"Ainsi que je le disais en 1815, la démarche faite était irréparable, et le mal d'autant plus grand, qu'aucune convention n'avait été arrêtée avec le général ennemi. Je lui avais, au contraire, annoncé la rupture de la négociation commencée. Les troupes se trouvaient ainsi à la merci des étrangers, et non-seulement celles qui s'étaient détachées, mais encore celles qui entouraient l'Empereur, qui n'étaient plus couvertes. Il ne restait plus qu'une chose à faire, c'était d'assurer à la France leur conservation, en les plaçant sous l'autorité du gouvernement provisoire, et de remplir le vide que leur éloignement causait dans l'armée impériale par des garanties pour la personne de l'Empereur. Je ne vis que le bien à faire, sans m'arrêter à cette réflexion que c'était jeter en quelque sorte un voile d'absolution sur la conduite coupable des généraux. Je demandai au prince de Schwarzenberg et j'obtins de sa loyauté si connue la déclaration qui remplissait mon double objet. Cette déclaration fut mise, quoique après coup, à la date du 4 avril, époque où les pourparlers avaient eu lieu, dans le but de cacher la confusion qui avait existé et de donner une apparence de régularité à ce qu'avaient produit la peur et le désordre. Je me rendis à Versailles pour y passer la revue de mes troupes et leur expliquer les nouvelles circonstances dans lequelles elles se trouvaient; mais à peine en route pour m'y rendre, je reçus la nouvelle qu'une grande insurrection venait d'éclater. Les soldats criaient à la trahison. Les généraux étaient en fuite et les troupes se mettaient en marche pour rejoindre Napoléon. Elles n'eussent pas fait deux lieues sans avoir sur les bras des forces qui les auraient détruites. Je pensai que c'était à moi à les ramener à la discipline, à l'obéissance et enfin à les sauver. Je hâtai ma marche. A chaque quart de lieue, je trouvais des messages plus alarmants. Enfin j'atteignis la barrière de Versailles, et j'y trouvai tous les généraux réunis; mais le corps d'armée était en marche dans le direction de Rambouillet. Lorsque j'eus fait connaître aux généraux mon intention de rejoindre les troupes, ils m'engagèrent fort à ne pas exécuter ce projet. Le général Compans me dit : "Gardez-vous-en bien, monsieur le maréchal, les soldats vous tireront des coups de fusil. -Libre à vous, messieurs, de rester, leur dis-je, si cela vous convient. Quant à moi, mon parti est pris. Dans une heure, je n'existerai plus, ou bien j'aurai fait reconnaître mon autorité." Là-dessus je me mis à suivre la queue de la colonne à une certaine distance. Il y avait beaucoup de soldats ivres. Il fallait leur donner le temps de retrouver leur raison. J'envoyai un aide de camp pour voir leur contenance. Il revint et me dit qu'ils ne vociféraient plus et marchaient en silence. Un seconde aide de camp fut envoyé et annonça partout ma prochaine arrivée. Enfin un troisième apporta l'ordre de ma part de faire halte, et aux officiers de se réunir par brigade à la gauche de leurs corps. L'ordre s'exécuta, et j'arrivai. Je mis pied à terre, et je fis former le cercle au premier groupe d'officiers que je rencontrai. Je leur demandai depuis quand ils étaient autorisés à se défier de moi. Je leur demandai si, dans les privations, ils ne m'avaient pas vu le premier à souffrir, et, dans les dangers et les périls, le premier à m'exposer. Je leur rappelai tout ce que j'avais fait pour eux et les preuves d'attachement que je leur avais données. Je parlais avec émotion, avec chaleur, avec entraînement. On avait voulu les livrer, disait-on, pour les désarmer! Mais leur honneur et leur conservation ne m'étaient-ils pas aussi chers que mon honneur et ma vie ? N'étaient-ils pas tous ma famille, et ma famille chérie ? Les coeurs de ces vieux compagnons s'abandonnèrent à un mouvement de sensibilité, et je vis plusieurs de ces figures, basanées et marquées de cicatrices, se couvrir de larmes. Je fus moi-même profondément attendri. Je recommencai les mêmes discours aux divers cercles d'officiers, et je ls envoyai reporter mes paroles à leurs soldats. Le corps d'armée prit les armes, et défila en criant : Vive le maréchal, vive le duc de Raguse! et se mit en marche pour aller prendre les cantonnements que je lui avais assignés du côté de Mantes. (...)
