Bruno Roy-Henry, je me permets de vous citer concernant les croquis réalisés par Ibbetson sur le Northumberland, lors du voyage menant à l’exil hélènien :
« Il ne s'agit pas de croire, mais de voir, encore une fois. Je ne pense pas avoir jamais présenté des vérités "toutes faites" !
Nier, contre tout bon sens et toute la documentation que la caricature dite de Gourgaud, ne correspond pas à la physionomie de celui-ci et à ses particularités physiques, c'est tout bonnement du négationnisme !
Et après, certains historiens ratés et aigris prétendent donner des leçons de méthode historique !
[…]
les noms n'ont pas été écrits par Ibbetson, mais par l'éditeur (ou l'imprimeur).
[…]
cette caricature a été erronément légendée »
Voilà une affirmation pour le moins péremptoire (et assurément agressive) et qui mérite réflexion.
Si j’ai bien compris, vous appuyant sur les recherches de M. Benhamou, vous vous basez principalement sur la gravure intitulée « Portrait of Napoléon and four of his Suite ».

Pour mémoire, cette œuvre annotée au crayon relevait de la collection du docteur Silk et fut publiée pour la première fois, si je ne m’abuse, en 1915 dans « Letters of captain Engelbert Lutyens ».
A noter qu’une autre version (mais sans note manuscrite et sous le titre de « Napoleon and his fellow exiles ») était parue neuf ans plus tôt dans « Napoleon's last voyages, being the diaries of Admiral Sir Thomas Ussher, R.N., K.C.B. (on board the "Undaunted"), and John R. Glover, secretary to rear Admiral Cockburn (on board the "Northumberland") ». C’est celle-ci :

On peut ajouter par ailleurs que cette gravure existe aussi en version colorisée et a été vendue en deux exemplaires (« The five Heads ») à Auckland, en Nouvelle-Zélande, le 29 juin 2010, par Art +Object (« Napoleon’s Final Days »). L’une des deux gravures en question était accompagnée de la note manuscrite suivante : « published from sketches taken by Denzil Ibbetson while on board H.M.S. Northumb. during voyage out to »

Hormis l’exemplaire sans note vendu par Art +Object, toutes ces gravures s’entendent sur les légendes relatives aux quatre compagnons d’exil de l’Empereur, à savoir de gauche à droite : Gourgaud, Bertrand, Las Cases (ou Lascassas) et Montholon.
Mais revenons au « Portrait of Napoléon and four of his Suite » et à ce que vous en a dit M. Benhamou :
« Les dessins sont de Denzil Ibbetson, faits sur le Northumberland, et la composition des 5 têtes fut faite à Londres sans doute par le graveur ou l'éditeur Hansel, mais... la légende des noms fut rajoutée bien après par George Cruikshank, un célébre caricaturiste anglais. Pendant un moment, les gens pensaient d'ailleurs que ces dessins avaient été faits par lui, car Ibbetson n'avait aucune célébrité. Ibbetson mourut en 1857 et Cruikshank en 1875. Les dessins firent l'objet de ventes aux enchères et il n'est pas impossible que les premières ventes souhaitèrent fixer des noms sur ces portraits qui n'étaient connus auparavant comme simplement: "Napoléon et quatre personnes de sa suite". On ne précisait ni les noms ni le terme "officiers". Aussi, les titres employés sont anachroniques pour l'année 1815-1816. On ne disait pas "Napoleon Bonaparte" mais "Napoleon Buonaparte" voire "General Buonaparte". On disait "Count Montholon" et non "General Montholon". Etc. Bref, ses légendes furent ajoutées bien après les dessins et pas par des gens qui connaissaient les façons d'appeler les personnes de la suite de Napoléon.
Alors voici donc l'histoire possible de ces portraits. D'après un collectionneur de ces portraits, du siècle dernier, il s'agissait de faire des dessins à l'usage des garnisons sur place pour leur permettre de reconnaitre qui est qui parmi les Français à même d'interagir avec les corps anglais. Ibbetson, seul à bord capable de dessiner et ayant les modèles sous la main, se fut donner cette tâche. Les dessins étant bien réussis, une copie fut envoyée en Angleterre pour publication: L'éditeur Hansel ou son graveur pensèrent en faire un tout, alors qu'originellement les dessins sont faits séparément; ceci explique que ceux ci ne sont pas tous en même format. Et voici donc "Napoléon et sa suite" sur gravure à Londres.
Il y a totale décorrélation entre les gravures, faites une à une par l'artiste, et l'assemblage fait par l'éditeur, puis les dénominations données par une personne tierce qui n'avait jamais vu lesdites personnes de la suite de l'Empereur. En bref, ça laisse un trou béant aux interprétations. »
A la suite de quoi, vous ajoutez : « Les éléments donnés résultent de l'analyse faite par M. Benhamou, de l'ouvrage d'Alexander Meyric Broadley, "Napoleon in caricature" 1795-1821. John Lane. 1911. »
Penchons-nous donc sur ce livre et ce qu’y dit Broadley :
« Les noms sont donnés avec une écriture manuscrite contemporaine, et une note de droite dans le coin faite par la même personne porte : « Drawn on the passage to St. Helena by D.I. » [Ndla : le « by » est ici de trop] L’auteur est donc d’avis qu’Ibbetson était sans doute l’auteur de cette curieuse planche, bien que Cruikshank puisse très probablement l’avoir copiée ou gravée. »
On voit ici, ce qui est fort problématique, que M. Benhamou ne parle pas du même document que Broadley ; le "Napoleon Bonaparte" et "General Montholon" n’apparaissant pas sur la gravure décrite par le collectionneur anglais, mais, comme dit plus haut, sur la planche appartenant à Silk et intitulée « Portrait of Napoléon and four of his Suite ».
La gravure à laquelle fait référence Broadley est en fait celle qui est aujourd’hui à la Bodleian Library d’Oxford et référencée sous le titre de « Napoleon Buonaparte and four of his suite ». La voici :

