Inscription : 14 Déc 2002 16:30 Message(s) : 15636
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Pour le général Compans qui, ayant neuf heures d'avance sur les deux maréchaux[57], avait pu passer librement à la Ferté-Gaucher le 26 mars, il se dirigea vers Meaux par la grande route de Coulommiers. Cette ville était occupée par le général Vincent, qui s'y était replié de Montmirail à la pointe du jour avec deux cents fantassins et cent dragons et gardes d'honneur, et avait rallié, à force de menaces et de prières, cinq ou six cents fuyards de Marmont[58]. La cavalerie prussienne était en vue. Après une courte halte, Compans et Vincent se remirent en marche vers Meaux où ils arrivèrent le 27 mars dans la matinée[59]. L'importance de la position de Meaux était reconnue depuis longtemps. On y avait accumulé les munitions de guerre : vingt-sept mille gargousses, trois millions de cartouches. Mais depuis la veille seulement, on avait commencé quelques travaux de défense. L'armement consistait en sept pièces de 8 ; la garnison se composait de 3.440 hommes[60]. C'étaient presque tous des conscrits et des gardes nationaux, et ils ne valaient pas ceux de Pacthod. Leur chef, le général Ledru Desessarts, les dépeignait ainsi : Les gardes nationaux font pitié, mal tenus, mal commandés et ne sachant pas tenir leurs fusils qui sont d'une malpropreté dégoutante. Deux jours plus tard, le brave Compans devait dire à son tour : J'ai la douleur de constater qu'on ne peut pas avoir de plus mauvaises troupes[61]. Cependant des lettres pressantes du ministre de la guerre, annonçant des renforts, enjoignaient à Ledru Desessarts de tenir désespérément dans Meaux. C'est le salut de Paris, écrivait Clarke[62]. L'arrivée de Compans et de Vincent, qui amenaient avec huit bouches à feu un millier de fantassins et environ 1.300 cavaliers des 8e et 10e de marche et des fuyards de Marmont[63], élevaient la garnison à près de 6000 hommes, nombre encore bien insuffisant vu l'étendue de la position à défendre. Les trois généraux se résolurent néanmoins à disputer le passage de la Marne. Compans s'établit dans Meaux et dans le faubourg du Cornillon, Ledru Desessarts prit position à Trilport, Vincent posta sa cavalerie sur la rive gauche, à Saint-Jean-les-Deux-Jumeaux, où quelques centaines de gardes nationaux des environs vinrent volontairement se joindre à la troupe[64].
Vers quatre heures de l'après-midi, les têtes de colonnes de l'armée de Silésie débouchèrent parla route de la Ferté-sous-Jouarre. Vincent s'engagea résolument contre la cavalerie du général Emmanuel, mais craignant bientôt d'être enveloppé par la division Horn, qui dessinait un mouvement vers Montceau, il se replia sur Trilport où il passa la rivière. L'ennemi le suivit de près. Les gardes nationaux de Ledru Desessarts, qui occupaient Trilport, s'enfuirent aux premiers coups de feu, sans même essayer de couler le bac. En peu de temps les assaillants eurent pied sur la rive droite. Vincent tenta une charge. La moitié de ses cavaliers, — c'étaient les fuyards de Marmont, tournèrent bride au commandement de : En avant ! Ni paroles ni coups de plats d'épée ne purent arrêter la panique. Toutes les troupes se précipitèrent en désordre dans Meaux. Le jour tombait. La cavalerie du général Emmanuel et un parti d'infanterie prussienne prirent position entre les routes de la Ferté-sous-Jouarre et de Soissons, tandis qu'une autre colonne prussienne venait s'établir devant le faubourg du Cornillon. Meaux ne paraissait plus tenable ; les généraux se résignèrent à évacuer la ville dans la nuit. À dix heures, les troupes se mirent en marche vers Claye. L'arrière-garde fit sauter le magasin à poudre dont l'explosion détruisit un grand nombre de maisons du faubourg de Paris[65].
