par Auguste » Jeudi 17 Octobre 2024 13:43:49
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Officier d’artillerie
Technicien de DCA, puis officier d’état-major
Genèse d’une découverte
Le danger aérien...
Première note doctrinale (septembre 1930)
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Couverture fascicule Le général Paul Vauthier, 1885-1979, penseur militaire [article]
sem-link Hubert Vauthier
Revue historique des Armées Année 2000 218 pp. 113-123
Fait partie d'un numéro thématique : Troupes coloniales - Troupes de Marine
Référence bibliographique
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Le général Paul Vauthier, 1885-1979, penseur militaire
Hubert VAUTHIER
Paul Vauthier est né en 1885 à Troyes. Son père était ingénieur de l’Ecole Centrale et son grand-père, interne des hôpitaux de Paris. Doué aussi bien pour les études littéraires et scienti¬ fiques que pour les sports ou pour la musique, ses résultats scolaires ont été brillants à Troyes, puis à Reims et à Paris.
Officier d’artillerie
Après sa sortie de l’X, il apprend son métier d’officier d’artillerie, d’abord au 8e régiment d’artillerie à Nancy et à l’Ecole d’artillerie de Fontainebleau, puis aux camps de Châlons et de Mailly où le 60e régiment d’artillerie était «le cours de tir de campagne ».
lendemain d’en faire autant avec lui. C’est donc très tôt qu’a débuté l’intérêt pour l’aviation qui devait marquer sa pensée future.
Commandant de batterie, en Lorraine, puis pendant la course à la mer et l’offensive de Champagne (septem¬ bre 1915) il est blessé et fait chevalier de la Légion d’honneur. En 1916, il est blessé une deuxième fois à Verdun et commande ensuite une batterie de 155, puis un groupe de 220 Schneider.
Le colonel Paul Vauthier, commandant le 8e régiment d’artillerie à Nancy © coll. auteur
Le colonel Paul Vauthier, commandant le 8e régiment d’artillerie à Nancy © coll. auteur
Technicien de DCA, puis officier d’état-major
A cette époque, il réussit sa licence en droit. Par ailleurs, il est l’un des premiers à régler par avion des tirs d’artillerie. Ses notes d’avril 1912 disent :
«Commande bien à la manœu¬ vre et au tir ; a rempli plusieurs fois les fonctions d’observateur en avion d’une manière remar¬ quable ; chargé d’organiser le service d’observation en avion pendant les écoles à feu de la brigade, a déployé à cette occa¬ sion un zèle et une intelligence dignes d’éloges. »
L’année 1908, où Farman réussit à boucler un kilomètre, marque le début de l’aviation. Or, dès 1910, ayant appris que Latham venait d’atteindre pour la première fois l’altitude de 1 000 mètres, le pilote de Vauthier décida le
En mars 1919, il est affecté à l’artillerie de défense contre avions (DCA) et nommé, fin décembre, commandant du centre d’études de la DCA. C’est là, et ensuite à la section technique de l’artillerie (mars 1922), qu’il réalise de nombreuses études techniques (projet d’appareil de conduite de tir antiaérien, etc.).
Il est reçu à l’Ecole de Guerre en 1923 et, à la fin des études, choisit son affectation le premier : l’Etat-Major de l’Armée (3e bureau) où «il collabore à la défense du territoire contre le danger aérien. C’est lui qui, en définitive, jette les bases du plan de défense : on peut dire qu’il est un précurseur en la matière ».
Le colonel Paul Vauthier, com¬ mandant le 8e régiment d’artillerie à Nancy © coll. auteur
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En juillet 1927, il est affecté à l’état-major du général Gouraud, gouverneur militaire de Paris et membre du Conseil supérieur de la guerre. «Il est le pilier de l’état-major ». Travailleur, on peut trouver environ 500 pages de lui dans la Revue Militaire Française.
Il publie trois livres chez Berger-Levrault : Introduction à l’étude du tir antiaérien (1925) ; Questions d’artillerie antiaérienne (1928) ; La défense antiaérienne des grandes unités (1929). La conclusion de ce dernier livre dit : «La France est actuellement un des rares Etats qui n’ait pas d’artillerie antiaérienne à l’échelon du corps d’armée et de la division ».
L’étude ajoute que l’idée de faire tirer des canons de campagne sur des avions n’est pas facile à réaliser, alors que les armes antiaériennes peuvent facilement tirer à terre.
En juin 1940, commandant une division sur la Somme, il n’a pu que constater la démonstration faite par le canon allemand antiaérien de 88 Pak, à grande vitesse initiale, utilisé comme antichar.
Genèse d’une découverte
Progressivement, Paul Vauthier a dépassé la technique et la DCA pour s’intéresser à des questions de plus en plus générales concernant le danger aérien et les moyens actifs et passifs de prévention et de défense à employer pour en diminuer l’efficacité.
Il réalise, bien avant la Seconde Guerre mondiale, contre l’opinion de presque tous en France, que l’arme fondamentale du prochain conflit serait l’aviation de bombardement. Il en a tiré les conclusions qui s’imposaient. Les écrits qu’il a laissés permettent de connaître l’essentiel de sa pensée et de son action.
Il faut se rappeler que, vers 1930, les vitesses des avions de bombardement oscillaient entre 160 et 200 km/heure et que transporter 2 tonnes de bombes à 1 000 km était un record. L’Armée de Terre et la Marine considéraient l’Aviation comme une arme auxiliaire de coopération qui devait dépendre directement d’elles.
