Je viens de terminer l'ouvrage de Bernard Coppens. Il faut féliciter l'auteur pour son brillant travail qui confirme tout ce qu'il avait déjà écrit auparavant. On ne saurait trop recommander l'achat de cet ouvrage. Je ne partage pas son opinion sur l'avant-Waterloo, ni sur les conséquences qu'il tire de la dissimulation de la vérité. Je suis navré de reconnaître qu'il a en partie raison, mais cela n'amoindrit pas l'admiration que j'ai pour Napoléon. Tous les mystères de Waterloo ne sont pas solutionnés, mais l'essentiel est restitué. Pour plus de clarté, je vais commenter l'ouvrage chapitre par chapitre.
Introduction et préalable:Bernard Coppens (BC), dénonce la volonté insensée de Napoléon qui aurait voulu "assurer à la France l'empire du monde". Il voit dans cet aveu fait aux sénateurs en janvier 1814 le but ultime du conquérant qui aurait été la monarchie universelle. Bien entendu, il n'en est rien. Cette formule vise la suprématie mondiale. Napoléon voulait faire de la France la 1ère puissance du monde. Nous ne le contesterons pas. Plus exactement, ses grandes victoires de 1805, 1806 et 1807 le mettaient en situation d'organiser le continent européen sous la forme d'un nouvel empire d'Occident. Cette tendance -remarquée dès 1807- s'affirme évidemment après la victoire sur l'Autriche en 1809. Le "gendre des Césars" aspire donc à la couronne européenne, ce qui n'est pas la monarchie universelle !
Napoléon indique aux sénateurs qu'il a changé et qu'il n'a d'autres buts, désormais, que d'obtenir une paix sur la frontière en évitant l'invasion de la France. Mais pour BC, comment le croire puisqu'il aurait déclaré à Clarke :"si, à Leipzig, j'avais eu 30 000 coups de canon le 18 au soir, je serai aujourd'hui le maître du monde".
D'une part, Napoléon n'a pas parlé de 30 000 coups, mais bien de 100 000. Cette lettre a été adressée au général Songis qui commandait son artillerie (Général Thoumas, Autour du drapeau, Paris. 1889). En effet, le soir du 18 octobre, l'armée française n'avait plus que 15 000 coups de canon à tirer, soit deux heures de feu. Elle ne pouvait donc plus continuer la bataille le lendemain. Mais quatre heures de feu n'auraient guère changé la donne...
Cette formule "maître du monde" n'est pas à prendre au pied de la lettre. Elle signifie simplement que Napoléon aurait été en mesure de dicter ses conditions à la coalition formidable qui l'assaillait dans les plaines de Leipzig. BC me semble donc quelque peu partisan dans son analyse. D'ailleurs, il n'aime pas l'Empereur et ne s'en est jamais caché...
Autre erreur, l'auteur indique que les coalisés encerclaient Paris le 30 mars 1814. Ce n'est pas exact : ils donnaient l'assaut à l'Est et au Nord de Paris qui communiquait librement avec la province par la rive gauche de la Seine. La royauté rétablie à la suite des fourgons de l'étranger semble avoir sa sympathie. Mais ce régime est instauré au mépris du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Ce qui était intolérable quand Napoléon cherchait à l'imposer ne l'est plus quand il s'agit de s'en débarrasser ? Curieux illogisme...
Mais cela ne suffit pas. L'auteur déplore encore que l'on ait laissé à Napoléon la souveraineté de l'ïle d'Elbe. Il aurait mieux valu s'assurer de sa personne. Hé, mais les coalisés n'avaient qu'à essayer le 6 avril 1814, quand l'armée et sa garde étaient encore entre ses mains ! Le Czar n'a pas voulu tenter le diable et il a été sage de respecter la dignité et le malheur de Napoléon...
L'ennui de ce dernier à l'ïle d'Elbe, les fautes des Bourbon vont amener le vol de l'aigle, le retour miraculeux des Cent jours. L'auteur reproche à Napoléon cette violation du traité de Fontainebleau, soulignant de ce fait que les coalisés ne pouvaient évidemment pas faire confiance à un tel homme quand il proclamait vouloir la paix !
