L'Énigme des Invalides

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Message Publié : 25 Avr 2015 17:20 
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Nous connaissons tous (pour la plupart), le mot terrible de Victor Hugo à propos du général Trochu : "Trochu, participe passé du verbe trochoir !" Et si l'histoire avait été injuste envers cet homme ? Nommé gouverneur militaire de Paris par Napoléon III, le 12 août 1870, il va précipiter la chute de l'Empire en se ralliant aux énergumènes qui osent proclamer la déchéance de l'Empire, le 4 septembre 1870. Pour sa défense, il dira qu'il a été le dernier à trahir l'impératrice, sauf à faire ouvrir le feu sur les émeutiers et faire couler le sang français... En récompense, les hommes du coup de force qui avaient fait envahir l'enceinte du Corps Législatif; le nomment président du gouvernement de la Défense Nationale. A ce titre, Trochu est chef de l'Etat et chef du gouvernement, un peu comme le sera de Gaulle, de 1944 à 1946. Nous présentons ici sa défense, telle que rédigée par ses descendants ; Trochu a, en effet, un plan (le fameux plan Trochu, gaussé par l'opinion publique et les républicains eux-mêmes) :

http://musee-trochu.com/



"les premières batailles lui ont donné la certitude, qui ne sera pas démentie, que l'ennemi n'attaquera jamais de front les défenses redoutables de Paris et attendra patiemment que la guerre civile, ou à défaut la famine, l'oblige à capituler.

Avec son fidèle adjoint le général Ducrot, il cherche à déjouer le projet en mettant sur pied une opération militaire ayant pour objet de rompre le cercle de feu de l'assiégeant afin de permettre le ravitaillement de la ville.

Il faut naturellement que l'effort ait lieu là où l'ennemi s'y attend le moins et dans l'immense périmètre de la place une seule direction répond à cette condition. Elle se prête en outre admirablement à une préparation de ravitaillement: c'est la ligne du Havre par Rouen.

Là, les deux bras de la Seine formant la presqu'île de Gennevilliers opposent en apparence à toute sortie des obstacles assez sérieux pour que l'ennemi ait moins songé à se préparer de ce côté. Effectivement, l'armée prussienne dans la zone qui a pour base la Seine d'Argenteuil à Chatou et pour sommet Cormeilles n'a établi aucun dispositif défensif redoutable et n'y montre que de faibles détachements.

De plus, cette direction présente d'autres avantages: elle est flanquée à gauche par le fleuve et de l'autre côté elle peut être protégée par la petite armée qui s'est organisée à Lille et, descendant par Amiens, viendrait éventuellement s'établir sur son flanc droit. Enfin l'occupation ennemie ne dépasse pas la ligne de Pontoise à Mantes et en un jour, après un seul combat probablement, l'armée peut se porter hors d'atteinte des forces prussiennes, cheminer à marches forcées sur Rouen, grand centre de ravitaillement, et de là vers la mer, base de manoeuvres entièrement libre.

Pendant deux mois, Trochu et Ducrot organisent avec le plus grand soin cette vaste opération. Pour permettre le passage de la Seine à Bezons et l'avance sur Cormeilles, sont construites dans la presqu'île de Gennevilliers les redoutes de la Folie, de Charlebourg, de Colombes, du Moulin des Gibets; de nombreuses batteries armées de pièces du plus gros calibre sont établies dans ce secteur; huit ponts de bateaux, dont un d'artillerie, sont préparés pour être portés immédiatement sur le fleuve et permettre le passage des troupes et des pièces. Afin de ne pas perdre une minute, les éléments de ces ponts sont même chargés à l'avance sur le chemin de fer.

La veille du jour " J ", cinquante mille hommes doivent assez ostensiblement traverser Paris, se porter à la hauteur des forts de l'Est et menacer sérieusement, sans toutefois pousser à fond, le quartier général allemand de Bondy. Après cette attaque de diversion, un nombre égal d'hommes, triés sur le volet, tant officiers que soldats, sera concentré nuitamment dans la presqu'île de Gennevilliers, passera le fleuve à la pointe du jour sous la protection de l'artillerie lourde capable de battre la plus grande partie de la zone à franchir, s'élèvera après un seul combat, jusqu'aux hauteurs de Cormeilles, traversera l'Oise et passera vers Rouen puis la mer.

A ce plan de sortie de Paris, et c'est ce qui en fait tout l'intérêt, s'ajoute un plan de ravitaillement de la capitale par la basse Seine: étant donné que la région parisienne épuisée par les réquisitions de l'ennemi ne peut plus rien fournir, il faut aller chercher plus loin.

Or les destructions opérées sur les ponts, les routes et les lignes de chemin de fer ne peuvent permettre d'effectuer les transports importants qu'après plusieurs jours de travaux, délai incompatible avec l'action que l'ennemi ne manquera uns d'engager rapidement pour colmater la brèche. La voie fluviale est de toute évidence le moyen le plus pratique d’acheminer immédiatement les convois.

Tout devant être minutieusement prêt à l’avance, un ingénieur des Ponts et Chaussées, Monsieur Cézanne, est envoyé en province par ballon avec mission de :

- Réunir dans quelques ports de la Basse-Seine, aussi proches de Paris que la prudence le permettra, d'importantes quantités de vivres: biscuits, farines, riz, légumes et fruits secs, café, sucre, conserves de viande et de poisson, huile, beurre, etc.;

- Préparer une flottille légère capable de transporter rapidement ces stocks dans la capitale;

- étudier à l'avance avec les ingénieurs de la navigation de la Seine les détails du voyage du convoi jusqu'à Paris.

Rien n'est donc laissé au hasard et si cette opération réussit. Trochu aura donc fait coup double: ravitailler Paris, soit augmenter la durée possible du siège et partant de l'effort de la province, - créer le noyau de l'armée de secours chargée de harceler les arrières de l’assiégeant.

Seul Jules Favre et quelques officiers des états-majors de Trochu et de Ducrot sont dans le secret de la préparation. A juste titre, en raison de fâcheuses expériences, les militaires se défient des indiscrétions des hommes politiques qui, involontairement par la presse, mettent l'ennemi au courant de tout ce qui se passe dans Paris.

Gambetta, lorsqu’il est parti en ballon, n'a pas été davantage mis dans la confidence, le Gouverneur de Paris comptant sur la collaboration étroite de l’amiral Fourichon et du général Lefort.

