Ghislain Troquet, après cette énième malheureuse digression, j’essaie tant bien que mal de répondre à votre question, vous présentant ce petit résumé :
La gravure dite des « Five heads » était à l’origine considérée comme une œuvre du célèbre caricaturiste George Cruikshank (1792-1878). Elle avait d’ailleurs été répertoriée, sous le titre de « Napoleon Buonaparte and four of his suite », dans deux ouvrages consacrés à cet artiste et écrits respectivement par George William Reid et Richard John Hardy Douglas : « A descriptive catalogue of the works of George Cruikshank; etchings, woodcuts, lithographs, and glyphographs, with a list of books illustrated by him, chiefly compiled from the collections of Mr. Thomas Morson, Mr. Edmund Story Maskelyne, and Mr. Edwin Truman » (1871), et « The Works Of George Cruikshank : Classified And Arranged With References To Reid's Catalogue And Their Approximate Values » (1903).
Elle vint sur le devant de la scène en mai 1906 quand fut organisée à Londres par Sotheby, Wilkinson & Hodge la vente de la prestigieuse collection d’Edwin Thomas Truman (1818-1905).
Dans le catalogue de vente, on la trouvait sous le titre de « Portrait of Napoleon Bonaparte and four of his suite » avec un renvoi à la liste établie par Reid. Un commentaire l’accompagnait : « the only copy know ». Broadley (« Napoleon in caricature, 1795-1821 », 1911) précise que chaque portrait était accompagné d’un nom ; légendes, comme les croquis, que l’on disait être de la main de Cruikshank.
The Connoisseur (octobre 1906) en publia une photographie (sous le titre « Napoleon and four members of his suite at St. Helena », accompagnée du commentaire : « a probably unique Cruikshank print »), dans le cadre d’un article rédigé par Layard consacré justement à la collection Truman :

Une voix s’éleva cependant à cette époque pour s’interroger sur la gravure en question. Dans le Connoisseur de décembre 1906, le field-marshal Frederik-Paul Haines notifia en effet qu’il nourrissait des doutes sérieux sur le fait que Cruikshank puisse être l’auteur de la gravure de la collection Truman, et qu’il y voyait bien plutôt l’oeuvre d’Ibbeston. Il était justement propriétaire d’une version de cette estampe, héritage de son père (Gregory Haines), grand ami d’Ibbetson, qui lui avait transmis trente ans plus tôt un album contenant diverses caricatures, fruits du travail de ce dernier. Il précisait que la gravure était légendée d’une écriture différente de celle apposée sur la version de la collection Truman et accompagnée de la note suivante : “ Published 1st May, 1817, for the Proprietor, by J. Hassell, No. 27, Richard Street, Islington.”
Outre le Connoisseur, et postérieurement à la vente, une autre version de ladite gravure fut publiée cette même année 1906 dans « Napoleon's last voyages, being the diaries of Admiral Sir Thomas Ussher, R.N., K.C.B. (on board the "Undaunted"), and John R. Glover, secretary to rear Admiral Cockburn (on board the "Northumberland") » ; Cf. la deuxième illustration mon premier message.
Il s’agissait ici du prêt effectué pour l’occasion du collectionneur napoléonien Alexander Meyric Broadley. Ce dernier en possédait deux versions acquises à coût minime. A noter que lui aussi nourrissait des doutes sur l’auteur de l’oeuvre et (ne connaissant pas encore l’avis d’Haines) penchait pour W. Fowler, marchand à Sainte-Hélène à l’époque de la captivité. Une mauvaise lecture de la signature D.I. et une comparaison du profil impérial avec celui paru dans le « Tour Through the Island of St. Helena » du capitaine John Barnes (1817) lié à Fowler lui avait fait commettre cette erreur.
Broadley acquit finalement la gravure Truman chez les libraires londoniens Maggs qui l’avaient achetée lors de la vente de mai 1906. Celle-ci étant identique à l’un des deux exemplaires en sa possession, il décida de la céder à Richard John Hardy Douglas (lui aussi collectionneur et auteur de l’ouvrage cité plus haut). Ce dernier se délesta de sa collection consacrée aux travaux de Cruikshank peu avant à sa mort. Celle-ci fut en effet vendue en février 1911 par Sotheby, Wilkinson & Hodge, vente au terme de laquelle la gravure Truman prit le chemin des Etats-Unis, où on perd malheureusement sa trace.
Après les doutes notifiés en 1906, Broadley, trois ans plus tard, se pencha un peu plus sérieusement sur les gravures relatives aux « Five heads » qu’il possédait. Par comparaison de dessins et par une meilleure lecture de la signature, il conclut, comme Haines avant lui, que les croquis désignés jusque là comme œuvre de Cruikshank avaient bel et bien été réalisés par Ibbetson. N’ayant publié ces analyses qu’en 1911 dans son ouvrage sur les caricatures napoléoniennes puis l’année suivante dans « The Century Illustrated Monthly Magazine », c’est sans doute pour cela que la vente de la gravure offerte à Douglas, survenue la même année, n’évoqua pas Ibbetson mais, comme à l’origine, seulement Cruikshank.
Des deux « Five heads » d’origine, acquises par Broadley, on perd la trace de l’une, mais on peut suivre le parcours de l’autre, publiée par Hassel en 1817, et légendée et signée par Ibbetson. Comme dit dans mon premier message, ladite gravure fut achetée, suite au décès de Broadley, par George Nathaniel Curzon (1859-1925), lors de la vente tenue chez Hodgson & Co, en décembre 1916 ; suite à quoi elle fut léguée en 1926 à la mort de Curzon, à la Bodleian Library de l’université d’Oxford, où elle est encore conservée.
Autre tirage, également publiée chez Hassel en 1817 et légendée à la main : la gravure apparaissant dans « Letters of captain Engelbert Lutyens » en 1915 et relevant de la collection du docteur John Frederick William Silk (1858–1943), petit-neveu du médecin Alexander Baxter, inspecteur-délégué des Hôpitaux à Sainte-Hélène de 1816 à 1819.
J’ignore ce qu’est devenue cette gravure, mais elle apparut dans la vente organisée par Sotheby, Wilkinson & Hodge, le 5 mai 1921. Intitulée « Napoléon with four of his suite », elle était alors, malgré les déclarations de Haynes puis de Broadley, encore attribué à Cruikshank
Restent les deux lithographies colorisées découvertes lors de la vente organisée par Art +Object le 29 juin 2010, à Auckland. Elles provenaient de la collection appartenant aux descendants de Frederick-Henry Ibbetson, fils de Denzil, né à Sainte-Hélène en décembre 1819 et arrivé en Nouvelle-Zélande en 1864.