L'Énigme des Invalides

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Message Publié : 05 Avr 2010 14:08 
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LE MANIFESTE
DU COMTE DE PARIS
JUGÉ PAR LE PRINCE VICTOR

M. Robert Mitchell, de retour de Bruxelles où il avait été mandé par le prince Victor, a bien voulu donner audience à l'un de nos
reporters, et lui faire connaître de quelle façon le Prince dont il a embrassé la cause envisage la politique du manifeste de Monseiigneur le comte de Paris et spécialement ce qui, dans le manifeste, à trait au plébiscite.
Il était assurément intéressant de connaître cette opinion du jeune Prince; aussi, à cette même place où nous donnions, il y a quelques jours, le jugement indépendant de M. J.-J. Weiss, nous croyons devoir donner la conversation qu'un de nos collaborateurs a eue, sur le même sujet, avec M. Robert Mitchell, interprète fidèle et dévoué de la
pensée dont il a reçu la confidence.

Le Gaulois, en ces derniers temps, par la plume de ses divers collaborateurs politiques, et notamment de M. Louis Teste, qui s'est
trouvé le plus engagé dans le débat, a discuté courtoisement avec le Pays au sujet de la prétention des bonapartistes au monopole de
l'appel au peuple. A coup sûr, une voix importante entre toutes à entendre dans cette controverse, était celle du prince Victor.
Le Prince, nous a dit M. Robert Mitchell, a longuement étudié le manifeste après quoi, il l'a discuté, mais sans y apporter aucune espèce de passion; seule, une crainte, chez lui, a survécu à la lecture de ce document.

Il craint que le pays ne se trompe sur la façon dont il convient d'interpréter les instructions du comte de Paris, au point de vue du plébiscite.

̃ "Le régime plébiscitaire n'est pas seulement, pour les Napoléon, la recon-naissance, la création d'un droit, mais bien ce régime particulier qui admet dans une certaine mesure, et pour les questions
d'ordre constitutionnel, la collaboration du peuple et de l'Empereur.

Voici, du reste, exactement, comment, sur ce sujet, le Prince s'exprime
« Lorsque, dit-il, le comte de Paris fait des déclarations démocratiques, lorsqu'il parle de l'appel au peuple, je crains qu'il ne se fasse illusion sur sa propre sincérité.

A l'Assemblée nationale de 1871, lorsque la question du plébiscite fut posée, il se trouva quatre-vingts députés de la gauche pour voter affirmativement, tandis que les royalistes, qui avaient la majorité et pouvaient par conséquent faire triompher le principe, le repoussèrent à
l'unanimité.

Au 16 Mai, au lieu de poursuivre un simple changement de majorité dans l'Assemblée nationale, les royalistes, qui dominaient le gouvernement et partageaient avec les bonapartistes la prépondérance, auraient pu ce qu'ils se sont bien gardés de faire indiquer comme but, au pays, l'appel au peuple. Le succès n'eût pas été douteux, car le peuple aime à savoir où on le conduit. M. Rouher en fit la proposition et ne fut pas écouté.

Au moment où la restauration du comte de Chambord était considérée par quelques-uns comme imminente, il fut question de confier à une Assemblée le soin de rétablir la royauté mais jamais aucune voix orléaniste ne s'éleva pour conseiller la ratification plébiscitaire.

Les orléanistes ont sur nous cette supériorité immense qu'ils n'hésitent jamais à se loger dans les coquilles des autres nous assistons, en ce moment à la croisade du Bernard l'Ermite.

» Voulez-vous, a continué le Prince, parlant à M. Robert Mitchell, que nous examinions le manifeste à un autre point de vue?

Le comte de Paris ne dit pas devant qui les ministres seront responsables; je veux supposer que, dans son esprit, il songe à les rendre responsables devant la Chambre.

» Mais cette Chambre à laquelle il prétend accorder un pouvoir considérable, il place l'armée au-dessus de son contrôle
en voulant établir la permanence, l'inamovibilité du ministre de la guerre.

» D'autre part, par une innovation har- die, introduite dans notre législation, il demande que le budget soit assimilé aux lois ordinaires.

« En d'autres termes, il enlève, dans une certaine mesure, le droit de contrôle à ceux qui paient l'impôt du sang, et il admet la suppression éventuelle de ce droit pour ceux qui paient l'impôt de l'argent.

» Je prévois l'objection qui, sur ce point, me serait faite. On me dira que, sous l'Empire, le ministre de la guerre n'était responsable que devant le souverain.

» Oui. Mais, de par la Constitution de 1852, l'Empereur était et demeurait responsable devant le peuple, tandis que le comte de Paris, s'il était agréé par le peuple, ne serait plus responsable que devant Dieu. Voilà la différence.

» L'assimilation du budget à une loi ordinaire présente de graves inconvé-nients. On peut limiter les dépenses, bien qu'il y en ait d'impossibles à prévoir. Un exemple je lisais ce matin qu'il y avait 26,000 détenus dans les prisons; suppo- sez que, le comte de Paris régnant, il y en ait, une année, davantage un virement alors sera nécessaire.

