Chose promise, chose due. Je continue.
Bruno Roy-Henry a écrit :
L'horizon est gris, il pleut à torrent. L'Empereur ne distingue pas grand chose. Et voilà la "phrase-choc":
"Napoléon croit que les Anglais n'ont pris position que pour la nuit et qu'ils reprendront leur retraite vers la mer dès l'aube."
Voilà une assertion gravissime. Une erreur de jugement dramatique, si elle est vérifiée ! Sur quoi se base B. Coppens pour l'affirmer ? Il donne essentiellement le témoignage de Drouot :
"Il faisait un temps affreux. Tout le monde était persuadé que l'ennemi prenait position pour donner à ses convois et à ses parcs le temps de traverser la forêt de Soignes, et que lui-même exécuterait le même mouvement à la pointe du jour."
Pour l'auteur, "tout le monde" signifie "à commencer par Napoléon". Mais, l'opinion de Drouot est peut-être insuffisante ?
Quand Drouot prononce son discours devant la chambre des pairs le 23 juin et qu’il dit (écrit pour être plus précis) : « Tout le monde était persuadé que l'ennemi prenait position pour donner à ses convois et à ses parcs le temps de traverser la forêt de Soignes, et que lui-même exécuterait le même mouvement à la pointe du jour. » il ne peut, à mon avis, d’aucune manière sous-entendre : tout le monde sauf l’empereur, le chef de l’armée, celui qui prend les décisions. Tout le monde, c’est y compris l’Empereur. Je ne sais pas en quoi cette phrase que vous appelez « choc » vous étonne à ce point. Je ne m’étais pas attendu à une telle réaction en la rédigeant.
Cette erreur d’appréciation se trouve encore confirmée, outre le témoignage du général Dessales que vous citez, par le celui du chirurgien Bourgeois, qui était attaché au grand quartier général (page 111) , par celui du secrétaire de l’empereur, Fleury de Chaboulon (page 126), par celui du général Lamarque (p 128) et par celui du général Berthezène (page129), ces deux derniers ayant mené leur enquête par la suite auprès de témoins directs, puisqu’ils n’étaient eux-mêmes par sur les lieux .
Une telle convergence de témoignages laisse peu de place au doute.
Bruno Roy-Henry a écrit :
Je dois souligner que je ne me serais pas arrêté à cette opinion s'il n'y avait cette autre erreur funeste sur laquelle il faudra revenir : l'erreur de carte ! Sans vouloir m'étendre sur cette question, il est évident que Napoléon a pris la ferme de la Haie-Sainte pour la ferme de Mont-Saint-Jean, que celle de la Belle-Alliance devient La Haye-Sainte et que c'est Rossome qui est prise pour la Belle-Alliance ! Ainsi donc, Napoléon situera la ligne de départ de ses troupes comme si elles étaient sur la crête de la Haie-Sainte. Dès-lors, pour lui, l'armée de Wellington est vraiment adossée à la forêt de Soignes, alors qu'elle en est à plus de deux km...
Dans ces conditions, Napoléon ne pouvait imaginer que Wellington livrerait bataille dans une telle position. Ce n'était qu'un simple arrêt pour ralentir la poursuite. Ne pensant pas livrer une bataille réglée le lendemain, il ne comptait donc pas sur l'aide de Grouchy. L'intervention de celui-ci était secondaire, voire inutile. Et alors, la possibilité d'une jonction avec les Prussiens était toute spéculative: comment les Prussiens auraient-ils pris le risque de se réunir à une armée anglaise en retraite ? La chose n'était pas impossible, mais en arrière de la forêt de Soignes, en avant de Bruxelles...
En fait je vois que vous partagez mon avis (et je m'en réjouis). Mais votre formulation semble prêter à confusion, puisqu’elle offre une nouvelle occasion à Madame Rose de me clouer au pilori :
Rose a écrit :
Napoléon croit que les Anglais n'ont pris position que pour la nuit et qu'ils reprendront leur retraite vers la mer dès l'aube." (B.Coppens).
Voilà une assertion gravissime. Une erreur de jugement dramatique, si elle est vérifiée ! (Bruno)
On peut se faire une opinion personnelle, et porter sur un évènement historique un jugement qui n'engage que soi-même ; mais il est en effet très grave de présenter ce jugement comme irréfutable, sous prétexte de vouloir départager des opinions divergentes sur le sujet.
C'est le piège dans lequel tombe malheureusement bon nombre d'historiens et autres personnes qui, sans preuves formelles, affirment haut et fort leur opinion, comme si Napoléon leur avait traduit ses propres pensées !
Pour ma part, ce style dénote une prétention qui m'indispose, et signe de la part de son auteur un manque d'humilité évidente devant l'Histoire.
L'Empereur luî-même avait prédit cette fâcheuse anticipation, dans un exposé sur "l'interprétation" de sa propre pensée, que la postérité aura sans nul doute l'audace de faire, précisant que les amateurs du genre s'y tromperont plus souvent qu'à leur tour !
Si vous pouviez m’indiquer dans le livre où j’ai dit que mes "jugements" sont irréfutables, vous m’obligeriez fort. Mes opinions et mes déductions sont personnelles. C’est mon nom qui figure sur la page de titre, et il n’est pas d’usage d’écrire, puisque cela va de soi : "
les opinions et raisonnements de l’auteur n’engagent que lui, le fait d’acheter le livre ou de le lire n’oblige pas le lecteur à partager ces opinions".
Cordialement
(à suivre)