L'Énigme des Invalides

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 Sujet du message : Nos bons amis, les ennemis...
Message Publié : 14 Fév 2023 16:37 
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Lire ou relire ce chapitre de Houssaye, sur la honte d'être livré aux étrangers :

http://www.mediterranee-antique.fr/Aute ... .htm#_edn6

Madelin :
LES ALLIÉS EN FRANCE de 1815 à ,1818
L'INVASION E T L'OCCUPATION
Le 18 juin 1815, l'armée française avait été, après des prodiges de courage, vaincue aux champs de Waterloo ; au cours de sa difficile retraite, elle s'était effondrée et comme dissoute sous le coup d'une inexplicable panique. Enveloppé dans cette déroute, l'Empereur avait dû, bientôt, s'en arracher ; i l avait le sentiment exact qu'à Paris, ce terrible événement connu, des intrigues mortelles allaient se nouer, que peut-être sa présence déconcerterait.

Arrivé à l'Elysée lé 21, il trouvait la situation si compromise, qu'enlacé dans les trames de son ministre de la Police générale, Fouché, i l était, dès le lendemain, amené à abdiquer en faveur de son fils ; mais les Chambres, manœuvrées, à leur tour, par le' duc d''Otrante, semblaient hésiter à proclamer le jeune prince et finalement ne le faisaient que d'une façon assez équivoque. Elles avaient élu, non un Conseil de régence, mais une Commission de gouvernement dont Fouché se faisait attribuer la présidence, dans l'intention déclarée de négocier avec les vainqueurs de Waterloo, Wellington et Blucher, en marche sur Paris ; en réalité son dessein secret était de traiter avec Louis XVIII qui
s'acheminait, derrière ceux-ci, vers la capitale.: ' Le Roi, retirë à Gand pendant les Cent:Jours, avait été invité, dès le 20 par Wellington lui-même, à rentrer en France sans tarder d'une minute. Louis XVIII n'avait pas hésité à suivre le conseil du noble lord et à la vérité était-il mû, à cette heure, autant que par une pensée politique, par un souci éminemment patriotique. Détrôné par le revenant de l'île d'Elbe, i l avait été, ~par son représentant au Congrès de Vienne, le prince de Talleyrand, associé à la déclaration des souverains de l'Europe du 25 mars, qui, après avoir mis Napoléon hors la loi, se préparaieni, à l'abattre sous une formidable coalition de l'Europe entière. Dis ter» ¿ roi de France était-il partie de cette coali- tion ; Louis XVIII espérait que, faisant maintenant, valoir le fait, i l pourrait tirer du pacte conclu à Vienne les conséquences les plus favorables à la France et, en se réclamant de l'alliance réalisée, conjurer les suites horriblement menaçantes de la défaite. Aussi appelait-il ses sujets à accueillir « en amis » les Alliés qui, disait-il, n'étaient venus qu'abattre « l'usurpation » et ne voulaient aucun mal au pays « qui en avait été la prin- cipale victime ». V
Les Alliés eux-mêmes paraissaient, tout d'abord, faire grand état de cette adhésion à la coalition qu'ils devaient, sonspeu, traiter dV « fiction ». C'est que, facilitant leur marche' sur Paris^cfette situation équivoque servait, pour quelques jours; leur intérêt. Wellington, général en chef, sur le point d'entrer ëh France, rappelait, en conséquence, aux soldats anglais et prus- siens que « leurs souverains respectifs étaient les, alliés de S.M. le roi de France et que la France devait donc être considérée comme un pays ami » et traité comme tel.
Dans une proclamation « aux Français », le généráíis&me anglais donnait, d'autre part, à la nation 1'assUranóe formelle dés mêmes sentiments, des mêmes intentions. ' ,
Les vainqueurs de Waterloo, l'armée anglo-prussienne, ne ,(»n8titUaient cependant que la forte avant-garde de là coali- tion : une massé énorme de troupes où vingt Etats étaient repré- sentés, 400.000 hommes en grande majorité allemands et russes,
sous les ordres du maréchal Schwarzenberg, marchaient sur le ' Rhin, mais le chef autrichien prodiguait, ainsi que le général en chef russe Bárcláy de Tolly, les mêmes assurances, proclamait les mêmes intentions bienveillantes que Wellington. A notre Sud-Est, cependant, une troisième armée, celle-là austro-pié- mcmtaise, allait d'Italie tenter de franchir les Alpes. Le géné- ral 'de Frémont qui l a commandait écrivait : « Français, rece- vèz-hous comme des amis et vous trouverez en nous les protec- teurs de vos droits ». On ne venait qu'abattre 4e nouveau l'usur-
pateur, le tyran, qui avait subjugué la France et fait son malheur. Napoléon avait, dans son acte d'abdication, fait con-