Trois jours après l'arrivée à Tours du nouveau délégué le gouvernement apprend le rôle dictatorial de Gambetta dans les affaires de la guerre. Trochu comprend, malgré sa répugnance à introduire un homme politique dans les questions militaires, que seul ce dernier, s'il le veut, sera en mesure de seconder ses projets.

Il choisit donc la première occasion pour informer Gambetta. Cette occasion c'est le départ de Ranc, secrétaire et ami intime du dictateur. Trochu le convoque à son quartier général et lui expose verbalement dans ses grandes lignes le plan de sortie vers la Basse-Seine souhaitant que, le moment venu, une partie de l'armée de la Loire vienne lui donner la main.

Gambetta enregistre la communication mais n'en tient aucun compte. Il avise bien Jules Favre que Ranc s'est acquitté de sa mission et que le plan du général Trochu sera soumis en Conseil de guerre et discuté, puis il s'enferme à ce sujet dans un mutisme total.

Mutisme si total que le 10 novembre, Trochu enfin prêt à agir lui envoie par ballon le message suivant :

" Nous sommes sans nouvelles de Tours depuis le 26 octobre, et d'autant plus inquiets, que l'ennemi fait répandre dans nos camps des nouvelles sinistres sur l'état des départements.

Votre silence rend aussi la situation du gouvernement difficile devant la population de Paris qui croit que nous lui cachons des nouvelles.

Je reviens aux affaires utilitaires. Il est d'un haut et pressant intérêt que vous ayez une armée sur la Basse-Seine, s'appuyant sur Rouen, approvisionnée par la Seine et cheminant avec précaution par la rive droite. Dites cela à Bourbaki qui doit se porter là très rapidement et, s'il ne le peut pas, envoyez-y, par les voies rapides, un gros détachement de l'armée de la Loire.

Si rien de tout cela n'est possible, j'agirai seul du 15 au 18 courant, mais c'est périlleux."

Malheureusement, Trochu ignore que Gambetta, ne tenant aucun compte de ses désirs, s'est fortement engagé dans la région d'Orléans et va demander aux assiégés d'agir dans la même direction.

La mauvaise foi du dictateur de Tours est absolue, si absolue que son fidèle Ranc ira, après la guerre, pour défendre son patron, jusqu'à nier avoir reçu aucune communication du plan Trochu. Négation stupide, puisqu'à son entrevue avec le Général assistaient deux témoins: le commandant Bibesco et le capitaine Brunet, et que le message de Gambetta à Jules Favre fait mention de son rôle sans aucune ambiguïté.


Gambetta pousse même l'impudence jusqu'à demander au général d'Aurelle de Paladines d'étudier un plan d'opérations pour donner la main, à partir d'Orléans, à Trochu qui marcherait à sa rencontre avec 150.000 hommes. Le commandant en chef de l'armée de la Loire lui ayant objecté judicieusement que pour étudier ce plan il lui faudrait être au courant des intentions du Gouverneur de Paris, le tribun radical ose lui répondre :

" Je vous prie de méditer de votre côté un projet d'opérations ayant Paris pour suprême objectif. Je ne peux compter que cette opération implique pour vous la connaissance préalable des projets du général Trochu. Nous sommes sans nouvelles; le hasard seul nous permet d'une façon tout à fait intermittente d'en obtenir; c'est comme une inconnue de plus dans notre problème que nous devons être résolus à vaincre comme bien d'autres. Pour cela, il suffit de supposer une simple chose, c'est que Paris connaît notre présence à Orléans et que dés lors c'est dans l'arc de cercle, dont Orléans est le point médian, que les Parisiens seront fatalemeent amenés à agir. "

Gambetta affirme ainsi sa certitude de voir Trochu abandonner son projet initial pour lui venir en aide.

C'est en effet ainsi que les choses se passent: un pigeon apporte à Paris l'annonce de la reprise d'Orléans et de la concentration sur Coulmiers. Alors que cette nouvelle provoque une explosion de joie dans la population, elle plonge l'état-major dans la perplexité: à deux jours de la date décidée pour l'opération offensive sur la Basse-Seine, Trochu doit entièrement modifier ses préparatifs; renoncer aux travaux entrepris de jour et de nuit pendant plus d'un mois, transporter d'Ouest à l'Est les ponts de bateaux, construire de nouvelles positions de batteries, y amener la forte artillerie concentrée dans la direction diamétralement opposée; remplacer par la garde nationale les troupes déjà prêtes devant Genevilliers pour les porter à proximité du lieu de la nouvelle action.

Les Parisiens n'y comprennent rien: toutes ces manoeuvres, ces marches, ces contremarches paraissent superflues, voire stupides, au public ignorant des secrets militaires. La verve habituelle s'en donne bientôt à coeur joie et le plan de Trochu est mis en chanson, ce plan dont on ne voit jamais la mise en oeuvre et que le Général a toujours, naturellement, refusé de divulguer :

Je sais le plan Trochu

Mon Dieu Quel beau plan!

Je sais le plan Trochu,

Grâce à lui rien n'est perdu

Quand sur du beau papier blanc

Il eut écrit son affaire

Il alla parler son plan

Chez Maître Ducloux, notaire...

Le Gouverneur de Paris ne se laisse pas démonter par la raillerie et poursuit imperturbablement sa tâche.

En douze jours de labeur écrasant, il réussit à déplacer son dispositif d'assaut et le 28 novembre l'armée est en mesure de passer la Marne entre Joinville et Nogent; soixante pontons lourds pour les canons, cent quatre vingts pontons légers pour l'infanterie sont amenés par le chemin de fer de ceinture; l'armée avec son artillerie et ses approvisionnements bivouaque sur la rive droite de la Marne; les forts les plus proches disposent de pièces de gros calibre pour protéger le passage de la rivière; enfin dans le but de donner le change à l'ennemi et d'empêcher une concentration de ses forces sur le point réel de sortie, une série de démonstrations offensives est en voie d’exécution: au sud vers l'Hay, à l'ouest contre Bezons et Epinay; au nord sur Aubervilliers, Le Bourget et le Blanc-Mesnil.

