis l'ont conduit.
Personnellement, je ne le crois pas, c'est une grande faute de vouloir raisonner ainsi et d'interchanger les personnes à la guise d'une explication idéologique et déterministe. C'est nier toute la spécificité du personnage historique, Adolf Hitler, qui a bluffé autant les démocraties occidentales que ses voisins dictateurs.
Sans lui et le contexte favorable lié à la négation de la défaite par tout un peuple (dolchstosslegend) et les conséquences sociales de la crise de 1929, le nazisme n'aurait pas été possible - faut-il rappeler que le bonhomme en question avait même pensé les couleurs d'un nouveau drapeau pour l'Allemagne, celles des uniformes de ses fidèles, etc. bref, qu'il rêvait de construire une nouvelle société (une fois le parasitisme juif éradiqué), fondée sur un idéal totalement irrationnel ?
Même si l'antisémitisme était bien enraciné dans la société allemande, même si d'autres individualités "brillantes" - Ludendorff, par exemple, malgré toute sa popularité acquise lors du précédent conflit, n'a jamais réussi à faire "décoller" l'extrême-droite allemande au milieu des années 1920 - étaient sur la même case de l'échiquier qu'Hitler, personne n'avait été en mesure d'apporter une réponse globale, pratiquement théorisée dans Mein Kampf, fondant ainsi les éléments d'une possible société nouvelle.
Illuminé, mal éclairé ? Sans aucun doute, mais surtout un atypique à l'effet dévastateur pour la vieille classe politique, encore empêtrée dans une manière d'évoluer et d'agir, héritée du XIXème siècle, totalement dépassée.
Non, franchement, le nazisme sans Hitler, c'est tout simplement impossible et impensable !
J'avais été déjà très circonspect il y a quelques années lorsque la retouche, toute cosmétique, apportée par J. Chapoutot et Cie sur le vocabulaire utilisé pour l'extermination juive, avait été encensée par certains "contemporanéistes", mais alors là, je ne comprends plus bien. Faire le buzz ? Faire parler de soi pour être obligé au final d'entrer dans l'arène et faire face à une polémique qu'on a monté en épingle ? Bref, c'est décevant.
Léonard59 a écrit :
Sujet du message : Re: Hitler, est-ce "tout le nazisme" ?
Message Publié : 20 Oct 2018 12:33
Je pense qu'il faut séparer 2 périodes. La première, c'est celle qui va de 1919 à 1945. C'est là, le champ des historiens qui doivent étudier les faits pour y démêler les parts respectives des divers protagonistes. Hitler a été une figure de proue, d'autres ont agit dans l'ombre pour structurer le mouvement. Chacun à sa part de responsabilité, et il revient aux historiens d'éclairer le débat en mettant chacun à sa juste place.
La seconde, c'est après la défaite allemande et la découverte des atrocités commises par le régime. C'est le champ des moralistes, des philosophes ... et aussi des historiens. En fait, cette période pollue la compréhension qu'on a peut avoir des faits. Elle pollue puisque de nombreuses personnes ont publié leurs mémoires où ils se sont défaussés sur les morts, ou sur Hitler de leur part de responsabilité. Elle pollue parce que de nombreuses personnes ont publié des biographies de différents personnages de la période en les faisant passer pour des anges ou des démons selon leurs intérêts particuliers. Elle pollue parce que pour des basses raisons politiques ont a dû reconstruire l'Allemagne, et d'autres États, avec le personnel politique disponible. Certains furent de bons exécutants de la politique nazie, et devinrent d'aussi bons exécutants des politiques qui ont suivies. Un historien a ainsi noté que ceux qui firent l'Allemagne fédérale et démocratique que l'on connait maintenant furent des fonctionnaires qui avaient déjà commencé à officier sous la période nazie (et on en a déjà parlé sur le forum).
