par eliedurel » Vendredi 11 Décembre 2009 18:14:28
Nicolas II est éminemment respectable comme homme et comme souverain. Comme l'a dit Churchill "Il a commit de nombreuses erreurs, mais quel chef d'Etat n'en commet pas". J'ajouterai que son cousin germain le kaiser Guillaume II porte une responsabilité considérable dans ces erreurs (cela me fait d'ailleurs fortement douter que des Grandes-Duchesses éventuellement survivantes aient pu accepter sa protection et ses bienfaits : j'y reviens plus bas). Le Tsar ne méritait vraiment pas l'abandon dont il a été l'objet. Il a sincèrement voulu le bien de son peuple, contrairement aux Bolchéviques qui l'ont exploité. Sans la révolte de 1905, dans les 10 à 15 ans qui suivaient, la Russie auraient été l'une des toutes premières puissances économiques mondiales. Nicolas II a voulu libéraliser son pays, il a fait le jeu de ses opposants et des anrchistes : peut-on lui reprocher ce courage dont il a été la première victime.
En tant que Français, je n'oublierai jamais qu'il a sacrifié ses meilleures unités pour sauver Paris de l'invasion allemande, alors qu'il en avait besoin ailleurs. Que ce serait-il passé si Paris avait été prise ? J'ai une pensée pour ses valeurux soldats russes qui se sont sacrifiés et qui reposent quelque part dans les terres de Champagne.
Pour avoir été en Russie sur les lieux où la Famille impériale fait l'objet d'un culte, j'avoue avoir ressenti un profond malaise. Voir cette famille statufiée et auréolée m'a laissé un sentiment d'hypocrisie. Du jour de son abdication, Nicolas II est devenu un non homme pour les autorités soviétiques. En le béatifiant, il est devenu un non homme pour l'éternité. Sa réhabilitation me paraît hautement souhaitable.
En se posant des questions sur la fin de Nicolas II qui reste, qu'on le veuille ou non un mystère, je pense que l'on contribue à entretenir sa mémoire et celle des siens. Michelle Wartelle n'en a assurément pas le monopole. Je crois qu'en Russie et par le monde nombreux sont ceux qui entretiennent ce souvenir sous différentes formes.
Comme il m’y avait vivement invité, j’ai donc lu le livre de Michelle Wartelle.
Par rapport à ces histoires mystérieuses qui sont entrées dans la légende, j’ai déjà dit que je bannissais le mot preuve, j’ajoute aussi certitude et vérité.
Dans son livre « Anastasia retrouvé », Tatiana Botkine a écrit : « Nul fard, nul artifice, autre que la forme romancée de ce témoignage. Je vous livre ce que j’ai vécu, avec toute ma sincérité, avec toutes mes certitudes ». Indiscutablement, Michel Wartelle a des certitudes. Il dit lui-même que cela est l’œuvre de sa vie, avec le juge Sokoloff il partage donc le même engagement. À cet égard, son implication est aussi respectable qu’émouvante.
Comme Michel Wartelle l’a indiqué dans ce forum, nous avons des points de convergences pour considérer que la Famille impériale n’a pas été massacrée dans la maison Ipatief, qu’elle a fui par un tunnel et qu’il y a eu survivance.
Je suis d’accord avec lui lorsqu’il dit que la légende veut que ce soit Yourovski « l’âme du complot qui fit périr la famille Romanof dans le sous-sol de la maison Ipatief…Il semble même que ce fut tout le contraire…» Toutefois, il ne mentionne pas le rôle déterminant de la Tchéka dans la protection de la Famille impériale, sans cela rien n’était possible. Yourovski était en effet l’homme fort de la Tchéka locale. Pour cause, il était, avec le prince Orloff dont il était un proche, l’un des cinq fondateurs de la police secrète bolchévique.
Par contre, je ne partage pas sa relation des faits sur l’assassinat de membres de la famille Romanof à Alapaïevk. Ils n’ont pas été assassinés par des tchékistes qui en réalité les protégeaient, mais par les bolcheviks de Bieloborodof, le président du soviet régional de l’Oural. Il a raison de dire que Bieloborodof, proche de Trotski le commissaire du peuple à la guerre, était « en conflit ouvert avec la politique de Moscou : laisser partir la famille Romanov à l’étranger ». En réalité, il s’opposait à Lénine et à Sverdlof qui garantissait sur sa propre vie celle des membres de la famille impériale. À Ekatérinenbourg, Bieloborodof était en rivalité avec Yourovski et Golostchekine, le commissaire militaire pour l’Oural, proche de Lénine et lui aussi tchékiste. Je crois que ces oppositions, tant à Moscou que dans l’Oural, sont fondamentales pour avoir une compréhension de la fin des Romanof.
Bieloborodof est une des clés pour comprendre ce qui a pu se passer dans l’Oural pour le Romanof. Il voulait faire un gigantesque charnier de tous les Romanof. Je ne crois pas qu’il ait réussi à obtenir la peau de Nicolas II (et de son fils), même s’il en rêvait. Je ne crois donc pas à la condamnation et à l’exécution du tsar sur un champ de tir militaire. Par contre, il est tout à fait possible qu’ayant eu connaissance de la mort du tsar, il est lui-même inventé cette version pour s’en vanter.
Michel Wartelle a du mal à concevoir l’hypothèse que j’avance concernant la mort de Nicolas II et pour laquelle j’ai déjà fourni des précisions. Je crois qu’il s’est passé quelque chose alors que le tsar était entre les mains d’officiers allemands chargés de le conduire en exil en Allemagne avec sa famille. J’aborderai plus loin la problématique allemande.