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naître, à cet égard, son pressentiment : « Se sacrifiant à la haine des ennemis de la France », avait-il écrit, i l voulait espé- re^r çpntre toute espérance que ceux-ci en feraient bénéficier lé pAySjyaincu : « Puissent-ils être sinceres dans leurs déclara- tions et n'en avoir réellement voulu quvà ma personne », avait-il ajouté. Ce sonnait amer renfermait un cruel, douté que tout aljáit,; sous peu, justifier.
La France pouvait-elle, en ces jours de juin 1815, tenter de résister à l'invasion et l'arrêter ? Le maréchal de Grouchy, que l'Empereur avait, dans une si cruelle angoisse, attendu de lon- gues, heures devant W aterloo et qui ne l'y ajvait pu finalemeijt rejoindre, avait gardé, de ce fait, un corps frais qui, se portant vers Laon, avait rallié les débris — encore considérables — de l'armée impériale ; reformées, ces troupes montraient une farouche envie de prendre leur revanche. C'était une centaine dè^m'flle hommes que le maréchal ramenait de Laón sur la région parisienne. Il atteignit, le 28 juin, Saint-Denis, prêt â • couvrir lé nord de la capitale contre l'armée anglo-prussiennë que Wellington et Bluchèr acheminaient, l'un avec'sa cbutumière prudence, l'autre avec une hâte furieuse sur Paris. Aux fron- tières de l'Est, Belliard, Rapp et Lecourbe, les deux premiers en face du Rhin, l'autre derrière le Jura, disposaient de forces inen-
tamées, tandis que, occupant la Savoie, Suchet opposait à( ¿Frfe- mont dès troupes peu négligeables. C'étaient, au total, SuQ.000 hommes à"peu près, qu'on pouvait mettre en' lijjrie. Mais ces armées, dispersées, sans liaison et, l'Empereur disparu, sans commandement unique, né constituaient que des éléments de résistance, et d'une résistance qui serait sans lendemain, le jour où Paris serait occupé par l'ennemi. ,
Une' fois de plus se vérifiait le danger que présente pour le pays une capitale qui, centralisant à l'excès tous les moyens, $e trouve, d'autre part, placée beaucoup trop près de la frontière nord-est, porte traditionnellement ouverte aux invasions.
Or Paris semble représenter tout le pays et Paris perdu, tout passe pour perdu de la vaste France. C'est bien pourquoi l'armée ennemie précipitait sa marche vers la Seine. Groucnyl Soldât distingué, mais de second plan, investi par un pur hasard du commandement de l'armée, avait dès la première heure déses- péré d'arrêter l'ennemi derrière la Somme, ainsi'qu'on le ppu- vàit peut-être tenter, et, laissant le chemin libre, i l était venu

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s'appuyer à Paris qui n'était pas encore fortifié. Peut-être Wel- lington, dans certains desseins, se fut-il néanmoins attardé, mais Blucher brûlait du désir de forcer l'entrée dé la capitale française qu'il rêvait de mettre à feu et à sang, et imprudem- ment d'ailleurs, se jetait en avant — c'était toujours le maréchal Vorwârtz ^ précédant le maréchal anglais sous le commande- ment de qui il était en principe placé. Une députation dè éihq notabilités qui, envoyée par Fouché pour solliciter l'armistice, pensait ne rencontrer les avant-gardes ennemies qu'au nord dé Noyon, devait leà trouver devant Saint-Denis. Les plénipoten- tiaires avaient primitivement mission de proposer une sùspefl- sioh des hostilités en faisant accepter comme ligne de 'démar- cation entre les armées celle de la Somme ou, s'ils abordaient l'état-major interallié au sud-ouest de la rivière, toute autre ligne entré Somme et Oise ; mais il ne pouvait plus en être question, l'ehnemi étant déjà devant Paris. Blucher, ivre d'une sombre fureur, délibéra de faire tout simplement arrêter ces négociateurs et de les retenir comme otages. On le calma avec peine, mais c'est par crainte des réprimandes du généralissime Wellington qu'on les laissa finalement libres d'aller trouver celui-ci, qui les reçut à Éstrées, où i l leur opposa un refus ha*> tainement poli. Après avoir signifié sur un ton assez dur qu'il n'arrêterait les opérations que si Napoléon était « livré aux Alliés » ,et un gouvernement régulier établi, i l ajouta, mû par la pensée politique qui, chez lui, dominait tout, que si ce gou- vernement n'était pas celui du roi légitime, les Alliés devraient « chercher dans des concessions de territoires les seules garant ties qui pourraient établir leur sûreté sur des bases solides », ce qui était encore promettre implicitement que, moyennant la restauration de Lou^s XVIII, la France ne subirait pas les consé- quences de la défaite.
Fouché, maître du gouvernement, n'avait pas besoin de cet ultimatum déguisé pour préparer le retour du Roi : depuis huit jours, i l ne manœuvrait, en secret, que pour s'imposer — en dépit de son vote régicide de janvier 1793 — comme ministre au frère de Louis XVI. Il entendit se valoir les bonnes grâces, et,t partant, la protection de Wellington près du Ro}, en évitant toutes batailles nouvelles. Mais il était trop précautionneux et, d'ailleurs, la situation trop compliquée encore pour qu'il osât, prendre sur' lui de rendre Paris ; il provoqua la réunion d'un

