Les maréchaux de Napoléon, 1804-1815, article signé Jean Savant, dans la revue CRAPOUILLOT , n° 25. 1954. Berthier (1753-1815)
"Le plus honnête fut Berthier. Et pour cause ! Napoléon le déchargeait du moindre souci relativement à son porte-monnaie, et Berthier croulait sous les bienfaits de son patron. L’autre lui devait au moins cela !
Quand Bonaparte, en 1796, avait été nommé commandant en chef de l’armée d’Italie, il possédait bien le génie d’exterminer l’humanité par petits et gros paquets, et qu’on appelle la stratégie, mais il eut été fort incapable de commander une simple demi-brigade.
Il connaissait son ignorance sur ce point, comme sur tant d’autres. Aussi prit-il la précaution, en même temps que le Directoire signait le décret le concernant, d’en faire signer un deuxième lui assurant le concours absolument indispensable du plus capable de tous les chefs d’état-major de l’armée française, autrement dit le concours de Berthier. Car seul M. Madelin peut se permettre de croire que Bonaparte découvrit en Italie, « par un prodigieux instinct » (sic), ce « petit homme aux cheveux crépus. »
Alexandre Berthier aurait pu être le père d’un garçon de l’âge de Bonaparte. Versaillais, né e 1753, ingénieux, brillant officier sous Louis XVI, déjà colonel en 1789, cet homme destiné à être le major général de Napoléon, était dès le lendemain de la prise de la Bastille, le major général de la garde nationale. Puis il fut le chef d’état –major de Rochambeau, de La Fayette, de Luckner, de Biron etc. Chaque fois qu’une armée prenait de l’importance, on y envoyait Berthier en qualité de major général, on l’envoya encore à l’armée des Alpes et d’Italie, puis à l’armée des Alpes. De là, il organisa l’état-major de Bonaparte, qui trouva tout paré à son arrivée au QG.
Otez Berthier à Napoléon, et livrez-vous à toutes les hypothèses…le plus net résultat fourni par cette soustraction se traduit par un mot : Waterloo. Pendant quinze ans et plus, Napoléon s’évertua à dénigrer Berthier. A le caractériser comme un zéro. Il disait cela à des civils. Avec des militaires, il ne pouvait pas en imposer. A ceux-là, il aurait eu du mal à dissimuler que Berthier lui était « indispensable », l’armée étant, avouait-il, » habituée à lui obéir comme à moi » . (Caulaincourt, III, 65.) Au reste, si incommensurables étaient les services à lui rendus par Berthier, qu’il les payait follement, outrageusement. Car n’était-ce pas un outrage à la nation que de donner chaque année, au bas mot, un milliard de nos francs, au dit Berthier.
Maréchal, prince de l’Empire, grand veneur, ministre, grand aigle et chef de la 1° cohorte de la Légion d’honneur, Napoléon lui offre le château de Chambord et le château de Grosbois. Il le fait souverain. Berthier a ses états : il est prince de Neuchâtel et Vallengin, bat monnaie et a une troupe. Puis prince de Wagram. Comme son patron, il entre dans » la famille des rois » en épousant une princesse allemande. Il est aussi prince vice-connétable. Les dotations pleuvent, pleuvent….Napoléon n’a même pas le temps de régulariser ses comptes avec lui. A telle époque, il lui doit notamment (sur l’année en cours) 1 500 000 francs (450 de nos millions !) (Arch. Nat., AF. IV. 904) Ces fabuleuses distributions d’or ne profitèrent pas à Berthier. Il travaillait comme quatre et les guerres étaient continuelles. Avec cela, familier de Napoléon, celui-ci ne le ménageait pas, le rudoyait sans retenue. En 1812, pendant la campagne de Russie, il alla jusqu’à l’offenser gravement par deux fois. Aussi, en 1814, Berthier ne fut-il pas le dernier à Fontainebleau. On le comprend.
Il eut à peine une année de repos. L’année suivante, napoléon revient de l’île d’Elbe. Berthier suivit Louis XVIII, puis se retira dans sa famille, à Bamberg. Sa mort, le premier Juin 1815 (17 jours avant Waterloo) reste inexpliquée. On vit son corps tomber d’une fenêtre. D’aucuns estiment qu’il se suicida. Pourquoi ? D’autres qu’on le précipita. C’est sans doute plus vrai."
_________________ "Tant que les Français constitueront une Nation, ils se souviendront de mon nom."
Napoléon.
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