C’est une discussion en novembre 1927, avec le général Prételat, qui est l’occasion d’une révision des idées reçues à l’Etat-Major de l’Armée. Dans une lettre du 15 avril 1935, Paul Vauthier lui écrit : «Vous avez combattu cette idée que j’apportais toute fraîche de V Etat-
Major de l’Armée, que tous les efforts de l’aviation devaient être fournis au profit de la bataille terrestre. Vous m’avez montré que l’attaque du territoire ennemi sortait du cadre de la bataille terrestre. En décembre 1927, la Rivista Aeronautica publiait le premier article de Douhet : j’étais à ce moment là et grâce à vous mûr pour le recevoir et pour le comprendre ».
A partir de cette date, il révise sa conception de la guerre future. Voulant connaître à fond l’œuvre de Douhet, et forger lui-même sa doctrine pour la France, il apprit l’italien et prit l’initiative de traduire, pour son usage personnel, entre 1927 et 1930, «in extenso plus de 1 000 pages de Douhet, à mesure qu’elles paraissaient et en même temps les articles des contradicteurs ». Il est le seul Français à disposer d’une telle documentation.
Le danger aérien...
Le général italien Giulio Douhet avait été condamné à un an de prison en 1916 pour avoir critiqué les méthodes de guerre italiennes. Il sortit de prison en 1917, le jour de la défaite de Caporetto. Les causes du désastre étaient celles qu’il avait dénoncées dans son rapport. En 1920, son jugement fut cassé et il fut nommé général... mais il avait déjà quitté l’armée et, jusqu’à sa mort en mars 1930, «il ne cesse de mettre sa plume au service de sa foi aéronautique ».
Douhet décédé, Paul Vauthier prend le relais en France d’une façon active. Il vient d’écrire un ouvrage fondamental qui sortira en 1930 et influencera fortement sa carrière : Le danger aérien et l’avenir du pays (385 pages), avec une préface du maréchal Lyautey. C’est le premier livre qui «étudie à fond l’ensemble des questions soulevées par la défense aérienne du territoire... inconnue angoissante de la guerre de demain ».
Il est impossible de résumer en quelques lignes un tel ouvrage qui étudie à fond les caractères essentiels du danger aérien, puis les moyens de défense actifs et passifs et d’aménagement du pays. L’organisation de la défense est une question de gouvernement car la nation entière est impliquée.
Tous les problèmes sont étudiés en détail et examinés à la lumière des publications françaises et étrangères. Les performances des avions sont présentées, tout en remarquant qu’elles évoluent très rapidement. Il faut
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«prévoir les possibilités de l’aviation pour un avenir de vingt ou de trente ans », ce qui montre le délai envisagé alors pour un conflit futur, alors que dix ans ont suffi.
L’étude de l’aviation est suivie de celle de la DCA, des projecteurs, des ballons, puis des moyens passifs : évacuation de la population, réseaux de renseignement et alerte, abris, organisation des secours et enfin, à plus long terme, aménagement du pays et urbanisme. Un passage sur l’urbanisme des grandes villes et la pollution de Paris montre que la menace aérienne conduisait à réfléchir sur de multiples questions d’intérêt général.
C’est également dans ce livre que sont exposées sommairement pour la première fois par l’auteur la théorie d’un contradicteur, puis celle du général Douhet qu’il avait tant étudiée et qu’il résume :
1. La décision du conflit viendra de l’Air ;
2. Il est nécessaire de revoir l’échelle des valeurs des trois armées Terre, Marine, Air) ;
3. Il est nuisible de distraire des ressources aériennes de l’armée de l’Air pour constituer des aviations auxiliaires (celles qui appartiennent en propre à l’Armée et à la Marine).
Une formidable armée aérienne représente une nécessité absolue pour l’existence même de la patrie. Il est possible de conquérir la maîtrise absolue de l’air. Il est possible d’obtenir la décision d’une guerre, avant la bataille terrestre, par la seule action de l’aviation.
Sans prendre parti et sans contester l’importance révolutionnaire des idées forces de Douhet, qui écrit pour le cas de l’Italie, Vauthier fait déjà des réserves importantes sur certaines de ses positions qu’il est «difficile d’admettre », en particulier il s’oppose à ses théories extrêmes et précise : «il faut employer l’aviation de chasse... et les moyens de défense attachés au sol ».
La conclusion du livre donne l’ordre des priorités :
1. Une aviation offensive puissante, apte aux expéditions préventives sur l’aviation ennemie et aux expéditions de représailles ;
2. Une aviation défensive réservée à la défense des points sensibles les plus importants ;
3. Des moyens de défense antiaériens attachés au sol ;
4. Des moyens passifs ;
5. Un aménagement judicieux et progressif du pays.
«L’augmentation relative de l’importance de l’Air ne commande pas cependant la suppression de l’Armée ou de la Marine. . . On ne peut pas en conclure qu’il faut tout sacrifier à l’armée de l’Air... Nos conclusions peuvent déplaire. Elles heurtent un passé traditionnel, elles choquent. . . par leur étrangeté et par leur nouveauté... »
Couverture de l’ouvrage du colonel Vauthier © S.H.A.T.
La priorité n° 1 est donnée à l’aviation de bombardement. Cela choque même les aviateurs car les «Chevaliers de l’Air » préféraient les exploits de la chasse au caractère ingrat des missions de bom¬ bardement. Quant à l’armée de terre, que l’un des siens prenne le parti d’une puissante force de bombardiers y est considéré comme une sorte de trahison. Le ministère de l’Air venait d’être créé, mais l’armée de l’Air, née au sein de l’armée de terre, n’avait pas encore son indépendance.
