L'Énigme des Invalides

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 Sujet du message : Eloge funèbre de Davout
Message Publié : 07 Fév 2006 22:42 
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Par le maréchal Suchet (Chambre des Pairs)
Eloge funèbre du Maréchal Prince d’Eckmühl, prononcé à la Chambre des Pairs par M. le Maréchal Duc d’Albuféra le 8 juin 1824.


Séance du mardi 8 juin 1824

M. le maréchal duc d’Albuféra obtient la parole pour honorer d’un juste hommage la mémoire de feu M. le maréchal prince d’Eckmühl, enlevé à la Chambre le 1er juin 1823. L’orateur s’exprime en ces termes :

Messieurs,

Je viens, d’après un noble usage suivi religieusement parmi nous, rendre un hommage mérité à la mémoire d’un de nos illustres collègues. Le Maréchal prince d’Eckmühl avait des droits à notre estime par la réunion de toutes les vertus guerrières, qu’il a constamment professées depuis son début dans la carrière militaire jusqu’à la fin de ses glorieux travaux.

Jeune, il vole à la défense de notre territoire menacé d’une invasion étrangère. L’amour de la gloire, ce sentiment inné dans le ccœurdes Français de tous les temps, le conduit dans ces bataillons de volontaires qui fournirent tant de grands généraux. Son courage l’élève à tous les grades.

Général, il donne à l’armée l’exemple de l’intrépidité ; il déploie une rare fermeté de caractère ; toutes ses actions sont marquées au coin de la plus mâle énergie. Gouverneur de provinces conquises, il donne la mesure de sa sagesse et de sa prévoyance. Il maintient une sévère discipline parmi ses troupes. S’il contient les peuples dans le devoir, il allège les maux inséparables de la guerre. Il est probe, il est désintéressé. Tel a paru le noble maréchal, dont nous déplorons la perte prématurée ; tel et plus brillant, il paraîtra dans l’histoire.

Pour vous faire connaître ses titres à nos justes regrets, permettez-moi, Messieurs, de retracer à vos Seigneuries les actions principales qui ont établi sa haute réputation.

Davout (Louis-Nicolas), duc d’Auerstaedt, prince d’Eckmühl, Pair et Maréchal de France, naquit le 10 mai 1770 à Annoux, département de l’Yonne. Issu d’une ancienne famille noble, il reçut une éducation militaire, et entra en 1787 comme sous-lieutenant dans le régiment de Royal-Champagne cavalerie.

En 1791, il alla se placer dans les rangs des volontaires. Nommé chef de bataillon dans le troisième de l’Yonne, il fut envoyé au camp de Maulde, et fit la campagne de Belgique, sous les ordres de Dumourier. Il se distingua dans toutes les affaires, et surtout à la bataille de Nervinde, où il mérita le grade d’adjudant-général. Forcé de donner sa démission en juin 1793, il alla partager à Auxerre la prison de sa mère. Rendu à la liberté par l’événement du 9 thermidor, Davout retourna à l’armée, et fut élevé au grade de général de brigade.

C’est en cette qualité qu’il fit la campagne de 1794 à l’armée de la Moselle. Au siège de Luxembourg, après avoir battu et rejeté dans la place les troupes du général Bender, Davout conçut le hardi projet de détruire le seul moulin qui fût à la disposition des habitants. A la tête de 200 grenadiers des Vosges, il pénètre de nuit dans les ouvrages avancés à travers les palissades, surprend l’ennemi, et fait sur-le-champ abattre ce moulin. Par cette audacieuse expédition, il contribua à la prise de cette redoutable forteresse.

Employé à l’armée du Rhin sous les ordres de Moreau, en 1795, il partagea les dangers honorables de la défense de Khel, et mérita l’amitié de l’immortel Desaix. A l’ouverture de la campagne de 1797, il prit une part glorieuse au célèbre passage du Rhin à Diersheim.

