L'Énigme des Invalides

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 Sujet du message : Les Francs-tireurs...
Message Publié : 16 Août 2010 15:12 
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http://petitsamisdelacommune.chez-alice.fr/page199.html

Extraits du très remarquable texte du Commandant Henry Lachouque tiré de la Revue Historique de l'Armée, Guerre de 1870-1871 . N°1 spécial édité en 1971.



"Résistants de 1870-1871"



Il s'agit de ceux qui ne sont point honorés ; on ne conte point leurs exploits ; nul ne les cite au cours de cérémonies officielles consacrées au souvenir des morts glorieux... Leurs noms ne figurent pas sur les tables de la patrie qui, pourtant, se dit volontiers reconnaissante. Inutile de les chercher dans les manuels scolaires muets par principe sur nos gloires militaires.
On les appelait les "francs-tireurs", ces hommes vigoureux, habitués à la marche, coiffés de feutre ou de casquettes, vêtus de blouses ou de vareuses, équipés à la diable, armés parfois de pétoires à bout de force, souvent repoussés par le commandement et les habitants, mais décidés à défendre leurs foyers, à faire payer aux Prussiens leurs victoires et leurs rapines.
Volontaires authentiques, ils ont, comme tous les Français, une pointe d'orgueil ou... de vanité, le goût d'être en dehors de la règle commune, de ne pas "faire comme les autres", de porter un nom particulier, un costume spécial, une marque distinctive. Ils tolèrent à la rigueur un chef à condition de le choisir, pour qu'il ne puisse pas imposer une volonté trop stricte, ne veulent dépendre de quiconque, pas même du ministre, qui après avoir encouragé leur indépendance les a placés sous son autorité et... n'est pas obéi.
Parents pauvres de la guerre, à l'avant-garde ou à l'arrière-garde selon... le cas, ils veulent bien se battre, mais "pas comme tout le monde", les uns pour la Patrie, les autres pour l'aventure ou la bagarre, voire la bonne aubaine. Qui les connaît ?
Ils ont pour ancêtres les "corps francs" ainsi nommés jadis par opposition aux corps réguliers. Dégagés des règles de la discipline, armés, équipés à leurs frais, pour accomplir la mission dont ils étaient chargés, ils pouvaient "prendre le vivre" sans payer ; mais comme ils prenaient souvent un peu plus et même beaucoup plus que "le vivre" ces "corps francs", prédécesseurs des "Enfants de Montluc", des "Partisans de Villars", des "Chasseurs de Fischer", des "Miquelets", des "Légionnaires de M. De Viomesnil", etc., ont laissé dans les campagnes un souvenir à peine estompé de guerriers et de voleurs intrépides...

