Bruno Roy-Henry nous livre un texte de Maître Adrien Alric, qu'il nous présente comme l'avocat des "légalistes".
Me Alric a écrit :
Pour faire suite à l'excellent article de Jacques Macé Le corps de Napoléon est bien aux Invalides, paru dans RSN 445
Le qualificatif "excellent" paraît un peu hâtif. Certes l'article de Jacques Macé présente des qualités. Il n'est toutefois pas à l'abri de toute critique.
On peut notamment remarquer que Jacques Macé est tombé dans le même travers que le colonel Dugué Mac Carthy : la certitude de pouvoir opposer aux mauvaises hypothèses de Georges Rétif et Bruno Roy-Henry les bonnes hypothèses qui permettent de tout expliquer.
Ce faisant, Jacques Macé a choisi comme les auteurs qu'il entendait contredire de compléter les blancs et de s'avancer dans de multiples explications qu'aucune source ne vient étayer.
Pour ma part, je ne peux pas considérer une telle approche comme "excellente". L'historien doit pouvoir reconnaître son ignorance qui est souvent beaucoup plus vaste que ses connaissances.
Me Alric a écrit :
interrogeons-nous sur les raisons qui interdisent l'idée même d'une quelconque substitution.
"Interdisent" nous dit Maître Alric

. Serions-nous en présence d'un lapsus ? Pourquoi le choix d'un terme aussi malheureux ? Dans la recherche historique ou autre, aucune idée n'est "interdite". Nous ne sommes plus à l'époque des procès de Galilée ou de Giordano Bruno.
Me Alric a écrit :
1) Le mobile: Il en faut, semble-t-il, nécessairement un et l'on n'en trouve pas de convaincant.
Là, je suis plutôt d'accord : pas de mobile vraiment convaincant. Cela ne signifie pas pour autant que le vol du corps de Napoléon était totalement invraisemblable, même si nous n'en connaissons pas le motif.
Me Alric a écrit :
Seuls les fous peuvent agir sans connaître la nécessité d'un mobile.
Cet argument est peu convaincant. Nous ignorons le mobile de nombreux crimes et un grand nombre d'entre eux apparaissent comme des actes de folie. Par ailleurs, parmi les mobiles qui faisaient agir les hommes du passé, beaucoup peuvent nous apparaître aujourd'hui comme l'effet d'une folie collective, alors qu'à l'époque où les actes qu'ils ont motivés ont été accomplis, ils passaient pour tout à fait normaux.
Me Alric a écrit :
Or si Georges III était en état de démence, son fils, Georges IV, bien qu'ivrogne et jouisseur, était sain d'esprit
J'ai moi-même évoqué cet argument, en sachant toutefois qu'il devait être relativisé. Les diagnostiques relatifs à la santé mentale réalisés dans le passé (et d'ailleurs encore aujourd'hui) doivent toujours être pris avec une certaine prudence. La folie n'est pas une maladie comme une autre (est-ce bien une maladie, d'ailleurs ?). Son diagnostique varie d'une époque à l'autre. Un individu considéré comme fou à une époque ne l'aurait pas nécessairement été à une autre et inversement.
Par exemple, les sorcières et sorciers n'étaient pas considérés comme fous jusqu'à la fin du 17e siècle, mais au contraire souvent condamnés à mort. A partir du 18e siècle par contre, on aura tendance à les considérer comme fous et à les enfermer.
Au 18e siècle encore, un individu qui se regarde complaisamment dans le miroir en se disant qu'il est bel homme pouvait passer pour fou, alors que de nos jours, cela n'a plus grand-chose d'anormal.
Me Alric a écrit :
et, du reste, n'avait-il pas répondu à une requête du grand maréchal et de Montholon présentée le 21 septembre 1821 dès leur retour de Sainte-Hélène et réclamant la restitution du corps de Napoléon: « Le gouvernement anglais ne se regarde pas comme dépositaire des cendres de l'Empereur (sic) et qu'il le rendrait dès que le gouvernement français en témoignerait le désir! » Cela exclut l'idée ou l'arrière-pensée d'une appropriation du corps de l'Empereur
Enfin un argument intéressant et un peu neuf !