Et, pour en venir à la responsabilité du peuple allemand et de la Nation tous entière.... Il y a eût plusieurs périodes, en fonction de l'évolution des mentalités. Après-guerre, il fallait reconstruire, on a très vite abandonné toute idée de dénazification, en partie à cause du risque communiste, donc "on" a décrété qu'Hitler et quelques personnages un peu troubles ont abusés les allemands (ou la classe ouvrière si on était en RDA), et qu'ils étaient les seuls responsables. Dans les années 60-70 vint la période de la culpabilisation, les jeunes allemands de l'époque découvrant les horreurs faites au nom de la nation allemande par leurs pères demandèrent des comptes à ceux-ci. Il y eût un grand déballage, et une culpabilisation plus ou moins générale... Puis, vint une génération qui pensait qu'il fallait que l'Allemagne cesse de se sentir coupable de crimes commis des décennies avant par des gens qui n'étaient plus au pouvoir. Et, petit à petit, des historiens montrent comment le NSDAP a réussi à infiltrer les mentalités entre 1933 et 1938 avec une prise de contrôle de tous les moyens d'informations et de tous les leviers du pouvoir. On oublie souvent que les premières victimes du nazisme furent des allemands. Les communistes, bien sûr, mais aussi les socialistes, et de nombreux démocrates critiques envers la dérive de la société allemande ...
Le problème, c'est que lorsqu'on discute de la période de 1919 à 1945, on voit que de nombreux intervenants jugent avec des arguments entendus dans la seconde période. Pour certains, seul Hitler est coupable. Pour d'autres, tous les allemands le sont ... à part les quelques résistants qu'il y a pu avoir durant cette période, bien entendu. Et très vite, on se retrouve sur des positions idéologiques où on appelle à la rescousse les phrases de nombreux politiciens, de nombreux philosophes et penseurs divers. Parfois, on sort totalement les phrases de leur contexte, et on en arrive à des positions extrêmes qui entrainent une radicalisation des débats.
Pierma a écrit :
Sujet du message : Re: HITLER, est-ce "tout le nazisme" ?
Message Publié : 20 Oct 2018 17:03
Hors-ligne
ModérateurDuc de Raguse a écrit :
[...] mais surtout un atypique à l'effet dévastateur pour la vieille classe politique, encore empêtrée dans une manière d'évoluer et d'agir, héritée du XIXème siècle, totalement dépassée.
C'est une des clés, voire la clé principale, de sa réussite. (Ce caractère atypique inclut notamment une détermination criminelle sans faille, ainsi que la capacité de dissimulation qui va avec.)
Mauvais chef de guerre autant qu'on voudra (ne me faites pas rire...) en revanche il avait l'esprit politique. En Allemagne comme en Europe, il su dire à chacun ce qu'il voulait entendre, avancer ses pions en mesurant exactement jusqu'où il pouvait aller trop loin, le degré de tolérance de ses adversaires... Je vais surprendre, mais on peut considérer comme un chef d'oeuvre politique les conditions d'armistice qu'il offre à Pétain, en mesurant exactement jusqu'à quel point l'effondrement militaire a émoussé la résistance intellectuelle des dirigeants français. A-t-on jamais mis autant d'habileté à se fabriquer une future marionnette ?
Combien d'hommes politiques allemands d'abord, européens ensuite, a-t-il berné ? Il a transformé l'Europe en Chicago des années 30, sans qu'aucun des dirigeants au pouvoir, en dehors de ses victimes, ne comprenne - jusqu'à la déclaration de guerre - à quel nouveau jeu on jouait.
Seul parmi ces dirigeants, Staline semble avoir compris très tôt que Hitler était là pour durer et ne plaisantait pas : sans doute à partir de la Nuit des Longs Couteaux, qu'il avait évaluée en connaisseur. Ecraser le Parti Communiste allait de soi, Staline pouvait le comprendre, mais sacrifier aussi sauvagement une partie de ses acolytes, tout en profitant de l'occasion pour éliminer quelques fortes têtes opposées, voila qui portait la signature d'un maître...
