par BRH » Samedi 05 Août 2023 11:16:14
Le point de vue de Michel Goya :
La déception de la Somme
En sept mois de préparation, aucun effort n’a été négligé pour faire de l’offensive sur la Somme la bataille décisive tant espérée. Loin des tâtonnements de 1915, la nouvelle doctrine a été aussi scientifique et méthodique dans la préparation qu’elle le sera dans la conduite. L’objectif de l’offensive d’été préparée avec tant de soins est de réaliser la percée sur un front de 40 km, pour atteindre ainsi le terrain libre en direction de Cambrai et de la grande voie de communication qui alimente tout le front allemand du Nord. Le terrain est très compartimenté avec, en surimposition des trois positions de défense, tout un réseau de villages érigés par les Allemands en autant de bastions reliés par des boyaux. La préparation d’artillerie, d’une puissance inégalée s’ouvre le 24 juin et ne s’arrête qu’une semaine plus tard, le 1er juillet après au moins 2,5 millions d’obus lancés (sensiblement sur 40 km tout ce que l’artillerie ukrainienne actuelle a lancé en 15 mois sur l’ensemble du front). L’offensive n’est ensuite n’est déclenchée qu’après avoir constaté l’efficacité des destructions par photographie. Comme prévu, l’aviation alliée bénéficie d’une supériorité aérienne totale, autorisant ainsi la coordination par le ciel alors que comme pour les Français au début de la bataille de Verdun, l’artillerie allemande, privée de ses yeux, manque de renseignements.
Dans cet environnement favorable, la VIe armée française de Fayolle s’élance sur seize kilomètres avec un corps d’armée au nord de la Somme en contact avec les Britanniques, et deux corps au sud du fleuve. Contrairement aux Britanniques, l’attaque initiale française est un succès, en partie du fait de l’efficacité des méthodes employées. Au Nord, le 20e corps d’armée français progresse vite mais doit s’arrêter pour garder le contact avec des Alliés qui, dans la seule journée du 1er juillet, paient leur inexpérience de 21 000 morts et disparus. Au Sud, le 1er corps colonial (un assaut que mon grand-père m'a raconté) et le 35e corps enlèvent d’un bond la première position allemande. En proportion des effectifs, les pertes totales françaises sont plus de six fois inférieures à celles des Britanniques, concrétisant le décalage entre la somme de compétences acquises par les Français et celle de l’armée britannique dont beaucoup de divisions sont de formation récente. Du 2 au 4 juillet, l’attaque, toujours conduite avec méthode, dépasse la deuxième position allemande et s’empare du plateau de Flaucourt. Le front est crevé sur huit kilomètres, mais on ne va pas plus loin car ce n’est pas le plan.
La réaction allemande est très rapide. Dès le 7 juillet, seize divisions sont concentrées dans le secteur attaqué puis vingt et une une semaine plus tard. La réunion de masses aériennes contrebalance peu à peu la supériorité initiale alliée. Dès lors, les combats vont piétiner et la bataille de la Somme comme celle de Verdun se transforme en bataille d’usure. La mésentente s’installe entre les Alliés et les poussées suivantes (14-20 juillet, 30 juillet, 12 septembre) manquent de coordination. Au sud de la Somme, Micheler, avec la Xe armée progresse encore de cinq kilomètres vers Chaulnes mais le 15 septembre Fayolle est obligé de s’arrêter sans résultat notable, au moment où les Britanniques s’engagent (et emploient les chars pour la première fois). Les pluies d’automne, qui rendent le terrain de moins en moins praticable, les réticences de plus en plus marquées des gouvernements, les consommations en munitions d’artillerie qui dépassent la production amènent une extinction progressive de la bataille. Après cinq mois d’effort, l’offensive alliée a à peine modifié le tracé du front. Péronne, à moins de dix kilomètres de la ligne de départ, n’est même pas atteinte. Les pertes françaises sont de 37 000 morts, 29 000 disparus ou prisonniers et 130 000 blessés. Celles des Britanniques et des Allemands sont doubles. En 77 jours d’engagement sur la Somme, la 13e DI n’a progressé que de trois kilomètres et a perdu 2 700 tués ou blessés pour cela.