Problème : il oublie que le traité a été formellement violé par Louis XVIII qui refusait de verser les deux millions de pension garanti à Napoléon. L'annuité prévue pour 1814 n'avait pas été versée et on sait aujourd'hui que le roi n'avait aucunement l'intention de s'en acquitter. Ce qui ne pouvait manquer -à brève échéance- de contraindre l'Empereur à licencier sa petite armée de 1 100 hommes. De plus, son épouse, faite duchesse de Parme, n'était pas venu le rejoindre dans sa nouvelle résidence. Et, plus que son épouse, c'était son fils qui lui manquait. En outre, Napoléon semble avoir demandé des passeports pour Parme, afin de revoir son fils et son épouse. Les Autrichiens paraissent l'en avoir dissuadé. Mais c'était une nouvelle infraction au traité de Fontainebleau. La principauté d'Elbe n'était pas une prison : quand on évoque l'évasion de Napoléon, c'est une formule totalement fausse. L'Empereur Napoléon demeurait un prince souverain, libre de se déplacer partout en Europe...
Une fois dans sa capitale, l'Empereur déclarait formellement qu'il reconnaissait le traité de Paris du 30 mai 1814. Mais, pour BC, comment les coalisés auraient-ils pu croire qu'il avait changé en moins d'un an ? Ils étaient donc fondés à étouffer dans l'oeuf cette tentative insensée qui ne pouvait que recommencer le cycle des conquêtes...
Je crois qu'on est en présence d'une auto-suggestion. Tout prouve que Napoléon ne voulait pas la guerre. La jouissance paisible de son nouveau trône était son seul objectif, avec certainement le retour de son épouse et de son fils. Mais comment croire un homme qui a aspiré à la monarchie universelle ? L'analyse des faits à travers ce prisme déformant fausse toute la réflexion de l'auteur, ce qui est très dommage.
Les forces en présence, le plan de campagne :Il y a peu à dire sur cette partie : l'auteur rappelle les conditions dans lesquelles va s'engager la lutte. L'insurrection vendéenne prive Napoléon de plus de 7 000 hommes. Je pense que l'on peut porter ce chiffre à 10 000 hommes. Peu importe; le fait est que Napoléon ne pourra pas rassembler plus de 124 000 hommes pour attaquer les 220 000 hommes rassemblés sous Blücher et Wellington. On pourrait contester la tendance à la rapine et à l'indiscipline de l'armée impériale. En contrepartie, BC reconnaît que l'armée était bien équipée et bien armée. Pourtant, il paraît que les cuirassiers manquaient de cuirasses.
Rien à dire sur le plan de campagne, l'auteur ne contestant pas la volonté de Napoléon de séparer les deux armées coalisées afin de les écraser isolément. Ce succès obtenu, il sera alors en mesure de s'opposer à la marche des Russes et des Autrichiens... En attaquant, il n'y avait assurément pas d'autre plan applicable !
Les combats du 15 juin :Peu d'observations à faire. L'auteur rappelle brièvement les incidents de cette journée. Il s'attache surtout à la rencontre entre Napoléon et Ney, dans l'après-midi du 15 juin, à Charleroi. L'Empereur n'aurait pas parlé des Quatre-Bras au maréchal, lui indiquant simplement de pousser l'ennemi, avec le 1er corps de Drouet d'Erlon et le 2ème de Reille.
La polémique commence. Ney fait marcher les trois premières divisions de Reille. Il pousse jusqu'à Frasnes et les cavaliers de Piré vont jusqu'au Quatre-Bras. Mais, trouvant les lieux assez fortement occupés (une brigade d'infanterie et un régiment de cavalerie), Piré n'insiste pas et sur son rapport, Ney replie son monde sur Frasnes, puis retourne à Charleroi où il aurait conféré avec Napoléon jusqu'à deux heures du matin.