Me Alric a écrit :
même si le roi d'Angleterre pouvait penser que Louis XVIII ne ferait jamais une telle démarche.
Commentaire totalement dépourvu d'intérêt et de fondement historique. Maître Alric croit-il nécessaire qu'une petite touche de "perfidie anglaise" soit indispensable pour donner plus de crédibilité au témoignage qu'il cite ?
Me Alric a écrit :
2) Pourquoi l'Angleterre se serait-elle livrée à une comédie aussi macabre alors que maîtresse chez elle et donc à Sainte-Hélène, elle pouvait agir au grand jour
D'accord sur ce point. Mais on reste en fait sur la question du mobile. Maître Alric aurait donc dû rattacher cette question au point 1 et non ajouter un point 2 qui donne l'illusion d'un nouvel argument parfaitement distinct.
Me Alric a écrit :
et ce d'autant plus , qu'envisageant une telle éventualité, Lord Bathurst avait donné comme instruction à Hudson Lowe de ramener le corps de Napoléon en Angleterre s'il devait mourir pendant sa captivité ?
Aurait-il pu mourir à un autre moment que pendant sa captivité ? Cela signifie-t-il que les Anglais auraient envisagé sérieusement de mettre un terme à la captivité de Napoléon avant son décès ?
Citer :
Au demeurant, si la substitution avait eu lieu, l'Angleterre, pour sauver les apparences et cacher son forfait, aurait dû continuer, à grands frais, à assurer le gardiennage et la surveillance de la tombe comme elle le faisait depuis le 9 mai 1821.
Me Alric a écrit :
3) Les maîtres d'oeuvres : D'après Rétif de la Bretonne, Hudson Lowe et O'Meara auraient été chargés de cette sinistre besogne. Or, le premier a chassé le second de Sainte-Hélène et ce dernier s'est vengé en publiant un pamphlet dénonçant(...) le comportement ignominieux du geôlier de l'Empereur , allant jusqu'à écrire: « Si j'avais suivi les instructions de Hudson Lowe, Napoléon serait déjà mort ». Ennemis irréconciliables, pouvaient-ils collaborer pour réaliser la substitution en faisant abstraction de leur haine réciproque ?
C'est clair, c'est l'un des points les plus faibles du livre de Rétif. Il s'est laissé aller à une imagination de romancier et a voulu désigné des acteurs connus de ses lecteurs pour créer un effet de dramatisation purement littéraire.
Bruno Roy-Henry, pour sa part, même s'il prend quelques distances avec ces hypothèses peu étayées a le tort de ne pas s'en démarquer suffisamment, ôtant ainsi une part de crédibilité à un travail pourtant plus rigoureux.
De manière plus générale, on pourrait d'ailleurs mettre en doute la désignation des Anglais comme responsables d'une substitution, même si celle-ci était prouvée.
Mais comme pour le mobile, l'impossibilité de désigner avec une certitude absolue les "criminels" n'est pas en soi la preuve de l'inexistence du "crime".
Me Alric a écrit :
4) Les témoignages: Il s'agit de ceux qui ont assisté à l'inhumation en 1821 et à l'exhumation en 1840. Rétif de la Bretonne joue sur leurs divergences. Jacques Macé apporte à leur sujet des explications très pertinentes.
La pertinence des explications de Jacques Macé est toute relative.
Chacun des camps part d'une certitude. Les "substitutionnistes" sont convaincus de l'existence de la substitution et donc voient dans chaque divergence une preuve incontestable de la substitution.
A l'inverse, les "légalistes" affirment que la substitution n'a jamais eu lieu. Ils fournissent donc des explications tout aussi péremptoires que celles des "substitutionnistes", mais qui vont évidemment dans le sens d'une négation de la substitution.