[...] Alors les francs-tireurs ont relevé le défi. Ils sont bientôt 3.000, 10. 000... 30.000 groupés en compagnies, bataillons, pelotons, batteries.
Qui les connaît ?
Qui connaît Lipowski, saint-cyrien de la promotion de Puebla (1862-1864), lieutenant au 10e bataillon de Chasseurs, démissionnaire l'an dernier, et ses neuf compagnies de ''Francs-tireurs de Paris" : 800 puis 2.000 ouvriers, étudiants, bourgeois, artistes, jeunes, vieux, vêtus de sombre ?
A Châteaudun, le 18 octobre, aidés par les habitants, les pompiers, les gardes nationaux, Haffmann, spahi en dissidence, échappé de Sedan... Avec son cheval (!), ils tiennent tête à six bataillons, huit escadrons, trois batteries... Repoussent l'ennemi parmi les flammes qui dévorent la ville.
Bien sûr, Paris a donné à la rue du Cardinal Fesch prolongée le nom de Châteaudun, mais demandez pourquoi ? aux Parisiens qui ne sont pas du quartier... Varize ? Civry ? deux rues dans le XVIe arrondissement... Pourquoi ? Ce sont deux villages de Beauce, près de Châteaudun, brûlés, détruits par les Prussiens, habitants massacrés, otages fusillés pour avoir défendu leurs foyers : Gouin, facteur rural, Tachaud, Belhomme, Homasson père et fils, Prévost, 70 ans, etc.
Quant aux 38 francs-tireurs du 3e Corps-francs de Seine-et-Marne qui, le 29 octobre, à Binas (400 habitants à 10 lieues à l'ouest d'Orléans), ont lutté contre 150 Chasseurs et 200 cavaliers bavarois, perdu 12 tués, 21 blessés, 4 prisonniers, refusé de se rendre - un seul est resté indemne -, on ne connaît le nom d'aucun d'eux ; on ignore qui les commandait.
Les "hirondelles noires" de Lipowski, les francs-tireurs de Foudras, de Liénard les vengent à Coulmiers puis sur le Loir ; ceux de Blidas (lieutenant Brun), de Tours (capitaine Hildebrand), les Volontaires de l'Ouest (zouaves pontificaux) se couvrent de gloire à Loigny (2 décembre).
Ceux de Cannes de Nice, de Loir-et-Cher, de la Dordogne, etc., les "partisans de Rochefort" du capitaine Maine, ex-légionnaire et survivant de Camerone. Les Vendéens de Cathelineau se battent en forêt d'Orléans contre les Prussiens de Frédéric Charles. Les rangs de ces braves sont grossis par les habitants décidés à se défendre. Qui les connaît ? Langevin, Rufin, Dormet, Eugène Dupuis de Lorcy déporté à Dresde ? tant d'autres...
Qui connaît la défense d'Alençon en janvier 1871, conduite sous une affreuse tempête de neige par Lipowski, des gardes mobiles, les francs-tireurs d'Alençon, de Tours, de Loir-et-Cher, soutenus par l'artillerie de Charner, frère de l'amiral, le 5e bataillon des francs-tireurs de Paris formé avec des volontaires du Havre portant chemise rouge et plume de coq, des Anglais, des Américains, des Italiens, des Danois et même... un Chinois. Au cours de la percée ordonnée par Lipowski, parce que personne ne doit tomber aux mains de l'ennemi qui fusille et pend les francs-tireurs, le bataillon perd cinquante tués et cent blessés : Fzehel, Dussol, Ducrot, Lamarre, Auclère, Davout (Charles), neveu du maréchal, etc.
Tous des héros ? Non. Les héros fils d'un dieu et d'une mortelle sont rares ; mais des Français qui n'acceptent pas la défaite et veulent se battre jusqu'au bout...
Tels les "Éclaireurs de Paris", dits les "Mocquard" du nom de leur chef, fils du secrétaire de Napoléon III et chef d'escadron de Spahis démissionnaire, secondé par Robin, ancien "marsouin", recrutés avec soin à Paris, vite organisés. Deux bataillons sont partis pour rejoindre l'armée de Mac-Mahon ; mais, à cause d'un accident, seul le premier, composé d'anciens officiers, vétérans d'Italie, de Chine, de jeunes gens choisis pour leur intelligence, leurs qualités physiques, s'est battu et a été décimé à Sedan. La phalange reconstituée près de Vernon, après l'investissement de Paris, opère dans l'Eure, bat des Prussiens à Hécourt, mène contre les cavaliers de Bredow et d'Albert de Prusse (fils), une guerre harcelante ; ainsi que les francs-tireurs des Andelys (capitaine Desestre), ceux du Calvados formés par deux patriotes, Henri et Trémant, avec Lumière, avoué à Caen, l'ex -sergent Legras, l'adjudant Baudelaire, Costina, professeur d'allemand au lycée, etc. ; les "Partisans Quentinois" entraînés par le Préfet de Rouen et les Gardes à cheval de la Seine inférieure commandés par le duc de Chartres, petit-fils de Louis-Philippe, caché sous le nom de Robert le Fort.
Des exaltés ! a-t-on dit. Des exaltés, les gardes nationaux de Saint-Quentin ? Les martyrs de Bazincourt ? Les "Éclaireurs de Louviers" courant dans la forêt de la Ronde ? Ceux de l'Eure enrôlés par Thionnet, économe au lycée d'Evreux auquels se sont joints des Landais qui tuent trois ou quatre Prussiens par jour ; des exaltés les Ebroïciens qui grimpent à la tour du beffroi d'Evreux pour sonner le tocsin pendant que les Allemands attaquent ?
Des exaltées les femmes de Brosville, de Tourneville ? Les hommes ayant suivi les francs-tireurs, elles ont pris fusil et giberne pour défendre leur village. S'il y avait plus d'exaltés et moins de... Résignés la France serait peut-être sauvée car les occupants sont effrayés ; leur moral s'en ressent, le haut commandement prussien s'inquiète à Versailles...