Tel est le récit fidèle des évènements de cette époque, en tout ce qui me concerne. Ils ont été pour moi la source de cuisants chagrins. Je l'ai dit et je le répète, ce qui m'a donné la confiance d'agir ainsi était particulièrement le sentiment intime de ce que j' avais fait pendant la campagne où j'avais dépassé mes devoirs et montré un tel dévouement, que je croyais m'être placé au-dessus de toute accusation et de tout soupçon possible. Ma conviction fut si intime alors, et mes intentions si droites, que jamais depuis je ne me suis reproché rien de ce que j'ai fait.(...) L'infaillibilité n'est pas dans notre nature; et c'est l'intention qui, à mes yeux, doit caractériser les actions. Je ne regrette qu'une seule chose, c'est de n'avoir pas suivi Napoléon à l'Île d'Elbe après qu'il fut descendu du trône, n'importe quelles en eussent été pour moi les conséquences. (Note de l'éditeur : On a toujours reproché au maréchal d'avoir fait crouler l'Empire vingt-quatre heures plus tôt par la défection du sixième corps, qu'il commandait. Quant au mouvement du sixième corps, on a vu que, le maréchal absent, ce sont les généraux commandant les troupes qui l'ont effectué, malgré les ordres prescrits. La preuve de ce fait résulte de la lettre du général Bordesoulle.-Mais, bien plus, cette défection n'a eu lieu que vingt-quatre heures *après* l'abdication de l'Empereur.-Celle-ci avait été fait le 4 avril, et le mouvement du sixième corps ne fut opéré que le 5.).
(...)La retraite (de Napoléon) sur Fontainebleau prouve qu'il ne voyait aucun moyen de prolonger la lutte. Il l'a prouvé par la facilité avec laquelle il s'est décidé à se démettre de sa couronne, et la manière dont il a appris les évènements et s'en est expliqué avec le duc de Tarente. Prouvé par le départ de Joseph, lieutenant de l'Empereur, muni des pouvoirs civils et militaires, qui quitta la capitale, et qui emmena avec lui le ministre de la guerre, les ministres, et tout ce qui avait caractère de gouvernement.
Je ne sais si je suis parvenu à donner une juste idée de ce qui s'est passé dans cette mémorable époque. Jamais tant de combats ne se sont accumulés en un si petit nombre de jours, et jamais lutte n'a été soutenue avec des moyens aussi faibles, aussi misérables. On peut se figurer la difficulté de mouvoir des débris sans organisation, une réunion d'hommes appartenant à tant de corps différents, et dont la force, si peu considérable, était à peine entretenue par l'incorporation journalière de jeunes gens sortant de la charrue et ne sachant pas charger leurs armes. Chaque jour les pertes étaient grandes. Ainsi c'étaient toujours des soldats arrivés de la veille, d'une même ignorance, d'une inexpérience semblable, qui étaient appelés à combattre.(...)
Lion rugissant et se débattant dans les rets dont il était enlacé, à chaque succès (Napoléon) donnait de nouvelles instructions. Il espérait toujours un miracle, comme il lui en était arrivé tant de fois en sa vie; et le miracle serait arrivé si Soissons ne se fût rendu. Mais le miracle eût été sans résultat définitif.(...)
Je vais quitter cette époque de gloire et de calamité, où tant de grandes choses ont été faites et où les jours étaient marqués par des évènements qui boulversaient les peuples, pour peindre un monde nouveau. Ici tout est petitesse, et souvent la petitesse va jusqu'à la dégradation. Je vais quitter le récit des combats qui échauffent et élèvent l'âme, pour raconter des intrigues et les actions d'êtres souvent abjects."
Maréchal Marmont, Duc de Raguse.
Passages fort intéressants, mais qui ne prouvent rien, si ce n'est l'impossibilité pour l'Empereur de poursuivre la lutte après la défection du corps de Marmont: défection voulue par lui -même s'il se reprend, dans l'espoir d'obtenir la proclamation de la régence en faveur de Napoléon II- et défection exécutée par le général Souham, qui connaissait l'intention première de son chef et qui la partageait...
C'est un plaidoyer pro domo qui n'enlève rien à la rigueur du verdict: "coupable de haute-trahison"! C'est si vrai que le verbe "raguser" fit partie, un temps, du vocabulaire de l'époque pour signifier trahir; on disait encore , à propos d'une félonie avérée: c'est une "ragusade"!