Je partage avec lui l’hypothèse d’un pseudo-massacre de la Famille impériale dans la maison Ipatief et l’assassinat des quatre serviteurs qui a servi de mise en scène, tant sur place qu’au lieudit des « Quatre frères ». À part évoquer l’impossibilité pour 11 assassins de fusiller 11 victimes dans une pièce d’environ 21 m2 (ce que je partage), je regrette qu’il n’ait pas plus argumenté cette thèse. Il n’a pas non plus suffisamment mis en exergue la parodie d’enquête du juge Sokoloff dont je considère qu’il a été « instrumentalisé » par le prince Orloff pour accréditer une version officielle de la fin des Romanof qui convenait à tout le monde : le peuple russe a lui-même jugé, condamné et exécuté le tsar et les siens. Sur le plan de la doctrine révolutionnaire bolchévique, c’était politiquement correct, cela accréditait la thèse des Blancs selon laquelle les Rouges étaient des barbares et les autres pays (Allemagne, Angleterre, France et même États-Unis) se trouvaient, au moins en partie, dédouanés de leurs responsabilités.
Je suis aussi d’accord sur la « piste de Perm » pour laquelle les témoignages sont nombreux, concordants et surtout de premier rang contrairement à ceux présentés pour défendre le massacre de la Famille impériale dans la maison Ipatief. Le juge Sokoloff a écarté cette piste au motif qu’elle n’était faite que pour retarder son enquête !
Dans le livre de Michel Wartelle, je regrette aussi une certaine confusion et un manque d’appréciations quant aux conditions d’exfiltration des membres de la famille impériale.
En effet, lorsque l’on avance l’hypothèse d’une survivance, il me paraît capital d’apporter des éléments assez convaincants pour contester la version « officielle », y compris en ce qui concerne l’attribution des restes retrouvés.
Au sujet du traité de Brest-Litovsk, un visiteur a écrit : « Cette paix est signée depuis mars 1918 (traité de Brest-Litovsk), soit près de 4 mois avant l'assassinat. Donc votre argument ne tient pas, puisque cette guerre n'existe plus... ». Il me semble que juridiquement ce traité n’avait aucune valeur (Lénine n’était investi en rien). Aussi, Nicolas II était-il l’objet de pression et même d’un chantage pour le ratifier, quitte à symboliquement redevenir tsar. Il s’est résolument refusé à cela, préférant mourir (tout comme Alexandra).
Pour en venir à la survivance des quatre femmes qui constitue la révélation de Michel Wartelle, je ne peux qu’exprimer un sérieux doute. Pour avoir moi-même tenté de valider une survivance qui m’a été soufflée, je resterai très prudent. Dans la « thèse » que je me suis efforcé d’étayer, en terme de probabilité j’estime : à plus de 90% le fait que la Famille impériale n’ait pas été massacrée dans la maison Ipatief, à environ 60 % celle qu’il y ait eu une survivante et à un peu plus de 50 % celle qu’elle ait eu dans la clandestinité l’identité sur laquelle j’ai été orienté.
Je pense que l’on est dans le même niveau de probabilité avec la survivance que défend Michel Wartelle à partir de témoignages, de documents et de photos qui ne sont pas des preuves. Les photos me gênent beaucoup, car je peine à trouver une ressemblance. J’ai ainsi moins de regret de n’avoir pas réussi à obtenir (peut-être l’aurons-nous un jour) celle de « ma » survivante clandestine, pour la comparer à la grande-duchesse Maria. Par contre, j’ai recueilli une quinzaine d’indications (dont des témoignages descriptifs) qui ne rendent pas l’hypothèse complètement farfelue (du moins pas pour moi).
Ce qui me gêne aussi c’est, pour bien des raisons, de considérer qu’Anna Anderson était bien Anastasia et ce ne sont pas les tests ADN qui m’ont convaincu du contraire. L’affaire Anastasia a été entretenue pour semer la zizanie au sein de la famille Romanof et peut-être aussi pour servir de diversion.
Je reviens à la problématique allemande que j’évoquais plus haut. Il est indéniable que l’aristocratie militaire et civile allemande a été profondément traumatisée par le fait de faire la guerre à la Russie dont l’impératrice était des leurs, de voir l’empire russe balayé par la Révolution bolchévique et de ne pas avoir su secourir la Famille impériale. Il ne me paraît donc pas surprenant que de grands noms allemands se soient, par croyance plus ou moins sincère ou par contrition plus ou moins consciente, associés à la défense de prétendantes, comme l’Inconnue de Berlin à qui l’on a fait dire dans un premier temps qu’elle était Anastasia
J’observe que la déclaration olographe de parenté n’émane pas des prétendues grandes-duchesses survivantes (Marie et Olga), mais d’Olga Béata, la fille de celle qui serait Marie.
Quant à la survivance de la grande-duchesse Tatiana qui aurait été exfiltrée par un tunnel le 1er juillet 1918, je ne peux l’admettre. Toutefois, on peut concevoir une première tentative qui aurait été un échec. Je crois que toute la famille était présente au complet dans la maison Ipatief le soir du 16 juillet 1918.
ED
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Élie DUREL auteur de : « L’autre fin des Romanof et le prince de l’ombre » aux éditions Lanore (France) – « Mémoire d’un résistant » chez Gestes éditions (France) - « L’histoire d’un conscrit de 1913 » aux éditions Ouest-France – « Les amants du Val de Loire » chez Geste éditions (France)