Tel est le titre de l'excellent ouvrage que je viens de lire sous la plume de Paul Voivenel et Paul Martin.
Cet ouvrage se présente comme le journal de deux médecins mobilisés dans le Service de santé de la Grande Guerre et décrit le quotidien d'une ambulance Z, formation spécialisée dans le traitement des blessés par les gaz.
La convention de La Haye (1899) avait cependant interdit l'emploi des gaz toxiques.
Spécialistes impitoyables de la guerre, les Allemands n'ont pas été arrêtés une minute par cette interdiction.
Je ne résiste pas au plaisir de vous livrer quelques réflexions issues de cet ouvrage :
"L'émission de la première vague chlorée dans le secteur d'Ypres, le 22 avril 1915, extériorisa le lent et prémédité travail de savants qui, déshonorant le laboratoire, n'étudiaient que pour empoisonner les peuples et la liberté.
Ils ont violé la neutralité de la Belgique et déchiré les traités parce qu'ils ont cru que la force qui courbe les corps avait aussi le pouvoir de mettre les âmes à genoux et de faire le droit.
Ils l'ont cru parce que cela avait été vrai en partie et que leurs succès des guerres précédentes semblaient l'avoir établi.
Dans les relations d'individus à individus, les gens habiles se servent souvent du code comme d'un pistolet. Les nations de proie feront ainsi et se serviront des engagements solennels pour mieux perpétrer leurs desseins. Une Belgique neutre permettait un passage plus facile qu'une Belgique armée jusqu'aux dents. L'interdiction des gaz par la conférence de La Haye avait détourné de cette question les spécialistes de la guerre, chez les peuples respectueux de leur signature.
A l'assassin, la crainte seule du gendarme.
Aux nations criminelles, la crainte de la défaite et des représailles.
D'ailleurs, le principe de la guerre admis, n'est-il pas illogique d'essayer de limiter "au nom de l'humanité", une chose dont le but est de tuer le mieux et le plus possible ?
Quand on croit avoir le droit de tuer son prochain, on prend le droit de s'en débarrasser par tous les moyens...
Le gaz est certes atroce, mais où est la limite de l'atroce dans la guerre ?
Le gaz de combat tue et blesse comme les autres instruments de lutte.
Le projectile normal tue ou blesse suivant qu'il atteint un organe essentiel (coeur, grosse artère, cerveau) ou un organe secondaire (tissu musculaire, parties molles d'un membre). Une blessure pourra guérir ou entraîner la mort suivant qu'elle sera plus ou moins bien soignée.
Le gaz pourra tuer en empoisonnant le système nerveux ou le sang, ou en supprimant fonctionnellement le poumon.
Il blessera en irritant la peau, les yeux ou le larynx.
D'une intervention thérapeutique rapide et bien dirigée dépendra souvent la guérison d'un gazé.
L'assimilation est donc complète.
La guerre et l'humanité sont deux choses qui jurent d'être accolées ensemble.
La guerre est inhumaine dans son essence, dans son but, dans ses moyens.
De loin, on fait de beaux discours sur l'honneur qu'il y a à mourir pour la Patrie.
De près, c'est ignoble, c'est affreux, la guerre.
Et ça ne se codifie pas, ou, du moins, ça ne se codifie qu'en temps de paix.
Une guerre, ça se fait tout simplement.
Et ça se gagne ou ça se perd.
(...)
Les gaz avaient une double action : action réelle physique et action morale.
Des deux, l'action morale était peut-être la plus redoutable au début, alors que ce facteur était encore mystérieux, apportant avec lui toutes les terreurs et les hypothèses du danger inconnu, alors surtout que nos troupes n'étaient pas munies de moyens de protection ou n'avaient à disposition que des moyens rudimentaires et peu pratiques.
Peu à peu, le danger des gaz fut mieux connu ; par sa répétition, il devint familier ; les moyens de protection se perfectionnèrent et l'élément surprise disparut. Ainsi, l'action morale se réduisit à peu de choses. Seule subsista l'action réelle, les lésions physiques causées par les gaz.
Il suffit de se rappeler la panique et le nombre des victimes qu'occasionna la première vague pour se rendre compte de la force de ce facteur nouveau au moment de son apparition.
Si les Allemands avaient réservé leurs gaz pour la dernière année de la guerre, s'ils avaient sorti au mois de mai 1918, au grand complet, leur arsenal de vagues toxiques, d'obus suffocants et vésicants, ils eussent, peut-être, par ce moyen déloyal, violé la décision finale."