Je viens de trouver cette interview sur bibliobs... Totalement affligeant et minable. Je n'ai pas de mots assez forts
Citer :
Lionel Jospin: "Napoléon, quel désastre !"
Lionel Jospin: "Napoléon, quel désastre !""Portrait de Napoléon Ier après ses adieux de Fontainebleau", par Paul Delaroche (1840, détail) (Josse/Leemage)
Pour l'ancien Premier ministre, l'Empereur fut un despote qui a laissé la France dans un état catastrophique. Et son influence se fait encore sentir. Entretien.
Laurent JoffrinLaurent JoffrinPublié le 15 mars 2014 à 10h39
On l'attendait plutôt du côté de Jaurès ou de Mitterrand. Voici que Lionel Jospin se passionne pour... Napoléon. Loin de Matignon ou du congrès de Rennes, nous sommes à Austerlitz, à Waterloo ou à la Malmaison. Après le poing et la rose, l'aigle et l'abeille.
A la fois occulté par la république et omniprésent dans la culture politique nationale, l'Empereur a suscité depuis sa mort une moyenne d'un livre par jour. Celui de Jospin frappe par sa précision, son sens du récit et surtout la rigueur de son analyse politique. L'ancien Premier ministre met au service de son travail historique sa connaissance intime des rouages politiques. Tout sauf bonapartiste, il construit un réquisitoire implacable contre le petit officier corse devenu maître de l'Europe.
Il analyse aussi, la déplorant, l'étonnante persistance du bonapartisme jusque dans la vie contemporaine. Dictant ses souvenirs à Sainte-Hélène, l'Empereur déchu, orfèvre de la propagande, avait réussi à faire oublier le despote qu'il était pour se présenter en soldat de la Révolution constamment attaqué par l'Europe des rois. Jospin réfute cette légende tricolore avec méthode.
Pour stimuler la controverse, il fallait porter la contradiction au procureur socialiste. Napoléon était-il l'Ogre de Corse ou bien, selon le mot de l'époque, «Robespierre à cheval»? Jospin répond en historien et en politique.
Laurent Joffrin
Lionel Jospin et Laurent Joffrin, à "l'Obs", le 13 février (J. Graf/Divergence pour "le Nouvel Obs")
Le Nouvel Observateur Un livre sur Napoléon. Etrange pour un socialiste... Vous avez été fasciné ?
Lionel Jospin Non, intrigué. Intrigué par le contraste entre le bilan de Napoléon, désastreux, et la gloire qui s'attache à son nom avec cette récurrence de la tentation bonapartiste en France.
Napoléon a effectivement porté au plus haut la gloire française et il a répandu dans toute l'Europe les idées de la Révolution.
Napoléon n'a pas porté les idées de la Révolution, il les a détournées. Je ne sous-estime en rien le personnage. Mais je montre en quoi les quinze années du Consulat et de l'Empire ont été néfastes pour la France et pour l'Europe. Quant à son héritage, il reste quelques grandes institutions mais aussi une certaine nostalgie française de la grandeur factice, associée paradoxalement à un manque de confiance, qui conduit parfois nos compatriotes à soupirer après un pouvoir fort.
Vous avez donc écrit un réquisitoire...
Plutôt une démystification fondée sur les faits. Quand vous observez la carrière météorique de Napoléon, vous vous apercevez qu'au bout de quinze ans le bilan de l'Empire est catastrophique ; la France sort de l'aventure avec une population stagnante, une puissance abaissée et un territoire amputé. Elle est détestée en Europe. Ses ennemis triomphent. Elle a entre-temps été dirigée par un pouvoir de plus en plus policier, emporté par la logique de la guerre et qui a cherché à dominer les autres peuples comme il a soumis le sien.
A l'aune des principes républicains d'aujourd'hui, c'est un constat irréfutable. Mais peut-on comparer le Consulat et l'Empire à une république qui, à l'époque, ne peut exister ? En 1800, la France reste royaliste dans sa grande majorité. La seule véritable alternative à Napoléon, c'est la restauration monarchique. En ce sens, l'Empire prolonge la Révolution en maintenant certains de ses acquis.