A ce caractère atypique, j'ajouterais la capacité à savoir s'entourer. Face aux magnats de la Ruhr, dans un environnement mondain, Hitler faisait "peuple". L'entregent de Goering lui a été plus qu'utile. Il a même réussi à s'attacher les talents de Schacht, qui n'était pourtant pas un aventurier. (mais qui a été assez fin pour comprendre, assez tôt pour lui-même, où menait tout cela.)
Et bien entendu, il a su s'entourer des tueurs dont il avait besoin : Himmler en bureaucrate du crime, Heydrich en maître-assassin et intoxicateur, bons choix !
Par bien des côtés, cette personnalité est déconcertante : par exemple, Hitler, qui tuait tout le monde et ne supportait pas la contradiction, a su laisser assez de liberté à ses généraux pour qu'ils aient la latitude d'innover totalement dans le domaine militaire. Et susciter suffisamment de débats entre eux, pendant la drôle de guerre, pour voir apparaître le Plan Jaune, qui ne pouvait que le séduire : coup de force violent et inattendu, perspective de victoire écrasante... (Bon, eux aussi devront apprendre à obéir. Même à des ordres loufoques.)
Déconcertant aussi, son antisémitisme forcené. Soit il faut y voir le fait d'un caractère influençable, totalement perverti, à son rang, par la "légende du coup de poignard dans le dos", soit il faut aller chercher une explication psychanalytique et des non-dits familiaux, l'un n'excluant pas l'autre. (Qu'on ne me raconte pas que l'antisémitisme était à la mode. Le nationalisme aussi. Dans les deux cas, lui seul a su les porter à ce point d'incandescence.)
Et après le déconcertant, il y a l'inexplicable, cette incapacité suicidaire à s'arrêter, qui le mènera là où il allait, c'est à dire à la guerre mondiale, qu'il ne pouvait pas gagner.
Je ne développe pas ce point, mais j'y associerais une de ses limites : Hitler ne connaît rien du vaste monde. Il n'est pour ainsi dire jamais sorti de chez lui. Il ne comprend pas le fonctionnement des démocraties, dont il pense qu'elle finissent toujours par plier, alors que c'est le contraire. La puissance industrielle américaine lui est inconnue. Il n'a mesuré ni le climat ni l'immensité soviétique. Et faute de connaître d'autres peuples, de pressentir leurs capacités, il peut s'imaginer que le sien est constitué de surhommes. Son rêve de domination européenne est celui d'un homme qui délire en chambre. Là-dessus, Chaplin a su le décrire mieux que je ne saurais le faire...
Faget
Sujet du message : Re: Hitler, est-ce "tout le nazisme" ?
Message Publié : 21 Oct 2018 14:17
(...) Si je comprend bien, cette mithridatisation des élites par le nazisme pourrait se comprendre par un sentiment de frustration après le Diktat de Versailles et un chagrin patriotique. C'est une hypothèse.
Cette "crédulité" des élites me fait penser à ce qui se passe en France après 1945, où ces mêmes élites ne croient que dans le communisme, d'abord stalinien puis par la suite maoïste ou trotskiste. Mais cela n'a pas été plus loin que des débats d'idées. En Allemagne de la fin de Weimar et des années 30 c'est autre chose. Un exemple me vient en tête, la "conversion" d'un individu comme Heidegger ce n'est pas rien ! Je ne connais rien en philo et je ne fais que répéter que c'est un des plus grands philosophes du XX°siècle. Mais les exemples foisonnent dans les sciences également.
22/10/18 06:09
Puisque le débat stagne ici, voici un lien avec un autre lieu http://www.passion-histoire.net/viewtop ... 20&start=0 ...où votre serviteur n'intervient pas parce qu'il en a été banni voici des années pour hétérodoxie. Il insistait sur la dimension psychotique de l'entreprise hitlérienne. Ses contradicteurs étaient encore très tributaires des analyses (dans lesquelles baigne toujours, sauf par endroits, le livre ici recensé) selon lesquelles Hitler était un incapable, tout juste bon orateur.