Malgré tout, l'opération présente un gros risque, car il faudra combattre le dos à la Marne et une contre offensive peut anéantir l'armée dont les possibilités de retraite sont nulles. Trochu ne se dissimule pas l'importance du danger mais son devoir est de coopérer avec les armées de province dont Gambetta annonce l'arrivée proche. Le Gouverneur ne recevra-t-il pas le 2 décembre sur le champ de bataille une dépêche précisant que cent vingt mille hommes cheminent vers lui en deux colonnes l'une par Pithiviers, Malesherbes, Chapelle-la-Reine, l'autre par Beaune-la-Rolande, Beaumont et Nemours ?

Le 29 novembre, le général Ducrot, que Trochu a placé à la tète des troupes, annonce l'offensive dans une vigoureuse proclamation à l'armée qu'il termine avec une imprudence enflammée : " Pour moi, j'y suis bien résolu, j'en fais le serment devant vous, devant la nation tout entière, je ne rentrerai dans Paris que mort ou victorieux. Vous pourrez me voir tomber, vous ne me verrez pas reculer. Alors, ne vous arrêtez pas, mais vengez-moi ! "

Tout est prêt dés l'aube, mais une crue subite de la Marne en rend la traversée impossible : les convois de bateaux sont arrêtés par la violence du courant, quelques-uns pris dans les remous coulent avec leur personnel, le génie ne peut mettre en place ses ponts.

Les ingénieurs hydrographes consultés estiment que la rivière doit baisser aussi rapidement qu'elle est montée et les deux chefs, d’un commun accord, décident de remettre l'opération au lendemain. Hélas ! l'effet de surprise est perdu, l’ennemi a malheureusement constaté le déploiement de nos forces et a le temps d’amener des renforts à pied d’oeuvre.

Le 30, au petit jour, le Mont Avron, le fort de Nogent, les redoutes et les batteries fixes qui dominent la Marne, dans un vacarme assourdissant arrosent les positions allemandes d’une pluie de fer. Les troupes, dans un élan magnifique, confiantes en leurs chefs, s'ébranlent et traversent la rivière sans rencontrer de résistance notable. En moins de deux heures Bry et Champigny, mollement défendus, tombent entre nos mains.

Les soldats encouragés par le succès de leur premier élan, conservent un ordre parfait et font preuve d'un entrain extraordinaire dans leur attaque sur Villiers et Coeuilly. Par vagues d'assaut successives, ils arrivent à s'approcher jusqu'à cinq cents mètres de l'objectif. Là, bien qu'à découvert et en contrebas, sous un feu d'artillerie meurtrier, ils arrivent à briser toutes les contre-attaques.

Au soir de cette première journée de bataille, dont le souvenir est glorieux pour nos troupes, il faut se rendre à l'évidence: les positions principales des assiégeants n'ont pas été enlevées; l'échec est honorable mais certain, quoique l'ennemi surpris du mordant de nos troupes et éprouvé par de sérieuses pertes ne semble pas disposé à reconquérir le terrain qu'il a perdu devant ses positions.

Tout espoir d'aller au devant de l'armée de la Loire parait devoir être abandonné, mais celle-ci peut réussir à s'approcher suffisamment pour prendre les Allemands à revers et les mettre ainsi entre deux feux. Trochu et Ducrot ne veulent pas risquer de laisser passer cette occasion et malgré la fatigue et le froid font mettre le terrain en état de défense : dans l'obscurité, des tranchées sont creusées sur les crêtes, des terrassements établis partout et des barricades sont disposées à Bry et Champigny restés entre nos mains.

La journée du lendemain, coupée par une suspension d'armes de deux heures pour relever sur le champ de bataille les tués et blessés, ne voit se dérouler qu'un duel d'artillerie. Les adversaires s'observent et se réorganisent en attendant le nouveau choc.

Le 2 décembre, les Allemands reprennent l'offensive dans l'espoir d'écraser leurs assaillants: ils tentent dès le lever du jour de s'emparer des deux villages, de détruire les ponts sur la Marne et de couper ainsi la retraite à l'armée française qui serait alors à leur merci.

Pendant plusieurs heures la bataille fait rage; avec une ténacité incroyable les défenseurs de Paris s'accrochent littéralement au sol et repoussent toutes les vagues d'assaut. Le soir, les pertes sont très sensibles dans les deux camps mais nos troupes conservent aussi solidement la ligne des crêtes.

Conscient comme à Magenta et à Solférino de l'importance de la présence du général en chef sur le champ de bataille, Trochu n'a cessé de se montrer dans la journée aux points les plus exposés, soutenant par son calme et son sang-froid la confiance des hommes de Ducrot.

Le capitaine d'Herisson nous le dépeint à cheval sur une éminence occupée par une batterie que l'ennemi essaie de démonter. Immobile sous une pluie de fer, le Gouverneur lorgne tranquillement les positions prussiennes. Bientôt l'artillerie adverse repère le groupe de cavaliers dont l'or des épaulettes et des galons est visible à l'oeil nu, les obus redoublent et Trochu continue imperturbablement d'observer les positions. Les projectiles se rapprochent, l'un d'eux vient tomber sous le nez de son cheval qui se cabre. Rester plus longtemps eût été un véritable suicide. Le Gouverneur calme sa bête et lentement retourne dans la direction de Champigny.

Ailleurs, un simple soldat voit, à la limite du plateau de Villiers, à l'endroit où se dresse le monument commémoratif de la bataille, six cavaliers arriver au galop et s'arrêter sous les balles entre les positions. C'est Trochu accompagné d'officiers d'ordonnance et de deux dragons qui vient encourager les troupiers mis à rude épreuve : " Bravo le 108e ! leur crie-t-il. Ils croyaient nous surprendre, c'est nous qui les avons battus. J'arrive de Champigny, il y avait là deux vieux régiments. Ils tenaient comme des teignes ! "

Mais la journée est dure et la victoire défensive chère: l'armée de Paris perd en tués et blessés deux généraux, huit colonels et lieutenants-colonels, neuf chefs de bataillon, quarante-six capitaines, quatre-vingt cinq lieutenants et sous-lieutenants; mille huit cents soldats tués et six mille blessés.

Toujours sans nouvelles de Gambetta, Trochu convient avec Ducrot de continuer le combat. Hélas ! dans la nuit, ce dernier constate l'affaiblissement des hommes glacés par un froid exceptionnel, 14° au-dessous de zéro, qu'ils subissent dans les tranchées, sans abris, avec des couvertures insuffisantes et un ravitaillement irrégulier, enfin les munitions ont été fortement entamées tant la violence du combat a été grande. Ducrot qui avait promis de ne pas reculer se résigne courageusement à ordonner la retraite avant qu'il soit trop tard.

