
En 1916, en Vendée, le Christ apparaît à une jeune bergère et lui confie la mision de bouter les Allemands hors de France. Claire Ferchaud rencontre le président de la République Raymond Poincaré pour lui confier le message du Christ. Mais pour que la France soit sauvée, il faut que la République, coupable d'avoir rompu avec le Vatican en 1904, revienne sur sa laïcité. L'affaire devient donc politique. Cette histoire est plus qu'un fait divers. À travers elle peut se lire l'angoisse des contemporains à l'égard d'une guerre qui n'en finit pas. Elle jette aussi un éclairage sur les rapports de l'Église et de l'État en cette période de la Grande Guerre. Du même auteur : Le Soldat inconnu vivant (1918-1942).
Premières lignes:
Extrait de l'introduction : En 1916, le Christ apparaît à une humble bergère du bocage vendéen et lui confie la double mission de bouter les Allemands hors de France et de restaurer les droits de Dieu piétines par le régime républicain. Claire Ferchaud, cette jeune fille de vingt ans que la presse baptise aussitôt la «nouvelle Jeanne d'Arc», passionne rapidement l'opinion catholique qui, dans le contexte de l'angoisse suscitée par le conflit, se demande si la solution ne vient pas des voies célestes. Soutenue par son évêque et par la frange la plus intransigeante et réactionnaire de l'Église de France, elle finit, grâce aux interventions répétées du député royaliste Baudry d'Asson, par rencontrer le président Raymond Poincaré pour lui délivrer le message divin : si l'on veut que la France l'emporte sur ses ennemis, il suffit simplement d'apposer l'emblème du Sacré-Coeur sur le drapeau tricolore, acte de foi symbolisant la fin de l'apostasie nationale et répondant aux demandes du Seigneur formulées deux siècles auparavant à Marguerite-Marie, la voyante de Paray-le-Monial. Devant ce drapeau frappé du signe de Dieu, les Allemands doivent reculer ou se convertir, et la France, à genoux devant la Providence, faire amende honorable et abjurer ses erreurs républicaines et anticléricales passées, retourner à la vraie foi et rétablir la monarchie après avoir chassé la franc-maçonnerie, alliée objective des Allemands lucifériens. Cette histoire pourrait sembler anecdotique, surtout si l'on considère que Raymond Poincaré n'a pas donné suite et n'a pas non plus été touché par la grâce divine comme le prévoyait Claire Ferchaud dans ses visions. Pourtant, il ne s'agit pas d'un fait divers anodin : l'histoire de Claire Ferchaud est celle d'une attente.
Revue de presse
Au départ, en 1916, les choses se présentaient plutôt bien pour la jeune Ferchaud (née en 1896). Alors que tous les belligérants croyaient en une guerre courte, le conflit n'en finit pas, laissant de terribles pertes. Pour terminer enfin l'affrontement, les attentes s'exacerbent et conduisent dirigeants et populations à se tourner vers les personnalités charismatiques qui ouvrent des voies d'espoir. Aussi, lorsque cette paysanne modeste de Loublande (Deux-Sèvres), inscrite dans la tradition vendéenne réactionnaire, s'annonce porteuse de messages du Christ, décisifs pour la victoire de la France, les enthousiastes ne manquent pas, tels ces pèlerins qui se rendent autour de la ferme familiale pour rencontrer, parfois en forçant la porte, l'héroïne d'un catholicisme de combat... Sans expliquer l'étonnant pouvoir de séduction de Soeur Claire, le récit de Jean-Yves Le Naour court jusqu'à la mort de la mystique en 1972 et à la survivance de son groupe. Il est appuyé sur une riche documentation : les archives de l'évêché de Poitiers comme celles de la communauté lui sont pourtant restées fermées. Claire et ses fidèles seraient-ils encore si inquiétants ?
Nicolas Offenstadt - Le Monde du 2 février 2007