Une autre héroïne de 1870 reçut aussi la croix des braves. C' est la mère Jarrethout, cantinière des francs-tireurs de Paris-Châteaudun, qui mourut en Août 1905, à l' âge de quatre-vingt-huit ans. Elle était donc, en 1870, âgée de cinquante-trois ans. Or - et ceci est un détail touchant qui valait, d' être relevé - la digne femme, en s' engageant comme cantinière au bataillon des francs-tireurs parisiens, avait si grand'peur de n' être point accueillie, en raison de son âge, qu' elle se rajeunit de dix ans et n' en avoua que quarante-trois. Ce que tant d' autres font par coquetterie, elle le fit, elle, par amour du pays. C' est du moins ce qui ressort de son engagement que j' ai eu la curiosité de consulter. On a dit qu' elle avait pris du service aux francs-tireurs en même temps que son mari, mais on n' a pas tout dit. Lors des grandes levées patriotiques de 1792 et 1793, on vit des familles entières s' en venir à l' armée : le père, grenadier ; la mère, cantinière ; les enfants, fifres ou tambours. Il en fut de même de la mère Jarrethout et des siens. La brave femme avait deux fils d' un premier mariage : elle les amena également avec elle. Elle était inscrite sous le matricule n° 14, sous le nom de Marie Jarrethout, âgée de quarante-trois ans, née à Paris, demeurant rue du Caire, 44, veuve de Pélicot, ancien sous-officier ; son mari - n.° 15 - sous le nom de Jarrethout (François), âgé de trente-trois ans, né à Mareuil ; un de ses fils - n° 17 - sous le nom de Pélicot (Emile), âgé de vingt-six ans, né à Nantes ; un second fils - n° 36 -- Pélicot (Louis), âgé de trente-trois ans, né à Nantes, ex-enfant de troupe au 47e. L' âge seul de ce dernier eût suffi à dévoiler l' innocente supercherie dont avait usé sa mère dans la déclaration. Mme Jarrethout avait d' ailleurs de bonnes raisons de se rajeunir. Le bataillon s' augmentait dans de telles proportions qu' il devint bientôt nécessaire d' engager une seconde cantinière. Ce fut Mme Lecourt, âgée de vingt-cinq ans environ, femme d' un volontaire du bataillon, inscrite sous le n° 316. Au moment du départ, le commandant décida que seule cette dernière accompagnerait les francs-tireurs, en raison de son âge qui devait lui permettre de mieux supporter les fatigues. Mme Jarrethout accueillit la nouvelle avec un véritable chagrin. Elle alla trouver le commandant, se prévalut de son titre d' ancienneté, affirmant qu' elle se sentait de force à rendre les mêmes services que sa rivale. Les officiers, consultés, se prononçaient en faveur de Mme Lecourt. Enfin, le capitaine Ledeuil trancha la question en proposant de les prendre toutes les deux. Ainsi fut fait. Le bataillon comptait 1,200 partants. La, cantinière du demi-bataillon de gauche fut Mine Lecourt ; la cantinière du demi-bataillon de droite, Mme Jarrethout. On sait quelle fut la conduite héroïque de la brave cantinière pendant la tragique journée de Châteaudun. Mais ce qu' on ignore généralement, c' est que deux autres femmes, le même jour, firent, comme la mère Jarrethout, des prodiges de sang-froid, de courage et d' abnégation. L' une, Laurentine Proust, était une jeune Dunoise qui, ne voulant pas abandonner son père, s' en fut avec lui aux retranchements. Tout le jour, elle courut de barricade en barricade, portant, pêle-mêle dans un panier, des vivres et des cartouches. Vingt fois la mort l' effleura. Une balle atteignit un franc-tireur au moment où elle lui donnait des munitions ; une autre, coupant net le filet qui retenait les cheveux de la jeune fille, les lui jeta sur les épaules. Elle n' eut pas un instant de faiblesse. Et le soir, quand les Allemands furent maîtres de la ville, celle qui avait si vaillamment aidé à la résistance s' en fut, dans les ténèbres, ramasser et soigner les blessés. L' autre femme, c' était Mlle Armanda Polouet, une charitable jeune fille, qui, toute la journée, sous la mitraille, recueillit les blessés et les morts. Des trois héroïnes de Châteaudun, la mère Jarrethout, seule, se vit décerner la récompense suprême, la croix des braves. Les deux autres ont été complètement oubliées.
Ibidem
_________________ "Tant que les Français constitueront une Nation, ils se souviendront de mon nom."
Napoléon.
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