En juin 1918, consécutivement à l'offensive allemande sur le chemin des Dames de mai 1918, au cours de laquelle le front français fut enfoncé, ce fut un afflux immense de blessés dans les hôpitaux situés à l'arrière du front. Ils furent bientôt tous saturés. C'est ainsi que mon grand-père, amputé d'un bras, échoua à Cognac, après un périple interminable, de Paris à Angoulême, où son convoi sanitaire fut enfin dirigé sur Cognac... Les blessés allemands ramassés à l'issue de l'offensive et des premiers gains territoriaux des Français furent évacués vers le sud, là où l'on pensait qu'il y avait encore des places disponibles.
C'est alors que plus de 600 blessés allemands échouèrent à Bordeaux où tous les hôpitaux étaient saturés. Ils furent donc laissés dans leurs wagons, faute de place pour les abriter. Le médecin aide-major chargé de s'occuper du triage des blessés qui ne cessaient d'affluer ne put donc que leur allouer un minimum de personnel, chargé surtout de les faire boire en attendant mieux. Par une chaleur écrasante, les blessés ne cessaient de râler et de réclamer de l'eau et de la nourriture. Une section de tirailleurs sénégalais était chargée de sécuriser la zone. Un soir, exténué, le médecin-major responsable se laissa aller devant ses subordonnés et en présence du sergent noir, chef du détachement : "trouvons un moyen de les faire taire, ces cris sont insupportables". Un peu plus tard, dans la nuit, les râles cessèrent progressivement, jusqu'à disparaître tout à fait. Au petit matin, incrédules, les médecins militaires s'approchèrent : tous les blessés avaient été passés au fil de la baïonnette.
Ces évènements ne firent l'objet d'aucun rapport.
Témoignage inédit du médecin aide-major D.