La percée n’est pas réalisée et la Somme n’est pas la bataille décisive que l’on cherchait, même si elle a beaucoup plus ébranlé l’armée allemande que les Alliés ne le supposaient alors. C’est donc une déception et une nouvelle crise.
L’offensive de la Somme a d’abord échoué par excès de méthode. La centralisation, la dépendance permanente des possibilités de l’artillerie, la « froide rigueur » ont certainement empêché d’exploiter certaines opportunités, comme le 3 juillet avec le corps colonial ou le 14 septembre à Bouchavesnes devant le 7e corps. A chaque fois, ces percées, tant espérées l’année précédente, ne sont pas exploitées. Certains critiquent le manque d’agressivité de l’infanterie. D’un autre côté, pour le sous-lieutenant d’infanterie Jubert du 151e RI, « le fantassin n’a d’autre mérite qu’à se faire écraser ; il meurt sans gloire, sans un élan du cœur, au fond d’un trou, et loin de tout témoin. S’il monte à l’assaut, il n’a d’autre rôle que d’être le porte-fanion qui marque la zone de supériorité de l’artillerie ; toute sa gloire se réduit à reconnaître et à affirmer le mérite des canonniers ».
Les procédés de l’artillerie s’avèrent surtout trop lents. On persiste à chercher la destruction au lieu de se contenter d’une neutralisation, ce qui augmente considérablement le temps nécessaire à la préparation. Les pièces d’artillerie lourde sont toujours d’une cadence de tir très faible, ce qui exclut la surprise. De plus, le terrain battu par la préparation d’artillerie est si labouré qu’il gêne la progression des troupes et des pièces quand il ne fournit pas d’excellents abris aux défenseurs. L’artillerie avait le souci de travailler à la demande des fantassins mais ceux-ci ont eu tendance à demander des tirs de plus en plus massifs avant d’avancer, ce qui a accru la dévastation du terrain et les consommations de munitions. Compenser la faible cadence de tir nécessite d’augmenter le nombre de batteries, ce qui suppose de construire beaucoup d’abris pour le personnel ou les munitions et complique le travail de planification nécessaire pour monter une préparation de grande ampleur. Le temps d’arrêt entre deux attaques dépend uniquement de la capacité de réorganisation de l’artillerie. Or ce délai reste supérieur à celui nécessaire à l’ennemi pour se ressaisir.
Car la guerre se « fait à deux ». La guerre se prolongeant sur plusieurs années, phénomène inédit depuis la guerre de Sécession, les adversaires s’opposent selon une dialectique innovation-parade d’un niveau insoupçonné jusqu’alors. La capacité d’évolution de l’adversaire est désormais une donnée essentielle à prendre en compte dans le processus d’élaboration doctrinal qui prend un tour très dynamique. La puissance de feu de l’artillerie alliée terriblement efficace au début de juillet, est finalement mise en défaut. Les Allemands s’ingénient à ne plus offrir d’objectifs à l’artillerie lourde. Ils cessent de concentrer leurs moyens de défense sur des lignes faciles à déterminer et à battre. Constatant qu’ils peuvent faire confiance à des petits groupes isolés même écrasés sous le feu, ils installent les armes automatiques en échiquier dans les trous d’obus en avant de la zone et celles-ci deviennent insaisissables. En août, Fayolle déclare à Foch : « Enfin, ils ont construit une ligne de tranchés, je vais savoir sur quoi tirer ». Les Allemands vident les zones matraquées, amplifient le procédé de défense en profondeur, procédant à une « défense élastique » qui livre le terrain à l’assaillant, mais lui impose des consommations de munitions énormes et des attaques indéfiniment répétées. Malgré la puissance de l’attaque, ils réussissent ainsi à éviter la rupture de leur front.
Tant que les Français constitueront une nation, ils se souviendront de mon nom !
Napoléon