D'après Lachouque, ce ne sont pas les cavaliers de Piré qui sont allés au-delà de Frasnes, mais ceux de Lefèbvre-Desnouëttes, une division légère de la garde impériale que Napoléon aurait mis à la disposition de Ney, mais avec l'interdiction de l'employer au combat...
16 juin, la bataille de Ligny :On s'étonne de l'inaction de l'Empereur dans la matinée du 16 juin. Il ne paraît pas encore avoir bien situé les forces de l'ennemi, évoquant un simple corps prussien devant Sombreffe qu'il compte faire attaquer par les 3ème et 4ème corps menés par Grouchy. En tout cas, il donne l'ordre à Ney de marcher sur Bruxelles, ce qui implique évidemment de s'emparer des Quatre-Bras. BC cite un ordre paru dans la correspondance de Napoléon en 1897. Il n'en conteste donc pas la réalité.
Napoléon aurait déjà perdu de son coup d'oeil légendaire. Il ne croit tout d'abord n'avoir qu'un seul corps prussien en face de lui. Et son état-major paraît avoir pensé que Anglais et Prussiens étaient réunis autour et à l'ouest de Sombreffe.
Pourtant, il paraît avoir sainement jugé de la situation, puisque vers les 15 h 30, il compte appeler à lui le 1er corps de Drouet d'Erlon pour tourner les Prussiens sur leur droite (gauche française). BC note l'amateurisme de l'état-major français organisé et rassemblé à la hâte. On n'aurait vu sur le terrain, ni généraux, ni officiers d'état-major, ni aides de camp ! Pourtant, le général Girard sera blessé à mort à la tête de sa division. Gérard lui-même se mettra en avant. Mais il y aura, en effet, assez peu de coopération entre les divisions engagées à Ligny, chacune avançant droit devant-elle pour chasser l'ennemi qui lui fait face...
Finalement l'empereur désespérant de recevoir le secours de Drouet comme il l'avait ordonné, monte une opération sur la droite de Blücher, avec la Garde, bientôt renforcée par les cuirassiers. C'est une victoire, même si les Français subissent la perte de 7 000 hommes contre plus de 14 000 côté Prussien. Certains auteurs parleront de 20 000 hommes, car selon-eux, plus de 6 000 fuyards se seraient dispersés sur le terrain...
En tout cas, nous partageons l'opinion de BC : Napoléon s'est grandement exagéré les effets de la victoire de Ligny. Blücher n'est pas écrasé, il lui reste encore plus de 60 000 hommes et il va être renforcé des 30 000 soldats de Bülow tous frais...
Par contre, il attache trop d'importance aux relations qui font part d'une victoire remportée sur les Prussiens et les Anglais. Bien plus qu'une illusion, c'est une opération de propagande, destinée à mon sens à dissiper le prestige dont jouissait encore Wellington. Napoléon pense (trop) au moral de l'arrière !
La bataille des Quatre Bras :Dans la querelle qui oppose les partisans de Napoléon à ceux de Ney, l'auteur essaie de faire la part des choses. Dans le meilleurs des cas, Ney a reçu l'ordre de marcher sur Bruxelles vers 11 heures. Il n'était donc pas en mesure de s'emparer des Quatre Bras avant...
Il semble bien que ça soit là la vérité. Certes, on peut toujours critiquer l'attitude trop prudente de Ney. Il eût dû, incontestablement marcher sur les quatre Bras, dès l'aube. Mais les ordres ne lui en furent pas donnés avant... 11 heures. Sur ce point, on donnera raison à BC.
Reste le témoignage de Drouet sur les marches et contre-marches du 1er corps. On sait que Labédoyère portât un ordre non-signé au crayon. Qu'avant même d'avoir atteint le maréchal Ney, il commanda lui-même le tête à queue des colonnes de ce corps. Drouet en fut finalement informé tardivement. Ney a certainement vu Labédoyère, personne ne le conteste. Ultérieurement, il a reçu un billet de l'Etat-Major, porté par un autre officier: "SM me charge de vous dire que vous devez manoeuvrer sur le champ de manière à envelopper la droite de l'ennemi et tomber à bras raccourci sur ses arrières" !