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conseil de guerre qui dicterait au maréchal Davout, placé main- tenant à la tête de l'armée, la résolution que, comme, chef de gouvernement, lui, Fouché, désirait, mais dont il n'osait assu- mer' la responsabilité. Masséna et Souk, consultés, opinèrent que Paris, couvert au nord, à la vérité,'par l'armée Grouchy, ne l'était pas au sud et ne pouvait donc être défendu ; le .conseil se rallia à cette conclusion, et, la Commission du 'gouvernement en ayant été saisie, Carnot lui-même, le grand Carnot, ; qui ion faisait partie, déclara, en toute sincérité, que, ayant, visité les avant-postes, il ne pouvait que partager l'avis exprimé» fin conséquence, Davout fut autorisé à proposer aux chefs alliés, soùs les conditions dictées par Fouché, la capitulation : entraî- nant l'armistice, elle fut signée le 3 juillet.
«
Wellington avait aussitôt accepté les conditions de Fouché. Les troupes de Blucher hasardées du côté de Saint-Germain, d'Où celui-ci comptait gagner le sud de Paris, avaient, sur ces entre- faites, à Rocquencourt, essuyé un sanglant échec de la part du corps Exelmàns. Le maréchal prussien qui, la veille, signifiait encore aux envoyés de Paris qu'un «armistice ne le satisferait que conclu dans Paris pris » et exigeait la reddition à merci de la ville et de toute l'armée française, avait, sous le coup de cette mortifiante défaite, dû rabattre de ses prétentions ; Wellington s'en était senti fortifié dans son désir d'accommodement. Fouché s'était cru très habile en faisant promettre « le respect des autorités actuelles » et des « propriétés publiques », mais Blu- cher s'était ménagé le moyen de tourner les conditions en faisant ajouter cette réserve équivoque : « à l'exception de celles qui ont rapport à la guerre ». A Paris, on voulait voir cependant dans cet engagement une garantie assurée aux hommes et aux insti- tutions de la Révolution. Carnot écrivait, en toute bonne foi, aux préfets : « Si le sort des batailles a dû faire remettre momenta- nément la capitale aux mains de l'ennemi, ils (leg Alliés) Ont pris l'engagement solennel de respecter les personnes, les pro- priétés publiques, et particulièrement nos institutions, nos auto- rités, nos couleurs nationales. » Cependant, Fouché se rendait à Neuilly, sur un appel de Louis XVIH- qui, désireux de rentrer sans difficultés aux Tuileries, payait Paris du portefeuille convoité par le chef de la Commission de gouvernement, Paris, aux yeux du petit-fils d'Henri IV , valait plus « qu'une

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messe » : l'éponge passée sur le régicide. Et c'était, après tout,
de bonne politique.
Les Alliés précédèrent cependant le Roi dans Paris. Us ¡y pénétrèrent le 6 juillet; mais ce n'était pas l'entrée en .cortège, pacifique et presque souriante, qu'avaient faite, en avril,JL8.Ï4, les chefs alliés triomphants. Le corps Zieten, de l'armée,prus- sienne, pénétra par une des barrières du sud-ouest,, ee^e ,4e Grenelle, en dispositif de combat, fusils chargés et mèches,.allu-
mées et, s'étant fractionné devant l'Ecole militaire, n'occupa les divers points de la capitale que pour y mettre ses canons enbatterie. Paris, dont certains quartiers avaient,, en, avril 1314, paru acclamer les Alliés, restait, cette fois, morne et, sombre devant cette marche militaire aussi menaçante que mortifiante.
Le 8, le corps Thielmann vint renforcer Zieten, suivi de troupes anglaises et, aussitôt, les états-majors alliés, installés à Paris derrière leurs troupes, jetaient le masque : la capitale devait être, traitée en ville conquise et la France, avant peu, en pays ennemi, et un pays ennemi qui avait mérité les pires « châti- ments ». Un Wurtembergeois, Hugel, écrivait à son souverain que Blucher, apprenant que Louis XVIII se réinstallait aux Tuileries, s'écriait : « C'est moi et Wellington qui sommes ici les seuls maîtres. » Pour que Louis XVIII s'en convainquît, on n'avait même pas eu la délicatesse de laisser apparemment libres lès abords du château : le Roi, rentrant dans « là demeure de ses pères »,,dut traverser les jardins transformés eh bivoUac,
où les soldats de Blucher faisaient sécher leur linge/sur lés piques dorées des grilles.
Il y avait pis : Blucher, dès spn entrée à Paris, avait pro- clamé son intention de détruire tous les monuments rappelant les 'défaites de l'Europe et les gloires de l'Empire1, notamment les pónts d'iéna et d'Austerlitz, l'arc de triomphe du Carrousel, servant de portique aux Tuileries, et les assises de celui de
'l'Etoile, dont les piliers s'élevaient déjà de quatre niètr^s'au-des- sus du sol, enfin la colonne de la Grande Armée sur la place Ven- dôme, et il avait, dès le jour de son entrée, fait poser les mines. Celles du pont d'iéna étaient en place quand, au ndm de
Louis XVIII, Talleyrand, président du Conseil, protesta près du maréchal. «'Le pont sera détruit, répondit celui-ci, et, ajoutait-il gracieusement, je souhaite que M. de Talleyrand vienne s'y