Cette première guerre ayant été terminée par le traité de Campo-Formio, il s’embarqua à Marseille pour aller servir en Egypte. Cette mémorable expédition, à laquelle concoururent tant de braves généraux, tant de savants distingués, fera époque dans ce beau pays, jadis le berceau des arts et de la civilisation, et la France pourra jouir plus tard avec orgueil des germes féconds qu’elle y a semés pour la future regénération de ces fertiles contrées. Si nous suivons le général Davout sur les rivages d’Alexandrie, sur les ruines de Thèbes, dans la Haute-Egypte, si riche de grands souvenirs, sur les bords du Nil, partout nous le voyons déployer la même intrépidité contre la fameuse milice des mamelouks, et contre les Turcs.

De retour en France, il fut nommé général de division. Envoyé en Italie, il fit la courte campagne qui amena la paix de Lunéville. S’il ne trouva qu’au Mincio l’occasion de signaler sa bravoure, il se rendit recommandable par un beau trait de générosité. Chargé de remplacer un noble maréchal, notre collègue, dans le commandement de l’aile gauche de l’armée d’Italie, il prit sur lui de se borner seulement à conduire l’avant-garde sous ses ordres.

La rupture du traité d’Amiens avait fait reprendre les hostilités contre l’Angleterre. D’Ostende à Brest, des camps couvraient nos côtes. Des ports creusés, des armements rassemblés de toutes parts, annonçaient le dessein de renouveler l’expédition de Guillaume, et d’opérer une descente sur les rivages qui s’offraient souvent aux regards de 200.000 soldats avides de gloire. Davout commandait le camp d’Ostende, où il s’exerçait au commandement en chef, lorsqu’il fut créé Maréchal le 19 mai 1804, n’ayant encore que 34 ans. De tous côtés, nos flottilles avaient l’ordre de se réunir dans les ports du camp de Boulogne. La flottille franco-batave, jointe à celle d’Ostende, avait heureusement atteint Calais sous les ordres de l’habile amiral Verhuell, notre noble collègue. Il lui restait à doubler le cap Ginet (sic) en présence d’une flotte anglaise de 84 voiles, dont 7 vaisseaux de ligne. La manœuvre était difficile et périlleuse ; l’amiral prend sur lui d’en garantir la réussite. Le maréchal Davout, témoin d’une si téméraire résolution, n’hésite pas à la partager. Il s’embarque avec l’amiral sur la même chaloupe canonnière, dont les voiles sont criblées par la mitraille de 4 bâtiments anglais. Enfin, après avoir bravé tous les dangers, notre petite armée navale entre dans le port d’Ambleteuse, à la vue de la population des deux rives, qu’un temps superbe avait rassemblée, et aux acclamations des troupes françaises.

Bientôt, l’envahissement de la Bavière par les Autrichiens ralluma la guerre en Allemagne. La Grande armée tout entière fut dirigée des bords de la Manche sur le Rhin. Le Maréchal Davout eut le commandement du troisième corps, qu’il avait formé au camp d’Ostende. Victorieux dans tous les combats qu’il livre sur le Necker, sur l’Inn, dans les gorges de Marienzell, il arrive à Vienne, passe le Danube, se porte sur Presbourg, surprend le pont-volant établi sur ce fleuve, et conclut avec les Hongrois une convention de neutralité.

Dans ces entrefaites, il reçoit l’ordre de quitter précipitamment la Hongrie pour venir en Moravie. C’est alors qu’il exécute une marche étonnante. Il se rend de Vienne à Sokolnitz entre trente-six heures, arrive à temps pour battre la gauche de l’armée austro-russe à Austerlitz, et contribue, par cette incroyable rapidité, au gain de la plus éclatante victoire du siècle, couronnée par la paix de Presbourg.

La Prusse ayant déclaré la guerre à la France, le 6 octobre 1806, la Grande armée marcha, après quinze mois de repos, à la rencontre de l’ennemi. Dès le début de cette campagne mémorable, une des plus grandes fortunes militaires vint s’offrir au Maréchal Davout. Non loin de Rosbach, il est appelé à venger l’honneur des armes françaises, et à triompher, comme Frédéric-le-Grand, avec 25.000 hommes contre 90.000. Il va combattre les troupes prussiennes, commandées par le petit-neveu de Frédéric, et par le célèbre prince de Brunswick.