C'est forcément un dialogue de sourds. Et c'est parfaitement stérile.
Il semble exister une méthode pour trancher cette question : les tests ADN qui permettrait d'exclure ou de confirmer l'hypothèse de la substitution.
Mais étrangement, les "légalistes" ne veulent pas en entendre parler, alors qu'ils sont sûrs qu'il s'agit bien du corps de Napoléon.
A quoi rime cette mascarade ? Est-ce un moyen de faire perdurer un débat qui offre une tribune à certains ? Ou s'agit-il simplement de l'application du principe que la bureaucratie ne revient jamais sur une décision ?
Me Alric a écrit :
Il convient, toutefois, de rappeler les circonstances de l'exhumation .
Dès le 14 octobre, vers 23 heures, les nombreux témoins de l'exhumation sont auprès de la tombe. Les travaux commencent à minuit et ne s'achèveront que le 15 octobre à 13 heures.
De nombreux ouvriers sont employés car la tombe est profonde et très solidement maçonnée. Il pleut toute la nuit, le vent souffle violemment. Tous ceux qui assistent sont debout, trempés jusqu'aux os, sans boire ni manger et de plus, aux prises avec une légitime angoisse.
Enfin les cercueils retirés de la tombe sont placés sous une grande tente et Ali, un parmi les témoins invités à se tenir à l'écart, nous décrit la scène de l'ouverture: « Les témoins se tenaient, par ordre, en rond à 5 ou 6 pas (3 mètres environ) du cercueil, le regard fixe, le cou tendu, s'exhaussant sur la pointe des pieds pour mieux voIr ».
Qu'ont-ils réellement vu et quels incontestables détails ont-ils pu dans ces conditions enregistrer dans leur mémoire alors que le linceul a laissé découvert le corps pendant « une ou deux minutes » et qu'ils étaient sous le coup d'une très grande émotion ? Quel crédit accorder à leurs écrits postérieurs à l'événement et portant sur des choses insignifiantes auxquelles on peut penser qu'ils n'ont eu ni le temps ni l'idée de prêter attention ?
Le beurre et l'argent du beurre, Maître Alric !
Comment peut-on tout à la fois remettre en doute la fiabilité des témoignages et en même temps considérer l'article de Jacques Macé comme excellent alors qu'il prend ces témoignages au pied de la lettre et entend répondre point par point sur les diverses divergences constatées par Rétif ?
Il faudrait un minimum de cohérence !
Soit les témoignages ne sont pas pleinement fiables, et alors il est inutile de répondre point par point aux diverses divergences constatées (c'est ma position, même si je reconnais que le bon état de conservation du corps pose un léger problème).
Soit les témoignages sont fiables et alors il faut admettre que le nombre de divergences constatées est anormalement élevé et que même si l'on répond point par point avec diverses hypothèses toutes plus astucieuses les unes que les autres, le doute persiste et les tests ADN paraissent la meilleure méthode pour y mettre définitivement un terme.Quid dès lors de l'exploitation faite par les « substitutionnistes » de témoignages forcément incertains ?
Me Alric a écrit :
Emmanuel Las Cases, qui était présent, a écrit: « Les témoins oculaires de 1840 avaient un souvenir tellement précis du 9 mai 1821, qu'ils étaient tous d'opinions différentes ». Quant au chef de mission, le comte de RohanChabot, il précise: « Monsieur le Général Bertrand, Monsieur Marchand et les autres personnes qui avaient assisté à l'inhumation nous indiquent les divers objets déposés par eux dans le cercueil, chacun était demeuré dans la position exacte qu'ils lui avaient assignée ».
Il serait peut-être bon d'identifier correctement l'Emmanuel de Las Cases qui a écrit le texte cité.
C'est le père ou le fils ?
Sinon, ça fait un peu bâclé comme travail.