L’autre point fondamental était celui de l’organisation du commandement et du gouvernement. La présidence du Conseil est
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Couverture de l’ouvrage du colonel Vauthier © S.H.A.T
Couverture de l’ouvrage du colonel Vauthier © S.H.A.T
seule qualifiée en France pour donner les instructions nécessaires aux autres départements ministériels. La solution italienne est donnée en exemple : un chef d’Etat-Major général est chargé de la conduite totale de la guerre ; il a sous ses ordres le chef d’Etat-Major de l’armée, celui de la marine et celui de l’air. Ceci suppose implicitement un ministère des Forces armées à la place des trois ministères existants. L’autre solution qui aurait consisté à créer un quatrième ministère pour la Défense aérienne est rejetée.
Ce livre important représentait un gros travail original et avait obligé son auteur à travailler sur des sujets qu’il connaissait bien mais aussi dans des domaines nouveaux. Il fut commenté dans la presse et contribua à faire prendre conscience de l’importance du danger aérien aux militaires et aux hommes politiques.
Première note doctrinale (septembre 1930)
Dans une lettre de 1935 au général Prételat, le colonel Vauthier écrit : «En septem¬ bre 1930, ayant fait une première ébauche de cette doctrine, j’ai été menacé dans mon avancement si je publiais cette étude, par un sous-chef de V Etat-Major de l’Armée et par un membre du Conseil Supérieur de la Guerre, celui qui précisément était chargé de l’Aéronautique. Je me suis fâché. Pour d’autres raisons, l’étude n’a pas pu paraître. »
Cette première note d’ensemble de 23 pages concerne non seulement la défense antiaérienne, mais aussi le «choix du système de défense », et donc un point de vue plus général.
Elle remarque déjà que seule une aviation offensive puissante (de bombardement) peut appuyer un gouvernement pour empêcher la guerre d’éclater, alors que les moyens purement défensifs, y compris la chasse, n’ont pas ce pouvoir. L’expérience de Munich en 1938 a montré l’exactitude de ce point de vue.
Elle résume les thèses : celle de l’école offensive (de Douhet surtout) «qui l’a poussée jusqu’à ses conclusions les plus extrêmes », à savoir : «constituer une aviation puissante, capable de détruire l’armée aérienne ennemie par la bataille aérienne ou par l’attaque au sol » grâce aux économies réalisées, à l’intérieur du budget disponible, en supprimant les autres moyens actifs (DCA,
ballons), y compris la chasse (ou en les diminuant beaucoup).
Une autre théorie préconise de confier la défense antiaérienne uniquement à l’aviation défensive : la chasse.
Une troisième demande que tous les moyens aériens soient affectés à l’aviation offensive mais que tous les points vitaux soient protégés par des défenses actives attachées au sol.
L’auteur prend un parti doctrinal qui déplait beaucoup en 1930 : «Nous pensons avec le général Douhet que le moyen antiaérien le plus efficace, c’est l’attaque. Il faut donc se ménager une aviation offensive puissante... A l’efficacité réelle de ce moyen viendra s’ajouter son effet moral. . . »
«Le désir de concentrer tous les moyens aériens pour constituer une armée aérienne offensive conduit à réduire fortement l’aviation défensive ». Mais là, il se sépare nettement et fort justement de Douhet : «Nous ne pensons pas cependant, comme le général Douhet, qu’on puisse la supprimer... il est également nécessaire de posséder une organisation très développée pour les moyens défensifs attachés au sol. »
Par ailleurs, il en arrive au problème le plus général, celui du commandement : «... La défense antiaérienne du territoire n’est qu’une fraction de l’activité des forces armées de la Nation. Là il apparaît comme nécessaire de réaliser l’unité de direction pour l’ensemble des forcés armées. . . le problème doit être pris sous son angle le plus général... c’est une question de gouvernement... elle intéresse presque tous les départements ministériels... en temps de guerre, la coordination d’action doit être confiée au commandement des forces armées qui aurait sous ses ordres les forces terrestres, les forces maritimes, les forces aériennes et les forces de défense du territoire. »
Il est alors presque seul en France à soutenir la priorité aux avions de bombardement et le commandement unique des forces armées (avec un ministère unique des forces armées au lieu de trois).
Il va se heurter à l’hostilité des militaires et des politiciens (ces derniers craignant un chef militaire trop puissant et redoutant ce qui aurait l’apparence d’une force offensive en période de «désarmement »). Il approfondira ses études en tenant compte des objections et des réalités humaines et politiques et il
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échouera, bien qu’il ait cru possible de réussir... mais on lui donnera raison en... 1947.
Quant à cette note de 1930, elle ne sera pas publiée mais «en fin 1931 , le maréchal (Pétain ) lisait V étude et en était très impressionné » (15 avril 1935, lettre citée).
Une vie «toute brillante et tissée de fils éclatants»
Le maréchal Pétain en effet, laissant le commandement de l’Armée au général Weygand, fut nommé, le 9 février 1931, inspecteur général de la défense aérienne du territoire.
Le général Laure écrit : «Il fait admettre (dans son cabinet ) le Lt. -colonel Vauthier, -intelligence d’élite, âme d’apôtre, auteur d’un ouvrage récent et sensationnel sur «Le danger aérien et l’avenir du pays ».
Vauthier est chargé de la section technique, c’est-à-dire de la doctrine de l’état-major, dont le général Laure est le chef. Ses écrits ultérieurs montrent que, là aussi, Vauthier devient l’inspirateur et le pilier de l’état-major : «Le colonel Vauthier fut pour eux un véritable initiateur : le Maréchal l’a toujours affirmé. Ce qui nous frappa dès l’abord fut l’amplitude des décisions à prendre et le plan élevé sur lequel elles se plaçaient. . . Très vite, le Maréchal prit figure d’arbitre et lui — vieux fantassin, terrien consommé devint, à la surprise générale, l’ami, le défenseur de l’Air. . . il préconisa la constitution. . . d’un ministère des Forces Armées auquel incomberait la préparation technique des opérations militaires et auprès de qui serait une haute personnalité qui, à la mobilisation, prendrait le commandement suprême. . . »
L’influence doctrinale et le rôle du colonel Vauthier sont d’autant plus certains que le général Laure lui a écrit en septembre 1933, en regrettant son départ pour suivre les cours du CHEM : «Votre départ est pour nous tous, pour moi en particulier, un événement qui confine au désastre ».