Permettez-moi, Messieurs, de m’étendre sur un fait d’armes qui est l’un des plus beaux titres de gloire du Maréchal Davout. Pendant que la majeure partie de la Grande armée combattait à Iéna, le Maréchal, posté en avant de Naumbourg avec le troisième corps, occupait les défilés de Kösen, et défendait le passage de la Saale. Il avait en face, à Hassenhausen, l’armée prussienne commandée par le roi en personne, et par le duc de Brunswick. Le Maréchal Davout commence la bataille, le 14 avant le jour, en faisant déboucher ses troupes par le pont de Kösen, et se porte contre l’avant-garde ennemie qu’il culbute. Maître des hauteurs, il presse le mouvement des trois divisions d’infanterie et de la seule division de cavalerie qu’il a sous ses ordres. L’action devient à chaque instant plus terrible. L’armée prussienne est engagée presque tout entière, et fait les plus grands efforts pour s’ouvrir un passage. Déjà le duc de Brunswick atteint mortellement, le général Schmettau, et plusieurs autres, grièvement blessés, sont enlevés du champ de bataille. La valeur des généraux Gudin, Friant et Morand seconde l’ardeur du Maréchal Davout, qui poursuit ses succès, et que le nombre toujours croissant des bataillons ennemis ne saurait intimider. En vain les Prussiens cherchent à se rallier ; chaque nouvelle position qu’ils prennent est aussitôt attaquée et enlevée avec impétuosité. A deux heures après midi, ils se mettent en retraite, et sont poursuivis à travers les défilés d’Auerstaedt, quartier-général du roi de Prusse. Avant la fin du jour, la perte de 20.000 Prussiens, tués ou blessés, attestait leur vigoureuse résistance. 115 pièces de canons, et 5.000 prisonniers, complétaient un triomphe obtenu par cette infanterie, réputée à juste titre la première du monde, qui n’avait été soutenue que par mille hommes de cavalerie, contre douze mille commandés par le général Blücher. En récompense de cette éclatante victoire, qui suffirait pour immortaliser un général d’armée, le Maréchal Davout fut créé duc d’Auerstaedt. Le 15, nos troupes couvraient les champs de Rosbach. Ce fut là qu’un spectacle attendrissant vint s’offrir à nos yeux.

Vous, Messieurs, qui avez tant de motifs héréditaires et personnels pour apprécier la puissance de la gloire militaire, vous admirerez sans doute l’émotion qu’éprouva l’armée, en voyant abattre la colonne qui rappelait la fatale journée de 1757. Plusieurs de mes nobles collègues et moi avons remarqué les larmes de joie que versaient même nos plus jeunes soldats, heureux de venger la mémoire de leurs devanciers par la destruction de ce honteux monument.

Après la double victoire d’Iéna et d’Auerstaedt, l’ennemi, poussé de toutes parts, cède et se rend. Le Maréchal Davout surprend le pont de Wittemberg, entre le premier à Berlin, et, quelques jours après, fait capituler la forteresse de Custrin. Poursuivant sa marche rapide, il passe à Posen, à Varsovie, franchit la Vistule, et traverse le Bug en présence de l’armée russe ; gagne le combat de Czarnowo, prend part à celui de Pultusk, et bat encore les Russes à Heilsberg.

Le 8 février 1807 arriva la terrible journée d’Eylau. Le Maréchal Davout était en ligne à six heures du matin avec son corps, fort de quatorze mille hommes seulement. Il est engagé avec la plus grande partie de l’armée russe, qui fait des pertes immenses ; mais la moitié du troisième corps est hors de combat. Dans cet état de choses, le Maréchal reçoit l’ordre de se retirer ; il prend sur lui d’y résister. Par des attaques vigoureuses, il étonne l’ennemi que quelques avantages sur d’autres points avaient rendu présomptueux, lui arrache l’une des plus sanglantes victoires que rappellent nos annales, et le force, à onze heures du soir, à nous abandonner ce champ de carnage, et 40 pièces de canon. Ce fut la dernière affaire sérieuse à laquelle le Maréchal Davout prit part, jusqu’à la fin de cette campagne, qui se termina par le traité de paix conclu à Tilsit, le 9 juillet, entre la France, la Russie et la Prusse.