D'autant qu'on se bat autour de Paris où certains corps francs ont reçu l'estampille de Ministère qui, dès le 17 octobre, arrête leur recrutement devenu difficile du milieu de la cohue des hommes armés qui s'agitent dans la capitale. Cependant, les "Volontaires de la Seine" du colonel Lafon sont réclamés par les généraux à cause de leur valeur ; les francs-tireurs des Ternes se distinguent au combat de la Malmaison ; ceux de la Presse enlèvent le Bourget. Les "Cavaliers de la République" du brave Franchetti participent à tous les combats. Les Francs-tireurs de Neuilly opèrent dans l'Est.
L'ingénieur Sageret, ancien polytechnicien, secondé par un loueur de voitures et un ancien sous-officier a enrôlé sur les bords de la Seine 150 Neuillistes de tous âges et de toutes conditions : étudiants, clercs de notaire, coiffeurs, plombiers, bourgeois, un clown... Excellent tireur et distrayant ! Entraînée à Belfort, la compagnie est remarquée pour son aptitude au tir et au service en campagne dans les vallées vosgiennes, à la Pierre-Percée, à Raon-l'Étape. A la Bourgonce, le 6 octobre, elle perd les deux-tiers de son effectif et Sageret est mortellement blessé. Les survivants sont versés dans le "Corps franc des Vosges" rude et héroïque phalange de 1.800 à 2.000 hommes réunis,dressés par le commandant Bourras et ses officiers : Marquis, le Polonais Walowshi, l'ancien saint-cyrien Daustel, le pittoresque polytechnicien Perrin, son conscrit Pistor. Le corps occupe les points de passage de l'Ognon, pendant que le général Cambriels réorganise l'armée des Vosges à Besançon. Plus au nord, le capitaine Huot mène la vie dure aux Badois de Werder, mais les habitants de Seveux souffrent cruellement de leur courageuse défense.
Les "Chasseurs de Hâvre" au combat d'Alençon. Image d'Épinal.
Les "terres héroïques", près de la forêt de Boêne abritent "le Camp de la Délivrance" où s'entraînent les francs-tireurs qui ont quitté leurs foyers voisins de Vacheresse, Montigny, Rocourt, Sauville, etc. : Bernard, ancien de la contre-guérilla au Mexique, le lieutenant Coumès, saint-cyrien de la promotion 1865-1867, échappé de Sedan, Maillière, clerc de notaire ; Richard, Adamiste ex-sous-officier, etc., commandent des compagnies, instruisent les hommes, tendent des embuscades. Un "comité" les dirige et l'on décide de détruire la voie ferrée Paris-Strasbourg. Elle n'est gardée que par des détachements de cavalerie et de landwer à Frouard, Toul, Commercy... La place de langres fournit 200 kilos de poudre dont elle ne garantit pas la qualité et, après une marche épuisante à travers bois et dans la neige, la colonne des partisans fait sauter le pont de Fontenoy, le 22 janvier 1871, jour où l'on fête à Versailles le vieux Guillaume proclamé le 18, Empereur allemand. Bien sûr, le lendemain, tout flambe dans la région arrosée de pétrole ; défense d'éteindre les incendies, rafles à Nancy de deux cent hommes et femmes pour reconstruire le pont...
Sur l'ordre du gouvernement, les "Francs-tireurs de la délivrance" quittent le camp le 8 février 1871, escortés par les troupes allemandes qui leur rendent les honneurs, gagnent Châlons-sur-Saône et seront, en mars, licenciés à Chambéry. Confondus dans un injuste dédain avec la plupart des formations franches passées en Suisse ou dissoutes, ils resteront sans récompenses... oubliés...
Ecoeuré, Bernard, baroudeur impénitent s'expatrie et sera tué en 1880 dans l'armée péruvienne, au cours de la guerre contre le Chili. Coumès sera décoré dans neuf ans, à son tour de bête. Chef de bataillon de la légion étrangère au Tonkin, puis rentré en exil en France, il est mort oublié à Montpellier en 1895. Mort en exil La Cecilia, chef de bataillon aux Francs-tireurs de Paris, général sous la Commune, réfugié en Angleterre. Mort, Bourras auquel le gouvernement a refusé le grade de colonel qu'il avait si glorieusement gagné. Lipowski, auquel la commission de révision des grades du général Changarnier a enlevé les étoiles cousues sur ses manches après la bataille d'Alençon, est mort à Paris en 1904.
Les survivants ont repris la charrue, le chemin de l'usine ou du bureau... Puis, en Alsace, en Lorraine, en Beauce, en Normandie, les soirs d'hiver, le grand-père raconte les exploits des hommes du village... "Nous étions cinq, embusqués au coin du bois de sapin, on guettait les uhlans arrivant par la grand'route. Un matin, le boucher, le charron, le bedeau en ont enterré un dans l'ados du fossé près de la fontaine ; plus tard, le tuilier lui a fait une croix en briques ; on est chrétien, pas vrai ?" Les enfants attentifs et effrayés qui écoutent ces récits défendront Verdun en 1916, malmèneront les "Boches" en territoire occupé et leurs fils qui connaîtront l'invasion de 1940 deviendront eux aussi francs-tireurs.
Car la "résistance" ne date pas d'hier.
Depuis les premiers âges, le grand mystère qu'est la guerre plane sur l'humanité et l'on compte, dit-on, à partir de l'an 1600 avant Jésus-Christ, plus de huit mille traités de paix, ce qui, par parenthèse, n'est guère encourageant !
Sans nous perdre dans les brumes d'un trop lointain passé, depuis Vercingétorix, voici deux mille ans, jusqu'à de Gaulle, combien de Français, ont en marge de l'armée régulière payé de leur vie leur volonté de défendre leurs foyers et de résister à l'envahisseur ?
Commandant Henry Lachouque.

_________________
"Tant que les Français constitueront une Nation, ils se souviendront de mon nom."

Napoléon.


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