Une autre lettre du 9 décembre 1935, lui demandant de devenir le chef d’état-major est un éloge exceptionnel : «... quel bien vous feriez à notre Maréchal d’avoir à ses côtés l’officier dont il a, je crois, le plus apprécié les qualités morales et intellectuelles, parmi tous
ceux qu’il a connus dans sa longue carrière » (les mots soulignés le sont dans le texte).
Paul Vauthier est largement l’inspirateur des notes successives que, dès 1931, le nouvel inspecteur général de la D.A.T. fait préparer et, après les avoir travaillées lui-même, adresse au président du Conseil ou aux ministres. On y retrouve ses idées et leurs applications.
Certes, Pétain avait réalisé et affirmé la nécessité de la «maîtrise de l’Air » dès 1917 et avait utilisé l’aviation en masse en 1918 mais Laure reconnaît par exemple : «Nous avons tenu à souligner ici l’attitude plutôt combattive prise à ce moment (1929-1930 ) vis-à-vis de l’armée de l’air par Pétain, qui, lorsqu’il deviendra inspecteur général de la défense aérienne du territoire, insistera au contraire pour activer le développement de cette armée ».
Cette évolution est peut-être due à sa nouvelle fonction, mais le rôle de Vauthier est certain. Il a d’ailleurs écrit le 16 mai 1935 : «C’est une très grande joie dans ma carrière d’avoir vu le Maréchal s’ouvrir à ces idées, si peu en rapport avec la doctrine officielle. Le Maréchal est d’une probité intellectuelle absolue... ».
Il se déclare, dès le 22 juin 1931, en faveur d’une réévaluation du rôle de l’armée de l’Air : «la majeure partie de nos possibilités financières doit être consacrée à créer une solide force aérienne de bombardement et à entreprendre la constitution d’escadrilles de chasse de nuit... il serait souhaitable que la France pût aborder la période 1935-1940 dans une atmosphère suffisante de sécurité aérienne ».
Le 16 novembre, l’importance des moyens aéronautiques nécessaires sera précisée au ministre de l’Air. Le 2 décembre, un arbitrage est suggéré au président du Conseil en faveur de l’aviation dont le budget est manifestement insuffisant. Un «Ministère de la Défense Nationale » est demandé et l’insuffisance de la flotte aérienne est soulignée car «Dès les débuts d’une guerre future, les actions aériennes seront d’une importance dont, le passé ne donne aucun exemple ». «Pour ces débuts, une aviation extrêmement puissante, indépendante de celle des armées de terre et de mer, s’impose ». Dans cette note : «L’Allemagne, aidée par l’Italie (peut-être aussi par la Russie ) » sont désignés comme les agresseurs potentiels et dans la note du 24 octobre 1932 pour le Conseil Supérieur de la Défense Nationale, on peut lire une
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remarquable description de l’avenir : «II faut reconnaître que nous ne sommes en possession pour le moment, d’aucune garantie réelle de sécurité si l’Allemagne attaque la Pologne et la France, rien ne jouera pour sauvegarder la Pologne et, de notre côté, Locarno même sera défaillant, car l’Allemagne aura pris soin de s’assurer auparavant de la complicité de l’Italie. . . Déjà nous avons consenti et réalisé de très importantes réductions d’armements qui viennent encore de s’accroître en 1932, à l’heure même où l’Allemagne... veut la guerre et la prépare ».
11 ne s’agit pas seulement de déclarations de principe car des arbitrages très concrets de crédits en faveur d’une puissante réserve d’aviation sont demandés explicitement dans une note du 2 mai 1932 (et confirmées au Conseil Supérieur du 28 mai). Il s’agit d’un montant de 900 millions de F. à comparer avec un budget annuel pour l’aviation d’un peu plus de deux milliards. Ces arbitrages n’auront pas lieu et les bombardiers feront cruellement défaut, tandis que le cuirassé Dunkerque , construit avec les crédits concernés, sera bombardé à Mers El-Kébir, puis sabordé à Toulon.
Dans une note du 12 octobre 1932 à Painlevé au sujet de l’organisation du commandement, il était demandé «un haut commandement concentré et fort ».
«Une grande partie du contenu de cette note était révolutionnaire, à en juger par les points d’interrogation qui parsèment les copies lues par le haut commandement » écrit l’américain indépendant Herbert R. Lottman qui a bien vu qu’«en 1931... Pétain et son état-major étaient, eux, de dix ans en avance sur tout le monde. . . il est doublement intéressant de voir à quel point lui-même, Laure et Vauthier étaient, en fait les équivalents français de l’italien Douhet et des autres prophètes de la première heure de la puissance aérienne ».
Plusieurs notes étudient en détail les problèmes qui se posent, par exemple sur la question des «réserves d’aviation » à mettre à la disposition du commandement suprême, avec énoncé des objections et réponses, en particulier aux marins, tous allergiques à Douhet et à tout ce qui risquerait de porter atteinte à leur indépendance. En mai 1933, le capitaine de vaisseau de l’Escaille a publié, dans la Revue Maritime , un article intitulé : «Le Douhétisme, un foyer pathogène ».
Ainsi, le 15 mai 1932, est publié dans la Revue des deux Mondes un article sur «une
nouvelle doctrine de guerre » (celle du général Douhet, mal connue en France, ce qui expliquait d’ailleurs certaines oppositions), sous la signature du général d’aviation Tulasne qui avait accepté de prêter son nom. Il avait été rédigé en réalité par le colonel Vauthier en mars ! Cette supercherie avait été montée avec l’accord du général Laure.