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installer préalablement ». On sait que le roi Louis écrivit alors personnellement au ministre de Prusse qu'il « se porterait lui- ' même sur le pont et qu'on le ferait sauter si l'on voulait ».
La lettré, de stylé très noble, traitée longtemps de légendaire,
a è^S publiée depuis en fac-similé. Wellington intervint; i l était temps : déjà le feu avait été mis à une mine, qui avait écorné le jponj^H .fàÙïit que'lé roi de Prusse, arrivé à Paris sur ces entre- faites avec les atîtrés souverains alliés, vînt calmer les ardeurs de son terrible rèître.
Déjà la banlieue de Paris éta|t au pillage, et bientôt certains appartements de la capitale. Wellington s'en plaignit à lord Çastélreàgh et écrivait qu'il était temps d'arrêter « les destruc- t i o n ^ ^ le plaisir ». Mais Blucher, à qui l'on signalait les attentats^torts graves commis par ses soldats, s'écriait en riant :
« )[ls n'Ont fait que ça ! ils auraient dû faire davantage ! » Il était clair qu'on se trouvait déjà loin des déclarations d'ami- tié* en faveur des « alliés » français, des proclamations dont ï'éïicre était à peine séchée. C'est .que la France venait, sur ces entrefaites, de désarmer ses soldats et était ainsi livrée, pieds et poings liés, au bon plaisir des envahisseurs.
Les corps qui défendaient les frontières avaient cependant yaillamment soutenu le choc des armées alliées de l'Est. Belliard n'ayant pu, à ,1a, vérité, empêcher le prince de Wrède, à la tête de l'armée bavaroise, d'entrer à Nancy, Rapp avait, lui, arrêté, le 28 juin, le prince, de Wurtemberg devant Strasbourg en lui infligeant les pertes les plus sérieuses, et Lecourbe, voyant déboucher de B&le l'archiduc Ferdinand à la tête des Autri- chiens, se jetait, du Jura, d.ans la trouée de Belfort où, n'ayant d'ailleurs pas été avisé de l'armistice, il allait tenir bon dans là place, Jusqu'à la conclusion de la paix. Cependant, en Savoie, Suchet, qui, sur la.nouvelle du,désastre de Waterloo, avait offert aux Piémontais ui»eVsus^'aion^^uteés.. reprenait, sur leur refus, une offensive et, après avoir tué 2.000 hohimes à l'ennemi, imposait à Frémpnt, sur la frontière même, l'armistice que, la veille, celui-ci (avait rejeté. Mais les héroïques efforts de ces armées, trojj éparses, étaient cependant trahis par la capi- tulation de Paris, imposant, avec la supension d'armes, l'évacua-
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tion sur la Loire des troupes dont Davout avait pris le com- mandement.
Celles-ci s'étaient repliées sur Gien, Orléans,tours et Angers, montrant yis-à-vis du Roi, réinstallé à Paris, la plus vïofétiie fureur et criant encore « Vive l'Empereur ! » Il paraissait que
ces « dangereux prétoriens » offraient, pour le gouvernement royal, un péril permanent et, tant qu'ils resteraient,réunis, constitueraient les éléments d'une guerre civile qui, â la vérité, eût achevé, en le déchirant, de perdre le malheureux pays, £ùsaï
le Roi et ses ministres en étaienWls à envisager le licenciement que déjà réclamaient, « au nom de l'ordre », les grands chefs alliés. Davout, pour conjurer l'événement, réunit Tes généraux • et colonels à son quartier général du château de la Source, . près d'Orléans, et les sollicita de signer un acte de soumission formelle au Roi au nom de l'union qui, seule, pouvait sauver la nation :«Les armées de l'Europe se sont ruées sur la France pouV
la mettre à feu et à sang, il n'y a plus d'espoir de les chasser par les armes. Seul, le gouvernement de Louis XVIII peut arrêter
la dévastation et le morcellement de la France. C'est pourquoi l'armée doit se rallier à lui ». Sur cet appel à l'union, ces officiers • se résignèrent, non sans»montrer la plus mauvaise humeur, à signer l'acte de soumission ; mais les troupes gardaient l'atti- tude la plus hostile au gouvernement de Paris. A cette « union » réclamée par le prince d'Eçkmuhl, d'autres cependant étaient disposés à sacrifier de plus vieilles rancunes : fait trop peu connu, certains chefs de l'insurrection vendéenne, „ royalistes ardents, mais patriotes sincères, notamment Larochejaqueleih
et Sapinaud, vétérans des guerres de l'Ouest, avaient proposé au général Lamarque, commandant les troupes naguère envoyées - contre eux par Napoléon, de Se réunir à celles-ci pour repousser toute tentative des Alliés qui aurait pour but de démembrer la France. Encore qu'elle eût été désavouée par d'autres chefs royalistes de l'Ouest, cette démarche, si honorable, avait encou- ragé Davout dans son appel à l'union et donnait à réfléchir aux Alliés, qui, sous peu, autorisés à occuper les départements jadis insurgés au nom du Roi, n'oseront s'y aventurer sans quelque appréhension.
Mais la soumission — à la vérité maugréante — des soldats de Davout ne rassurait pas le gouvernement royal et, d'autre part, les Alliés, faisant argument de la mauvaise grâce évidente