Et puis, si les maréchaux ne voulaient plus marcher, ce n'était pas le cas de la plupart des généraux; je ne parle pas des officiers qui savaient où se situait le devoir! Quant à la troupe, il suffisait de la mettre en présence de Napoléon, pour qu'elle l'acclame, électrisée qu'elle était par sa présence...
Le 2 avril, lors d'une revue des troupes qui arrivent -harassées d'une longue marche- il leur déclare qu'elles vont marcher sur Paris où l'ennemi trouvera son tombeau! Sience de mort dans les rangs...
Les traits de l'Empereur s'altèrent; il reprend d'une voix plus forte: "Ai-je raison ?" Un cri formidable de "Vive l'Empereur" lui répond, surgi de 10 000 poitrines. Les rangs se défont; les soldats soulèvent leurs shakos à la pointe de leurs baïonnnettes, en hurlant: "A Paris, à Paris!"
Avec de tels hommes et un tel chef, rien n'était impossible...
"Note de l'éditeur : On a toujours reproché au maréchal d'avoir fait crouler l'Empire vingt-quatre heures plus tôt par la défection du sixième corps, qu'il commandait. Quant au mouvement du sixième corps, on a vu que, le maréchal absent, ce sont les généraux commandant les troupes qui l'ont effectué, malgré les ordres prescrits. La preuve de ce fait résulte de la lettre du général Bordesoulle.-Mais, bien plus, cette défection n'a eu lieu que vingt-quatre heures *après* l'abdication de l'Empereur.-Celle-ci avait été fait le 4 avril, et le mouvement du sixième corps ne fut opéré que le 5.)."
"Cependant, Bruno, je souhaiterais que vous m'eclairiez sur ce point : Vous avez dit que Joseph avait donne pleins pouvoirs aux Marechaux pour negocier la capitulation de Paris. Comment alors leur reprocher de l'avoir fait ?"
Eh bien, je vous répiquerais en citant Thiers, oublié auourd'hui -voire décrié- et c'est un grand tort, car l'Historien put approcher la plupart des témoins de ces grands évènements et les transmettre à la postérité. De plus on sait assez -et c'est là sa seule faute (rires!)- qu'il a eu en mains de nombreux documents plus tard détruits dans les incendies de la Commune, ce qui permit à ses ennemis de prétendre que Thiers n'était qu'un conteur, et pas du tout un historien...
"Quoi qu'il en soit, Napoléon conçut un plan dont le résultat ne lui paraissait pas douteux, et dont la postérité jugera le succès au moins vraisemblable (note BRH: hélas, non! Napoléon devait perdre aux yeux de la postérité, il était condamné à perdre! et c'est ainsi que tout est bien dans le meilleur des mondes...).
Depuis qu'il s'était établi dans Fontainebleau pour y concentrer ses troupes, les alliés s'étaient patragés en trois masses: une de 80 000 hommes sur la gauche de la Seine, entre l'Essonne et Paris; une autre dans l'intérieur même de Paris (note BRH: au moins 20 000 hommes), une autre enfin au dehors sur la droite de la Seine. Napoléon considérait la situation qu'ils avaient prise comme mortelle pour eux, si on savait en profiter (note BRH: de 50 000 à 60 000 hommes sur la rive droite). Il voulait franchir brusquement l'Essonne avec son armée, refouler les 80 000 hommes de Schwarzenberg sur les faubourgs de Paris, faire appel aux Parisiens pour qu'ils se joignissent à lui, et, profitant du trouble probable des coalisés assaillis à l'improviste, les écraser, soit qu'il entrât dans la ville à leur suite, soit qu'il passât brusquement la rive droite de la Seine par tous les ponts dont il disposait, et qu'il se précipitât sur leur ligne de retraite.
Il est en effet probable qu'avec les 70 000 hommes réunis sous sa main, Napoléon culbuterait les 80 000 hommes qui lui était directement opposés, que ceux-ci refoulés sur Paris y rentreraient en désordre, que le moindre concours des Parisiens convertirait ce désordre en déroute, et que Napoléon les suivant à brûle-pourpoint, ou se portant par la droite de la Seine sur leur ligne de retraite, placerait la coalition dans une position dont elle aurait de la peine à se tirer, eût-elle à sa tête -ce qu'elle n'avait pas- le plus grand des capitaines.
