L'Énigme des Invalides

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Message Publié : 17 Mai 2006 10:31 
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Inscription : 14 Déc 2002 16:30
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CAS GENERAL

« La putréfaction est un mécanisme de décomposition des tissus et des cellules les composant, sous la dépendance des bactéries et des champignons. Cette décomposition produit des gaz très odorants, infiltrant progressivement tous les organes et gonflant le corps. La peau elle-même se décolle formant des bulles putrides. Elle prend par endroits d’abord, puis sur l’ensemble du corps, une couleur verte qui fonce progressivement pour devenir franchement noire. On voit apparaître, sous la pression des gaz, le dessin des veines sous-cutanées jusque là invisibles.
La putréfaction est d’abord pour une petite part un processus de fermentation des glucides contenus en petite quantité dans l’organisme, produisant du dioxyde de carbone pour l’essentiel, puis un processus de dégradation des protéines produisant des gaz azotés beaucoup plus odorants responsables de l’odeur si particulière des cadavres.
Les conséquences de la putréfaction sont en général la lyse des tissus mous, commençant par les plus fragiles : les muqueuses, ou les plus exposés : lob des oreilles. Il est habituel de dire que dix ans après le décès les os sont secs.
La cause intime de la putréfaction est le développement des bactéries jusque là freiné par les défenses immunitaires de l’organisme. Il s’agit essentiellement de bactéries anaérobies, c'est-à-dire inaptes à vivre au contact de l’air, et puisant leur oxygène dans les tissus.
Très rapidement et conjointement, le cadavre exposé à l’air libre est agressé par les escouades d’insectes, venus pondre leurs œufs. Les larves qui se développeront ensuite participeront à la détersion de toute matière biologique.
La décomposition des tissus corporels s’accompagne de celle des vêtements, qui s’imprègnent d’humeurs transsudant du corps. Quelques mois après son inhumation le corps baigne dans un jus nauséabond et putride.

EXCEPTION A LA REGLE GENERALE

Si la putréfaction ainsi sommairement décrite concerne une majorité de cadavres, la vitesse de décomposition est fonction de nombreux éléments, au premier rang desquels la chaleur ambiante est sans doute le mieux connu. Je ne reviendrai pas sur la conservation de certains corps dans les glaces, ni sur la décomposition rapide des corps en pleine chaleur.
Ce qui est moins connu est l’exposition à une chaleur sèche et intense, arrêtant le développement des bactéries et micro-organismes et déshydratant le corps. En fin d’évolution, le corps est naturellement momifié.
Assez fréquemment sous nos latitudes, l’évolution se fait vers l’adipocire, par saponification des graisses. Il s’agit d’un processus de transformations des graisses en « savon » obtenu et réputé être très malodorant.
D’après Dérobert (professeur de médecine légale), dans son traité de médecine légale de 1974, citant des études menées entre 1946 et 1963, les facteurs d’adipocire sont les suivants :

Des facteurs environnementaux


- La durée : la formation d’un adipocire est toujours lente.
- L’humidité ambiante importante.
- Le caveau sec et en bon état.
- Plus d’adipocire chez les sujets morts dans les 2e et 3e trimestres de l’année.
- Plus d’adipocire si brume et brouillard dans la période de pré-inhumation.

Dans des conditions favorables, Evans constatait jusqu’à 56% d’adipocire.

Des facteurs propres au cadavre


- Sexe féminin plus sujet à l’adipocire (62% des femmes et 45% des hommes pour Evans).
- Caractère gras du cadavre.

ASPECT DE L’ADIPOCIRE

Pour en avoir examiné plusieurs, le facteur qui me paraît être le plus constant est le caractère adipeux des cadavres. L’adipocire a les caractères suivants :
La peau est relativement intacte, brune, souvent épaisse et « cartonnée », souvent recouverte de champignons superficiels, dont les couleurs vont du noir franc à l’orange vif, en passant par des filaments mycéliens du blanc le plus pur.
Au toucher, la résistance de la peau (due à la déshydratation des tissus) est assez ferme. L’incision en est plus difficile. En sous-cutanée, l’épaisseur de la paroi graisseuse reste importante, malgré la déshydratation. L’abdomen est huileux, ce qui rend difficiles les opérations d’autopsie. Les organes internes sont en bon état de conservation mais fortement déshydratés. Contrairement au cadavre putréfié, l’adipocire ne relargue que très peu d’eau, car l’hydrolyse des graisses en savon nécessite une grande quantité de liquide.


