Sur ce débat important des responsabilités, concernant l'hécatombe de 1914 (et aussi, hélas- dans une moindre mesure, de celle de 1915), il faut citer un témoin essentiel : Paul Bénazet qui fut rapporteur à la commission du Budget à la Chambre des députés en 1914. Il prenait alors la défense de André Lefèvre qui s'était exprimé ainsi :
« Depuis trente ans, de 1882 à 1912, (les Allemands) ont dépensé 4 milliards 700 millions de francs et nous dépensions 2 milliards 751 millions dans l'intervalle .»
Paul Bénazet ajoutait : « les dépenses extraordinaires de la Guerre (entendre l'Administration de la Guerre aujourd'hui la Défense Nationale (marine en moins)- tombent de 137 millions en 1906 à 92 millions en 1907, puis à 60 millions en 1908, à 66 millions en 1909.
Et pour expliquer cette politique à courte vue à l'heure où le militarisme germanique menaçait, il avait le courage d'incriminer les gouvernements successifs qui s'étaient suivis de 1901 à 1912 (séance de la Chambre des députés du 26 mars 1914).
Il récidivait en quelque sorte, dans un article du Matin paru le 18 juillet 1914 :
« Aussi, quoi que l'on puisse prétendre, l'explication de notre insuffisante préparation matérielle réside évidemment, pour la plus grande part, dans la comparaison des crédits consacrés à la défense nationale.-« Alors que, depuis 1906, les Allemands dépensaient 1 400 millions (francs) pour leur armements, disait fort justement l'autre jour M. André Lefèvre, nous ne dépensions, nous, que 700 millions. Par conséquent, s'il y avait une surprise à avoir, ce ne serait pas que nous ne puissions pas posséder un matériel de guerre moins perfectionné : ce serait que nous fussions AUSSI BIEN MUNIS EN AYANT DEPENSE MOINS ! »
« Rogner sur les crédits de la défense nationale, pour équilibrer un budget, est un expédient facile. Pendant plusieurs années, il fut constamment adopté de ce côté-ci des Vosges, sans se demander si un jour prochain ne viendrait pas, où il faut combler en toute hâte, par des emprunts ou autrement, l'abîme qu'on laissait imprudemment se creuser.
« Car, pendant que nous réduisions nos dépenses, l'Allemagne augmentait les siennes. Pour s'en rendre compte, il n'y a qu'à jeter les yeux sur les graphiques qui font éloquemment ressortir, depuis 1900, les efforts respectifs des deux nations. Il sont, pour ainsi dire, L'EXPRESSION TANGIBLE DE NOTRE ERREUR.
« Chez nous, deux ondes successives, deux courbes descendantes, hélas !L'une qui s'étend de 1901 à 1905, et qui, brusquement, est interrompue par le coup de théâtre de Tanger.
« Puis, pendant deux ans, c'est une flèche. Les ministres Berteaux et Etienne sont obligés, avec l'approbation de la commission du budget, de dépenser plus de 200 millions, hors budget, pour précipitamment nous réapprovisionner.
« Cet avertissement si cruel aurait dû nous servir ; cependant, de 1906 à 1909, c'est de notre part, une nouvelle chute, à laquelle correspond, du côté allemand, une forte ondulation EN SENS CONTRAIRE.
« Les dépenses extraordinaires réelles de la Guerre tombent chez nous de 137 millions en 1906 à 92 en 1907, puis seulement à 60 en 1908 et à 66 en 1909.
« Ce n'est qu'en 1910 qu'elles se relèvent à 95 millions. Pendant ce temps, pendant ces trois années, l'Allemagne, loin de nous imiter dans nos réductions, dépensa :
En 1907. . . 193 millions, contre 92 de notre côté.
En 1908 . . . 241 ---- 60 -----
En 1909. . . 215 ---- 66 ------
« Au total, 431 millions de plus que nous. Avec cette somme, nous aurions pu, TOUT COMME ELLE ET EN MEME TEMPS QU'ELLE, construire un matériel moderne d'artillerie lourde analogue à celui qui établit sa supériorité présente !»
Et ces lignes sont du 18 juillet 1914 ! Et elles son écrites par un député -modéré- certes ! Mais néanmoins sincèrement républicain...
Alors, absence de cartes de la Belgique (oui, car Joffre n'avait pas prévu d'engager des troupes à l'ouest de la Meuse), tactique surannée et meurtrière, il n'empêche que l'absence de mortiers et de canons lourds fut un grave handicap pour l'armée française de 1914, sans compter l'absence de munitions, après la bataille de la Marne, ce qui contraignait à lancer les hommes à l'assaut des tranchées allemandes quasiment sans appui d'artillerie !
La responsabilité des généraux est une chose (dans ces colonnes, on ne se prive pas à juste titre de les dénoncer), celle des ministres en est une autre, incontestable, imparable et, -disons-le- gravissime ! Or, je trouve qu'elle a été passée -le plus souvent- par pertes et profit ! Pour ne pas dire sous silence !!!
Je n'aurais pas la cruauté d'en dresser la liste (celle des présidents du Conseil, des ministres de la Guerre et des Finances) ! D'autres s'en chargeront... Mais l'Histoire ne saurait l'ignorer !
Et je n'aurais garde de rappeler les démissions du généralissime Hagron en 1907 qui poussa un cri d'alarme ni celle du général Michel en 1911.