Vauthier a écrit : «Depuis 1927 que je me suis fait le défenseur et le propagateur des idées de Douhet, il y a des gens, hauts placés, qui m’auraient volontiers brûlé ou pendu. Les hauts milieux militaires se montrent imperméables à ces idées : on compte sur les doigts d’une main le nombre des grands chefs de guerre qui acceptent de les étudier et de les discuter. . . Mais les idées font doucement leur chemin chez les plus jeunes. Malheureusement nous n’avons pas le temps d’attendre qu’ils aient les leviers de commande. . . Il faut faire lire aux Français les dernières œuvres de Douhet. Cela me paraît indispensable ».
Laure a exposé les tentatives faites pour obtenir «l’organisation des pouvoirs publics » et pour l’aménagement de la défense devant le danger aérien : «Partout, et même dans les milieux de l’Air,... on nous tient pour des illusionnistes et des visionnaires » écrit-il, alors que certains croient que Douhet, comme en Angleterre ou aux Etats-Unis, a eu une certaine influence en France à cette époque.
Quelques timides tentatives dans le bon sens ont eu lieu. A la suite de la note du 22 juin 1931, le CSDN du 30 juillet a préconisé une Haute Autorité pour arbitrer la répartition des moyens aéronautiques... et c’est au maréchal Pétain que l’on a demandé de remplir ce rôle, c’est-à-dire d’être «une sorte de chef d’état-major de la Défense Nationale, impuissant parce que non coiffé par un ministre ».
Le 20 février 1932, grande innovation : Piétri est nommé ministre de la Défense Nationale avec un sous-secrétaire d’Etat à la marine et un autre à l’aviation. Mais lui aussi sera impuissant, faute d’un chef d’Etat-Major général... et cette tentative, comme ce ministère de la IIIe République, durera moins de quatre mois.
Pendant deux ans et demi, le colonel Vauthier a eu l’illusion qu’il pourrait réussir à faire admettre ses idées, comme le montre ce passage de l’une de ses lettres au Maréchal du 15 décembre 1935 : «Je me suis rappelé le temps passé sous vos ordres, de février 1931 à octobre 1933. Ces quelques 30 mois ont
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Eté 1932, état-major du maréchal Pétain ; le colonel Vauthier est le 5e à partir de la gauche. © coll. auteur
marqué dans ma carrière d’après-guerre une impression ineffaçable. Pour reprendre une expression d’Ernest Psichari, à cette époque, ma vie était toute brillante et tissée de fils éclatants... »
En octobre 1933, il fut désigné pour suivre les cours du CHEM, où il avait d’ailleurs prononcé en 1932 une conférence dont la dernière partie, consacrée à Douhet, avait été mal accueillie.
Été 1932, état-major du maréchal Pétain ; le colonel Vauthier est le 5e à partir de la gauche. © coll. auteur
Été 1932, état-major du maréchal Pétain ; le colonel Vauthier est le 5e à partir de la gauche. © coll. auteur
Temps de commandement et de travail
Il effectua ensuite ses deux années de temps de commandement à Nancy comme colonel du 8e R AD, régiment où il avait servi comme sous-lieutenant en 1907. Comme il avait repris sa liberté de publier, il mit la dernière main à la synthèse critique qui manquait sur l’œuvre de Douhet, mort en 1930 avant d’en avoir écrit une, et dont les nombreux articles étaient déformés ou ignorés. Cet ouvrage de base intitulé La doctrine de guerre du général Douhet expose la
doctrine, puis la polémique et les critiques, y compris celles de l’auteur. Son importante préface est signée par le maréchal Pétain. Il y souligne que cette doctrine est mal connue en France et que «l’avion bouleverse les conceptions millénaires de la guerre... L’idée générale de la doctrine est la recherche du rendement maximum... à l’échelon le plus élevé, celui de l’ensemble des forces armées. . . Or, les forces aériennes peuvent intervenir dans tous les domaines... il convient donc de (les) organiser en «réserves générales ».
«Douhet choisit l’offensive en l’air. . . sous les ordres d’un commandant en chef unique... «(d’où la nécessité d’un ministère unique des Forces Armées).
«Douhet a étudié tous ces problèmes... Les solutions qu’il en donne n’ont certainement pas un caractère de généralité absolue, étant bâties pour le cas de l’Italie. Il ne faut pas songer à les transposer toutes faites dans d’autres pays... comme le dit Douhet lui-même ; «il faut affronter les problèmes avec son libre cerveau ».
«... Des théories nouvelles ont surgi partout. Luller, en Angleterre, s’est fait l’apôtre de la mécanisation ; Von Seeckt, en Allemagne, a édifié une doctrine fondée sur l’attaque
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aérienne et le coup de force à terre par une armée de métier, lancés en même temps. Douhet a préconisé de résister sur la surface pour attaquer en l’air. . . L’étude de Douhet est une source inépuisable de réflexions. . . »
Tout en admirant Douhet, Vauthier s’en sépare sur des points importants, en particulier en ce qui concerne la quasi-suppression de la chasse et la diminution de la DCA et soulignait le risque d’attaques brusquées par engins blindés dont Douhet ne parle pas.