Vous avez remarqué, Messieurs, les grandes actions de guerre qui viennent de placer dans un rang supérieur le Maréchal duc d’Auerstaedt. Il va quitter pendant quinze mois l’arène des combats, qu’il reprendra pour ajouter encore de nouveaux titres à son illustration militaire. Une autre carrière lui est ouverte. Nous allons le voir, en qualité de gouverneur général, régir tour à tour la presque totalité des contrées situées entre la Vistule et le Rhin ; revêtu de pouvoirs illimités, il n’en abusa jamais.

Il remplit d’abord ces fonctions dans le grand-duché de Varsovie. Une administration sage lui gagne l’affection des braves Polonais, dont les Radzivil, les Potocki, les Pacz, et autres le suivent à la guerre. Il paralyse les manœuvres des sociétés secrètes organisées pour exciter à la haine contre les Français ; il remédie à tous les abus par des règlements qui établissent la confiance et déjouent les intrigues de la malveillance, sans qu’il soit besoin d’exercer aucun acte de rigueur. Des procédés aussi honorables valurent au gouverneur-général l’estime du roi de Saxe et l’amitié de l’illustre Poniatowski.

Mais la paix est de nouveau troublée en Allemagne ; l’Angleterre excite encore l’Autriche. Cette fois, la Russie se présente dans la lice comme alliée de la France. La guerre continue en Espagne. Toute l’Europe est sous les armes. Le Maréchal Davout trouvera bientôt des occasions d’acquérir de la gloire. Deux cent mille autrichiens, commandés par l’archiduc Charles en personne, avaient pénétré en Bavière par l’Inn, le Haut-Palatinat, et s’avançaient sur Ratisbonne. Le Maréchal Davout les rencontre près de Tann. La bataille est très opiniâtre. Le 3ème corps lutte contre des forces quadruples. Le Maréchal, par son habileté, électrise ses troupes, et remporte la victoire. Poursuivant ce succès, que la réunion de l’armée bavaroise va rendre plus décisif, il reçoit l’ordre d’aller prendre position près d’Eckmühl. Les deux seules divisions qu’il conduit se trouvent engagées avec cinq corps d’armée dirigés par le prince Charles. Les bonnes dispositions du Maréchal peuvent à peine arrêter les attaques multipliées des Autrichiens. Un régiment français, qui couvrait une de nos batteries, est culbuté. Le Maréchal s’y trouvait accompagné du colonel Bourcke, des jeunes Raoul de Montmorency, de Montesquiou, de Castries et quelques autres officiers. Une colonne de huit mille Hongrois parvient sur la hauteur, où était notre artillerie ; elle en est à vingt pas. Le moment est critique ; la prise de nos pièces peut causer la perte de cette journée. Le Maréchal fait tirer les derniers coups de canon qui nous restent sur la tête de la colonne ennemie ; écrasée et dispersée, elle prend la fuite et entraîne tout ce qui la suivait. La bataille ne cesse qu’à dix heures du soir. L’ennemi, qui avait eu le temps de se remettre, recommence le surlendemain une autre bataille à Eckmühl. Des attaques vigoureuses et bien combinées mirent bientôt dans la déroute la plus complète l’armée de l’archiduc qui, battue sur tous les points, fit des pertes considérables. Le maréchal Davout contribua si puissamment au gain de cette bataille, qu’il fut créé prince d’Eckmühl. Ainsi, il était destiné à fonder les titres de sa famille sur des victoires.