Malgré cela, Ney ordonne de rappeler le 1er corps vers lui, au général Delcambre, chef d'état-major de Drouet. Ce dernier qui n'a pas reçu d'ordre direct de Napoléon, se résigne à obéir à son chef désigné, le maréchal Ney. Carence des états-majors...
Drouet ne pouvait pas prendre sur lui de désobéir à Ney au vu d'une simple note au crayon non signée... Et Ney n'a pas obéi à l'Empereur. Dans le feu de l'action, il n'a pas compris que l'intervention du 1er corps pouvait être décisive. Sur ce point, BC ne m'a pas convaincu.
Autour du 17 juin :
La matinée : l'inertie de l'Empereur est soulignée. Sur ce point, unanimité totale des auteurs. On ne comprend pas. Sauf que -peut-être- le choc a été rude, l'armée est épuisée et finalement, il n'est pas impossible que Napoléon se soit attendu à un retour offensif des Prussiens. L'absence du corps de Bülow a dû être porté à sa connaissance.
C'est tard dans la matinée qu'il décide de faire poursuivre les Prussiens par Grouchy, avec 33 000 hommes et 108 canons. Détachement considérable pour la poursuite d'un ennemi qui aurait été écrasé, mais à peine suffisant si celui-ci s'éloigne pour manoeuvrer.
Difficile de se faire une opinion. Une chose est certaine, les états-majors ne se font pas une idée claire de la situation et Napoléon non plus. Mais puisque la cavalerie indique que Blücher semble se retirer vers la Meuse, il faut marcher sur Bruxelles et poursuivre les Anglais.
La Poursuite :
Napoléon marche de sa personne vers les Quatre-Bras que Ney a négligé de faire occuper. Wellington, instruit de la défaite de Ligny sur les 10 heures, a donné incontinent l'ordre de la retraite vers la position en avant de Mont-saint-Jean qu'il a pris soin d'étudier.
Pour BC, Napoléon n'aurait pas tellement accablé Ney, mais plutôt Drouet d'Erlon. En tout cas, les troupes n'auraient pas été au bivouac, mais en avant de Frasnes. Certainement ; cependant, Ney ne s'est aperçu de rien, abusé par quelques escadrons ou quelques bataillons qui battaient l'estrade.
A midi donc, la poursuite est vivement engagée. Mais les soldats de Wellington ont deux à trois heures d'avance. Ils ne seront pas rejoints. Ils vont s'installer sur une très belle position, bien dans la manière du général anglais. Cependant, contrairement, à la légende, ils seront presque aussi mal lotis que les Français n'ayant pour ainsi dire pas d'abris contre la pluie, peu de bois pour faire du feu et quasiment pas de paille.
L'arrivée à la Belle-alliance : C'est vers 6 heures du soir que l'avant-garde française arrive à la hauteur de Belle-Alliance. La résistance anglaise semble se raidir. Le 1er cuirassier fait mine de charger et provoque la réaction d'une cinquantaine de canons. Le général Dessales -à la demande de l'Empereur- met en batterie huit pièces de six en plus des batteries légères. Son tir entraîne une riposte foudroyante. A n'en pas douter l'ennemi est en force.
L'horizon est gris, il pleut à torrent. L'Empereur ne distingue pas grand chose. Et voilà la "phrase-choc":
"Napoléon croit que les Anglais n'ont pris position que pour la nuit et qu'ils reprendront leur retraite vers la mer dès l'aube." Voilà une assertion gravissime. Une erreur de jugement dramatique, si elle est vérifiée ! Sur quoi se base B. Coppens pour l'affirmer ? Il donne essentiellement le témoignage de Drouot :
"Il faisait un temps affreux. Tout le monde était persuadé que l'ennemi prenait position pour donner à ses convois et à ses parcs le temps de traverser la forêt de Soignes, et que lui-même exécuterait le même mouvement à la pointe du jour."Pour l'auteur, "tout le monde" signifie "à commencer par Napoléon". Mais, l'opinion de Drouot est peut-être insuffisante ? Celle d'un lieutenant Martin est donnée. Elle s'exprime au travers d'une lettre authentique, écrite le 1er août 1815.