L’avenir a montré à quel point ces réserves ou compléments étaient justifiés. Ces critiques sont généralement celles qui ont été faites à Douhet à la lumière de l’expérience de la Seconde Guerre mondiale. L’auteur écrit en effet : «L’offensive aérienne, même réalisée avec le maximum de puissance, pourra ne pas obtenir la décision... L’attaque terrestre brusquée, avec l’aide d’engins blindés... bousculant les résistances à terre avant même qu’elles soient constituées... ferait effondrer du même coup l’une des bases de la théorie de Douhet. Tout doit être fait pour qu’on soit prévenu... Si on n’y réussissait pas, ce serait en effet le sort du conflit qui pourrait être décidé en quelques jours. . . »
«Douhet a traité le cas où, contrairement à son attente, le domaine aérien ne serait pas le domaine décisif... la décision se produira nécessairement sur la surface ; mais même dans ce cas, la maîtrise de l’air, si elle n’a pas une valeur décisive, pourra influer beaucoup sur la décision de la guerre ».
«L’apparition des forces aériennes, essentiellement offensives, apporte des possibilités offensives... Le caractère général de la guerre en sera sans doute renouvelé. . . »
L’auteur insistait à la fin sur la nécessité de se reporter aux textes italiens de Douhet et non à des résumés. Il a essayé vainement d’obtenir de son éditeur leur publication. La réponse a été négative : «Nous aurions pris à cet égard une décision positive si nous avions pu constater par la vente active de votre précieux ouvrage : «La doctrine de guerre du général Douhet », un intérêt certain du public français... Or nous restons encore en possession de plus de 800 exemplaires sur 2 000 de notre édition » (7 décembre 1938).
Même après son départ de l’Etat-Major et son éloignement de Paris, l’influence de sa pensée persiste à se faire sentir, comme en témoigne la lettre du commandant Montjean, (chargé de rédiger le projet d’un discours pour la remise de la Légion d’honneur à l’Ecole de
Guerre, le 6 avril 1935 au colonel Vauthier : «Le Maréchal m’a dit : «En ce qui concerne l’avenir, voyez le bouquin de Vauthier ». Vous êtes en passe d’être en France, comme Douhet en Italie, «Le Précurseur ». Je crains bien que la réalité ne vous donne trop tôt raison. Pauvre France, anesthésiée et qu’on a peur de réveiller. » (16 mars 1935).
Dans ce discours à l’Ecole de Guerre, on peut également lire un passage dont il n’y a guère d’équivalent dans la littérature militaire de l’époque : «Il est nécessaire de tenir le plus grand compte des perspectives ouvertes par l’engin blindé automobile et l’avion. L’automobile, grâce à la chenille et à la cuirasse, a conquis droit de cité sur le champ de bataille et y met la vitesse au service de la puissance. L’avion, en portant la destruction jusqu’aux centres vitaux les plus éloignés, fait éclater le cadre de la bataille, limité autrefois à la portée des coups de l’artillerie, et modifie les conditions de l’action stratégique. Les règles essentielles de l’art militaire risquent d’en être profondément atteintes. On peut même se demander si l’avion ne dictera pas sa loi dans les conflits de l’avenir ».
Retour à l’État-Major
Le 1er octobre 1936, le colonel Vauthier devient chef d’état-major du Maréchal et auditeur au Collège des hautes études de la Défense Nationale (qui répondait partiel¬ lement à l’une des préoccupations de Douhet, qui remarquait que l’on formait des officiers spécialisés, mais pas d’officiers «compétents pour la guerre tout court »)
En fait, le directeur du Collège, l’amiral Castex, comme tous les amiraux à l’époque, est allergique à Douhet et particulièrement au commandement unique. Il évoluera après la guerre, tout en maintenant «par principe » son opposition à toute doctrine.
Le 23 février 1937, Vauthier écrit : «Au Collège des HEDN, j’expose la solution du Groupe de Constanza. A la fin, j’interviens en faveur du ministère de la Défense Nationale et du Commandant en chef des Forces Armées ». Mais le 25 : «F’amiral Castex réfute les arguments exposés mardi ». Et le 2 mars il «écrit à l’amiral Castex, au sujet du ministère de la Défense Nationale et du Commandement unique ».
La lutte pour les mêmes idées continue, avec quelques avancées mais sans le résultat
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souhaité. On en trouve des reflets dans l’agenda de bureau, le 29 janvier 1937 : «D’après M. Jacquy, sénateur, Daladier se serait engagé devant la commission de l’Armée du Sénat à défendre et à faire aboutir le commandement unique. C’est contraire à ce que Daladier a soutenu au Comité permanent du 5 décembre et au Collège des Hautes Etudes du 23 décembre » (le colonel Vauthier y assistait).
Certains sénateurs viennent consulter le Maréchal et les conclusions des commissions parlementaires sont souvent plus positives que celles du gouvernement.
C’est ainsi qu’une proposition de loi est présentée par Jacquy le 4 mars 1937. Elle prévoit un ministre des Forces armées et trois sous-secrétaires d’Etat, un chef d’Etat-Major général des forces armées... et un Etat-Major (qui pose un problème)... elle est largement inspirée par Paul Vauthier, auquel le général Laure écrit d’Alger : «J’avais remarqué, par une courte analyse parue dans les journaux, les excellentes dispositions de la loi Jacquy, et je vous avais fortement soupçonné d’en être l’auteur. Vous voyez que, même de loin, je sais reconnaître la qualité des choses en cette matière, et je suis heureux de ne pas m’être trompé sur la présomption de paternité. Continuez le bon combat. C’est vous — et non moi — l’âme de cette affaire. Au poste où vous êtes, vous finirez par imposer la solution, en dépit des obstacles, malgré l’obstruction du secrétariat général... »
Cette proposition de loi est le premier document d’un dossier de six notes établies pour servir à l’étude du commandement unique, avec le détail des objections et les réponses, en particulier aux marins.
Au début de 1938, trois décrets sortent le 21 janvier sur l’action de direction et de coordination du ministre de la Défense Nationale, sur les attributions du chef d’Etat-major de la Défense Nationale et la nomination du général Gamelin à ce poste, en conservant son poste de chef d’Etat-Major de l’Armée de Terre.
