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Tandis que les soldats anglais présentaient les armes, une délégation composée du capitaine de génie Alexander et de plusieurs personnalités civiles et militaires les acceuillirent sous une tente dressée à proximité du tombeau.
Derrière eux, se trouvaient le tapissier Darling qui, en 1821, avait joué le rôle d'ordonnateur des pompes funèbres et le plombier qui avait soudé le cercueil. Les Français, de leur côté, avaient pris la précaution d'amener de Paris un serrurier du nom de Leroux.
Les travaux commencèrent à minuit. A la lueur des torches, les soldats du génie se mirent à l'ouvrage. Le ciel était lourd de nuages que traversait un pâle rayon de lune. Il faisait froid et il n'allait pas tarder à pleuvoir.
Vers quatre heures du matin, après avoir déscellé la dalle et enlevé la terre qui comblait la fosse, on atteignit la plaque de ciment qui recouvrait le caveau sur toute son étendue. De longs efforts allaient être nécessaires pour la briser au ciseau et soulever la lourde pierre placée au-dessus du cercueil. Lorsqu'on eut terminé cette délicate opération, il était déjà neuf heures. Le jour s'était enfin levé, mais la pluie continuait à tomber.
Tandis que les Français couraient s'abriter pour endosser leurs grands uniformes, Bertrand et Gourgaud celui de lieutenant général, la poitrine barrée par le cordon de la Légion d'honneur, Emmanuel de Las Cases celui de député, Marchand celui de lieutenant de la garde nationale, l'abbé Coquereau revêtu de ses ornements sacerdotaux, entouré de deux enfants de choeur, l'un portant un crucifix, l'autre un bénitier, récita le De Profundis et bénit la sépulture.
La bière, dont les témoins purent constater la parfaite intégrité, fut lentement remontée à la surface à l'aide de cordages et transportée sous la tente. Suivant les indications de Darling, Leroux, avec d'infinies précautions, enleva les vis, fit céder les soudures. Le général Middlemore, que Rohan-Chabot avait fait appeler, était venu se joindre au petit groupe et ne cherchait pas à dissimuler son émotion.
La dernière plaque de fer-blanc enlevée, on devina la forme indécise du corps de l'Empereur que protégeait une fine garniture de satin ouaté.
Pieusement, le docteur Guillard la déroula en remontant des pieds vers la tête. Puis il se redressa et s'écarta légèrement. Toute l'assistance put alors contempler Napoléon.
Le cadavre apparut, en effet, dans un étonnant état de conservation.
La tête rasée semblait volumineuse, les paupières, complètement fermées, avaient conservé quelques cils, les joues étaient légèrement bouffies, les ailes du nez à peine altérées. La bouche entrouverte laissait apercevoir trois dents d'une éclatante blancheur. Le menton présentait un aspect bleuâtre, comme si la barbe avait poussé après la mort. Cependant, l'apparence générale du visage exprimait la sérénité, le calme, presque la jeunesse.
Les vêtements étaient, eux aussi, intacts. L'uniforme des chasseurs de la Garde, le grand cordon de la Légion d'honneur demeuraient parfaitement reconnaissables. Les épaulettes, les décorations, les boutons de la tunique avaient un peu terni. Seules, les coutures des bottes avaient cédé et des orteils dépassaient.
Les anciens de Longwood sanglotaient tandis que le docteur Guillard tâtait la peau, palpait les membres, constatait la souplesse des tissus.
Sur un geste de Rohan-Chabot, il remit en place le léger linceul de satin après l'avoir saupoudré de créosote.
La scène n'avait pas duré plus de deux minutes.
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