Il est très probable encore qu'après un tel évènement, et aidé des paysans de la Bourgogne, de la Champagne, de la Lorraine, qui ne manqueraient pas de se jeter sur les vaincus puisqu'ils se jetaient déà sur les vainqueurs, Napoléon AURAIT BIENTOT RAMENE LA COALITION JUSQU'AU RHIN !"
Je pense que cet avis vaut bien celui de Marmont, intéressé à se justifier plus tard de son aveuglement devant les mirifiques promesses d'un Talleyrand assez exécrable pour faire croire qu'il oeuvrait pour la France!
Car -quand bien même Napoléon eût échoué- on en était au dernier quart d'heure; il fallait tenir bon, ce que les Français font bien rarement, sauf la magnifique génération jetée au feu en 1914 et qui fut décimée...
En effet -ET IL ME SEMBLE QUE TOUS L'OUBLIENT ICI- le mouvement des Alliés sur Paris fut un mouvement désespéré, la coalition ne sachant comment parvenir à vaincre Napoléon; il fallut toutes les instances d'un autre renégat, Pozzo di Borgo, pour convaincre le Czar de marcher sur Paris! Encore ne s'y décida-t-il que parce que des courriers interceptés faisaient état de la faiblesse des défenses de Paris...
Les combats de la bataille de Paris : ( sources : A.Hugo, histoire de l'armée Française de 1792 à 1837; sorti en 1840 )
Lorsque l’Empereur de Russie eut fait décider l’offensive sur Paris, le corps Russe de Wintzingerode fut détaché pour suivre l’Empereur vers la Loraine et entretenir son illusion . L’armée Austro-Russe s’approcha de la Marne, et fit sa jonction avec l’armée de Silésie; puis les deux armées réunies suivirent la même direction entre la Seine et la Marne .
Les forces alliés formaient un total de 150 000 hommes . Cette masse énorme eût peut-être occupé, sans coup férir, la capitale, dégarnie de troupes, si les corps du maréchal Mortier, du maréchal Marmont, et la cavalerie du général Belliard, qui avaient reçu l’ordre de joindre Napoléon, eussent pu le mettre à exécution .
Ces corps, après le combat de Fère-Champernoise, ne purent continuer leur marche, et, comme il a été dit, se replièrent sur Paris, où ils prirent position le 29 mars .
A l’approche d’un danger aussi imminent, l’Impératrice Marie-Louise quitta, avec le Roi de Rome, la capitale, et partit pour Blois . Les membres du conseil de Régence, les grands dignitaires, les ministres, reçurent l’ordre de la suivre .
Le prince de Talleyrand seul, arrivé à la barrière, borna là son voyage, et revint à son hôtel . Le Roi Joseph, lieutenant général de l’Empereur dans la première division militaire, le duc de Feltre, ministre de la guerre, le général Dejean, ministre directeur, et le maréchal Moncey, commandant la Garde Nationale Parisienne, restèrent à Paris pour veiller à la défense .
A l’époque où l’Empereur avait quitté la capitale de l’Empire pour se mettre à la tête de l’armée, plusieurs projets de défense pour cette ville lui avaient été proposés .
Il en avait adopté un; mais les divers succès qu’il obtint durant cette campagne lui ayant fait regarder cette précaution comme inutile, il n’ordonna jamais d’en commencer les travaux; il autorisa seulement la construction de tambours en bois à chaque barrière, suffisants pour arrêter la cavalerie, et fit réparer le mur d’enceinte, écroulé sur plusieurs points .
Lorsque l’ennemi parut, il n’eut donc à surmonter que les obstacles que présente la nature du terrain à l’est et au nord de Paris .
L’armée Française, réunie sous les murs de la capitale, était loin de suppléer par le nombre au défaut de fortifications .
Elle comptait 26 000 hommes occupant l’espace immense compris entre Neuilly sur la Seine et Charenton sur la Marne . Pour déguiser, autant que possible, la faiblesse numérique des troupes de ligne, le maréchal Moncey fit un appel au patriotisme de la Garde Nationale .
6000 de ses braves citoyens sortirent volontairement de l’enceinte, et prirent poste sur les hauteurs voisines, en seconde ligne . Un grand nombre d’entre eux, animés du plus noble dévouement, voulurent partager tous les dangers de la bataille qui se préparait, et se répandirent en tirailleurs sur toute la ligne des avants-postes .