Paul Vauthier écrit le 25 janvier 1937 : «Après le grand rapport de l’Etat-Major de l’Armée, conversation avec le général Georges :
1. Les décrets ont été pris par ordre de Chautemps, président du Conseil, sous la pression du Sénat et presque malgré Daladier.
2. Consulté par le général Gamelin, le Général Georges lui a dit : «J'espère que vous allez
constituer maintenant cet Etat-Major de la Défense Nationale réclamé par le Maréchal ». Le général Gamelin a répondu : «Jamais de la vie ».
Conclusion. Cette réforme est une duperie, il n’y a donc rien de changé. Un seul fait nouveau. C’est maintenant le général Gamelin qui préside la réunion des trois chefs d’Etat-Major ».
Tous les efforts ont échoué par la volonté de Daladier et du général Gamelin. Ce dernier est opposé à la priorité pour l’aviation et encore plus au commandement unique dont il ne voulait pas pour lui et encore moins pour un autre ! On peut citer sa déclaration historique sur l’aviation au Comité permanent de la Défense Nationale en février 1939 : «Que peut l’aviation contre des hommes enterrés dans des tranchées étroites ? » et faire le rapprochement avec la lettre du général Prételat au colonel Vauthier, après la sortie de La doctrine de guerre du général Douhet en 1935 : «Je vous félicite bien sincèrement pour votre nouvel ouvrage... et je voudrais être sûr que le général Gamelin et mes collègues du Conseil le liront attentivement... je voudrais pouvoir le répandre au 4 bis [boulevard des Invalides] où on continue de préparer la guerre de 1914... »
Ceci n’empêche pas une visite colonel Vauthier au général Georges six jours après : «Je lui porte les notes pour servir à l’étude du commandement unique par ordre du Maréchal. Longue conversation ». Le 9 mars, ces notes seront communiquées à Daladier... sans résultat : la loi du 11 juillet 1938 sur l’organisation de la Nation en temps de guerre est un progrès très insuffisant.
Nouvel échec, concernant cette fois l’aviation de bombardement, au comité permanent de la Défense Nationale du 5 décembre 1938 où le général Gamelin est présent (témoignage du général Vauthier le 1 août 1945) : «J’entends encore M. Daladier dire : «Si j’avais eu derrière moi une force de mille avions de bombardement pour appuyer la voix de la France, j’aurais été plus fort à Munich pour m’opposer aux exigences d’Hitler... » M. Daladier mettait en évidence, là, l’action politique préventive que, parmi toutes les subdivisions de l’aviation, possède seule l’aviation de bombardement. . . et. dans cet avis anonyme qui termine en général les comités, on n’a pas fait ce que demandait M. Daladier. On a partagé le crédit (destiné à acheter des avions américains ) en trois : une part a été donnée à l’observation, une part à la chasse, une part au bombardement. »
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Dans le même témoignage, il est dit que les Allemands possédaient en décembre 1938, 5 000 avions de bombardement de première et deuxième ligne contre à la rigueur 22 avions français équivalents.
Le 28 mars 1938, Vauthier était nommé tardivement général. Il se peut que les réticences envers ses idées depuis 1930 soient une explication de ce retard.
L’Ecole libre des Sciences Politiques lui ayant demandé de diriger un cours de Défense Nationale, Pétain prononce la conférence inaugurée le 5 février 1939 en soulignant le rôle futur de l’aviation : «Le fait nouveau, c’est l’apparition de l’avion et sa participation à la guerre ». Le général Vauthier donne les cinq conférences suivantes, en particulier celles très intéressantes sur «Gouvernement et Com¬ mandement » avec réponse aux objections politiques, techniques et historiques. C’était un condensé des six notes sur le sujet qu’il avait rédigées et diffusées à qui de droit.
Ces cours, destinés à des étudiants et donc simplifiés, sont fort peu connus, bien qu’ils aient été publiés. Ce sont les derniers écrits militaires des deux conférenciers qui sont partis le 15 mars pour l’ambassade de France en Espagne.
Épilogue
Le général Vauthier quitte, en octobre 1939, l’Espagne et commande la 61e division au nord de Sedan, avec artillerie hippomobile et sans canons antichars modernes et sans DCA. A partir du 10 mai, il est bombardé du matin au soir par des escadrilles allemandes bien renseignées et enrage, lui «l’apôtre de l’aviation » et le spécialiste de la DCA, de ne pouvoir s’y opposer. Sa division qui avait consacré l’hiver à se fortifier, tiendra mais ses voisines seront enfoncées et elle devra se replier au milieu d’une indescriptible pagaille. Il commande ensuite sur la Somme la 31e division alpine dont les munitions d’artillerie, retardées par l’action aérienne allemande, n’arriveront que quelques heures après le début de son attaque.
Il est fait prisonnier à Saint Valéry-en-Caux le
12 juin 1940 et supportera mal l’inactivité de ses longues années de captivité. Il verra, depuis la forteresse de Kônigstein, le dantesque bombardement de Dresde.
Loustaunau-Lacau, qui a été sous ses ordres, écrit dans ses Mémoires d’un Français
rebelle : «Ce n’est pas seulement par reconnaissance d’esprit que je parle de lui, mais aussi parce que Vauthier, c’est tout le drame de l’armée française... Vauthier vaut que l’on s’arrête. Un polytechnicien à la polytechnique, une culture bien au-delà de l’horizon, une mémoire implacable, des gestes précis, aussi précis que ses traits... Vauthier connaît son métier de divisionnaire comme aucun autre peut-être ne le possède. Artilleur d’origine. C’est un maître... aucun des problèmes du temps ne l’a laissé insensible. Je ne l’ai jamais vu, pendant trois ans, qu’attelé à la besogne et lorsqu’elle faisait défaut, à celle de l’avenir. Que Vauthier se soit trompé là où il commandait, c’est impossible... Il n’avait pu se servir que de ce qu’il avait. Son courage était le courage du chef. . . Vauthier aurait pu être Foch. Il n’était plus qu’un prisonnier sans armes. »
Rentré de captivité en 1945, sa carrière militaire qu’il considérait comme un échec, puisque aucune de ses idées n’avait été adoptée, était terminée. Il prit une nouvelle orientation professionnelle où, cette fois, il réussit fort bien.