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avec laquelle les « brigands de la Loire » s'étaient résignés; réclamaient « le licenciement de toutes les armées ci-devant impériales au nom de la paix publique ». Comme Louis XVIII et ses ministres hésitaient encore, Nesselrode, au nom du l'sar, Insistait en termes rigoureux : « Déterminés par le besoin de la phi* universelle, écrivait le ministre d'Alexandre à Tallêy- rand^ l'empereur de Russie et ses alliés font du licenciement de l'armée une condition impéraHve » . À cette requêté, « impéra- tive », TaHeyrand n'offrit plus aucune résistance; l u i aussi; d'ailleurs, considérait — non sans raison -J~ comme une menacé pour la « paix publique » le maintien sous les armes des « sol- dats de Bonaparte » ; le ministre de la Guerre, le maréchal Gou- vion Saint-Cyr, se laissa persuader qu'il serait plus facile de constituer une « armée nouvelle » si l'on avait fait, au préalable, table rase de l'ancienne, qui,finalement,fut licenciée. La France alliait, de longs mois, rester.à peu près sans soldats et, ainsi
livrée à l'arbitraire de l'ennemi.
Alors que l'armistice semblait devoir provisoirement arrêter l'invasion, celle-ci prenait, a u contraire, depuis le milieu de juillet, le caractère d'une formidable-inondation. Sur toutes les frontières — sauf dans quelques places fortes où des soldats à l'âme de bronze s'étaient enfermés — les armées avaient, sur l'ordre de Paris, mis bas- les armes, et les troupes étrangères continuaient à affluer de toutes parts. Désireux de ne pas laisser les vainqueurs de Waterloo — les 180.000 hommes de Wellington et.de Blucher — bénéficier seuls de l'occupation, désireux sur- tout de ne pas voir la Prusse et l'Angleterre saisir seules leurs gages, les autres coalisés se ruaient, comme un flot sans cesse grossi, sur la malheureuse France. Cette ruée ne cesserait pas de trois mois, encore que, les armées françaises licenciées, aucune raison'd'ordre militaire ne l'autorisât. C'était bien une ruée e n effet ! Dans les départements du Nord-Est, déjà occupés par les Anglais et les Prussiens, lés Russes s'étaient précipités en même temps que les Bavarois, les Saxons, les Bàdois, les Wur-J tembergeois, les Hessois, tandis que des troupes de vingt autre» Etats allemands se jetaient, d'autre part, s u r les départements de l'Est ; i l en venait de toutes les petites principautés germa- niques, et il en venait même des villes hanséatiques, de Ham-