Le reste de la Garde nationale, formant encore 6000 hommes, garda les barrières, et maintint l’ordre et la tranquillité dans l’intérieur . L’artillerie de cette Garde, commandée par le major Evain, servie par un bataillon formé des invalides capables encore de quelques service, et des élèves de l’école Polytechnique, prit aussi une part très active à l’action .
Le Roi Joseph, ayant fait la reconnaissance du terrain, le 29 mars au soir, le corps du duc de Ragusse reçut l’ordre de s’établir à la droite dans la position de Romainville, l’infanterie du général Compans, la cavalerie du général Ormano, durent occuper les prés Saint-Gervaix, Pantin et le terrain entre les hauteurs et le canal de l’Ourq; le corps du duc de Trévise, à l’aile gauche, du prendre poste entre le canal et Montmartre, occupant les faubourgs de la Villette et de la Chapelle; la cavalerie du général Belliard se déploya entre la route de Saint-Denis et l’avenue de la porte Maillot .
Le 30 mars, avant le jour, les tambours appelant aux armes éveillèrent la population de Paris; chacun se rendit au poste assigné . Le Roi Joseph se porta sur la butte Montmartre, suivi du ministre de la guerre, du ministre directeur de ce département, du général Hullin, et d’un nombreux état-major .
Les officiers de tous grades qui se trouvaient dans Paris sans destinations se portèrent en foule sur ce point, demandant et attendant des ordres .
Vers six heures du matin, au soleil levant, le canon se fit tout à coup entendre, et donna le signal de l’action qui allait décider le sort de la guerre .
La bataille s’engagea d’abord au centre, et successivement l’armée ennemie étendit ses attaques aux deux ailes .
Le corps Russe de Rayefski se porta sur les divisions Boyer de Rebeval et Michel, postés dans la plaine, à gauche du duc de Raguse; mais il fut contenu par le canon de ces deux divisions .
Dans le même temps, l’ennemi s’emparait de la butte au-dessus de Romainville . Le duc de Raguse, qui devait occuper cette position, la fit attaquer de front par les troupes du général Compans, tandis que le général Boyer, côtoyant les hauteurs, marchait sur Plantin .
Les Russes furent chassés du bois, repoussés jusque dans les gorges au-dessous du parc, et, dans la plaine, nos tirailleurs arrivèrent jusqu’aux premières maisons de Pantin .
L’ennemi, qui tenait à conserver Pantin et la butte de Romainville, fit avancer toutes les réserves, et dirigea une attaque formidable sur le front du duc de Raguse et sur ses deux ailes, dans l’intention de le déborder . Dans le même temps, un corps Russe attaquait la droite du duc de Trévise .
Le choc fut rude, surtout au bois de Romainville, où commandait le général Compans . Le général Boyer était au moment d’être forcé dans le village du pré Saint-Gervais, quand le maréchal y envoya le colonel Fabvier avec 400 hommes qui rétablirent le combat .
Après deux heures d’une offensive opiniâtre, d’une défensive plus opiniâtre encore, les russes furent rejetés dans leur première position, et le corps du duc de Raguse ne perdit que le village de Montreuil à sa droite; ce village n’entrant point dans les système de défense, n’était occupé par quelques tirailleurs des troupes du duc de Padoue .
Le général Russe Barclay de Tolly, commandant les forces alliées alors en action devant Paris, rebuté de la résistance qu’une poignée d’hommes opposait à toutes ses masses, résolut, vers onze heures, de donner quelques relâches à ses troupes, et d’attendre, pour renouveler l’attaque, l’arrivée de l’armée de Silésie . Le combat se borna alors de part et d’autre au feu d’artillerie et de mousqueterie .
Le Roi Joseph, n’ajoutant pas foi aux divers rapports qui lui avaient été faits, répugnait à croire que toute l’armée alliée se trouvât réunie sous Paris, il allait ordonner au duc de Trévise, il allait ordonner au duc de Trévise, dont la droite seule avait été engagée, d’envoyer un détachement au secours du duc de Raguse, lorsqu’on aperçut l’armée de Silésie débouchant dans la plaine de Saint-Denis, et se disposant à déborder au loin, vers la Seine, la gauche du duc de Trévise .
Au même instant le Roi fut instruit que les corps autro-wurtembergeois du prince royal de Wurtemberg attaquaient, sur la Marne, les ponts de Charenton et de Saint-Maur .
Ainsi toute l’armée alliée entrait en ligne, débordant les deux ailes de l’armée française, et la pressant vivement de front . Tout espoir d’une résistance qui donnât le temps à l’Empereur d’arriver au secours de Paris parut dès lors perdu .
