Arthur Bertrand (" Lettres de l'expédition de Sainte-Hélène en 1840 ". Paris, Paulin, 1841) :
On enlève ensuite la terre entre les quatre murs qui s'élèvent sur les côtés du caveau. A une profondeur d'environ six pieds, vers quatre heures du matin, on arrive à une couche de ciment fort dur, qu'on ne peut briser qu'avec la plus grande peine, et qu'il faut retirer par petits morceaux. A sept heures du matin, on découvre la large pierre qui fermait le caveau. Chaque incident de ce travail était pour nous une émotion ; elle était peinte sur toute les figures ; il nous était quelquefois impossible de contenir notre douleur. Le ciment qui scellait la grande pierre est brisé au ciseau ; un anneau est fixé à chacune de ses extrémités. On dresse une chèvre, des cordes sont attachées aux anneaux, encore quelques instants et la pierre qui ferme la tombe sera enlevée. Mais dans quel état sera le cercueil ? Serait-il altéré par l'humidité, par le temps qui détruit tout ? (...) Nos yeux sont fixés avec anxiété sur le caveau ; la pierre est soulevée, et non-seulement nous apercevons le cercueil parfaitement conservé, mais les têtes des vis qu'on distingue sur le couvercle sont brillantes, et n'ont pas même été oxydées. On se rappelle alors que la tête de ces vis avait été recouverte d'une petite feuille en argent, et, cette circonstance explique ce qui d'abord avait surpris. Il n'était pas encore dix heures. M. l'abbé Coquereau s'approche, jette sur la tombe de l'eau bénite, et récite des prières. Le docteur Guillard descend ensuite dans le tombeau, et, avec des préparations chimiques apportées de Paris, fait des immersions successives, afin de prévenir l'effet qui pourrait résulter des exhalaisons. Le cercueil est ensuite retiré du caveau, et transporté dans une tente dressée près de là. Dès la veille, on y avait apporté le sarcophage en ébène envoyé de Paris. On reconnut que le sarcophage était trop étroit pour contenir la bière dont les dimensions furent mesurées avec exactitude. Les planches en acajou de ce premier cercueil furent donc enlevées; elles ont été portées à bord, et là religieusement partagées entre l’équipage et les passagers de la Belle Poule. Après avoir fait sortir les personnes qui n'étaient pas désignées pour assister à l'ouverture, on a décloué le premier (la première enveloppe) qui était en bois d'acajou; on a placé les autres dans le cercueil que l'on avait porté de Paris. On a procédé soigneusement à l'ouverture de celui de plomb, du troisième en bois et on a levé les deux couvercles ensemble ; ensuite, le quatrième, en fer blanc, s'est dessoudé facilement avec des ciseaux à froid ; la rouille l'avait un peu oxydé. On a soulevé ce quatrième couvercle ; la doublure en satin était détachée et couvrait le corps très régulièrement. Le docteur l'a prise au pied et l'a levée doucement en remontant vers la tête.
Le gouverneur, major général Middlemore, à notre arrivée dans l'île, était retenu au lit par l'état de sa santé. Il ne voulut pas cependant se dispenser d'assister à cette cérémonie. A midi, il arriva au tombeau. On coupe alors la partie supérieure de l'enveloppe en plomb ; puis on enlève avec beaucoup de soin le couvercle du troisième cercueil qui, comme le premier, était en acajou, et on se dispose à ouvrir la dernière enveloppe en fer-blanc, dont l'intérieur avait été revêtu de coussins en satin blanc, garnis de coton.
Aussitôt que le couvercle du cercueil en fer-blanc est coupé, nous apercevons une matière blanchâtre : c'était le matelas de satin qui s'était détaché. Le docteur Guillard le soulève en commençant par découvrir les pieds, et successivement jusqu'à la tête. Napoléon nous apparaît comme s'il vivait encore.
Les doigts de pieds sont sortis des bottes, dont le fil s'est moisi sans doute ; son chapeau est sur ses genoux, sa main gauche repose sur sa cuisse, ce n'est pas seulement de la peau collée sur des os : c'est une main vivante, blanche, c'est de la chair. Oui, c'est la main de Napoléon, elle seule eût suffi pour le faire reconnaître. Le parement rouge de son uniforme faisait encore ressortir la blancheur de la peau. Ses épaulettes, le grand aigle de la Légion d'honneur sont un peu ternes ; la croix d'honneur, celle de la couronne de Fer sont brillantes, et une vapeur blanchâtre semble couvrir les vêtements. Sa tête a conservé ses traits ; cependant la peau est un peu jaune ; les joues, qui étaient grasses, se sont affaissées, et semblent donner au bas de la figure plus de longueur qu'elle n'en avait de son vivant. Quelques dents blanches se laissent voire entre les lèvres ; la barbe, qui avait été coupée dans la nuit qui suivit le décès, a repoussé ; telle est, dit-on, la marche de la nature ; le bout du nez a été altéré ; ses paupières sont fermées, il ne peut nous voir ; et nous, à travers nos larmes, nous l'apercevons à peine…Entre les jambes, on découvre l'aigle qui surmonte le vase en argent, dans lequel est renfermé son cœur qu'il eût désiré faire porter à l'Impératrice ; mais on ne voulut pas le permettre.
Le docteur Guillard, qui seul a touché le corps de l'Empereur, l'a trouvé dans un état presque solide, état que les gens de l'art qualifient de momifié, ce qui doit faire espérer que le corps n'aura pas souffert par l'action de l'atmosphère
Dans la crainte que l'air ne réagisse sur des restes jusque-là si bien conservés, on se hâte de les soustraire à son action. Le docteur Guillard répand quelques gouttes d'une eau dite créosote, replace le coussin supérieur de satin, puis la feuille de fer-blanc.
Le couvercle en acajou est vissé de nouveau, le plomb ressoudé, et le cercueil déposé et consolidé dans le sarcophage, dont l'intérieur était revêtu d'une feuille de plomb. Par une opération dernière, cette doublure en plomb fut soudée avec beaucoup de soin, et le sarcophage immédiatement fermé à clef.
PS : en rouge, la partie délibérément omise par Christophe Bourrachot. Tiré du site Napoléon1er.com.
_________________ "Tant que les Français constitueront une Nation, ils se souviendront de mon nom."
Napoléon.
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