Protégées par le brouillard d'hiver, ainsi que par un violent tir d'artillerie qui laisse supposer aux Allemands que nous allons reprendre l'offensive, les troupes repassent la Marne avec calme et discipline.

Sans perdre un instant le Gouverneur de Paris établit son quartier général à Vincennes pour réorganiser les corps, fusionner les plus éprouvés et faire les promotions nécessaires au remplacement des nombreux officiers mis hors de combat.

Cette réorganisation était achevée et l'armée prête à une nouvelle offensive lorsque parvient à Trochu la communication suivante :

" Versailles, le 5 décembre 1870

Il pourrait être utile d'informer Votre Excellence que l'armée de la Loire a été défaite hier près d'Orléans et que cette ville est réoccupée par les troupes allemandes.

Si, toutefois, Votre Excellence jugeait à propos de s'en convaincre par un de ses officiers, je ne manquerai pas de le munir d’un sauf-conduit pour aller et venir.

Agréez, mon général, l'expression de la haute considération avec laquelle j'ai l'honneur d'être Votre très humble et très obéissant serviteur,

le Chef Etat-major,

Comte de Moltke. "

Ainsi, Gambetta n'était pas au rendez-vous; il en était même très loin: la retraite de la Marne a eu lieu le 3 décembre et c'est le lendemain qu’Orléans est évacué par l'armée de la Loire. L'échec de Ducrot permettant de ramener dans Paris une armée encore solide est un bienfait de la providence comparé au sort qu'elle eût subi en rase campagne sous les assauts d'un ennemi libéré de toute autre contrainte. Les débris de l'armée de la Loire sont en effet rejetés en trois colonnes sur Gien, Salbris et Vendôme à plus de cent cinquante kilomètres de la capitale.

La poursuite d'opérations offensives ne présente donc plus un caractère d'urgence et Trochu rentre de Vincennes à Paris. Il refuse néanmoins de se déclarer définitivement battu. Quelques-uns des membres du gouvernement voient, en effet, dans la lettre du comte de Moltke une invitation à négocier. Le Gouverneur leur réplique vertement :

" L'état-major allemand nous déclare officiellement que nous sommes perdus et se propose de nous en fournir la preuve. Venant de victorieux qui se croient sûrs à ce point de la situation respective des belligérants, la lettre que je vous ai lue n'est pas une invite à négocier, c'est une invite à capituler. Ils savent comme vous que la fin de la résistance de Paris, qui les incommode singulièrement, c'est la fin de toutes les résistances. Si, comme je le crois, la population de Paris est capable de rester ferme jusqu'à son dernier morceau de pain, c'est-à-dire de souffrir encore un mois et plus, que répondrez-vous au pays s'il venait un jour vous dire :

" Quelques jours de résistance de plus et peut-être aurions-nous été sauvés ?

N'est-ce pas le grief qu'a le pays contre le maréchal Bazaine que déjà j'entends accuser de trahison ?

J'ajoute que cette proposition du comte de Moltke, d'autoriser l'un de mes officiers à cheminer par le pays pour constater, sous un sauf-conduit prussien, la réalité et l'étendue de nos ruines, me blesse à ce point que je ne suis pas loin de la tenir pour une impertinente raillerie. Je déclare que je ne me soumettrai jamais à cette humiliation et que je me propose d'y répondre comme il convient ".

La réponse, en effet, reprend l'insolente politesse contenue dans le message allemand :

" Votre Excellence a pensé qu'il pourrait être utile de m'informer que l'armée de la Loire a été défaite près d'Orléans et que cette ville est réoccupée par les troupes allemandes.

J'ai l'honneur de vous accuser réception de cette communication que je ne crois pas devoir faire vérifier par les moyens que Votre Excellence m'indique.

Agréez, mon Général, l'expression de la haute considération avec laquelle j'ai l'honneur d'être

Votre très humble et très obéissant serviteur,

Le Gouverneur de Paris,

Général Trochu. "

La situation de la capitale commence pourtant à s'aggraver, les subsistances s'épuisent : depuis longtemps boeufs et moutons ont disparu, les chevaux des particuliers, de la Compagnie des Omnibus passent chez l'équarrisseur avec parcimonie pour faire durer le siège le plus possible; les files d'attente à la porte des boucheries s'allongent démesurément, le pain est rationné à 300 grammes par jour et par personne. Quel pain! Affreux mélange où entre 25% de blé non bluté et qui contient 30% d'avoine, 20% de riz, 5% de seigle, d’orge et de pois, 10% de fécule et 10% de son.

Il n'y a plus ni conserves, ni fromages, ni pommes de terre. N'est-ce pas déjà prodigieux d'avoir pu, pendant deux mois et demi, nourrir 2.000.000 d'âmes ? Songeons que, grâce aux efforts et sacrifices collectifs, le siège va durer encore deux mois !

Le combustible pose également un problème grave, d'autant plus que le ciel même se montre particulièrement sévère: le froid est intense et les températures -15° à -17° fréquentes. La Seine charrie d'énormes glaçons qu'il faut parfois dégager à la dynamite pour sauver les canonnières de la petite flottille de Paris, or il n'y a plus ni charbon, ni briquettes pour la consommation domestique, le gaz est coupé le 30 novembre aussi bien pour les ménages que pour l'éclairage public.

Il faut attribuer intégralement la petite production encore possible au gonflement des ballons, seule possibilité de contact avec l'extérieur.

Il n'est pas besoin de souligner, connaissant le caractère de Trochu, qu'il s'est soumis le premier à ces sévères restrictions, renonçant volontairement aux privilèges, réglementaires dans l'armée, du commandant en chef et se contentant des attributions d'un simple divisionnaire. Son installation au Louvre est exempte de tout luxe. La générale s'est, en effet, empressée de faire recouvrir les tapis, les lustres et les meubles des salons de réception, inutiles dans ces moments de détresse et d'y organiser une sorte de campement pour l'état-major de son mari. La simplicité de Trochu ne lui fait désirer pour lui-même aucun avantage et, après avoir refusé le traitement de membre du gouvernement qu'il ne voulait pas cumuler avec celui de général de division, il restituera au Trésor une importante partie de la somme qui lui a été allouée à titre de frais d'installation et qu'il n'a pas jugé utile de dépenser.