Les généraux qui environnaient le Roi, le pressèrent, en lui représentant l’imminence du danger, d’adresser aux ducs de Trévise et de Raguse l’autorisation de capituler, tant pour leur armée que pour la capitale; le Roi chargea le général Hullin, gouverneur de Paris, de prendre des mesures pour l’évacuation de la ville .
Puis ayant donné l’ordre aux grands fonctionnaires et aux membres du conseil d’état, qui n’étaient point encore partis, de se rendre près de l’Impératrice, il quitta lui-même la position de Montmartre, et gagna la route d’Orléans avant qu’elle fût interceptée par les coureurs ennemis .
Pendant que ces divers ordres se transmettaient, et que l’armée alliée se préparait à porter un coup décisif sur tout le front de l’armée française, le corps du prince royal de Wurtemberg se portait à revers par la rive droite de la Marne sur Saint-Maur et Charenton, dont les ponts n’étaient défendus par des tambours que sur la rive gauche, s’en emparait, et poussait un parti de cavalerie jusqu’au faubourg de Bercy .
Pour seconder ce mouvement, la cavalerie Russe du comte de Pahlen pénétra de Montreuil dans le bois de Vincennes, masqua le château, et s’avança sur l’avenue de Paris .
La réserve d’artillerie de la Garde Nationale avait été réunie à la barrière du Trône, sous les ordres du major Evain . Cet officier dans l’espoir d’empêcher la cavalerie ennemie de déborder le flanc droit du duc de Raguse, marcha à sa rencontre, et commença son feu au point où l’avenue est coupée par le chemin de Charonne à Saint-Mandé .
Pendant que le comte de Pahlen lui ripostait, une brigade de cavalerie se détacha, et, favorisée par les granges et maisons du petit Vincennes, vint tomber à l’improviste sur l’artillerie Française . Celle-ci, attelée de chevaux de poste, que conduisaient des charretiers inexpérimentés, n’était soutenues que par quelques gendarmes .
Les cavaliers Russes s’en emparèrent après avoir tué, pris ou blessé les canonniers . Dans ce moment, le 30eme régiment de dragons de la division Bordesoulle, commandé par le colonel Orderner, tomba sur le flanc des Russes, et les força de lâcher prise .
Le major Evain rallia quelques pièces, et par un feu à mitraille, seconda la charge des dragons . Un détachement de la Garde Nationale, sous les ordres du chef de bataillon Saint-Romain et du capitaine Calmer, étant accouru de la barrière du Trône, la cavalerie Russe se retira en emmenant seulement quatre pièces et quelques prisonniers au nombre desquels étaient six élèves de l’école Polytechnique, quinze autres de ces intrépides jeunes gens avaient été blessés grièvement .
Lorsque le général Barclay de Tolly fut assuré de sa gauche, par la position prise par le prince royal de Wurtemberg, et de sa droite par l’arrivée du général Blücher avec l’armée de Silésie occupant tout le front du duc de Trévise, il renouvela son attaque avec plus de vigueur sur le duc de Raguse .
A la droite de ce maréchal, l’infanterie du duc de Padoue, la cavalerie des généraux Bordesoulle et Chastel furent repoussées .
L’ennemi s’empara de Bagnolet et de Charonne, déjà il tournait le cimetière du père Lachaise pour se porter sur la barrière de Fontarabie, lorsqu’une batterie, placée sur la butte de ce nom, et soutenue par un bataillon de la 7eme légion de la Garde Nationale, commandé par M. de Brèvannes, son colonel, arrêta sa marche offensive, et le contint aux débouchés de Charonne .
Dans le même temps, le centre et la gauche du duc de Raguse étaient aussi attaqués, où plutôt accablés par des masses énormes . Malgré la vive résistance de nos troupes, elles furent ramenées rapidement et poussées sur Belleville .
Le maréchal se voyant au moment d’être forcé, se mit à la tête de la brigade Clavel de la division Ricard, formant à peine un faible bataillon, et, en colonne d’attaque, il aborda l’ennemi .
Mais, à l’instant, cette petite troupe fut criblée de mitraille; les grenadiers la pressaient sur son flanc gauche, tandis que les cuirassiers la chargeaient par son flanc droit .