A présent ils ont pour la plupart remarqué l'habileté manoeuvrière du personnage.
Iturraspe a écrit :
Sujet du message : Re: Hitler, est-ce "tout le nazisme" ?
Message Publié : 26 Oct 2018 1:02
https://www.lesinrocks.com/2018/09/15/a ... 111124332/Avant de commencer cette interview vous me disiez, en rigolant à peine, que vous n’en aviez "rien à faire d’Hitler". Alors que vous publiez une biographie sur lui, cela est original.
Christian Ingrao - Ce n’est pas tout à fait "rien à faire" d’Hitler. Seulement, nous pensons que le nazisme est un système. Or, au centre d‘un système, il n’y a pas un homme, un individu mais quelque chose d’autre que, justement, nous essayons de faire apparaître dans le livre. On a essayé de montrer qu’il y avait une autre manière d’écrire sur Hitler, sans avoir pour autant la prétention de faire mieux que des historiens comme Ian Kershaw ou Peter Longerich [deux auteurs de conséquentes biographies sur Hitler, nldr]. On voulait montrer qu’Hitler était une sorte de condensât, de précipité de quelque chose qui s’est cristallisé à l’orée du XXe siècle, c’est-à-dire la période allant de 1890 à 1914, et finit par le transformer en sorte de paradigme, de quelque chose qui doit sortir, donner un système d’idée, puis un Etat.
.
C’est votre postulat, Hitler serait avant tout un produit de circonstances avant d’être une force de volonté individuelle pliant le réel à ses désirs ?
CI - Si vous me dites force de circonstances, ça ne marche pas. Si vous me dîtes "produit d’une conjoncture", on peut commencer à s’entendre.
Johann Chapoutot - Effectivement, il est à la fois symptôme et acteur. Le problème, c’est qu’on a beaucoup trop longtemps insisté sur le côté acteur, et acteur unique en plus, jusqu’à confondre nazisme et hitlérisme. Cette focalisation sur l’homme, alors que c’est un acteur parmi d’autres qui a eu une capacité d’action qui reste à élucider pour l’historien, est problématique. Par ailleurs, sa biographie est intéressante dans la mesure où elle est un symptôme d’une époque.
Chapoutot et Ingrao ont voulu montrer qu’Hitler était une sorte de « condensât, de précipité de quelque chose qui s’est cristallisé à l’orée du XXe siècle ».
Plutôt qu'« une force de volonté individuelle pliant le réel à ses désirs », Hitler était le « produit d’une conjoncture » pour paraphraser Ingrao.
Cette analyse se marie bien avec celle de Heinrich A. Winkler, auteur d'un ouvrage sur l'histoire de l'Allemagne. L'auteur évoque « l'érosion de la confiance dans l'État démocratique » qui serait à l'origine de l'effondrement de la république de Weimar.
Je cite Heinrich Winkler :La faiblesse dont souffrait immédiatement, à Weimar, la « foi dans la légitimité », dont Max Weber faisait la principale ressource immatérielle de pouvoir, reposait sur des motifs qui étaient liés à la naissance de la République née de la défaite de la Première Guerre mondiale et qui, en même temps, remontaient bien au delà de cette guerre. S'il existe une cause « ultime » de la première démocratie allemande, elle réside dans le report historique de la question de la liberté au XIXe siècle — autrement dit, dans l'asynchronisme de la modernisation politique de l'Allemagne : la démocratisation précoce du droit de suffrage et la démocratisation tardive du système de gouvernement.
il ne s'agit pas de revenir à l'histoire d'une modernité pathologique.
Duc de Raguse a écrit :
Sujet du message : Re: Hitler, est-ce "tout le nazisme" ?
