La Guerre des gaz

1ère guerre mondiale et ses conséquences, jusqu'à la Grande Crise.

La Guerre des gaz

Message par Baron Percy » Lundi 16 Juillet 2007 23:44:31

Tel est le titre de l'excellent ouvrage que je viens de lire sous la plume de Paul Voivenel et Paul Martin.
Cet ouvrage se présente comme le journal de deux médecins mobilisés dans le Service de santé de la Grande Guerre et décrit le quotidien d'une ambulance Z, formation spécialisée dans le traitement des blessés par les gaz.
La convention de La Haye (1899) avait cependant interdit l'emploi des gaz toxiques.
Spécialistes impitoyables de la guerre, les Allemands n'ont pas été arrêtés une minute par cette interdiction.

Je ne résiste pas au plaisir de vous livrer quelques réflexions issues de cet ouvrage :
"L'émission de la première vague chlorée dans le secteur d'Ypres, le 22 avril 1915, extériorisa le lent et prémédité travail de savants qui, déshonorant le laboratoire, n'étudiaient que pour empoisonner les peuples et la liberté.
Ils ont violé la neutralité de la Belgique et déchiré les traités parce qu'ils ont cru que la force qui courbe les corps avait aussi le pouvoir de mettre les âmes à genoux et de faire le droit.
Ils l'ont cru parce que cela avait été vrai en partie et que leurs succès des guerres précédentes semblaient l'avoir établi.
Dans les relations d'individus à individus, les gens habiles se servent souvent du code comme d'un pistolet. Les nations de proie feront ainsi et se serviront des engagements solennels pour mieux perpétrer leurs desseins. Une Belgique neutre permettait un passage plus facile qu'une Belgique armée jusqu'aux dents. L'interdiction des gaz par la conférence de La Haye avait détourné de cette question les spécialistes de la guerre, chez les peuples respectueux de leur signature.
A l'assassin, la crainte seule du gendarme.
Aux nations criminelles, la crainte de la défaite et des représailles.

D'ailleurs, le principe de la guerre admis, n'est-il pas illogique d'essayer de limiter "au nom de l'humanité", une chose dont le but est de tuer le mieux et le plus possible ?
Quand on croit avoir le droit de tuer son prochain, on prend le droit de s'en débarrasser par tous les moyens...
Le gaz est certes atroce, mais où est la limite de l'atroce dans la guerre ?
Le gaz de combat tue et blesse comme les autres instruments de lutte.
Le projectile normal tue ou blesse suivant qu'il atteint un organe essentiel (coeur, grosse artère, cerveau) ou un organe secondaire (tissu musculaire, parties molles d'un membre). Une blessure pourra guérir ou entraîner la mort suivant qu'elle sera plus ou moins bien soignée.
Le gaz pourra tuer en empoisonnant le système nerveux ou le sang, ou en supprimant fonctionnellement le poumon.
Il blessera en irritant la peau, les yeux ou le larynx.
D'une intervention thérapeutique rapide et bien dirigée dépendra souvent la guérison d'un gazé.
L'assimilation est donc complète.

La guerre et l'humanité sont deux choses qui jurent d'être accolées ensemble.
La guerre est inhumaine dans son essence, dans son but, dans ses moyens.
De loin, on fait de beaux discours sur l'honneur qu'il y a à mourir pour la Patrie.
De près, c'est ignoble, c'est affreux, la guerre.
Et ça ne se codifie pas, ou, du moins, ça ne se codifie qu'en temps de paix.
Une guerre, ça se fait tout simplement.
Et ça se gagne ou ça se perd.
(...)
Les gaz avaient une double action : action réelle physique et action morale.
Des deux, l'action morale était peut-être la plus redoutable au début, alors que ce facteur était encore mystérieux, apportant avec lui toutes les terreurs et les hypothèses du danger inconnu, alors surtout que nos troupes n'étaient pas munies de moyens de protection ou n'avaient à disposition que des moyens rudimentaires et peu pratiques.
Peu à peu, le danger des gaz fut mieux connu ; par sa répétition, il devint familier ; les moyens de protection se perfectionnèrent et l'élément surprise disparut. Ainsi, l'action morale se réduisit à peu de choses. Seule subsista l'action réelle, les lésions physiques causées par les gaz.
Il suffit de se rappeler la panique et le nombre des victimes qu'occasionna la première vague pour se rendre compte de la force de ce facteur nouveau au moment de son apparition.
Si les Allemands avaient réservé leurs gaz pour la dernière année de la guerre, s'ils avaient sorti au mois de mai 1918, au grand complet, leur arsenal de vagues toxiques, d'obus suffocants et vésicants, ils eussent, peut-être, par ce moyen déloyal, violé la décision finale."
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Message par Daniel Laurent » Mardi 17 Juillet 2007 07:34:39

Bonjour,

Une petite anecdote familiale au sujet des 'effets secondaires" des gaz.
Mon grand-pere a ete gaze pres de Verdun, je n'ai pas de date precise a citer.

