"Duroc était d'une bonne famille. Son père, gentilhomme de la province d'Auvergne, sans fortune, servant dans un régiment de cavalerie en garnison à Pont-à-Mousson, s'y maria, et. s'établit dans cette ville. Duroc, placé comme élève du roi à l'École militaire qui y existait alors, fut destiné au service de l'artillerie, débouché le plus sûr. carrière la plus avantageuse autrefois pour un gentilhomme qui n'avait ni appui ni protection. Il y entra en même temps que moi, et nous fûmes reçus élèves sous- lieutenants à Chalons, au commencement de janvier 1792. Plus tard, une partie de l'école ayant émigré, Duroc alla rejoindre l'armée des princes et fit le siège de Thionville. Son bon sens naturel lui ayant promptement fait apprécier la confusion qui régnait parmi les émigrés, il rentra en France, et vint à Metz, où moi-même, reçu officier, j'étais en garnison. Il me fit confidence de ce qui lui était arrivé, et de sa résolution de reprendre du service. Le gouvernement ferma les yeux sur son absence momentanée, mais le contraignit à subir l'examen de sortie, et à retourner à Châlons pour y reprendre sa place d'élève. Quelque temps après, et cette formalité étant remplie, il rejoignit le quatrième régiment d'artillerie. De là, il passa dans une compagnie d'ouvriers employée à l'armée de Nice. C'est là que je le retrouvai en 1794.
Duroc continua à servir dans son arme, et devint aide de camp du général Lespinasse, commandant l'artillerie de l'armée d'Italie. Après la bataille d'Arcole, le général Bonaparte ayant perdu plusieurs aides de camp, et m'ayant consulté sur les officiers qui pouvaient les remplacer, je lui proposai et lui présentai Duroc qui fut admis. Voilà l'origine de sa fortune. Duroc se l'est toujours rappelé, et m'a constamment voué une amitié très-vive, que le temps n'avait fait que consolider. Il fit. en qualité d'aide de camp, le reste des campagnes d'Italie et la campagne d'Egypte. Arrivé au grade de colonel quand le général Bonaparte devint premier consul, il eut l'administration de sa maison. Puis, quand Napoléon prit la couronne impériale, il fut grand maréchal avec une autorité très-étendue, et investi d'une confiance sans bornes. Duroc eut diverses missions diplomatiques à Berlin et à Pétersbourg, qu'il remplit à la satisfaction de l'Empereur. Il était le centre de mille relations diverses. L'Empereur le chargeait souvent de travaux étrangers à ses fonctions habituelles, et il s'en acquittait toujours bien. Aussi fut-il toujours surchargé de besogne, accablé de fatigues et d'ennuis, et au point de murmurer souvent contre la faveur et les grandeurs.
Le duc de Frioul avait un esprit sans éclat, mais sage et juste; peu de passions, mais une profonde raison et une ambition bornée. Les faveurs sont venues le chercher plus souvent qu'il n'a couru après elles. Naturellement réservé, son commerce était sûr, et jamais on n'eut à lui reprocher la plus légère indiscrétion. Étranger au sentiment de la haine, il n'a nui personne; mais, au contraire, il a rendu une multitude de services à des personnes qui l'ont ignoré. Une réclamation juste et fondée l'a toujours trouvé bien disposé, et il faisait auprès de l'Empereur telle démarche qu'il croyait utile, sans jamais s'en faire de mérite auprès de celui qui en était l'objet. Simple, vrai, modeste, probe et désintéressé, son caractère froid l'aurait empêché de se dévouer pour un autre, de se compromettre pour le servir; mais, dans sa position, c'était déjà beaucoup que de rencontrer, si près du pouvoir suprême, un homme sans malveillance; car tout ce qu'on peut raisonnablement désirer et espérer, c'est d'y trouver, en outre de la justice, une bienveillance active quand elle est sans danger. Duroc était bon officier, et il a regretté d'être éloigné du métier pour lequel il avait de l'attrait. Très-utile à l'Empereur, il lui a fait souvent des amis. Ses opinions, toujours sages, lui perînettaient, en les exprimant, de s'élever avec une certaine indépendance, quoiqu'il craignit beaucoup Napoléon. S'il eut vécu pendant l'armistice de 1813, peut-être aurait-il eu sur l'Empereur une influence utile et lui aurait-il fait sentir les in-convénients qui devaient résulter de la reprise des hostilités, Mais Napoléon, après l'avoir perdu, n'avait près de lui alors presque que des flatteurs: et de ceux-là seuls il aimait les conseils."
_________________ "Tant que les Français constitueront une Nation, ils se souviendront de mon nom."
Napoléon.
|