"En effet, nous savions en gros que Wellington avait la plus grande partie de son armée aux environs de Bruxelles, mais nous ne comptions pas sur une affaire générale avant quelques jours, que nous lui croyions nécessaires pour la rassembler entièrement."
Martin appartient au 45ème de Ligne, Division Marcognet. On peut compter que c'était aussi l'opinion de Marcognet.
On peut encore citer le général Dessalles : "Le fatal 18 juin arriva. Le terrain était détrempé quoi qu'il fît assez beau. L'Empereur avait fait une reconnaissance dès le matin. Il ne croyait pas encore que les Anglais voulussent lui livrer bataille ; il fit faire plusieurs mouvements sur la droite pour s'en assurer. Je dus aller reconnaître un chemin qui entrait dans la forêt, pour m'assurer s'il était praticable à l'artillerie. Les deux armées étaient en observation. On fit manger nos soldats."
Je dois souligner que je ne me serais pas arrêté à cette opinion s'il n'y avait cette autre erreur funeste sur laquelle il faudra revenir : l'erreur de carte ! Sans vouloir m'étendre sur cette question, il est évident que Napoléon a pris la ferme de la Haie-Sainte pour la ferme de Mont-Saint-Jean, que celle de la Belle-Alliance devient La Haye-Sainte et que c'est Rossome qui est prise pour la Belle-Alliance ! Ainsi donc, Napoléon situera la ligne de départ de ses troupes comme si elles étaient sur la crête de la Haie-Sainte. Dès-lors, pour lui, l'armée de Wellington est vraiment adossée à la forêt de Soignes, alors qu'elle en est à plus de deux km...
Dans ces conditions, Napoléon ne pouvait imaginer que Wellington livrerait bataille dans une telle position. Ce n'était qu'un simple arrêt pour ralentir la poursuite. Ne pensant pas livrer une bataille réglée le lendemain, il ne comptait donc pas sur l'aide de Grouchy. L'intervention de celui-ci était secondaire, voire inutile. Et alors, la possibilité d'une jonction avec les Prussiens était toute spéculative : comment les Prussiens auraient-ils pris le risque de se réunir à une armée anglaise en retraite ? La chose n'était pas impossible, mais en arrière de la forêt de Soignes, en avant de Bruxelles...
La nuit de Napoléon :L'Empereur gagne le Caillou, se fait sécher auprès d'un feu en attendant de pouvoir occuper sa chambre. Aux dires de Saint-Denis et de Marchand, il se mit au lit où il dîna. Il fut sans doute fréquemment dérangé et à 3 heures du matin, tout à fait réveillé. C'est Gourgaud qui a dû faire une reconnaissance, à moins que ce ne soit Drouot. En tout cas, il en résulte que le terrain est détrempé et que l'artillerie aura du mal à manoeuvrer. Surtout, contrairement à ce qu'il a prétendu à Sainte-Hélène, Napoléon n'a pas effectué de sortie nocturne en compagnie du général Bertrand. Pourquoi faire, d'ailleurs, puisque la poursuite allait reprendre le lendemain, dans son esprit ?
D'ailleurs, ce qu'il déclare à Gourgaud, le 23 juin 1817, n'en est-il pas l'aveu ? "Ah ! mon Dieu ! peut-être que la pluie du 17 juin a plus influé qu'on ne croit sur la perte de Waterloo. Si je n'avais pas été si fatigué, j'aurais couru à cheval toute la nuit. Les plus petits évènements en apparence ont souvent les plus grands résultats !"