Trochu veut même aller trop loin et étendre à tous les défenseurs de Paris la modestie qui l'anime. Il se sent tellement lié à son armée qu'il ne peut s'imaginer qu'elle puisse penser différemment.

Il réforme les citations à l'ordre de l'armée pour les réduire au minimum en demandant à tous les combattants de se contenter de la satisfaction du devoir accompli : " Je suis absolument résolu - écrit-il dans une circulaire adressée à tous les généraux - à faire cesser les vieux errements, originaires de la guerre d'Afrique, qui consistent à citer, après chaque engagement, une foule de noms qui commencent par ceux des généraux et finissent par ceux de quelques soldats... Je veux qu'une citation à l'ordre de l'armée de Paris soit une récompense qui prime toutes les autres... Nous avons à faire pénétrer dans l'esprit de nos officiers et de nos soldats cette grande pensée dont n'ont pas voulu les monarchies et que la République doit consacrer : que l'opinion seule peut récompenser dignement le sacrifice de la vie. "

L’avancement est pratiquement arrêté dans l'armée de Paris, au contraire de la politique de Gambetta qui se fait une popularité à bon marché en donnant les étoiles à des pharmaciens, des députés, des officiers subalternes...

La Légion d'honneur est distribuée au compte-gouttes. Encore est-elle totalement exclue de son entourage ainsi que le prouve l'attestation donnée par le général Schmitz, son chef d'état-major, à un officier d'ordonnance :

" Profondément reconnaissant des services rendus par Monsieur d'Herisson, le général chef d'état-major général aurait été heureux de lui faire conférer la croix d'officier de la Légion d'honneur, mais il appartenait de trop près au Gouverneur pour recevoir cette récompense.

Nous avions jugé, les uns et les autres, que nos services, dans d'aussi douloureuses circonstances, devaient être gratuits.

Il n'a été dérogé à cette règle que pour le capitaine Thory auquel le ministre de la Guerre a fait conférer, à Bordeaux, la croix d'officier, après la dislocation des armées et la signature de la paix. "

Trochu va même jusqu'à refuser systématiquement de décorer les prêtres dont le voeu d'humilité ne lui paraît pas compatible avec une distinction aussi futile que le ruban. Il se débat longtemps, lui grand catholique, contre ses collègues radicaux, pour que le supérieur des Frères des Ecoles Chrétiennes, dont le dévouement avait ému l'opinion publique, ne soit pas compris dans les promotions du siège. Vaincu par une insistance générale il finit par apposer sa signature au décret attribuant la croix au vénérable ecclésiastique, mais le rencontrant peu après, lui déclare :

" Mon cher frère, c'est bien malgré moi que je vous ai ôté une part des mérites de vos gratuits et charitables efforts. "

" Bien malgré moi aussi que je l'ai perdue " - lui répond son interlocuteur.

Cette attitude austère si peu semblable à celle de ses héros ordinaires a d'abord enthousiasmé le peuple de Paris. Il s'en lasse bientôt, fatigué du siège, las d'une guerre sans panache et déçu que son idole n'ait pas accompli le miracle espéré. Au lendemain du 31 octobre, le plébiscite donnait encore à Trochu l'éclatante confirmation de sa mission par 557.996 voix contre 62.638. Après la bataille de la Marne, les critiques commencent à naître sourdement dans les milieux bourgeois qui désirent une paix rapide, puis à se glisser dans les faubourgs partisans bientôt d'une sortie torrentielle. Par la caricature, dans la presse, au sein des clubs les attaques montent irrésistiblement.

Trochu conserve sa sérénité habituelle. Il se sait imparfait, mais il sait aussi que l'effort accompli est le summum de ce qu'il peut demander. Sa situation personnelle ne peut qu'être subordonnée à l'intérêt public, sa popularité ne l'intéresse pas et il se garde bien de révéler les secrets militaires qui pourraient mettre fin aux calomnies.

Heureusement, quelques témoignages de sympathie viennent parfois adoucir l'amertume qu'il pourrait avoir de se sentir incompris.

Telle cette lettre de l'éditeur Hetzel, du 21 décembre :

" Je me suis retenu cent fois depuis trois mois de vous écrire et de vous crier : Merci, c'est bien, suivez votre voie, soyez imperturbable, que rien ne vous trouble ! Vous nous avez déjà sauvé l'honneur. Eh bien !

Si le salut du reste est impossible vous aurez du moins assuré à notre pays une de ces nobles morts qui ne sont que le passage d'une vie mauvaise à une résurrection glorieuse... Et je ne veux pas que les événements s'accomplissent sans qu'un mot de moi, vieux républicain, vous ait dit : " Tous ne sont pas ingrats! "

Mieux encore cette apostrophe qui lui donne, de son propre aveu, la consolation, l'encouragement et la récompense de ses efforts :

Un jour, se rendant à cheval vers les fortifications, il croise une femme âgée, à cheveux gris, fuyant les quartiers bombardés et poussant dans une charrette à bras son pauvre mobilier.

Elle l'interpelle :

" C'est toi, Trochu ? Eh bien, va toujours ! "

A la lecture de ce billet, on constate que le plan Trochu a effectivement bel et bien existé, qu'il a été minutieusement préparé et qu'il avait toutes les chances d'aboutir. Mais je n'avais jamais entendu parler du rôle de Gambetta dans cette affaire. C'est clair et simple à la fois : Gambetta a sciemment saboté le plan Trochu ! Mieux, il faut dire qu'il l'a torpillé !!! Cette circonstance a été niée, notamment par le principal protagoniste, le propre secrétaire de Gambetta, le fameux Ranc ! Il n'en demeure pas moins que la confidence faite à Jules Favre par Gambetta sur ce point est édifiante : Gambetta a bien eu connaissance du plan, mais il a choisi délibérément de ne pas l'appliquer et d'agir comme s'il n'existait pas !

On est confondu devant cette attitude ! Quelles raisons ont bien pu pousser Gambetta à agir de la sorte ? Je n'en vois aucune qui soit militaire ou stratégique. Dès-lors, il ne reste plus que l'explication politique : Gambetta savait parfaitement que Trochu était un catholique convaincu et monarchiste de surcroît... Il n'entendait pas lui permettre de se présenter en chef victorieux et surtout de gagner la province. Car si Paris était dégagée -même momentanément- Trochu pouvait s'installer en province et reprendre la haute-direction des affaires militaires. En ce cas, Gambetta était rétrogradé au second rang et qui sait ? Peut-être même remercié et renvoyé à d'obscures plaidoiries.