» Evidemment, ce n'est là qu'un très minuscule exemple mais, dans l'administration financière d'un grand pays comme, la France, les dépenses imprévues s'imposent fréquemment.

» Admettons que l'on puisse limiter toutes les dépenses par contre, on
ne pourra empêcher les recettes de changer d'année en année. Par suite de modifications apportées au règlement sur les sucres, il y a cette année un déficit de six millions; un autre déficit également de six millions existe à l'heure actuelle sur les tabacs, et le chiffre, à la fin de l'année, sera bien certainement porté à douze millions.

» Comment parer à ces insuffisances, si le Roi, les ministres et les Chambres ne s'accordent pas pour apporter au budget les modifications jugées indispensables ?

» A la rigueur, et bien que ce ne soit pas dans mes idées, on pourrait créer, comme en Angleterre, des dépenses obligatoires, sauf accord du Roi, des ministres et des Chambres. Mais de cela, le comte de Paris n'a pas parlé dans son programme.

» Je n'admets pas que les lois de finances puissent être votées à titre égal par des sénateurs nommés par le souverain et par des députés élus par la nation. L'Empereur, délégué du peuple souverain, aurait pu considérer les sénateurs comme élus au second degré par le pays. il ne l'a pas voulu, et il ne leur a pas conféré un mandat législatif.

» En résumé, la distinction capitale qu'il y a lieu d'établir entre le plébiscite tel qu'il apparaît dans le manifeste du comte de Paris et les plébiscites impériaux, c'est que le plébiscite royal n'est qu'une reconnaissance du droit du Roi, tandis que le plébiscite impérial est l'af-firmation de la souveraité du peuple. Le comte de Paris fait connaître la
Constitution qu'il entend octroyer à la France; l'empereur Napoléon III, au contraire, soumit au vote de la France la Constitution, qui obligeait à la fois et le peuple et l'Empereur. ̃

» Et, dans la suite, il ne put la modifier sans un plébiscite

Croyez-vous, a dit alors M. Robert Mitchell, que l'effet produit par le manifeste ait été appréciable ?

Le manifeste pourrait produire un effet fâcheux, si l'on supposait qu'il
pût y avoir identité entre l'Impérialisme et la Royauté c'est contre cette opinion qu'il vous faut réagir. Tant que l'union conservatrice n'a été qu'une ligue de protection pour le triomphe de certaines idées communes, j'ai pu laisser faire; mais, aujourd'hui que l'on propose, comme but final de l'effort conservateur, la restauration d'une
monarchie qui emprunte provisoirement un masque démocratique, pour mieux tromper le peuple, je dois évidemment changer mes résolutions.

» L'accord conservateur a subi, depuis quelques années, une influence le plus souvent hostile aux idées démocratiques. On peut retracer aisément les diverses phases de son évolution.

» Tout d'abord, nous avons eu l'union conservatrice, qui n'était qu'une ligue de protection contre l'oppression républicaine.

» L'union conservatrice est devenue l'union solutionniste, qui devait s'efforcer de renverser le régime existant en se désintéressant à l'avance de la solution à intervenir. Nous en sommes, aujourd'hui, à l'union monarchique, qui entend désigner très clairement le but la monarchie, sans même laisser dans l'ombre le nom du monarque Philippe VII !

» Union monarchique, Union et monarchique, deux mots qui jurent ensemble. Union, plusieurs Monos, seul! c'est contraire à la lois à la logique et au sens commun, » ajoute le Prince en souriant.

Voilà ce que m'a dit le prince Victor, ajouta M. Robert Mitchell; comme je ne supposais pas que cette conversation serait publiée, je n'ai pris aucune note,mais vous devez vous fier à la fidélité de ma mémoir.

Nous awns parié aussi du général !


« J'ai beaucoup blâmé, m'a dit le Prince ceux qui l'ont attaqué mais je
blâme également ceux qui, aujourd'hui, attaquent, le général Ferron il ne faut jamais toucher au chef de l'armée. Il est peut-être malheureux d'avoir un ministre dont on se défie, mais il est plus malheu- reux encore d'affaiblir son autorité aux yeux du soldat, son prestige devant l'Europe. »

Parlant de, la Droite républicaine, le Prince m'a dit qu'il ne blâmerait jamais quelques conservateurs du souci qu'ils pouvaient avoir d'améliorer le gouvernement du pays. Mais dans le cas actuel, la Droite républicaine, d'après lui, ne saurait faire œuvre utile; bien au contraire, quand un
pays est malade, ce n'est pas l'accident de la maladie, mais bien la maladie elle-même, qu'il faut guérir. Or la France souffre en ce moment d'une maladie constitutionnelle.

En terminant, le Prince a dit

« Alors même que le manifeste du comte de Paris serait une véritable
avance faite aux défenseurs de la souveraineté nationale, une transaction localement conçue et sincèrement proposée, nous avons le devoir de la repousser; les Napoléon et leurs partisans ne peuvent,
en effet, rien céder des droits populaires qu'ils ont mission de défendre, et toute transaction suppose un abandon partiel. »

II n'est pas dans nos habitudes de manquer jamais de respect à aucun des princes dont le nom ne fait qu'un avec l'histoire de la France. Nous ne faillirons pas aujourd'hui à ce devoir, alors même que le prince Victor nous semble y avoir un peu contrevenu lui-même.