Quelques mois après la mort de Broadley, la gravure avait en effet été achetée par George Nathaniel Curzon (1859-1925), lors de la vente tenue chez Hodgson & Co, à Londres les 7 et 8 décembre 1916 ; suite à quoi elle avait été léguée en 1926 après le décès de Curzon, à la célèbre bibliothèque de l’université d’Oxford.
Mais pour y voir plus clair dans l’avis de Broadley, il ne faut cependant pas se contenter de son ouvrage de 1911, mais également de se pencher dans l’article qu’il écrivit quelque temps plus tard dans le volume 83 de « The Century Illustrated Monthly Magazine » : « Napoleon’s St. Helena portraits (1815-21) ».
On y voit un Broadley catégorique :
« Il est maintenant tout à fait évident que la totalité de l’écriture était celle de l’Assistant (plus tard Adjoint) Commissaire-Général Ibbetson »
A noter que c’est la seule version de la gravure dite des « Five heads » où apparait l’identité de l’auteur au travers des initiales écrites à la suite des légendes ajoutées aux cinq portraits : « D. I. ». La prestigieuse bibliothèque où est actuellement conservée la gravure en question indique d’ailleurs que ces initiales sont une signature.
Ainsi si l’on en croit Broadley (vers lequel vous nous renvoyez puisque, citant Macé, vous évoquez le Century Magazine de 1912), Ibbetson (tout du moins pour la gravure conservée à la Bodleian Library) n’est pas seulement l’auteur des portraits mais aussi des légendes.
Ainsi prétendre comme vous le faites que « les noms n'ont pas été écrits par Ibbetson, mais par l'éditeur (ou l'imprimeur) » en se basant sur les écrits de Broadley ne me parait pas juste.
En somme, malgré tout ce que l’on peut dire de la qualité de la représentation (et pas seulement pour le portrait de Gourgaud), si l’on se réfère au spécialiste Broadley (qui de tout évidence n’était pas un « historien raté et aigri », et encore moins un « négationniste »), il faut bien admettre, sauf à preuve du contraire, que les personnages figurant sur la gravure d’Oxford sont correctement légendés, puisque lesdites annotations ont été réalisés par l’auteur même des croquis ; ce dernier ayant côtoyé de près les personnages ici représentés.