Si les choses se sont bien passées ainsi, l'icône Gambetta est renversée : ce n'est plus qu'un aventurier qui a agi par opportunisme en vue de faire triompher sa république radicale et anti-cléricale. On pourrait même qualifier son attitude de "Haute-Trahison" !


contra : https://books.google.fr/books?id=PmDtvT ... hu&f=false

GAMBETTA et la Defense Nationale
De Henri Dutrait-Crozon

Il en résulte que Gambetta aurait souscrit aux objections de Bourbaki... Cependant, si même lesdites objections présentaient des arguments valables, il n'appartenait pas à Gambetta d'agir comme s'il était le maître ne devant tenir aucun compte des intentions de Trochu !

Mais, en définitive, Bourbaki n'a même pas tenu les propos avancés par Gambetta : dans une lettre du général adressée à l'amiral Fourrichon, Bourbaki expose que l'armée de la Loire, pour se rendre sur la Basse-Seine, aura à faire une marche de flanc de 75 lieues (300 km) avant d'arriver à Rouen ; que par suite, elle ne pourra faire pareil mouvement que si elle est suffisamment solide, bien disciplinée, bien approvisionnée ; qu'il y a lieu, à cet égard, de consulter les généraux de division, d'étudier aussi si l'armée ne pourra pas être transportée par chemin de fer. Ainsi, on voit que loin de considérer ce mouvement comme impraticable, Bourbaki indique les conditions pour réussir l'exécution de l'opération, acceptant même par avance de s'en charger...

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"Tant que les Français constitueront une Nation, ils se souviendront de mon nom."

Napoléon.


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Message Publié : 25 Avr 2015 20:49 
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Très intéressant, merci !


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Message Publié : 26 Avr 2015 17:24 
Cela donne en effet à réfléchir et à envisager les choses sous un autre angle. :louche:

C'est ce que j'ai d'ailleurs toujours apprécié chez vous, mon cher Bruno : votre grille de lecture différente des événements qui oblige à se poser des questions et à remettre en question des certitudes que l'on croyait jusqu'ici acquises... :diablotin: :4:


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Message Publié : 27 Avr 2015 15:10 
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Je ne connais rien à cette guerre (ou pas grand chose), mais c'est peut-être très ambitieux que de vouloir mettre à bas une "icône républicaine"... :rougi:


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Message Publié : 27 Avr 2015 15:44 
Koenig Claude a écrit :
mais c'est peut-être très ambitieux que de vouloir mettre à bas une "icône républicaine"...


Certes, mais c'est parfois en abattant les icônes que l'on fait progresser ce pauvre monde et que l'on se rapproche un peu plus de ces vérités que l'on s'évertue à nous cacher... :boomboom:


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Message Publié : 19 Mai 2015 9:56 
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Vous avez l'art des formules, Joker... :boire:


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Message Publié : 19 Mai 2015 19:09 
C'est fort aimable à vous de le mentionner. :salut:

Je manie aussi l'ironie et la causticité, mais ce n'est pas toujours du goût de tout le monde... :diablotin:


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Message Publié : 02 Sep 2024 16:01 
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Le colonel Grouard a sévèrement caractérisé l'attitude de Gambetta et prit position en faveur du plan "Trochu" qui était -en fait- celui du général Ducrot :

"L’organisation de l’armée était achevée et le général Ducrot était prêt à faire un puissant effort pour rompre la ligne d’investissement.

Cependant, le gouverneur de Paris ne recevait aucune réponse au sujet du projet d’opérations qu’il avait communiqué à diverses reprises à la Délégation de Tours, et le 10 novembre il écrivait à Gambetta :
« Nous sommes sans nouvelles de Tours depuis le 16 octobre, et d’autant plus inquiets que l’ennemi fait répandre dans nos camps des nouvelles alarmantes sur l’état des départements. Il est d’un haut et puissant intérêt que vous ayez une armée sur la Basse-Seine vers Rouen, approvisionnée et cheminant avec précaution sur la rive droite; dites cela à Bourbaki (1) qui doit se porter là très rapidement, et, s’il ne le fait pas, envoyez-y par des voies rapides un gros détachement de l’armée de la Loire.
« Si rien de tout cela n’est possible, j’agirai seul du 16 au 18 courant, mais c’est périlleux. »

Au moment où le général Trochu écrivait cette lettre, la bataille de Coulmiers était déjà livrée, et il ne devait pas tarder à y en avoir de nouvelles. Mais en apprenant que l’armée de la Loire venait de remporter une victoire, il allait voir en même temps que ceux qui la dirigeaient n'avaient tenu aucun compte de ses recommandations.

Et cependant quoi de plus simple, de plus sensé et de plus facilement exécutable, étant donné la situation de nos forces. Il aurait sufli d’embarquer entre Bourges et Vierzon tout le 15e corps et de le transporter par Tours et le Mans sur Rouen ; en le renforçant de troupes tirées du nord ou de l’ouest, on eût aisément réuni sur la Basse-Seine, en quelques jours, plus de 80,000 hommes avec lesquels on pouvait se porter sur Pontoise. Or on peut remarquer que les 8 divisions du 13e corps comprenaient chacune 6 régiments; par conséquent, en réunissant à l’avance à Rouen 3 brigades et affectant respectivement chacune d’elles à une division du 15e corps au fur et à mesure de leur arrivée, on aurait formé de la sorte 3 corps d’armée à 2 divisions. Pour l’artillerie, on doit observer que le 13e corps avait déjà 18 batteries ; on aurait pu lui adjoindre l’artillerie de réserve du 16° corps qui était de 6 batteries, et avec 6 batteries tirées encore du nord ou de l’ouest, on aurait ainsi disposé de 30 batteries pour l’armée qu’il s’agissait de réunir à Rouen, c’est-à-dire de 10 batteries par corps d’armée.

Les mouvements, par voie ferrée, de Bourges sur Rouen, auraient duré environ 6 jours. En les commençant le 30 octobre, l’armée eût été réunie à Rouen vers le 4 novembre, elle pouvait se mettre en mouvement vers le 6, de manière à arriver sur l’Oise du 8 au 10, c’est-à-dire au moment où le général Ducrot était prêt à sortir.