Message Publié : 07 Nov 2018 15:42Sans la personne d'Hitler, qui a guidé, maître-joueur comme il était, sans scrupules, manipulateur, avec un don pour sentir ce qui joue parmi la population et être un abat-voix pour ces sentiments pour les guider dans sa direction et d'abord bon orateur, qui pouvait enthousiasmer les masses, pensant de lui-meme qu'il avait une mission, presque messianique et peut-être d'autres capacités ici pas nommées, le succes du Nazisme n'était pas possible.
Je pense exactement la même chose.
Ce messianisme - dès qu'on se propose de fabriquer une nouvelle société - est patent chez Hitler. Ce dernier me parait bien moins pragmatique dans ses actes et décisions qu'un Mussolini ou un Staline, qui me semblaient composer davantage avec les forces vives de la société de leurs pays respectifs.Hitler sans le Nazisme est simplement impossible!
Je ne suis pas certain d'avoir bien saisi, mais si on pose la question du nazisme - malgré le contexte favorable au sein de la société allemande - la réponse est Hitler, avant tout le reste. Le personnage ne semble pas interchangeable, sinon on tombe dans le déterminisme du sonderweg.Ou doit on dire que Hitler était un phénomène, qui même dans un entourage communiste et adhérant aux idées communistes aurait fait le même tour de force alors dans le camp communiste?
Il y a un aspect "phénoménal" chez Hitler, mais au regard de ses idées et de son parcours (malgré quelques errements entre 1918 et 1920), je doute qu'on puisse le trouver chez les communistes.
Liber censualis a écrit :Pierma a écrit
Je trouve que c'est trop mis en avant. Hitler, le nazisme, on a parlé de "synthèse cohérente", c'est exact, mais ça ne rend pas totalement compte du délire collectif et meurtrier qu'il a engendré. Après tout un mouvement d'extrême-droite aurait pu opérer une "synthèse cohérente" sans tomber dans la guerre totale et le meurtre de masse. (Mussolini en donne un bon exemple.)(...)
Le nazisme a bien sûr sa spécificité. Mais les extrémités dans lesquelles il est tombé ont été fondées sur des idéologies non spécifiquement allemandes.
Liber censualis a écrit :Pierma a écrit :Va pour le climat européen, raciste et nationaliste, j'entends bien. Mais la "spécificité" nazie est en rupture avec tout ce que pouvait produire la culture européenne : c'est Auschwitz. Et tout autant, d'ailleurs, le traitement meurtrier des civils russes, dont on programme également la disparition, une fois la guerre gagnée.
Pour moi, si Hitler n'apparait pas dans un ciel serein, il constitue malgré tout une (très mauvaise) surprise. Il est même tellement atypique que les ennemis qu'il a désignés - parce qu'il l'écrit, en plus - mettront des années à le percevoir pour ce qu'il est. Churchill seul sera le premier à renifler qu'il joue un jeu nouveau et qu'il veut tout. (Et tout tuer, mais ça on ne le saura vraiment qu'à la fin de la guerre.)
Il y a eu des camps de concentration anglais du temps de la guerre des Boers qui ont pu servir de "modèles", même si ça n'était pas Auschwitz BIEN SUR
Quand aux massacres systématiques de populations civiles, les nazis n'ont rien inventé, ils ont "modernisé"... Cf les arméniens et les herreros...Pierma a écrit :
Pour moi, si Hitler n'apparait pas dans un ciel serein, il constitue malgré tout une (très mauvaise) surprise. Il est même tellement atypique que les ennemis qu'il a désignés - parce qu'il l'écrit, en plus - mettront des années à le percevoir pour ce qu'il est. Churchill seul sera le premier à renifler qu'il joue un jeu nouveau et qu'il veut tout. (Et tout tuer, mais ça on ne le saura vraiment qu'à la fin de la guerre.)