Elle fut enfoncée, le maréchal eut un cheval tué sous lui; son chef d’état-major; le général Clavel, blessé, fut pris au milieu des siens; la déroute allait entraîner toutes les troupes, lorsque le colonel Ghéneser, avec 200 hommes qui occupaient encore le parc de Brières, tomba sur les derrières des grenadiers russes .
Ce coup audacieux ralentit la marche de l’ennemi qui, perdant du temps à s’emparer du parc, laissa le duc de Raguse de dégager et rallier les corps épars sur la butte du télégraphe, où le général Compans venait de placer un bataillon .
Cependant l’ennemi, après une courte halte, reprit son mouvement offensif, et mettant en action toutes ses forces, il renouvela une attaque générale sur toute l’étendue du front du corps du duc de Raguse, réduit à un peu moins de 6000 hommes .
La ferme du Rouvroy, les près de Saint-Gervais, la butte Chaumont, où se trouvait une batterie servie par les élèves de l’école Polytechnique, Belleville, Ménilmontant, le cimetière du père Lachaise, furent simultanément attaqués et enlevés après un combat opiniâtre .
L’ennemi accula aux barrières les troupes du duc de Padoue, des généraux Bordesoulle et Chastel . Des hauteurs de Charonne et de Ménilmontant, il lança des obus dans les faubourgs .
A l’aile gauche du corps Français, la brigade Sécrétant et la division Boyer de Rebeval étaient vigoureusement attaqués et forcées de reculer . Dans ce moment, le duc de Raguse, qui tenait encore au centre dans la position du télégraphe, tenta un dernier effort pour chasser l’ennemi du village de Belleville .
Réunissant autour de lui une poignée d’hommes qui lui restaient, avec les généraux Ricards, Meynadier, Boudin, Pelleport, il se précipita sur les Russes .
Le maréchal fut atteint d’une balle qui lui fit une forte contusion, les généraux Ricard et Pelleport furent blessés, mais les Russes furent enfoncés . Belleville fut repris, et le général Lagrange réoccupa en avant sa première position .
Ce fut alors que le duc de Raguse aperçut sa droite aux barrières, sa gauche découverte, l’ennemi au moment de le tourner, et déjà dirigeant son feu sur Paris . Dans cette extrémité, le maréchal crut devoir faire usage de l’autorisation que lui avait adressé le Roi Joseph .
Il envoya donc un de ses aides de camp au prince de Schwarzenberg, qui se trouvait sur les hauteurs de Belleville .
On convint sur-le-champ d’une suspension d’armes de deux heures, sous condition que le maréchal, achevant de céder les hauteurs, se bornerait à couvrir et à défendre l’enceinte de Paris, et se concerterait avec le duc de Trévise pour traiter d’une convention, stipulant en principe l’évacuation de la capitale .
Tandis que l’armée Austro-Russe attaquait, et s’emparait ainsi de la droite du champ de bataille, dans la plaine à gauche, l’armée de Silésie, utilisant également ses formidables masses, maîtrisait aussi la fortune .
Après avoir détaché le corps du général Langeron, pour déborder ou inquiéter la gauche des Français vers le bois de Boulogne, le général Blücher porta ses masses vers sur le front de la ligne .
Le général Woronzof emporta la Vilette, qu’occupait la division Curial . Dans le même temps, le prince Guillaume de Prusse attaquait la Chapelle, défendue pied à pied par la division Charpentier .
Le duc de Trévise ayant chargé le général Christiani de reprendre le village avec sa division de grenadiers-flanqueurs, ce village fut attaqué de nouveau; déjà nos troupes en avaient chassé l’ennemi, lorsque les gardes Prussiennes, qui venaient de renforcer le pont du canal, se présentèrent sur leurs derrières, vers le pont où la Villette tient à Paris .
Ce mouvement très-dangereux, décida le duc de Trévise à retirer ses troupes de la Chapelle et de la Villette, et il les fit revenir aux barrières .
Dans le temps que ceci se passait à la droite du corps Français, le mouvement du général Langeron, sur la gauche, devenait inquiétant . Les Russes avaient déjà dépassé le village de Cluchy, et s’approchaient du bois de Boulogne, lorsque le général Beliard fit engager contre eux une fusillade par la cavalerie du général Dautancourt, conjointement avec 300 Garde Nationaux de la 2eme légion, et ralentit ainsi leur marche .