Il faudrait une thèse pour examiner dans quelle mesure sa pensée militaire, partie de celle de Douhet pour l’Italie, et modifiée par lui pour le cas de la France, s’est vérifiée pendant la Seconde Guerre mondiale. Le fait est que l’on n’a pas suivi ses priorités et que l’échec a été patent.
Remarquons que l’invitation en 1938 du général Vuillemin pour inspecter l’aviation allemande est curieusement analogue à ce que Douhet avait prévu dans son dernier ouvrage : La guerre de 19...
La reculade de Munich est une illustration de Douhet, sans combat, par le seul effet de la puissance de l’aviation de bombardement allemande, comme l’a reconnu Daladier.
La Seconde Guerre mondiale a commencé par la campagne de Pologne (35 millions d’habitants) : «[elle] se déclenche le 1er septembre 1939. Priorité aux objectifs aériens [C’est du Douhet pur]. Et le 3, au bout de 48 heures, le chef d’état-major de l’armée polonaise pouvait dire au général Münch, attaché militaire français : » La Pologne n’a plus ni production, ni chemins de fer, ni ravitaillement, ni communications. C’est un grand corps paralysé ». Il a fallu 15 jours aux troupes à pied et aux chars pour exploiter cette défaite consommée en 48 heures » (Témoignage du général Vauthier le 1er août 1945).
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La fin de la guerre, elle, se passe au Japon où les bombardements de Tokyo par des moyens conventionnels, puis le lancement de deux bombes nucléaires contraignent l’adversaire à capituler sans que son territoire ait été occupé ni son armée vaincue. C’est encore du Douhet. Seuls des bombardiers pouvaient porter ces engins qui dépassaient en horreur les bombes aérochimiques qu’il pensait inévitables, point sur lequel il s’est trompé.
Entre ces deux campagnes, on dira que Douhet (mais non Paul Vauthier) a sous-estimé l’importance de la chasse et de la DCA et ignoré «l’attaque brusquée terrestre à l’aide d’engins blindés ». Il est rarement contesté toutefois que la maîtrise de l’air qu’ils préconisaient tous deux a été partout, y compris pour le débarquement de Normandie, une condition, au moins nécessaire de la victoire.
La rupture de Sedan, en mai 1940, par les blindés a nécessité des heures ininterrompues de bombardement par mille avions, mais les chars allemands, même améliorés, se sont révélés impuissants, sans couverture aérienne, devant les attaques de l’aviation alliée à Falaise en août 1944.
Il est vrai que l’aviation, à elle seule, n’a pas pu venir à bout de la Grande-Bretagne, ni d’ailleurs de l’Allemagne, d’où le rôle des engins blindés, de la chasse et de la DCA. Mais Douhet et Vauthier avaient traité les cas où le domaine aérien ne serait pas seul décisif : «Il est certain que la maîtrise de l’air, si elle n’est pas décisive par elle-même, peut apporter un appui décisif aux opérations de surface... ». Douhet n’était pas naïf : «il n’y a pas de panacée universelle, dit-il ; le secret de la victoire, personne ne le connaît. Le but
poursuivi n’est pas un procédé qui donne la victoire à coup sûr... ce qu’il veut, c’est utiliser des ressources limitées avec le rendement maximum. . . » Aucun belligérant n’a d’ailleurs appliqué entièrement les théories de Douhet.
Le général Paul Vauthier a été en France le meilleur connaisseur de l’œuvre de Douhet. Précurseur lui aussi, il a élaboré sa propre pensée militaire, applicable à son pays entre les deux guerres. Les critiques qu’il a énoncées dès cette époque, sont bien celles qui sont généralement faites à Douhet après l’expérience de la Seconde Guerre mondiale.
Les efforts concrets qu’il a déployés jusqu’en 1939 (avec la compréhension des généraux Prételat et Laure et du maréchal Pétain) pour faire admettre ses idées de 1927, ont été vains, tant pour la priorité à l’aviation que pour le commandement unique, du fait de l’opposition des milieux militaires et politiques.
Il a refusé d’écrire ses mémoires, mais n’est pas totalement inconnu car certains auteurs : le général Laure, Herbert R. Lottmann et le général Le Groignec dans quatre ouvrages ont vu et compris sa lucidité et son action.
Il est mort le 11 novembre 1979 à 94 ans, avec sa mémoire et son humour champenois. Il n’a pas pu lire en juillet 1993 dans La Rouge et la Jaune, mensuel des polytechniciens, numéro consacré à l’armement, l’article de tête d’un marin : l’amiral Lanxade, alors chef d’Etat-Major de la Défense Nationale, qui l’a fait précéder en exergue d’une citation de Douhet. Le commandement unique et la priorité à l’air étaient passés dans les faits et admis dans la Marine, encore que les engins atomiques, les missiles et les hélicoptères aient renouvelé le sujet. □
Hubert Vauthier, X 1941, administrateur de l’INSEE, détaché succesivement au gouvernement militaire en Allemangne et aux Nations-Unies à Genève. Il a été ensuite directeur de la planifica¬ tion et de la coordination du groupe des automo¬ biles SIMCA et enfin président de la Société d’investissements immobiliers de France.
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