Le lendemain, 28 mars, nouveau combat, nouvelle retraite. Dans la matinée, les Prussiens attaquèrent vigoureusement Claye. Au moment où l'on abandonnait ce village, arrivèrent des renforts de Paris : 3.000 fantassins des dépôts de la garde, trois escadrons de lanciers polonais et 400 cuirassiers formant le 12e de marche de cavalerie[66]. Compans prit position en arrière de Claye, et laissant déboucher dans la plaine l'infanterie prussienne, il la fit soudain charger par tous ses cavaliers. Trois cents hommes tombèrent sous le sabre, cinq cents se rendirent prisonniers ; le reste de la colonne se rejeta précipitamment dans Claye. L'ennemi revint en forces. Compans continua sa retraite de position en position jusqu'à Ville-Parisis, qu'il dut évacuer après un nouveau combat. Le soir, il établit ses bivouacs à Vert-Galand, à quatre lieues de Paris[67].
[57] Compans était parti de Sézanne le 25 à minuit tandis que les deux maréchaux n'en étaient partis qu'à 9 heures du matin, le 26. [58] Journal de Vincent, et Vincent à Berthier, Meaux (27 mars). Arch. de la guerre. — Il y avait, dit Vincent, 1.200 cavaliers et un millier de fantassins. Je parvins à rallier 600 ou 700 cavaliers et quelques fantassins, les autres ne voulant rien entendre continuèrent leur route vers Meaux. Ledru Desessarts, commandant de Meaux, signale à son tour le passage de cette colonne de fugitifs dans sa lettre à Clarke du 26 mars, 8 heures du soir : 12 à 1.500 hommes en désordre ont passé par la porte du Cornillon sans que j'aie pu les arrêter. [59] Journal de Vincent. Ledru Desessarts à Clarke, 27 mars, 2 heures après-midi. Arch. de la guerre. [60] Ledru Desessarts à Clarke, 24 et 26 mars. Situation de la subdivision de Seine-et-Marne (garnison de Meaux) au 26 mars. Arch. de la guerre. [61] Ledru Desessarts à Clarke, Meaux, 23 mars ; et Compans à Clarke, Meaux, 27 mars. Arch. de la guerre. [62] Clarke à Ledru Desessarts, 26 et 27 mars. Arch. de la guerre. [63] Ledru Desessarts à Clarke, 26 mars. Cf. Registre de Berthier (ordres du 20 mars) et Registre de Bernard (lettre à Mortier, 24 mars). [64] Journal de Vincent ; Vincent à Berthier et Ledru Desessarts et Compans à Clarke, 27 mars. Arch. de la guerre. — Vincent donne ce détail curieux. Je remarque le mauvais aspect de la gendarmerie. Elle n'est d'aucune utilité sous le rapport de la police civile ou militaire. Les officiers que j'ai appelés refusent tous de se prêter au bien du service. [65] Journal de Vincent. Ledru Desessarts et Compans à Clarke, 20 et 28 mars. Mémoires de Langeron. Arch. des Aff. étrangères. Cf. Schels, Operax. der verbündeten Heer. gegen Paris. II, 10e, 110. [66] Clarke à Napoléon, 28 mars, à Joseph, 27 mars. Journal de Vincent. Arch. de la guerre. [67] Compans à Clarke, Vert-Galant, 29 mars, 8 heures du matin. Journal de Vincent. Arch. de la guerre. Cf. Schels, II, 124, 125 ; Bogdanowitsch, II, 139. Les historiens étrangers portent seulement à 200 le chiffre des prisonniers faits à Claye.
Louis Madelin.
Récapitulons :
Ledru des Essarts commande la garnison de Meaux. Il dispose de sept pièces de 8. Et de 3 440 hommes, pour moitié, de conscrits mal habillés, mal entraînés, ne sachant pas tenir un fusil et pour l'autre, de gardes nationaux à peu près dans le même état et surtout, mal commandés.
Compans amène un millier de fantassins et huit canons. Vincent est à la tête de 1 300 cavaliers.
Curieusement, Compans est chargé de tenir Meaux et Ledru doit s'avancer pour tenir Trilport et ses abords. Mais, avec les médiocres troupes dont il disposait, il était peu probable qu'il réussît. Ledru commandant la garnison de Meaux, il eût dû y rester, quitte à détacher ses moins mauvaises troupes auprès de Compans dont les soldats étaient plus solides. Le fait de n'avoir pas enlevé les embarcations sur la rive gauche de la Marne, non plus que le bac, fut une inconcevable chance laissée à l'ennemi !
Mémoires de Langeron :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k ... texteImage
_________________ "Tant que les Français constitueront une Nation, ils se souviendront de mon nom."
Napoléon.
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