Me Alric a écrit :
Quid dès lors de l'exploitation faite par les « substitutionnistes » de témoignages forcément incertains ?
Quid dès lors de l'exploitation faite par les « légalistes » de témoignages forcément incertains ?
Me Alric a écrit :
42 militaires furent mobilisés pour porter le lourd cercueil de 1 250 kg jusqu'à la route où un important convoi fut organisé pour gagner Jamestown avant qu'il soit hissé, avec quelles énormes difficultés, sur la Belle-Poule. Bien évidemment la substitution aurait nécessité le même nombre d'ouvriers, de militaires et aurait soulevé les mêmes difficultés, sans parler du transfert du port anglais jusqu'à l'abbaye de Westminster où une lourde dalle soulevée et une nouvelle et profonde tombe creusée aurait accueilli le quadruple cercueil.
Maître Alric manque vraiment d'imagination. Pourquoi la substitution se serait-elle déroulée suivant les mêmes circonstances que le rapatriement des cendres en 1840 ? Pourquoi exclure absolument l'hypothèse d'une ouverture des différents cercueils à Sainte-Hélène même pour n'emporter que le corps ?
Me Alric a écrit :
Et tout cela n'aurait laissé aucune trace dans les mémoires des innombrables témoins ? Pas un seul témoin, ni à Sainte-Hélène, ni en Angleterre pour relater, même sommairement, ce formidable événement de la substitution ? Beaucoup auraient vu mais tous se seraient tus à jamais. Invraisemblance Omerta...
Je trouvais que ce que j'avais écrit moi-même sur le sujet (
http://membres.lycos.fr/exhume/forum/phpBB2/viewtopic.php?t=151)était plus inspiré, mais bon, je ne suis sans doute pas très objectif...
Me Alric a écrit :
5) Une dernière raison, la plus importante, peut-être, s'oppose à la vraisemblance de la comédie de la substitution.
L'idée de la restitution des cendres à la France est due à l'initiative d'un député irlandais: O'Connel. Elle séduit la Reine Victoria et le cabinet anglais: voilà, en effet, une occasion de renforcer la Sainte-AIliance. Mais l'Angleterre ne peut envisager de faire officiellement une telle offre. Il faut agir plus... sournoisement: que la France fasse une demande de restitution et il y sera donné une suite favorable. Officieusement prévenu, Guizot, notre ambassadeur à Londres, alerte Thiers, président du Conseil, qui voit dans cette opération la possibilité de gagner, à la veille d'élections importantes les voix bonapartistes -la légende est à son zénith -et qui sans trop de difficultés convainc Louis-Philippe de donner son accord.
C'est la troisième version de cette histoire que je lis et elle ne correspond pas aux deux précédentes qui ne concordaient déjà pas entre elle. Il existe des textes pourtant...
Me Alric a écrit :
La question dès lors est simple :
S'il y a eu substitution, ce que ni la Reine ni le cabinet n'auraient ignoré, l'Angleterre aurait -elle pris le risque de proposer et d'accepter -rien ne pouvait l'y obliger -le retour des cendres ? Sachant qu'avant tout transfert du corps il serait nécessairement procédé à son identification qui aurait mis à jour la supercherie. Rendre les cendres d'un domestique, faire l'aveu de son ignominie, ajouter à la captivité son mépris, alors adieu à la Sainte-Alliance et bienvenue au scandale qui sur le plan international aurait été considérable, Albion apparaissant plus perfide que jamais. Non, la substitution n'est pas même concevable.
Après une telle question, elle devient plutôt concevable, car si c'était pour ne jamais rendre le corps, pourquoi se serait-on donner le mal de remplacer Napoléon par quelqu'un qui lui ressemble ?
N'aurions-nous pas enfin trouvé le mobile ? Les Anglais voulaient faire une bonne farce aux Français ! Certes le gag était coûteux et risqué, mais ça en valait la peine puisque 163 ans après, on en rit encore chaque matin dans la famille royale et au 10, Downing Street.