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bourg et Lubeek. De la lointaine Russie aux minuscules duchés dte'Retfsset déWaldeck, tous arrivaient à la curée; les Prussièiisv eux-mêmes, que grossissaient pans cesse de nouveaux- renforts, se montraient presque inquiets à voir tant de gens s'attabler au
festin sans avoir tiré un coup de fusil. Des Pays-Bas^ les arméeS'belgo-hoHandaises — 50.000 hommes — débordaient, dont Wellington,'bientôt soucieux, allait sous peu signaler l'appétit désordonné. Derrière eux survenaient des Danois dont la présence ne S'expliquait guère. On ne s'expliquait pas plus lapresèncé des
Suisse*•-* 26JOOO hommes — qui avaient passé1 le>Jura'ek occupaient sans coup férir ïèîl régions de Pontarliér et de Gex. Les Autrichiens, eux, étaient arrivés par toutes les voies,-dé la Franche-Comté à la vallée du Bas-Rhône; dans cette dernière région,'*15i000 Piémontais, mêlés de quelques milliers d'autre* Italiens', se subordonnaient plus ou moins au commandement autrichien. Ce qui parut passer la mesure, c'est lbrsque l'Espagne qui, n'ayant pas, pour certaines raisons,' adhéré an •
pacte du 25 mars 1815, ne pouvait pas, une heure, être considé- rée en 1815 comme belligérante, jeta ses soldats sur les dépar- tements pyrénéens. Les Espagnols se saisirent, à l'est de Perpi- gnan et 'de«tes «virons,*à l'ouest du Béarn et tirent mîhe dé vwilair «efcuper — avec 48.000 hommes — tout le Sud-Ouest dè la France. Rappelée à l'ordre par les chefs eux-mêmes délà coalition, ils durent se cantonner dans Perpignan et Bayonhë, où» ils levèrent'des contributions. .
1 Cette invasion de"la France par l'Europe entière se faisait sans^rdre ni direction. C'était, particulièrement dans les dépar- tement* du Nord-'Est, une cohue de soldats servant sous'vingt drapeaux et parfois se prenant de querelles autour de tos à ronger que les Prusiens, déjà, avaient en quelques jours en partie dépouillé. Les généraux de ces nations diverses agissaient selon leur bon plaisir, ne tenant aucun compte de la fameuse
«alliance » avec Louis XVIII, pas plus de l'armistice,1 et'pas plus des « droits » que cet armistice laissait à l'administration française de gouverner seule le pays. Un des représentants du Tsar; <3apo<<fIstria, signalait avec inquiétude que « les divér- genserf momentanées (avec les autorités françaises) provoquées
par l'ascendant du pouvoir militaire font croire (le mot était asse* plaisatot) que quelques-unes des armées alliées se* consi- dérant en pays ennemi ». Il devenait urgent de mettre un tien