Rien n’était plus facile que d’y concourir.

Pendant ce temps, le reste des troupes réunies entre la Loire et la Seine, dont le I6e corps eût été le principal élément, aurait eu d'abord pour principale mission de couvrir les transports par voie ferrée ; puis une fois le mouvement de Rouen sur Paris dessiné, ces troupes devaient se porter à leur tour par Chartres sur la Seine, de manière à retenir sur la rive gauche les forces allemandes qui couvraient l’investissement au sud-ouest de Paris. Pour donner plus d’importance à ce mouvement, il eût été convenable de renforcer ces troupes de 2 divisions de l’armée de l’Est, qui, embarquées à Chagny, auraient débarqué en avant du .Mans; de cette façon, on aurait encore réuni sur l'Eure une cinquantaine de mille hommes qui auraient facilité le mouvement principal en retenant devant elle quelques corps ennemis et qui, en cas d’échec, auraient au moins empêché le duc de Mecklembourg de couper la retraite sur Rouen en descendant l'Eure.

On avait donc le moyen, au commencement du mois de novembre, de marcher sur Paris avec plus de 130,Ü00 hommes cheminant par les deux rives de la Seine, et il n’y avait pas grand inconvénient à s’avancer d’abord avec deux masses séparées, car les Allemands n’avaient pas, dans cette région, 20,000 hommes à leur opposer. D’autre part, la séparation était nécessaire pour couvrir et dissimuler les mouvements par voie ferrée. On peut d’ailleurs remarquer qu’en approchant de Paris, on devenait maître des ponts de la Seine de Mantes et de Meulan, et qu’au besoin toutes les forces françaises auraient pu se réunir sur l’une ou l’autre rive avant de combattre les Allemands.

Pendant que s’exécutaient les mouvements préparatoires en province, le général Ducrot, à Paris, aurait fait une forte démonstration du côté de l’est. Il était en effet dans ses intentions, avant d’exécuter son attaque décisive sur Argenteuil, de prononcer un effort sérieux sur Bondy avec 50,000 hommes, de manière à attirer l’attention de l'ennemi de ce côté.
L’opération projetée par le général Ducrot avait donc toutes les chances de succès, mais à Tours on ne sut pas en apprécier le mérite.

Grande faute commise par la Délégation de Tours.

On avait, il est vrai, obtenu une victoire et réoccupé Orléans, mais on était encore à 30 lieues de Paris ; il fallait de nouveaux efforts pour arriver sur la ligne d’investissement, tandis qu’une victoire obtenue sur la route de Rouen à Pontoise, concordant avec une tentative du général Ducrot, eût presque certainement et immédiatement amené le déblocus de la capitale.
Les membres de la Délégation avaient donc commis une grave faute en négligeant les propositions du gouverneur de Paris.

Cependant nous venions d’être vainqueurs, malgré les fautes commises ; mais la victoire n’avait été obtenue que grâce à une énorme supériorité numérique, non seulement sur le théâtre des opérations, mais même sur le champ de bataille, quoiqu’un corps de 30,000 hommes en ait été tenu éloigné. Les chefs de la nouvelle armée venaient de montrer les qualités de bons divisionnaires, même, si l’on veut, de bons chefs de corps d’armée, à la condition d’avoir à suivre une voie bien tracée ; mais, malgré la victoire qu’ils venaient d’obtenir, on peut dire qu’ils venaient de prouver qu’ils n’avaient pas les qualités suffisantes pour diriger les opérations d’une grande armée. Avec les meilleures intentions, les hommes de la Délégation étaient encore bien autrement incapables que les chefs de l’armée.

Ce qui les en distinguait, c’est qu’ils ne doutaient de rien. Ne sachant pas qu’il y avait un art de la guerre, ils pensaient que, pour vaincre, il suffisait de le vouloir. Ils pouvaient aller au-devant du danger, non pas comme des hommes courageux résolus à l’affronter, mais comme des aveugles courant droit sur un précipice qu'ils n’ont pas aperçu. En somme, le Ministre de la
guerre et le général en chef étaient également au-dessous des circonstances; car, dans la. situation où nous nous trouvions, il ne suffisait pas de mettre à la tète des troupes des généraux capables de les entraîner au combat. Nous ne pouvions espérer battre les Allemands qu’à la condition d’avoir, pour diriger nos armées, des chefs véritablement supérieurs par le savoir, l’intelligence et le caractère. Aussi, malgré l’heureux début des opérations que l’on venait d’entreprendre, et en raison des fautes malgré lesquelles on avait obtenu ce premier succès, il était à peu près certain que, si la conduite de la guerre restait entre les mêmes mains, on ne tirerait aucun parti des ressources qui venaient d’étre créées, et qu’on allait courir au-devant de nouveaux désastres.

1) Le gouverneur de Paris croyait que le général Bourbaki avait le principal commandement en province. Ce général avait bien reçu la mission d'organiser de nouvelles forces dans le nord de la France,
mais il avait bientôt demandé à résilier ses fonctions.


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Message Publié : 04 Sep 2024 12:29 
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Le plan de sortie par la Basse-Seine offrait seul des chances sérieuses de succès.

Que faut-il conclure de toutes ces considérations? C’est que le plan qui avait pour but la jonction des deux armées françaises sur la Seine, au-dessus de Paris, était essentiellement défectueux, parce que même dans les circonstances les plus favorables, on se trouvait conduit au milieu des forces allemandes sans aucun point d’appui de quelque valeur. Tout autres étaient les chances que présentait un projet de jonction sur la Basse-Seine. Alors si l’armée de la Loire obtenait une première victoire, elle ne risquait pas, en marchant sur Paris, de perdre ses communications, et si le blocus était levé seulement pendant quelques jours, l’armée du général Ducrot pouvait sortir et trouvait de suite un point d’appui dans une région que les Allemands n’occupaient pas encore solidement.

Même après toutes les fautes commises à, la suite de la bataille de Coulmiers, le pays du Loir et de l’Eure était donc encore, à la fin de novembre, le théâtre d’opérations qui nous était le plus favorable. Les difficultés des premiers combats étaient à peu près les mêmes que du côté opposé ; mais si l’on réussissait, on obtenait des résultats beaucoup plus importants sans compromettre la sécurité de l’armée.

