Un bon résumé de la question:
Qui n'a pas eu un père, un grand-père, un arrière grand-père qui avait dans ses papiers des emprunts russes ? Qui n'a jamais entendu comment un membre de sa famille avait perdu toute sa fortune après la grande guerre ? Après une guerre de 4 ans, beaucoup de français se sont retrouvés ruinés après avoir "un peu trop" écouté les propos angéliques de l'Etat, des banques et des médias financiers.
1918 : année de la spoliation
1914 : la première guerre mondiale éclate. Les troupes allemandes décident d'envahir la France. Les combats sont rudes et la France est en mauvaise posture face à l'impressionnante armée allemande. Ce qui était tant redouté arriva, et les avancées diplomatiques faites par la France se sont concrétisées. La Russie ouvre rapidement un front à l'est et ainsi oblige l'Allemagne et ses alliés à se battre sur deux fronts différents distincts de plusieurs milliers de kilomètres, ce qui est coûteux en temps, en hommes et en matériel. Un parlementaire déclara même dans les années 1990 que "l'armée russe […] s'était acquittée d'une part importante des obligations souscrites par le gouvernement impérial de Russie à l'égard des souscripteurs français".
La venue de la Russie dans le conflit a effectivement été une étape essentielle dans la victoire finale de la France et de ses alliés.
Mais le début de l'année 1918 fut une année sombre pour la France et ses épargnants. La Russie annonce en pleine guerre en janvier 1918 l'annulation de tous les emprunts étrangers, y compris des emprunts français. En mars 1918, la Russie signe la paix à Brest-Litovsk avec l'Allemagne et permet à cette dernière de renvoyer ses troupes sur le front de l'Ouest. En quelques mois, la France a failli perdre la guerre et les français une fortune. La guerre a finalement été gagné grâce aux Etats-Unis, leur art de la guerre et leurs équipements. Il n'en restait pas moins que la Russie avait annoncé l'annulation de tous les emprunts étrangers. Par la suite, les entreprises russes ont toutes été nationalisées.
Les français qui avaient survécu à la guerre se retrouvaient théoriquement sans un franc d'épargne. La France pense a une solution rapide du problème et verse même les intérêts pour le premier trimestre 1918 des emprunts russes. Mais les nouvelles se confirment. La Russie ne remboursera pas les épargnants français.
Des familles entières sont ruinées, on compte de nombreux suicides parmi les épargnants floués. Du jour au lendemain, un tiers de l'épargne française disparaît au profit de la Russie qui s'est modernisée avec l'argent des épargnants français.
En Septembre 1918, la France organise le recensement des créances et actifs russes par un décret. Ce recensement qui aura lieu en mai 1919 n'aboutira, lui non plus, pas à un remboursement des emprunts. 1,6 millions d'épargnants sont concernés et ont été touchés plus ou moins sévèrement par cette spoliation.
De 1918 à 1924 : l'enlisement des négociations
La France et les gouvernements successifs qui avaient tant prôné la garantie des emprunts russes se doivent de faire leur possible pour recouvrer la dette estimée à plus de dix milliards de francs or. Les négociations vont bon train entre la France et son ancien allié, la Russie. Mais depuis 1917, la Russie a fait sa révolution et est devenue bolchevique. Les tsars ont été remplacés par un célèbre Lénine.
En février 1919, Ludovic Nadeau, dépêché par le gouvernement français de l'époque, tenta une négociation en vue de réaliser le remboursement des emprunts en nature (céréales ou pétrole). Le refus fut catégorique.
En 1921, tout s'accélère. Le décret de 1918 annulant les emprunts est lui même annulé. La Russie semble souhaiter se rapprocher à nouveau de ses anciens alliés et de discuter sérieusement de la question des emprunts russes. Ces négociations aboutiront en avril-mai 1922 par la conférence de Gênes. Mais coup de théâtre, la Russie continue de refuser à rembourser les emprunts. Les dettes appartiennent à la Russie tsariste et les nouveaux dirigeants de l'époque ne souhaitent pas s'encombrer avec une dette de cette importance. Cette décision va d'ailleurs à l'encontre de toutes les règles internationales. Les dettes restent dues tant que l'Etat ne les a pas réglé en totalité quelque soit les changements de régimes opérées dans ces mêmes états.
Le 28 Octobre 1924, la France reconnaît officiellement l'Union Soviétique malgré le profond désaccord sur la question des emprunts russes. La France exprime d'ailleurs les limitations de cette reconnaissance. Les épargnants se sentent une nouvelle fois floués. Eux qui pensaient que la reconnaissance internationale d'un pays pouvaient faire évoluer favorablement les négociations tombent de haut. La France profite tout de même de cette reconnaissance pour rouvrir les négociations. En février 1925, un accord semble se profiler mais la venue au pouvoir de R. Poincaré fait tout basculer. Ce dernier trouve l'accord trop avantageux pour la désormais URSS et annule tout. De 1927 à 1992, aucune négociation ne vit le jour.
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