La bio de Chapoutot/Ingrao en fait au contraire une figure banale, et bien dans son époque : certes personne n'avait prévu la Shoah ni les plans famines et autres exterminations des populations slaves mais l’antisémitisme était bien là, et les allemands n'ont pas été seul à participer ( ils ont trouvé des collaborateurs européens), et le darwinisme-social aussi qu'Hitler et ses comparses ont cru bon de mettre en œuvre.
Pédro
Sujet du message : Re: Biographie d’Hitler
Oui et rappelons, comme le fait Chapoutot, que l'antisémitisme ne s'arrête pas à un léger mépris en Europe durant la période précédente mais au contraire donne lieu à d'épouvantables massacres, en particulier en Russie. Les nazis vont industrialiser, "rationaliser" et hystériciser le processus.
Le récit des Mémoires de guerre, qu’on peut appeler le gaullisme officiel, est remis en cause depuis 1990 environ. Il montrait
un Pétain et un Weygand tôt désespérés et cherchant une sortie par l’armistice,
un Reynaud résolu à la lutte mais circonvenu et finalement submergé par son entourage,
des efforts de De Gaulle en liaison, depuis le 9 juin, avec ceux de Churchill,
le tout couronné par le projet d’union franco-britannique du 16 juin que Reynaud se montrait incapable de faire adopter à Bordeaux, ce qui provoquait sa chute et l’avènement de Pétain,
enfin une dissidence gaullienne que Churchill et son gouvernement patronnaient sans problème, ouvrant toutes grandes au général les portes de la BBC sans même demander à contrôler ce qu’il disait (dans ces conditions, si on y avait réfléchi, on aurait pu se demander pourquoi l’appel du 18 n’avait pas été émis le 17, jour de l’arrivée du général à Londres en milieu de journée).
En trois décennies, le mythe a été ébranlé avant tout par la découverte des difficultés que Churchill avait dû affronter pour retenir son propre pays sur la voie de l’armistice et de la paix. S’ensuivait une lutte de plusieurs semaines (elle commence ouvertement le 26 mai) avec Halifax, ministre des Affaires étrangères et figure de proue des partisans de l’arrêt de la guerre. Peu de Français en étaient informés mais Paul Reynaud en avait été témoin direct, le 26 mai. De ce fait, son comportement s’explique moins par les pressions de son entourage que par son propre désespoir. Il n’avait guère confiance dans la capacité de Churchill de contenir ses adversaires. De Gaulle, lui, mise tout sur cette case. En d’autres termes, quand Reynaud cède le pouvoir à Pétain pour ne pas trahir l’engagement pris vis-à-vis de Londres de ne pas signer de paix séparée, il fragilise Churchill et il le sait. Quant à l’accueil à Londres de la dissidence gaullienne, il est tributaire du choc entre Churchill et Halifax. Pour commencer, l’appel du 18 juin a été accouché dans la douleur : refusé dans un premier temps par le cabinet anglais, il a failli ne pas être diffusé et ne l’a été qu’au prix d’amendements qui le défiguraient; celui du 19, présent en toutes lettres dans les Mémoires, n’a jamais existé; de Gaulle a été privé de micro jusqu’au 22 juin, au soir de la signature de l’armistice; enfin son appel du 23 a été censuré et, bien que diffusé, n’a pas été reproduit... pas même dans les Mémoires. Il n’a été retrouvé et publié qu’au début du siècle suivant.
Le film retient une partie de ces avancées scientifiques. Ainsi, il montre de Gaulle soumettant son premier texte au pays hôte, et Halifax plus réservé que Churchill sur l’opportunité de l’appel du 18 juin. Mais pour solde de tout compte : avant les effusions finales de la famille à nouveau réunie, femme et enfants ayant réussi de leur côté à passer de la petite Bretagne à la grande, l’avant-dernière scène montre Lambert Wilson lisant solennellement devant un micro le texte connu, c’est-à-dire faux.
Retour vers Les années 30 et la Seconde Guerre Mondiale (1930-1945)
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