A la célèbre bataille de Wagram, le troisième corps est attaqué par la gauche de la grande armée autrichienne. Il repousse avec succès les premières tentatives de l’ennemi. la bataille s’étant vivement engagée sur une ligne fort étendue, le maréchal Davout manœuvre pour tourner cette gauche des Autrichiens, qui occupait une forte position. Elle est abordée et enlevée avec la vigueur qui distingue le vaillant troisième corps. Profitant de cet avantage, le Maréchal se porte sur Wagram, et contribue à déterminer la retraite de l’archiduc.

Le traité de la quatrième paix entre la France et l’Autriche, conclu à Vienne le 16 octobre 1809, vint mettre un terme aux hostilités en Allemagne. De nombreux bataillons partent aussitôt du Danube pour les bords du Tage et vont nourrir la guerre en Espagne.

En 1811, les villes Anséatiques formèrent la trente-deuxième division militaire. Le Maréchal Davout, comme gouverneur-général, alla présider une commission de gouvernement établie à Hambourg. Il se distingua par la protection qu’il accordait au malheur, et par ses mesures rigoureuses contre les abus, que la cupidité cherchait à introduire dans nos vastes conquêtes. Quelques mois après, il alla reprendre sa place sur les champs de bataille.

Dans la campagne de 1809, les Russes avaient paru comme alliés des Français ; c’est contre eux que la guerre va éclater en 1812, et fournir un exemple unique dans l’histoire militaire de l’Europe ; c’est contre eux que l’Autriche, la Prusse, l’Allemagne tout entière, des corps polonais, italiens, espagnols et portugais, marchent réunis à la plus formidable armée que la France ait jamais rassemblée dans le Nord. Les éléments seuls pouvaient arrêter l’effort de masses aussi considérables, et suspendre le cours des victoires, qui depuis tant d’années accompagnaient nos armes. Le prince d’Eckmühl eut le commandement de 60.000 hommes formant le premier corps de cette immense armée.

Dans cette épouvantable campagne, où tant de braves furent ensevelis sous les glaces de la Moscovie, il développa constamment les talents d’un grand capitaine et la stoïque énergie de son caractère à Mohilow, à Smolensk, à la Moskowa où il fut blessé et refusa de quitter le champ de bataille, et surtout dans cette fatale et désastreuse retraite de Moskou, où il marcha constamment à la tête des faibles débris de son corps d’armée, qu’il ramena à Thorn. Il se porta à Magdebourg après avoir fait des dispositions pour la défense de Posen, Custrin et Stettin. Enfin, il rentra à Hambourg le 30 mai 1813.

Il rétablit l’ordre dans cette ville, chef-lieu de son gouvernement, organisa un nouveau corps d’armée entièrement composé de jeunes soldats, et fit élever ce vaste camp retranché qui, plus tard, conserva une armée à la France. A la gloire acquise sur tant de champs de bataille, manquait celle de défendre une grande place de guerre : c’est ce qu’il exécuta avec le plus brillant succès. Pendant 10 mois de blocus, livré à ses propres forces, sans espoir de secours, puisque la France était envahie, au milieu d’une population nombreuse et exaltée dans sa haine, il redoubla d’activité et d’énergie. Il lutta nuit et jour contre une armée de 80.000 hommes commandée par l’un des plus habiles généraux russes, le vieux Benigsen. Il fit preuve de tant de talents et de prévoyance, que la postérité confirmera sans doute le jugement des contemporains sur la belle défense de Hambourg. C’est ainsi que se termina sa carrière militaire.