BC aborde la question des communications avec Grouchy. Pour lui, la lettre de Grouchy écrite à 22 heures de Gembloux, le 17, ne serait parvenu au Caillou qu'à 2 heures du matin. Elle annonce seulement qu'une colonne Prussienne se retire sur Wavre. Napoléon ne dicte pas de réponse. Aucun danger dans son esprit, puisqu'il est toujours dans la logique d'une retraite de l'armée anglaise. Il n'y a donc pas faute inexplicable de sa part, comme tant d'historiens l'ont crû, à commencer par moi-même...
Une seconde lettre de Grouchy, écrite à deux heures du matin, annonce qu'il compte se diriger vers Sart-Lez-Walhain.
Ce n'est que vers dix heures du matin que l'Empereur répondra à ces lettres. Quel en sera le contenu ? BC pense que la formulation de cette réponse ne contenait pas l'ordre de faire mouvement vers Chapelle-Saint-Lambert. Sur ce point, je ne partage pas son avis, comme nous le détaillerons plus tard.
Le message de 10 heures :Napoléon aurait adressé 2 messages à Grouchy. Tout le monde est d'accord. Le 1er serait daté du Caillou, à 10 heures. Le second, encore moins connu, vers 13 heures.
D'abord, disons tout de suite que nous suivons Bernard Coppens : Napoléon a fait une erreur de carte et a crû à la retraite anglaise jusqu'à 9 heures du matin environ. Mais, maintenant, c'est bien différent : il s'agit de livrer bataille et l'Empereur n'a que 72 000 hommes environ sous la main. Or, Wellington pourrait bien en avoir 90 000.
Il est donc normal que l'Empereur réponde à Grouchy. Ce qui l'est moins, c'est qu'il ait recours à Zenowicz. Pour mémoire, on consultera le "dossier Zenowicz" ici :
viewtopic.php?f=30&t=4434Autre problème. Quel est le contenu de ce message ?
"En avant de la ferme de (sic) Caillou. Le 18 juin, à 10h. du matin.
M. le maréchal, l’Empereur a reçu votre dernier rapport daté de Gembloux, vous ne parlez à Sa Majesté que de deux colonnes prussiennes qui ont passé à Sauvenière et Sart-à-Walhain. Cependant des rapports disent qu’une troisième colonne qui était assez forte a passé à Géry et Gentinnes se dirigeant sur Wavre.
L’Empereur me charge de vous prévenir qu’en ce moment Sa Majesté va faire attaquer l’armée anglaise qui a pris position à Waterloo près de la forêt de Soignes, ainsi Sa Majesté désire que vous dirigiez vos mouvements sur Wavre, afin de vous rapprocher de nous, vous mettre en rapport d’opérations et lier les communications poussant devant vous les corps de l’armée prussienne qui ont pris cette direction, et qui auraient pu s’arrêter à Wavre où vous devez arriver le plus tôt possible.
Instructions de Soult : Vous ferez suivre les colonnes ennemies qui ont pris sur votre droite, par quelques corps légers afin d’observer leur mouvements et ramasser leurs traînards. Instruisez-moi immédiatement de vos dispositions et de votre marche ainsi que des nouvelles que vous avez sur les ennemis, et ne négligez pas de lier vos communications avec nous; l’Empereur désire avoir très souvent de vos nouvelles."
Ce message ne résulte pas de l'original, mais d'une copie, publiée par Grouchy du registre du major-général que Soult lui aurait remis à Soissons, après s'être démis de ses fonctions !
Très justement, BC note que Napoléon aurait donné l'ordre à Grouchy de revenir vers l'armée principale, alors que l'ordre tel qu'il est connu, lui enjoint seulement de se diriger vers Wavre.
L'authenticité de cet ordre n'étant pas indiscutable, il est permis de le mettre en doute : que dit Zenowicz, quant à lui ?
