Une poire pour la soif, en quelque sorte. Un dernier argument que je conservais pour le cas où...
Bien entendu, il sera jugé inopérant par les contempteurs habituels de la thèse de la substitution. Comme toujours, ils n'y verront que coïncidences ou maladresses, rien qui soit de nature à bouleverser les positions des uns et des autres...
Ou bien même, ils se rallieront avec empressement à l'historiette du "coeur de mouton" !
Et pourtant !
On sait que l'Empereur, dans ses dernières volontés, avait émis celles-ci:
1/ que son coeur soit rapporté en France pour être donné à son épouse légitime, l'archiduchesse Marie-Louise.
2/ que son estomac soit distrait de son corps pour que l'on puisse y rechercher la cause de sa mort.
Antommarchi -sur le moment (après l'autopsie)- insista pour que le coeur fut effectivement conservé pour être remis à l'ex-impératrice. De même, il fit effort pour conserver l'estomac. Mais l'Angleterre veillait: Ces demandes furent refusées et les viscères -préalablement enfermés dans des récipients étanches, avec ou sans esprit de vin- furent déposés "à côté du corps" ou "aux angles du cercueil", le 7 mai 1821, juste avant que le cercueil en fer-blanc ne fusse fermé.
Madame Bertrand avait également tenté d'émouvoir les subordonnés du Gouverneur. Rien n'y fit.
Marchand donne une version un peu différente, mais confirme pour le coeur:
"Le coeur fut alors détaché, mis dans un vase d'argent rempli d'esprit de vin pour,
conformément au désir de l'Empereur, être envoyé à l'impératrice Marie-Louise. Le Gouverneur déclara qu'il s'y opposait, que l'estomac seul serait envoyé en Angleterre; une vive discussion s'en suivit; le comte Montholon et le général Bertrand s'opposèrent à cette profanation, il fut enfermé comme le coeur dans un vase d'argent rempli d'esprit de vin et les deux vases soudés durent être enfermés dans le cercueil."
Par conséquent, Bertrand et Marchand, exécuteurs testamentaires de Napoléon, avaient le devoir -au moment de l'exhumation- de retirer le vase d'argent contenant le coeur de l'Empereur, pour le remettre à Marie-Louise (toujours en vie à cette époque), ou -à défaut- aux héritiers de l'Empereur...
Attendu qu'il y avait eu querelle sur le sort de l'estomac, le fait que le vase contenant ce viscère n'ait pas été retiré du cercueil en 1840 ne fait pas question a priori !
Mais il n'en est pas de même pour le vase contenant le coeur. L'affaire semble avoir été abordée, probablement par Marchand:
Témoignage de Gourgaud: "Le docteur reconnut, entre les pieds, les vases d'argent qui y avaient été déposés. On parlait de soulever le corps pour mieux l'examiner, sortir les vases, etc. Je ne pus m'empêcher de m'écrier que c'était bien là l'Empereur, qu'il n'y avait aucun doute (...)"
Récupérer le vase contenant le coeur était du devoir des compagnons présents en 1821 et en 1840. Autrement dit, Bertrand et Marchand !
Si Marchand semble timidement avoir soulevé la question (mais était-ce bien lui ?), le général Bertrand est resté silencieux et a laissé parler Gourgaud qui recommendait de fermer le cercueil le plus vite possible...
Qu'en dit le Dr Guillard ?
"des vases d'argent apparaissaient entre les jambes, un d'eux surmonté d'un aigle, s'élevait entre les genoux, je le trouvai intact et fermé; comme il existait des adhérences assez fortes entre ces vases et les parties voisines qui les couvraient un peu, Monsieur le Commissaire du Roi n'a pas cru devoir les déplacer pour les examiner de plus près."
Difficile de savoir exactement ce qui s'est passé. Mais le problème posé par les vases a dû être évoqué.
Marchand -comme c'était son devoir- ne semble pas avoir insisté.
Le général Bertrand, comme il en avait reçu la consigne, n'a rien tenté non plus, pour récupérer le coeur de l'Empereur ! Mieux, il n'a pas prononcé une parole durant toute l'opération !!!
N'est-ce-pas l'aveu qu'ils savaient désormais pertinamment que ça n'était pas là les restes de Napoléon ?
Comment croire que quelques "adhérences" auraient empêché de distraire le vase contenant le coeur de l'Empereur ? C'est si vrai que des murmures se soulevèrent parmi les anciens serviteurs !
Saint-Denis nous donnera-t-il le fin mot de l'explication ?
"On désirait avoir les deux vases qui renferment le coeur et l'estomac, mais comme ces objets sont sous les jambes et qu'il faut pour les ôter déranger celles-ci qui devraient naturellement souffrir du déplacement, on aime mieux laisser les choses telles qu'elles sont." !
Ainsi donc, Saint-Denis nous confirme que l'intention des compagnons de l'empereur était de récupérer les deux vases. Et il nous brode le joli conte des "adhérences" !
Mais, pour l'un des vases au moins, il n'était pas sous les jambes, mais entre celles-ci, et même avec l'aigle qui dépassait entre les genoux. Il ne devait pas être bien difficile de retirer ce vase de son emplacement.
Le silence de Bertrand à ce sujet, l'incertitude de Marchand quant à cet objet achèvent de démontrer -si besoin était- que les fidèles de l'Empereur savaient à quoi s'en tenir désormais...