Mais elle existe justement, la république, puisque Bonaparte mettra cinq ans pour l'effacer ! Les grands acquis de la Révolution sont ceux de 1789. Lorsqu'une classe nouvelle, la bourgeoisie, s'affirme et proclame l'égalité et la liberté. Certes, sous le poids de la guerre étrangère et de la guerre civile, viendra la Terreur. Mais les grands principes qui font encore aujourd'hui référence, comme ceux de la «Déclaration des droits de l'homme et du citoyen», sont élaborés pendant cette période initiale. Avec Napoléon, l'aspiration à la liberté devient soumission au despotisme.
Ne faut-il pas distinguer deux époques dans le règne ? Le Consulat est une remise en ordre réussie, avec des réformes très importantes, comme le Code civil. Il succède au Directoire, régime à la fois autoritaire et corrompu. Le début de l'Empire, de 1804 à 1807, est marqué par trois campagnes dans lesquelles la France est attaquée. Ces trois campagnes débouchent sur des victoires spectaculaires, à Austerlitz, Iéna et Friedland. C'est ensuite que les choses se gâtent. Si Napoléon était mort en 1807, il aurait des statues partout en France...
Pendant la première phase, le régime est effectivement populaire. Il s'appuie sur un besoin d'ordre, une aspiration à la paix, un désir de réconciliation entre les deux France. Il n'a nul besoin d'être despotique. Or il le devient. Il est censé porter en Europe le message d'émancipation de la Révolution. Or il le nie à l'intérieur par l'oppression et à l'extérieur par les guerres de conquête.
Après 1807, Napoléon est saisi par le vertige des victoires. Il pense que la guerre surmontera tous les obstacles...
Oui. Parce que son régime repose sur une légitimité incertaine, introuvable, sauf dans les victoires militaires. L'idée neuve de la souveraineté du peuple a été supplantée et Napoléon ne peut pas créer une nouvelle monarchie. Dès que la fortune des armes l'abandonne, son régime s'effondre.
Tout cela va entraîner ce que j'appelle le trouble français. Après l'Empire, la société ne sait plus sur quoi repose la légitimité du pouvoir. Sur le peuple, sur la monarchie de droit divin, sur le charisme d'un homme providentiel ? L'instabilité institutionnelle sera la plaie de l'histoire politique française.
Napoléon y a beaucoup contribué. Au fond, il eût mieux valu pour la France une république bourgeoise, voire une monarchie constitutionnelle que le peuple aurait bientôt poussées à se démocratiser. Avant de poser la question sociale. L'Empire a été un détour grandiose mais néfaste.
Comment expliquer la fascination des écrivains de la période pour Napoléon ? Balzac, Stendhal, Dumas, Vigny, Chateaubriand, et même Hugo, le «grand-père de la république», expriment leur admiration, parfois leur approbation. Ils le voyaient comme un héros de la Révolution.
Il était logique que le roman de Napoléon impressionnât les romantiques. Tous ces jeunes gens ont été des témoins très proches de l'épopée. Elle les émeut d'autant plus que la Restauration les déçoit. Et puis ils ont été séduits par la légende napoléonienne forgée à Sainte-Hélène par Napoléon lui-même et par son transcripteur, Las Cases.
Les ennemis de Napoléon aussi le voyaient comme un soldat de la Révolution, qui exportait partout ses idées d'égalité. On disait qu'il était «Robespierre à cheval».
Napoléon n'a rien fait pour émanciper les peuples. Il a transformé en adversaires ou en ennemis des esprits enthousiasmés par la Révolution, comme Beethoven ou Fichte. Il installait à la tête des pays conquis des membres de sa famille ou des dignitaires impériaux qui avaient pour obligation de prélever des sommes colossales et des contingents de soldats au profit de son régime.
Il a refusé de soutenir les patriotes locaux, italiens ou polonais, qui partageaient pourtant les idéaux de la Révolution ou voulaient l'émancipation nationale. Il a cherché des alliances dynastiques avec les monarchies les plus rétrogrades.
Mais il n'a pas non plus suivi une stratégie d'alliances d'Etat à Etat rationnelle et stable. Il a changé sans cesse d'amis et d'ennemis, rassemblant finalement tout le monde contre lui. Son seul adversaire constant sera l'Angleterre, celui qu'il ne pouvait atteindre - sur les mers -, le pays dont le régime parlementaire naissant était alors le plus moderne, avec celui de la France. Sa politique est contradictoire, bientôt incohérente. C'est l'origine de sa défaite finale.