"Le 18 juin 1815, jour de la bataille de Waterloo, j’étais de service, comme officier supérieur, au quartier impérial, et j’eus l’ordre de ne pas quitter un instant Napoléon. Vers neuf heures du matin, l’Empereur monta à cheval; je le suivis. En s’approchant vers la ligne droite de l’armée, après avoir parlé quelques moments au comte d’Erlon, il laissa sa suite en arrière et, accompagné seulement du major général (le maréchal Soult), il monta sur une petite élévation d’où on découvrait facilement les diverses positions des deux armées. Après avoir examiné quelque temps avec sa lorgnette, sans changer de place, il adressa quelques paroles au major général; puis, au moment où celui-ci descendit du plateau, l’Empereur me fit signe de monter près de lui; j’obéis; il m’adressa alors la parole : Voilà le comte d’Erlon, à notre droite, me dit-il en me montrant le Corps d’armée de ce général; puis continuant, après avoir décrit un cercle de sa main vers la droite de la ligne, il ajouta : Grouchy marche dans cette direction, rendez-vous de suite auprès de lui, passez par Gembloux, suivez ses traces; le major général vous donnera encore un ordre par écrit. Je voulus faire observer à l’Empereur que la route qu’il m’indiquait était trop longue; mais sans me laisser le temps d’achever, il me dit : C’est égal, vous seriez pris en suivant la route la plus courte; et désignant ensuite l’extrémité du flanc droit de la ligne, il dit encore : Vous reviendrez par ici me rejoindre, quand Grouchy débouchera sur la ligne. Il me tarde qu’il soit en communication directe et en ligne de bataille avec nous. Partez, partez ! Aussitôt cet ordre reçu, je courus après le major général qui se dirigeait en ce moment vers la ferme du Caillou, où le quartier impérial avait passé la nuit. Nous arrivâmes à dix heures à la ferme. Le major général se rendit dans sa chambre, et fit demander son secrétaire. La première chose que l’on fait en commençant à écrire un ordre, c’est d’y mettre la date et l’heure. Il est facile de voir que cette heure ne peut être celle du départ de la dépêche; car avant le départ, il faut du temps pour l’écrire; il en faut aussi pour l’inscrire sur le registre d’ordre du major-général. Tout cela demande assez de temps; dans un service ordinaire, où les heures et les minutes n’ont aucun rôle à jouer, cette remarque n’est d’aucune importance; mais dans un cas particulier, quand on compte les heures et les minutes, quand on jette un tort au porteur d’un ordre, il doit être permis de rétablir les faits tels qu’ils se sont produits. Je me répète, la date de l’ordre dont je fus porteur fut mise à dix heures; je me retirais alors au salon de service. Après une demi-heure d’attente (± 10h30), je rejoignis le major général. Rien encore que la date n’était écrit; le major général regardait la carte, et son secrétaire s’amusait à tailler une plume. Je retournais au salon, où je trouvais M. Regnault, ordonnateur en chef du premier Corps qui, apprenant que depuis vingt-quatre heures, ayant toujours été en course, je n’avais pu rien me procurer pour manger, voulut bien envoyer chercher dans son fourgon un morceau de pain et de l’eau-de-vie. Après mon repas, je rentrai de nouveau chez le major général; il était occupé à dicter l’ordre que j’attendais; je me rendis encore une fois au salon de service. Au bout d’une demi-heure, je fus demandé. Le Maréchal Soult me répéta à peu près, en me donnant son ordre, ce que l’Empereur m’avait dit. Je partis de suite (± 11h30). J’atteignis enfin, entre trois et quatre heures, une division d’arrière-garde qui faisait partie du Corps de l’armée à la recherche duquel j’étais envoyé. Un quart d’heure après, j’avais rejoint le comte Grouchy; il était avec le général Gérard dans une petite chambre d’une maison où une ambulance avait été établie. Je présentais mes dépêches au maréchal, et lui dis encore de vive voix ce dont j’étais chargé. Après avoir parcouru l’ordre que je venais de lui remettre, le maréchal Grouchy le communiqua au général Gérard qui, après en avoir pris connaissance, s’écria, animé d’une émotion énergique, en apostrophant Grouchy : Je te l’ai toujours dit, si nous sommes f...., c’est de ta faute." Dans cette affaire des messages vers Grouchy, je pense qu'il n'y a eu qu'un message. Et un seul messager.