En outre, en marchant par Fontainebleau, on n’avait absolument aucune chance de ravitailler Paris; car si, sous prétexte de protéger des convois, on voulait s’at tarder autour de la capitale, on risquait d’y être enfermé avec le général Ducrot, c'est-à-dire que le remède était pire que le mal. Il en était tout autrement de l’autre côté, car une fois arrivé à Versailles, on pouvait, après jonction faite, rester pendant quelque temps lié à la capitale, protéger la sortie d’un grand nombre de bouches inutiles et l’arrivée d’une certaine quantité d’approvisionnements.

Or, il est clair que les trains et convois de ravitaillement ne pouvaient être organisés que dans la zone comprise entre Tours et Rouen ; mais dans ce secteur on avait de nombreuses lignes ferrées à sa disposition ; sans compter celles de Tours dont on n’eût sans doute pas pu se servir, il y avait celle du Mans, celle d’Argentan, celle de Caen et celle de Rouen.

Nos 250,000 hommes établis face à l’est depuis Versailles jusqu’à Rambouillet, pouvaient couvrir ces lignes, et quand même ils auraient été obligés de céder le terrain, ils ne couraient aucun risque, pouvant toujours exécuter leur retraite sur l’Eure, en couvrantleurs communications avec l’ouest.

Dans tous les cas, la concentration préalable de l’armée de la Loire était indispensable.

Nous pensons donc que, même après avoir perdu l’occasion de marcher sur Paris avant l’arrivée des corps de Metz, c’était encore par l’ouest qu’on avait le plus de chance de réussir à dégager la capitale pour quelque temps, après l’arrivée de ces corps. Mais, quelle que fut la direction choisie, il est bien évident que, pour atteindre le but, il fallait tout d’abord battre les
forces allemandes que l'on rencontrerait sur la route. Si défectueuse que fut la marche sur Fontainebleau, si elle offrait cependant une chance favorable, c’était à la condition que l’armée de la Loire commençât par obtenir une victoire, et il est certain qu’il n’y avait qu’un moyen d’y arriver, c’était de suivre la marche que nous avons indiquée plus haut.

Or, il faut reconnaître que la Délégation semble avoir compris que, pour atteindre Fontainebleau, l’attaque par l’est de la forêt d’Orléans était la meilleure. Malheureusement, le Ministre de la guerre ni son délégué ne se sont dit qu’on ne pouvait obtenir de succès qu’à la condition de se concentrer. Sans doute, on ne devait pas porter de suite toutes nos forces vers l’est, car, pour dissimuler la concentration, il fallait en main tenir une fraction assez considérable vers la gauche ; mais il fallait n’y laisser que le nécessaire. Ce qu’on devait éviter surtout, c’était de porter un de nos corps sur Châteaudun, pendant le temps même qu’on en dirigeait d’autres sur Bellegarde et Ladon.

On doit éviter de se disperser dans la défensive, parce qu’on arrive à ce résultat : de ne pouvoir résister nulle part; mais, c’est encore une bien plus grande faute dans l’offensive, parce que l’on s’ôte le moyen d’exercer le puissant effort qu’elle réclame. On dira peut-être, pour excuser les dispositions de M. de Freycinet, qu’il était pressé d’agir; qu’en commençant le mouvement de la droite de l’armée avant la concentration, il ne voulait pas encore poursuivre sur Fontainebleau, mais surtout menacer la gauche allemande, de manière à dégager les provinces de l’Ouest. Mais ces considérations ne sont pas suffisantes pour justifier les dispositions qui ont été prises. En somme, par l’organisation incomplète du 18° corps, on n’a pu livrer bataille que le 28 novembre ; or, il est facile de voir qu’à la même date on pouvait y faire concourir des forces bien plus considérables, sans craindre de découvrir Orléans, à cette seule condition d’attirer sur ce point le 17 e corps nu lieu de l’envoyer sur Châteaudun.

Marche à suivre pour concentrer l'armée sur la droite :

En raison de l’organisation imparfaite de ce dernier corps, il nous semble que ce qu'il y avait de mieux à faire pour concentrer l’armée, c’était, avant de prendre l’offensive, de renforcer sur la droite. les 18° et 20 e du 16 e qui se serait porté de la gauche à la droite de l’armée, en passant derrière le 13 e . La droite de ce dernier corps aurait dû aussi concourir à l’opération, et le 17 e corps était encore en mesure de couvrir Orléans avec les 2 e et 3 e divisions du 13°. Les mouvements pouvaient s’exécuter de la manière suivante :

Le 24, le 17“ corps était porté sur Coulmiers, ce qui était possible, puisque dans la réalité, ce même jour, il a occupé Chàteaudun ; la l re division s'avancait jusqu’à Saint-Péravy. En môme temps, le 16 e corps évacuait ses positions et venait s’établir entre Ormes et Orléans ; la 3 e division du 15 e corps le remplaçait à droite de Saint-Péravy.

Continuant son mouvement, le 16“ corps arrivait le 25 à Fay-aux-Loges le 26 à Courcy-aux-Loges, tandis que le 17 e s’avançait sur Orléans, de manière à soutenir le 15 e . A notre avis, le mieux eût été de fondre ces deux derniers corps d’armée, de manière à réunir chacune des divisions du 17 e à une division du 15 e , et de former ainsi 3 corps à 2 divisions qui auraient pris les n os 15, 17 et 19. Deux de ces corps s’établissaient en avant d'Orléans, depuis Ohevilly jusqu’à Ormes, pendantque le 3 e,réuni en avant de Loury, était disposé de manière à appuyer l’offensive sur Beaune-la-Rolande et Pithiviers.

La journée du 27 était employée aux derniers préparatifs : le 16“ corps restait à Courcy-aux-Loges, le 18 e se concentrait à Ladon, le 20 e à Bois-Commun, et le 15 e corps à Chilleurs-aux-Bois. La concentration n’était donc pas plus impossible sur la droite que sur la gauche de l’armée, et, quoique à notre avis cette dernière fût bien préférable à l’autre en vue de la suite des opérations, il est certain que celle-là pouvait aussi nous procurer de nouveaux succès.

Le 28, les quatre corps 15 e , 16“, 18 e et 20“ se portaient en avant : le 18 e , de Ladon sur Beaune ; le 20 e , de Bois-Commun sur Batilly; le 16 e , de Courcy sur Courcelles; le 15 e , de Chilleurs sur Boynes


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