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d'ordre dans cette invasion sans précédent et, suivant l'expres- sion caractéristique de l'Allemand Pertz, « d'organiser métho- diquement l'exploitation du pays ».
» • .• •
jOns-'en préoccupait en haut lieu. Dès le 12 juillet, les sou- verains alliés étant arrivés à Paris avec leurs ministres, ceux-ci se constituèrent en un véritable directoire assumant la mission de ne régler, qu'en'son sein la question < de l'occupation et de ne discuter qu'entre eux les conditions de la paix future.
Cette paix, i l ne s'agissait déjà , plus qu'elle fût celle que 'M des amis » accourus pour secourir; ,un « ami » prétendaient en,juin apporter. Tout au contraire, incriminant comme ayant été trop « modéré » le traité de Paris qui, en, mai 18,14, avait cependant dépouillé la France non seulement de tout son empire, mais même de ses frontières naturelles, certains alliés proclamaient que l'Alsacey la Lorraine, la Franche-Comté et les départements du Nord devait être, enlevés à la France ; sans plus ,attendre, les Allemands agissaient en Alsace comme si celle-ci fût déjà séparée de la France, empêchant tous rapports de la province avec Paris et interdisant aux fonctionnaires locaux de (déférer aux ordres de la préfecture de Strasbourg, que, écrivait le commissaire prussien, « nous n'envisageons que comme marchandise de contrebande. » .•
En attendant le traité qui, selon leur espérance, dépouille- rait la France de si riches provinces, i l fallait.que l'occupation
du pays fût assez étendue, assez longue,et assez lourde jpour que celui-ci en restât pour longtemps ruiné et par là paralysé»'(Si
on rappelait maintenant à certains chefs militaires qu'ils, étaient venus en a alliés,du roi de France*.», ils protestaient ironique- ment ou violemment : « Nous venons, répondaient-ils, non pour votre Roi et luirendre sa couronne, mafs pour vous anéantir, t>. Certains chefs prussiens déclaraient « qu'ils ne voulaient pas quitter la France, qu'elle ne fût comme si le feu du ciel y oyait passé ». Metternich, perplexe, écrivait à sa fille : « Notre pré- sence en France est un bienfait qui ne ressemble pas mal à une amputation » ; le chancelier d'Autriche eût pu écrire « un écra- sement ».
Metternich appartenait. à ce directoire interallié qui était censé tout régler en haut — dans le sens de la « bienveillance. » ;
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mais, après avoir quelques jours admis qu'ils pétaient venus qu'en alliés du roi Louis, les ministres alliés eux-mêmes avaient promptement adopté l'esprit qui régnait chez la plupart des états-majors : il fallait que la France payât, non seule- ment les frais de la guerre de 1815 (qui, en toute vérité, ne pouvaient être très élevés), mais ceux de vingt ans de guerres que cependant le traité de mai 1814 avait closes. Seulement ils commençaient à se préoccuper du désordre régnant dans, les réquisitions désordonnément et abusivement exercées sur le ter- ritoire français par les soldats de leurs armées.
- Dès le 9 juillet, le gouvernement français avait constitué •une- commission de cinq membres — dite Commission des réqui- sitions —-qui, correspondant avec les préfets et centralisant
leurs rapports au sujet de l'occupation, devait conférer avec les puissances'Occupantes; mais en vain Talleyrand avait-il, dès le 14 juillet, sollicité les ministres étrangers de nommer à leur tour incontinent une Commission de contrôle et de direction avec laquelle on pourrait causer. Certains représentants de l'Europe eussent bien été disposés à répondre à cette invitation. Cest
le 16 juillet que Wellington écrivait à Castelreagh que « si l'on voulait éviter un soulèvement de la France et une guerre natio- nale; i l fallait interdire aux troupes de piller et détruire les maisons et propriétés, et surtout régulariser la levée des contri- butions et réquisitions par quelque autorité autre que le bon plaisir de chaque général particulier commandant une armée ». Le temps pressait, car les scènes de désordre se multipliaient. Enfin, le 20 juillet, les ministres alliés constituaient une « Com-
- mission administrative » dont l'existence ne fut que le 4 août signifiée au gouvernement français. Composée de quatre mem- bres, elle était dominée par le représentant de la Prusse, qui, BOUS le nom de baron d'Altenstein, n'était autre que le fameux Stein, grand patriote qui, on le sait, avait, après Iéna, travaillé à relever son pays écrasé et encouru par là les foudres de
Napoléon. Ce personnage apportait à la commission un esprit de moraliste prédicant : il fallait que l'occupation fût '« une punition » pour les Français dont la légèreté, la mobilité, la cupidité lé scandalisaient, « vices qui ne sont plus domptés par l'esprit religieux et par la moralité ». Par cette « punition » on ramènerait un peuple dévoyé à la saine morale, et les souf- frances qu'on lui infligerait seraient à la fois un châtiment et
'

m LA REVUE
un exemple — sans doute agréables à Dieu. On pense si c'était de bonne foi qu'invités par la Commission française à se mettre en rapport avec elle, Stein et ses collègues étaient disposés à collaborer avec celle-ci afift d'aboutir « au plus de ^soula-
gement possible pour le pays ». En fait, quand la Com- mission française entendit obtenir la reconnaissance fownell*, par les commissaires étrangers en province, deTautorité des administrateurs français, la Commission interalliée» répon- dait par les récriminations les plus vives contre l'attitude -ééb préfets qui « refusaient de recevoir les ordres des gouverneurs nommés par les Alliés et de satisfaire ponctuellement et sans délai aux réquisitions édictées par ceux-ci ». A cet échange de lettres se bornèrent — ou à peu près —-les relations entre lés deux organismes et, après comme avant, les chefs militaires et leur» soldats continuèrent à soumettre i leur bon plaisir les pro- vinces occupées.
La France avait, par une convention,oju 24 juillet, été par- tagée en deux zones fort inégales séparées par le cours de la Loire, celui de l'Allier, celui de l'Afdèche et celui du Rhône. AU sud et à l'ouest de la Loire, à l'ouest de l'Allier, de l'Ardèche et du Rhône, la France restait libre; c'était exactement le tiers du territoire français ; les deux autres tiers étaient occupés et, presque immédiatement, se trouvèrent élargis. Dès: lé 2 août, les Alliés réclamèrent et se firent donner, au delà de la ligne de démarcation primitive, les départements du Gard, de la Lozère, du Cantal et les parties du Puy-de-Dôme et de l'Allier « que l'on avait cru pouvoir réserver à l'armée française ». La aone occupée avait été elle-même divisée en quatre secteurs/ Grosse modo, les Anglais et les Hollando-Belges occupèrent la Flandre, l'Artois, la Picardie. Les Prussiens, avec leurs alliés allemands, reçurent en lot deux régions, séparées par Paris et sa banlieue* une partie des provinces de l'Est, l'Alsace, partie de la Lorraine, partie de la Champagne, l'Orléanais, le Nivernais, le Bourbon* nais et une partie de l'Auvergne, d'uneN part, et, de l'autre*' la Normandie, l'Anjou et la Bretagne. Les Russes tenaient Une partie de la Lorraine, de la Champagne et de rile-dé-Francej les Autrichiens, la Franche-Comté, la Bourgogne, le Lyonnais; le Dauphiné et la Provence. Mais comme les quatre grandes