Des allégations fausses et injurieuses furent prodiguées contre lui à cette occasion ; mais les hommes disparaissent, les passions se calment, et la vérité seule reste pour assurer le triomphe de la justice. Qu’il me soit permis cependant, Messieurs, pour dissiper le moindre doute sur la noble conduite du prince d’Eckmühl dans son gouvernement, de citer ses propres expressions consignées dans son mémoire au Roi. "Je sais que, pour donner à ma conduite une couleur odieuse, on a répandu dans le public et annoncé dans les journaux étrangers, que les moindres fautes à Hambourg étaient punies de la peine capitale, et que cinq des plus riches négociants de la ville avaient été passés par les armes pour avoir fait connaître à la garnison les événements survenus en France. J’en appelle au témoignage de toute l’armée, et des Hambourgeois ! qu’ils disent si ma rentrée dans leurs murs a été signalée par des exécutions ; si aucun habitant a payé de sa vie, de sa liberté même, ses opinions, ses discours, ses écrits, ou ses actions politiques ! J’ai été sévère, il est vrai, mais d’une sévérité de paroles, qu’il entrait dans mon système d’affecter dans tous les pays où j’ai commandé, et dont j’ai laissé croître le bruit, bien loin de chercher à le détruire, pour m’épargner la pénible obligation de faire des exemples." Certes, une conduite aussi mesurée, aussi humaine, honore à la fois l’homme et le guerrier ! Aussi, le Monarque, juge souverain de l’honneur, donna une preuve éclatante de sa bienveillance au prince d’Eckmühl, en lui donnant le bâton de Maréchal de France, et en lui conférant la dignité de Pair.

Sa grande réputation passera à la postérité. Les sentiments d’équité, de probité, et de parfait désintéressement qu’il a manifestés dans les pays où il a exercé des commandements, lui avaient mérité la confiance des peuples ; le roi de Saxe, l’empereur d’Autriche et le prince régent de Portugal lui avaient donné les témoignages glorieux de leur considération personnelle. Et il est digne de remarque, qu’après avoir reçu les plus riches dotations en récompense de ses services et de son intégrité, il ne laisse à sa famille qu’une fortune trop modeste pour son rang.

J’ajouterai, Messieurs, quelques traits de son caractère. Malgré un abord sévère, qui n’était dans le prince d’Eckmühl que l’habitude du commandement et l’empreinte de sa stoïcité, il avait un cœur sensible et généreux. L’amour de son pays a été constamment le besoin de sa vie ; et la justice, le mobile de toutes ses actions. Il fut heureux époux et bon père. Il vit arriver sa dernière heure avec le calme d’une conscience pure, avec cette fermeté d’âme qui ne l’avait jamais abandonné sur les champs de bataille. Satisfait d’emporter dans la tombe l’assurance des bontés de son Souverain, il m’entretenait, quelques jours avant de quitter la vie, de sa profonde reconnaissance pour la faveur que le Roi venait de lui accorder, en daignant transmettre héréditairement à son fils ses titres de Prince, Duc et Pair. Le Roi, dans sa haute sagesse, a consacré les victoires récentes d’un fils de France et les trophées de nos victoires modernes, avec les trophées conquis par les Condé, par les Turenne, et par cette foule de héros, dont les nobles rejetons siègent dans cette Chambre. Le jeune duc d’Auerstaedt, prince d’Eckmühl, est appelé par la volonté royale à venir occuper la place de son père et à nous conserver le souvenir de ses glorieux exploits. Ainsi, la génération qui s’avance pourra choisir ses modèles parmi les grands hommes qui ont illustré la France. Ainsi, les descendants de nos guerriers de tous les temps, couverts des lauriers de leurs ancêtres, imiteront leurs vertus, et donneront d’âge en âge l’exemple du plus parfait dévouement pour le soutien du trône légitime des Bourbons.

La Chambre ordonne l’impression du discours prononcé par M. le maréchal duc d’Albuféra.

Archives parlementaires de 1787 à 1860 - Recueil complet des débats législatifs & politiques des chambres françaises - Deuxième série (1800 à 1860) - tome XLI - Paris, Librairie administrative de Paul Dupont, 1878.

Texte donné par l'association Davout sous ce lien:

http://www.souvenir-davout.com/rubrique ... ubrique=1#




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Message Publié : 07 Fév 2006 23:38 
Un éloge d'une grande envolée que le duc d'Auerstaedt avait mille fois mérité.
Un vrai plaisir de lecture. :aime:


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 Sujet du message : Re: Eloge funèbre de Davout
Message Publié : 21 Mars 2010 15:33 
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Inscription : 04 Nov 2003 22:47
Message(s) : 2429
Sa lignée aussi.http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5 ... ois.langFR).(

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