L'Énigme des Invalides

Nous sommes actuellement le 28 Mars 2024 19:48

Le fuseau horaire est UTC+2 heures




Publier un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 2 message(s) ] 
Auteur Message
 Sujet du message : A propos du comte Léon...
Message Publié : 18 Sep 2005 11:46 
Hors-ligne
Rédacteur
Rédacteur
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 14 Déc 2002 16:30
Message(s) : 15598
PORTRAIT DE MEMOIRE
Son trisaïeul est né à Ajaccio, pour devenir empereur des Français durant douze ans. Le comte Léon est en effet l’arrière-petit-fils du plus illustre des Corses, Napoléon 1er. Un bagage que ce Villiérain porte avec sérénité, se reconnaissant simplement comme un humble républicain

« VOUS savez, je vis dans le souvenir et la commémoration de mon ancêtre », assure modestement le comte Léon, doux octogénaire dont les yeux gris-bleu semblent par fréquents instants perdus dans un ailleurs, peut-être plus impérial.

Car, depuis sa naissance, en 1911 - la République en était alors à sa troisième mouture, avec Armand Fallières comme locataire présidentiel - M. le comte vit, hérédité oblige, en un permanent aller-retour affectif entre les riches heures de l’empire napoléonien, dont il ne lui est possible que de rêver, et ce XXe siècle qu’il a quasiment traversé de bout en bout.

Rien pourtant de tape-à-l’oeil ni de fastueux dans le mode de vie du comte : retraité de l’agriculture après avoir été éleveur de chevaux et de moutons pendant quarante ans sur un domaine de La Queue-en-Brie, il réside aujourd’hui dans un fort modeste pavillon à Villiers-sur-Marne, s’étant permis récemment comme seule folie somptuaire l’achat d’une voiture neuve pour relayer les services d’une R 16 antique. Rien donc d’un hobereau chez M. le comte, pour qui le culte de l’ancêtre ajaccien est bien la seule richesse. Et encore ne la revendique-t-il qu’avec modestie, conscient que sa nostalgie est bien moins d’ordre politique que strictement filiale. D’ailleurs, le comte Léon tient à lever toute ambiguïté possible : « Je suis un républicain, patriote et attaché aux valeurs de la solidarité. »

Un historien pointilleux, et le lecteur lui-même pourrait se demander par quel haut fait d’alcôve notre interlocuteur a pu prendre sa place sur l’une des dernières branches de l’arbre généalogique impérial : qu’on se rassure, le comte Léon n’est point l’un de ces plaisantins qui, dans les histoires d’enfants, se prennent par dizaines pour Napoléon, confondant entonnoir et bicorne. Remontons à l’année 1806 : Napoléon est alors auréolé de gloire, à son sommet, après son retour de la campagne d’Austerlitz. Il rend visite au début de cette année à sa soeur Caroline, épouse du maréchal Murat. Arrivé au château de Neuilly, où demeure le couple, Napoléon - qui n’est pas qu’homme de conquêtes militaires et d’assauts guerriers - pose les yeux sur une très belle jeune fille de dix-huit ans, qui s’appelle Louise Catherine Eléonore Denuelle de La Plaigne et exerce la fonction de lectrice et de dame d’annonce à la cour de Caroline. Surnommée la « Belle Eléonore », la demoiselle avait en outre une conversation brillante qui séduisit vivement l’empereur. Après le repas de famille, où l’on imagine que Napoléon devait trouver peu d’attrait au menu, le Corse enfiévré se hâta de se rendre dans la chambre du pavillon occupé par la jeune personne, lui rendant un hommage particulier. Bilan du corps à corps : une naissance masculine le 13 décembre 1806, donnant vie à l’enfant naturel Charles-Léon. Ce dernier, devenu adulte, accomplit alors à son tour, mais tardivement, ses devoirs de reproduction, engendrant en 1857 le petit Gaston-Léon, père de l’actuel comte Léon. La véracité de tout cela n’est d’ailleurs aujourd’hui contestée par personne, la seule petite pierre dans le jardin familial étant le froid persistant dont fait preuve le prince Napoléon envers son parent. Passons...

Pour se convaincre de l’intimité quasi religieuse qui existe entre le comte et son arrière-grand-père, il suffit d’ailleurs de promener les yeux sur les murs et le buffet bas de la salle à manger du pavillon de notre hôte : toute la pièce est en effet promue musée de la mémoire napoléonienne, les murs devenant cimaises pour les petits et grands portraits de l’empereur, le buffet étant mobilisé pour l’alignement de cinq statuettes de maréchaux d’Empire. Un sanctuaire qui, à l’instar des pyramides d’Egypte donnant le vertige à Napoléon, permet au visiteur de replonger quelques siècles en arrière.

Mais il ne faudrait pas réduire la vie du comte Léon à la seule défense et illustration de la saga impériale. Sa biographie le montre aussi homme de plaisirs terrestres et de dévouements altruistes, passionné par l’équitation, longtemps amateur de cyclisme (« J’avais rencontré Antonin Magne, deux fois vainqueur du Tour de France, qui m’a dit : « Je suis napoléonien et communiste », en me montrant sa carte du Parti ! »). En 1940, la drôle de guerre le voit se morfondre pendant des mois le long de la ligne Maginot, puis l’Occupation le décide à rejoindre les Forces françaises de l’intérieur (FFI). Un geste qu’il explique par son refus de voir la France envahie et humiliée, privée de sa souveraineté et de sa liberté. Réflexes ataviques ? En tout cas, notre homme garde cette fibre si solide que la dissolution de l’intégrité nationale dans la potion maastrichienne le fait bondir et retourner à ses références familiales : « Jamais mon ancêtre n’aurait conçu une Europe contre les nations. » Une indignation qui devient étonnement affligé lorsqu’il a appris qu’une récente brochure de propagande d’Etat, énumérant divers personnages de l’histoire de France promus VRP de Maastricht, s’était permis d’asseoir Napoléon dans cette galère ! Un tel nom pour un « oui », alors pour Léon ce sera « non ».

Enfin, on ne pourrait achever ce portrait en pied sans évoquer les activités de ce monsieur placide, qui, à quatre-vingt-un ans, continue à s’occuper d’une association nationale pour la recherche cardiologique et d’une autre, sise à Villiers, apportant aide matérielle aux enfants handicapés.

Et puis, faisant l’inventaire des affaires sales tachant la vie politique nationale, il nous quitte en résumant par une devise calembour, très sérieuse cependant, ce qui constitue son idéal républicain : « Servir, sans se servir. » A bon entendeur...





Bruno Delion.




Article paru dans l'édition du 29 août 1992


Haut
 Profil  
 
 Sujet du message :
Message Publié : 18 Sep 2005 12:04 
Hors-ligne
Docteur
Docteur
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 09 Nov 2003 16:05
Message(s) : 1375
Localisation : Belgique
Bel article! :2:
Une descendance?

_________________
L'art d'être tantôt très audacieux et tantôt très prudent est l'art de réussir. N.


Haut
 Profil  
 
Afficher les messages publiés depuis :  Trier par  
Publier un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 2 message(s) ] 

Le fuseau horaire est UTC+2 heures


Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 10 invité(s)


Vous ne pouvez pas publier de nouveaux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas éditer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas supprimer vos messages dans ce forum

Recherche de :
Aller vers :  
cron
Propulsé par phpBB® Forum Software © phpBB Group
Traduction et support en françaisHébergement phpBB