LES FAITS HISTORIQUES

CONCERNANT LE CORPS DE L’EMPEREUR

Les rapports d’autopsie font état d’une épaisse couche de graisse, de deux pouces et demi, ce qui est très au dessus de la moyenne et correspond à une obésité prononcée. La décomposition était manifeste pour les témoins avant même l’inhumation (odeurs rapportées par le valet, par Bertrand, altération des plis du visage rapportée par Bertrand, Marchand puis par l’Evening Star le 10 juillet 1821).
Il ne semble pas y avoir eu de soins d’embaumement d’après Antommarchi lui-même, qui ne fait état que d’un simple lavage du corps.

CONCERNANT LES FACTEURS D’ENVIRONNEMENT

La chaleur était particulièrement forte dans les heures qui ont suivi le décès (Ali, Statesman, Evening Star, Darroch, relevé de la Royal Navy).
Les mouches s’abattaient sur le cadavre (Ali).

CONCERNANT L’INHUMATION ET L’EXHUMATION

Le corps a été placé quarante-neuf heures après le décès dans plusieurs cercueils successifs, dont un cercueil en fer-blanc soudé.
Je suis par contre très impressionné par la description précise de Guillard en 1840. Ce « quelque chose de blanc » enduisant sur tout le crâne et le front évoque bien ces filaments mycéliens que l’on retrouve fréquemment à l’intérieur des cercueils anciens, lorsque la putréfaction n’a pas été trop intense. Seule la description de la peau des mains « dont la couleur particulière n’appartient qu’à la vie » me surprend un peu. L’absence totale de remaniement de la peau des mains dix-neuf ans plus tard sans être scientifiquement impossible, reste une énigme.

ESSAI D’INTERPRETATION

Trois hypothèses médicales pourraient expliquer l’arrêt de la putréfaction :


1° Le corps était préalablement à la mort imprégné de substances réputées ralentir la putréfaction comme l’arsenic. Il est probable que dix-neuf ans plus tard, la putréfaction aurait quand même fait son œuvre.
2° Le corps a fait l’objet de soins de conservation à l’insu des autorités. Cette hypothèse est compatible avec la description du corps faite en 1840. Il ne pourrait alors s’agir que de soins d’embaument très importants, nécessitant du temps et du matériel.
Il ne peut s’agir dans cette hypothèse d’un simple lavage avec des liqueurs.
3° Le corps de Napoléon a subi une transformation en adipocire, avec les facteurs favorisants suivants :
- Corps très gras ;
- Absence d’oxygène dans un cercueil fermé hermétiquement ;
- Importante chaleur lors de l’exhumation ;
- Caveau bien construit.
Mon intime conviction, qui n’a rien d’une démonstration rigoureuse, me fait opter pour la transformation en adipocire. Il est difficile de répondre à votre question sur l’arrêt de la putréfaction car les mécanismes intimes ne (me) sont pas connus. Je voudrais développer si vous le voulez bien deux arguments d’inégale valeur.
Le premier est la constatation que nous faisons fréquemment d’adipocires partiels qui ne nous renseignent pas plus sur les causes intimes de l’arrêt de la putréfaction et la nature des frontières à l’intérieur même d’un corps, mais à le mérite de prouver que la putréfaction n’est pas un mécanisme irréversible.
La deuxième est une question. Si l’évidence n’était pas évidente ? tous s’accordent à dire que la décomposition du corps de l’Empereur était en marche lors de son inhumation. Est-on sûr que les odeurs, l’affaissement des traits du visage correspondent à une putréfaction ? On ne voit nulle part décrit d’altération de la peau. Pas de bulles putrides, pas de trouble de la coloration. En 48 heures à 37°, la dégradation du corps est habituellement très rapide, et les signes de putréfaction souvent plus marqué que les simples odeurs. Ne pourrait-il pas s’agir au contraire d’une hydrolyse débutante des graisses, dont on sait que les savons formés sont particulièrement malodorants ? Cette hypothèse aurait au moins l’avantage d’une certaine continuité dans les processus biochimiques et expliquerait l’affaissement précoce des tissus du visage. A l’encontre de cette hypothèse, l’extrême lenteur habituelle de l’hydrolyse des graisses. […] »




Docteur Yves Chatenet, médecin légiste,

Expert près de la Cour d’appel de Poitiers



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