Il a répondu à Sainte-Hélène qu'il a été contraint de faire la guerre parce que ses ennemis n'ont jamais admis l'extension de la France au-delà du Rhin, dont il a hérité, et toujours refusé les principes de la Révolution.
Certes, Napoléon n'a pas été le seul responsable des guerres en Europe. Mais il pouvait s'en tenir aux «frontières naturelles» conquises par la Révolution. Qui les lui aurait disputées ? Or, une fois vainqueur, Napoléon ne limite jamais ses ambitions. Aller en Espagne, puis en Russie sont des erreurs majeures. Ce pragmatique se fixe des buts irréalistes. Pourquoi ? Parce qu'il est mû par la poursuite de sa propre gloire et non par la recherche des intérêts à long terme de la France.
Le bonapartisme survit ensuite dans les têtes, puis trouve une nouvelle incarnation avec Louis Napoléon, le neveu, qui est nettement moins admiré. Pourtant certains auteurs, Philippe Séguin, par exemple, lui ont trouvé des qualités.
Le neveu est intéressant. D'abord il a théorisé le bonapartisme, quand il était prisonnier, au fort de Ham, notamment. Devenu empereur, il a modernisé l'industrie, instauré le libre-échange, développé l'économie, favorisé les nationalités en Europe. Et puis il a tenté l'auto-réforme de son propre régime, avec l'Empire libéral. C'est un phénomène rare : devant la montée de l'opposition républicaine, au lieu de se raidir, Napoléon III tente de mettre en place un empire constitutionnel.
S'il n'y avait pas eu Sedan et la perte de l'Alsace-Lorraine, il serait peut-être jugé plus favorablement. Mais son régime est antirépublicain. Napoléon III fixe les traits du bonapartisme : l'homme providentiel, l'ordre, le dépassement de l'opposition droite-gauche, l'antiparlementarisme, un régime autoritaire, qui se dit populaire dans son inspiration.
On le retrouve ensuite dans plusieurs figures...
Oui, dans le général Boulanger, qui incarne un bonapartisme de la «revanche» (contre la Prusse), mais échoue dans sa conquête du pouvoir et connaît une fin pathétique, puisqu'il se suicide sur la tombe de sa maîtresse. Puis dans les ligues de l'entre-deux-guerres, qui dérivent très vite vers la réaction et le fascisme, et finalement dans le maréchal Pétain, qui incarne un bonapartisme de la défaite.
De Gaulle représente le bonapartisme moderne, non Pétain ! Le Général est un homme providentiel qui se fonde sur la gloire, sur la résistance à l'ennemi, sur l'énergie, sur la réunion des Français au-delà des clivages partisans. Il reprend les traits principaux du bonapartisme. Pétain émerge du désastre national et prêche la reddition.
De Gaulle, c'est le courage. La gloire vient après. En tout cas est bonapartiste celui qui dissout la république, pas celui qui la restaure. Pétain se présente aux Français comme «le vainqueur de Verdun». Il n'est pas considéré comme le responsable de la défaite de 1940, même si ses thèses militaires y ont contribué. La IIIème République s'effondrant, Pétain s'avance comme le sauveur. Il prétend effacer les divisions droite-gauche, il répudie le Parlement, il fonde un régime dictatorial. A l'intérieur, il a bien des attributs du bonapartisme, un bonapartisme de la sénescence. C'est un bonapartisme infecté par les idées de l'extrême droite et dénaturé par sa soumission à une puissance totalitaire
Et de Gaulle ? Il fonde une république dotée d'un exécutif fort et qui a une politique de grandeur.
Justement, de Gaulle, avec la Résistance, en 1944-1945, rétablit la république. Et, s'il se rapproche du bonapartisme en 1958 quand il profite d'un coup de force légalisé pour arriver au pouvoir, il refuse le césarisme et fait ratifier par le peuple sa vision de la république. D'où son mot célèbre: «Pourquoi voulez-vous qu'à 67 ans je commence une carrière de dictateur?»
Le bonapartisme est-il encore un danger aujourd'hui ?
Disons qu'on retrouve l'écho déformé de ses thèmes dans les partis populistes, en France et en Europe: la critique des «élites», l'appel au chef charismatique comme seul interprète des besoins du peuple. S'y ajoute la peur de l'étranger. Contre ces formes bâtardes du «mal napoléonien», l'antidote doit être une république exemplaire.
Propos recueillis par Laurent Joffrin
Ces propos m'énervent. Toujours cette propagande négationniste!