Sur ces entrefaites, l’Empereur de Russie et le Roi de Prusse, voyant les progrès de l’armée de Silésie, et considérant la position du duc de Trévise comme désespérée, envoyèrent le comte Orlof sommer le maréchal français de mettre bas les armes .
Choqué d’une telle sommation, ce brave guerrier répondit avec fierté, que les alliés, pour être au pied de Montmartre, n’avaient pas encore Paris; que l’armée s’ensevelirait sous ses ruines plutôt que de souscrire à une capitulation honteuse; qu’au reste quand il ne pourrait plus la défendre, il savait encore où et comment effectuer sa retraite, devant et malgré l’ennemi .
Quelques instants après, le duc de Trévise apprit la suspension d’armes conclue par le duc de Raguse, il eut seulement alors connaissance de l’autorisation donnée par le Roi Joseph, autorisation que, par une circonstance fortuite, il n’avait pas encore reçue; il adhéra à la trève, et se réunit à son collègue pour traiter d’une convention digne de leur glorieuse résistance .
Les deux maréchaux se rendirent en conséquence à la Villette, où se trouvèrent les commissaires alliés chargés de la négociation . Dans le même temps, des officiers d’état-major des deux armées parcoururent toute la ligne, précédés d’une trompette, et firent cesser les hostilités .
Toutefois, l’avis de l’armistice ayant tardé à arriver au corps de Langeron, à cause de son éloignement, ce général continua son mouvement sur l’extrème gauche de la ligne Française .
Comme la gauche du duc de Trévise ne dépassait pas la butte Montmartre, depuis la barrière de Clichy jusqu’à celle de Neuilly, l’enceinte et les faubourgs extérieurs n’étaient défendus que par les 1er et 2eme légions de la Garde Nationale .
La cavalerie du général Belliard, peu considérable, occupait seule la plaine de Clichy; neuf pièces de canon seulement étaient en batterie sur Montmartre, et battaient la plaine .
Lorsque le maréchal Moncey, auquel appartenait le commandement de la ligne occupée par la Garde Nationale, s’aperçut de l’approche des troupes Russes qui s’avançaient en masse sur les barrières depuis le bois de Boulogne jusqu’à Montmartre, il fit ses dispositions de défense, et les Garde nationaux continrent quelque temps l’ennemi en avant de l’Arc de Triomphe de l’Étoile . Mais il n’en était pas de même devant la barrière de Clichy .
Plus de quarante bataillons, précédés d’une artillerie formidable, s’étant avancés sur le village de Clignancourt, arrivèrent à portée de fusil de la cavalerie du général Belliard .
Vainement ce général les fit charger par le général Dautancourt avec les chasseurs de la Garde, que commandait le chef d’escadron Lafite et par le général Sparre avec les 5eme et 12eme de dragons .
Débordés des deux côtés, mitraillé par trente-six bouches à feu, notre cavalerie fut contrainte à faire volte face, et n’ayant point d’autre retraite, elle remonta au galop les pentes escarpées qui conduisent au sommet de Montmartre .
Le général Belliard, au milieu de cette retraite précipitée, aperçut 250 hommes de sapeurs-pompiers de Paris, il les jeta à la hâte dans un enclos à mi-côte, leur prescrivant de tenir ferme .
Cette poignée d’hommes arrêta l’ennemi pendant que notre cavalerie descendait les rampes que notre cavalerie descendait les rampes de la butte, et rentrait en grande partie par les barrières que tenait encore le duc de Trévise .
Bientôt les russes couronnèrent toutes les hauteurs de Montmartre . La Garde Nationale fusilla encore quelques temps aux barrières depuis Clichy jusqu’à l’Etoile; mais enfin l’armistice ayant été connu sur ce point, le feu s’éteignit, et cette terrible journée fut terminée .
Pendant ce dernier incident, on discutait à la Vilette des clauses de la capitulation . Après d’assez vifs débats, on convint que l’armée Française se retirerait avec son matériel et aurait la nuit entière pour l’évacuation; que les alliés entreraient dans Paris le lendemain 31, à six heures du matin, et ne pourraient recommencer les hostilités qu’après neuf heures . Ces conventions furent verbales, et le duc de Raguse se chargea de les rédiger au nom de son collègue .
L’armée remit alors ( cinq heures du soir) à la Garde nationale les barrières qu’elles avaient défendues, et commença aussitôt l’évacuation de Paris, d’où elle sortit avant et pendant la nuit par la barrière de Fontainebleau, route par laquelle devait arriver l’Empereur Napoléon .
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