Il s'en est sorti en grimpant en vitesse hors de la vallee ou il etait, partageant un unique masque a gaz avec un camarade qu'il appellait "Mon poteau" lorsqu'il me racontait cela.
Son lieutenant et de nombreux soldats sont restes au fond de la vallee.

Tous les deux en sont restes asthmatiques pour le restant de leurs vies.
Chaque fois soit qu'il s'enervait, soit qu'il riait trop fort, il etait pris de quintes de toux epouvantables et sortait de sa poche un mouchoir a carreau grand comme une serviette de bain. La moindre grippe se soignait a l'hopital. C'est de cela qu'il est mort, il aurait pu, selon le medecin de famille, vivre encore au moins dix ans "'Si les poumons avaient ete bons".

C'est a lui que je dois mon interet pour l'Histoire, suite a une algarade lorsque j'ai choisi allemand en seconde langue vivante. Il ne voulait pas que son petit-fils parle "le boche".

Je lui ai demande pourquoi et il s'en est suivit des conversations qui ont dure jusqu'a sa mort. De tout ce qu'il m'a explique pour justifier sa haine du vert-de-gris, les gaz etait probablement le plus important et cela se comprends. Les gaz de 14-18 comme le Ziklon B d'ailleurs. Je l'entends encore vituperer "Y a que les boches pour pouvoir faire ca !".

J'ai attendu qu'il ne soit plus parmi nous pour faire mon premier voyage en Allemagne. Il n'aurait pas compris.
Cordialement
Daniel
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Message par Baron Percy » Mardi 17 Juillet 2007 22:45:25

Avec le recul historique, il est maintenant clair que si l'utilisation massive des gaz toxiques est indéniablement due à l'armée allemande, leur première utilisation, sous forme de grenades suffocantes, fut française.
En 1912, la préfecture de police du département de la Seine avait fait fabriquer une grenade chargée de substance permettant d'arrêter les malfaiteurs, testée lors de l'arrestation de la bande à Bonnot à Choisy-le-Roi.
Le gaz employé, le bromacétate d'éthyle, avait suffisamment convaincu pour que l'Etablissement central du matériel du génie se décide à adopter une grenade copiée sur le modèle en usage à la préfecture de police.
On fit usage de ce produit dès le début des hostilités, la chimie française étant mise à contribution, comme l'usine Poulenc.
Dès le début de l'année 1915, on imagina d'utiliser à grande échelle la grenade suffocante dans les tranchées, cette fois-ci remplie de chloracétone, une substance lacrymogène élaborée par Gabriel Bertrand, pharmacien et chimiste de renommée internationale travaillant à l'Institut Pasteur.
A la mi-mars 1915, dix mille grenades, dites grenades Bertrand, furent livrées dans les tranchées du front français, alors qu'étaient confectionnées quatre-vingt-dix mille paires de lunettes destinées à la protection des assaillants, que les troupes reçurent à partir du 20 avril 1915, juste avant l'utilisation du chlore par les Allemands le 22 avril à Ypres, sur le front de l'Yser.
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Message par Baron Percy » Jeudi 19 Juillet 2007 00:18:53

Pour conclure ce topic, il convient de citer quelques chiffres qui parlent d'eux-mêmes :

Russie : 419.340 gazés, 56.000 décédés - Total : 475.340
Allemagne : 191.000 gazés, 9000 décédés - Total : 200.000
France : 182.000 gazés, 8000 décédés - Total : 190.000
Empire britannique : 180.597 gazés, 8109 décédés - Total : 188.706
Autriche-Hongrie : 97.000 gazés, 3000 décédés - Total : 100.000
Etats-Unis : 71.345 gazés, 1462 décédés - Total 72.807
Italie : 55.373 gazés, 4627 décédés - Total : 60.000
Autres : 9000 gazés, 1000 décédés - Total : 10.000

TOTAL : 1.205.655 gazés, 91.198 décédés - 1.296.853 victimes.

Que cette litanie de terribles statistiques ne fassent pas oublier que derrière chaque unité se cache un homme qui est mort ou a souffert dans une guerre des gaz ayant terrifié tous ses acteurs et effraie encore leur postérité.
Qu'elle ne cache pas non plus les années de souffrance, après la guerre, de ce million deux cent mille hommes gazés dont la vie rendue pénible au quotidien a certainement été aussi raccourcie et qui sont devenus les dernières victimes de ce conflit, une fois les canons tus.
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