Sachant les Prussiens à Wavre et que la bataille qui allait s'engager pouvait durer jusqu'au soir, Napoléon a ordonné à Grouchy de marcher sur Saint-Lambert.
Ce n'est pas possible autrement. Le 1er message de 10 heures devait immanquablement comporter un ordre positif en ce sens. Zenowicz dit la vérité quand il relate le discours que l'Empereur lui tient. Même chose quand il parle de la lenteur à obtenir ce billet du maréchal Soult. Celui-ci a sans doute ajouté un PS mal rédigé, du style "la bataille est engagée" mais assez mal écrit. Grouchy jouera plus tard de cette circonstance. Ce qui fait que Zenowicz n'est parti que vers 13 heures.
Grouchy a eu en mains le registre qui a ensuite disparu. Il lui était donc facile de transcrire un ordre tronqué ou modifié. Soult avait ses raisons de ne pas s'en prendre à Grouchy.
L'ordre de 13 heures est bidon. Fabriqué pour les besoins de la cause. On ne connaît pas le nom de l'officier qui l'aurait porté. A dire vrai, il est probable que Zenowicz n'est arrivé que sur les 16 h 30 auprès de Grouchy. Il est évident que c'est lui qui avait bu, tenant de ce fait des propos incohérents. Le mal était fait, l'attaque contre Wavre était prononcée. Grouchy ne pouvait plus exécuter le mouvement que Gérard avait sollicité...
Pour le reste, je partage les analyses de Bernard Coppens : pas de hussard noir, le 6ème corps placé à droite derrière Durutte. Reste à déterminer qui a ordonné les formations macédoniennes du 1er corps lors de l'attaque de Drouet d'Erlon. Ou encore, qui a donné l'ordre à la cavalerie de la Garde de charger avec les cavaliers lancés par Ney.
Pour lui, c'est bien Napoléon. Mais, sur ces points, son dossier me semble bien moins étayé.
Enfin, je rejette totalement son assertion finale : les mensonges de Waterloo serait la cause du retard tactique français. La puissance de feu de l'infanterie britannique étant la cause principale de l'échec des attaques de Napoléon, la dissimulation de cette vérité aurait abouti à la logique des doctrines de Foch et du colonel de Grandmaison, basées sur l'attaque massive des fantassins à la baïonnette !
Mais non ! D'une part, parce que le succès tactique anglais a été très bien décrit par Bugeaud et qu'il en a été tenu compte dans la tactique de l'armée impériale de... 1870 ! En effet, les leçons de Waterloo, celles de la guerre de Sécession, ont été transposés à la puissance du chassepot français, pour déboucher sur la tactique des bonnes positions.
Seulement, cette analyse correcte de Napoléon III et de son ministre Lebeuf, a été déjouée par la puissance de feu de l'artillerie prussienne et surtout, par la capacité manoeuvrière de l'infanterie allemande qui a toujours obtenu la victoire en tournant la ligne française par ses ailes, étant donné qu'elle bénéficiait de la supériorité du nombre... L'emploi adéquat d'une réserve centrale (concept napoléonien) aurait mis en grand danger les Allemands. Mais les maréchaux de Napoléon III n'avaient pas les talents de ceux de Napoléon 1er.
C'est par réaction à cette timidité dans l'offensive, constatée aussi bien chez les maréchaux de Napoléon III que chez des généraux comme Faidherbe ou Chanzy en 1871 que les tacticiens de l'école de guerre remirent en avant l'élan et le choc de l'offensive. Napoléon n'y est pour rien, si ce n'est pour rappeler l'idée de manoeuvre. Sur ce point, Bernard Coppens fait un mauvais procès à l'Empereur.
Globalement, ce travail est d'une grande qualité. Surtout, il ouvre la voie à de nouvelles recherches pour en finir -une fois pour toute- avec les mystères de Waterloo.
1 - Bernard Coppens : Waterloo, les mensonges
Editions Jourdan.