Nous nous attacherons, dans un examen très sommaire des critiques et des doutes émis par le prince Victor sur le manifeste de Monseigneur le comte de Paris, au tond plutôt qu'à la forme. Au fond, le prince Victor nous paraît préoccupé gravement et il n'a pas cherché à le dissimuler à son interlocuteur de la brèche que la Monarchie vient de faire dans la principale forteresse du bonapartisme, dont il se considère dès aujourd'hui comme l'héritier, en montrant que l'appel au peuple n'étaitpas la propriété exclusive d'une famille et d'un parti, et que la Monarchie ne répugnait pas plus au plébiscite que l'Empire. Monseigneur le comte de
Paris a même dit qu'entre les diverses formules d'approbation parlesquelles le pays pourrait ratifier la restauration de la Monarchie, le plébiscite était la plus à son gré.

Cette déclaration gêne et trouble évidemment le prince Victor, et ne lui laisse pas toute sa liberté d'esprit.

Il a senti la portée du coup.

C'est ce qui explique et excuse un peu de mauvaise humeur et l'expression d'une défiance regrettable à l'endroit de la bonne foi de Monseigneur le comte de Paris. Lorsque le prince Victor invoque contre
la sincérité du manifeste de septembre 1887, les souvenirs de l'Assemblée nationale de 1871 et ceux du 16 Mai lorsqu'il rappelle, pour démontrer que Monseigneur le comte de Paris ne peut-être un plébiscitaire de bon aloi, que la restauration de la monarchie de Monsieur le comte de Chambord dut s'accomplir, [en octobre 1873, par voie purement parlementaire, il est impossible qu'il se fasse illusion sur la valeur de cette argumentation. Comme nous n' admettons pas, dans un pareil débat, le reproche de mauvaise foi, nous dirons seulement qu'en ce point de sa conversation avec M. Robert Mitchell, le Prince nous a paru manquer de mémoire en confondant les hommes, les époques et les responsabilités.

Si le prince Victor se rend un compte très exact, ce qui fait l'éloge de sa jeune perspicacité, de Teftet que le manifeste de Monseigneur le comte de Paris peut et doit produire sur les partisans de la ratification plébiscitaire, il nous semble, en revanche, se faire une idée beaucoup moins nette de la façon dont le manifeste a dessiné, à grands traits, ses projets de réforme financière et indiqué les modifications dont la responsabilité ministérielle lui paraît susceptible.

Nous nous permettons de signaler aussi une contradiction qui nous a frappé, à propos de l'armée le prince Victor dit, avec juste raison, qu'il ne faut « jamais toucher au chef de l'armée. «C'est aussi la conviction de Monseigneur le comte de Paris. Mais Monseigneur le comte de Paris est conséquent avec lui-même en voulant donner pour chef supérieur inamovible, de cette armée, le chef même de l'Etat, c'est- à-dire le monarque, comme dans tous les grands Etats de l'Europe: Allemagne, Autriche, Italie, Russie.

Le prince Victor, au contraire, que l'on n'aurait pas cru aussi imbu de par-lementarisme, s'étonne que le commandement de l'armée soit placé au-dessus du contrôle du Parlement. Comment le chef de cette armée pourrait-il être en même temps placé sous le contrôle du Parlement, et supérieur aux attaques et aux critiques, privilège que le prince Victor réclame même pour le général Ferron, même pour le général Boulanger ?

Le Prince de M. Robert Mitchell est d'accord avec Monseigneur le comte de Paris lorsqu'il ne désapprouve paschez les conservateurs, le souci d'améliorer le gouvernement de leur pays, quel qu'il soit. Il cesse d'êtred'accord avec nous lorsqu'il dénonce brusquement l'union conser-vatrice, au lieu d'en préciser les limites, de la réclamer équitable pour tous ceux qui y prennent part. Il nous sera permis de ne pas le trouver assez sérieux, même pour un si jeune Prince, lorsqu'il oppose à l'union monarchique, quelque chose comme un calembour, tiré du grec, qu'il
étudiait naguère.

̃Dans les dernières paroles du Prince sur la nécessité de repousser toute transaction, même loyale, offerte par les royalistes, sous prétexte que les Napoléon ne peuvent s rien céder des droits populaires », nous devons avouer que nous n'avons su démêler rien de net. Les droits
populaires n'appartiennent qu'à la nation, et Monseigneur le comte de Paris, en rendant à ces droits populaires un solennel hommage, en démontrant la possibilité de leur accord avec le vieux droit monarchique ffançais, n'a rien eu à usurper sur les Napoléon, ni sur personne.

Henri de Pêne.

_________________
"Tant que les Français constitueront une Nation, ils se souviendront de mon nom."

Napoléon.


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Message Publié : 23 Avr 2010 9:48 
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Inscription : 09 Nov 2005 14:28
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Intéressant... je le connaissais pas, ce Victor. :rougi:


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