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puissances entendaient, chacune de son côté, peser sur le-gou-r vernement français, Paris et sa banlieue avaient été partagea entre des détachements d'armée, dont les limites resteront tou- jours assez confuses. En tout 66 départements étaient occupés par une masse qui, après trois semaines,, montait au chiffre énorme de 1 million 226.000 soldats étrangers. , .<. •
II* n'apportaient pas tous à l'occupation le même esprit et
là même sentiment. Le 31 août, une Française mandait à une amie allemande (c'est le commandant Weill qui cite la lettre) J
« Les Anglais se conduisent admirablement, les Russes et les Autrichiens supportablement, les Prussiens, abominablement, » Ces adverbes paraissent traduire l'impression qu'allaient gardes les populations, mais, étant sans nuances, ils sont outrés en leur généralité. H est juste de s'en tenir au jugement d'un Allemand;
le comté de Gentz : « Les Prussiens, les Bavarois et les Wurtaro-. bergeois poussent les choses jusqu'à l'extravagance, ; d'autres
observent un peu davantage les convenances extérieures, mai» en réalité Us ne restent pas en arrière. »
Dans le secteur anglais régnait l'esprit de Wellington, tenu dans uhe certaine mesure par ses déclarations de juin et dési- reux, dans Tintérêt même de la discipline de 6es troupes^ de ' fafre respecter ce que Gentz appelait les « convenances ». Mais s'il obtenait ce respect des soldats britanniques, le noble lord déplorait vivement lui-même de ne pouvoir l'imposer'aux troupes hollando-belges «dont la conduite était si mauvaise qu'il était impossible de ne pas la remarquer et de ne pas s'en plaindre ». Il en arrivait à conclure qu'il « ne voulait pas commander à de
tels officiers ». Le Moniteur du 16 septembre devait! rendra hommage à l'attitude des Russes; c'est que le tsar Alexandre, autant que Wellington, gardait le souvenir — un peu gênant — des promesses faites au roi de France et à la nation ; il ne cessait de les rappeler à ses généraux; le malheur était que les troupes irrégulières, Cosaques et Baskirs, se soumettaient peu, en thèse générale, à la discipline de leur armée; lâchés sur un pays riche, ces « sauvages » (ils étaient qualifiés tels par leurs propres chefs) se comportaient comme ils se seraient, à la vérité, partout comportés T- en Allemagne ou en Italie et satisfaisaient lau;a instincts deibarbares ; il fallait l'intervention, parfois fort rude, de leurs officiers russes pour que, un instant, ils cessassent de traiter la France en proie offerte sans réserve ni limite à leur

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appétits : « Ours muselés qui ne marchent sur deux pieds que quand le bâton est levé », écrit un colonel français qui les à
vus à l'œuvre ; trop souvent démuselés, ils mordaient. L'empereur d'Autriche eût volontiers ménagé un pays dont, dix-huit mois auparavant, sa fille, reçue si gentiment, en 1810, par les Français, était la souveraine ; le prince de Schwar- zenberg qui, naguère ambassadeur à Paris, avait goûté le charmé de l'hospitalité française, eût, lui aussi, été porté aux égards ; mais l'un et l'autre assez pusillanimes, faibles et au fond indifférents, n'étaient pas hommes à imposer une discipline sévère ; leurs généraux agissaient chacun selon son tempéra- ment et ses sentiments; .en général assez corrects, ils ne se Croyaient pas tenus néanmoins de réprimer les excès de leurs
troupes, qu'elles fussent allemandes, hongroises ou slaves, quand la nation qui était par terre était celle qui, quatre fois, de 1796 à 1809, les avait battus, les Français de Rivoli, de Marengo, d'Austerlitz et de Wagram. Dans leur secteur, les Piémontais se montraient, eux, fort modérés et les Suisses très disciplinés.
Sur. les Prussiens il est prudent —- tant l'animosité que leurs procédés allaient faire naître èn France'devait être vive — de s'en rapporter à leurs alliés mêmes. Nous avons vu l'Allemand Gentz les traiter d'« extravagants » ; le ministre russe Nes-
selrode allait écrire < qu'ils se conduisent d'une façon inconce- vable », le Tsar déclarer rudement à Stein que ses compatriotes ;« souillent et profanent la grande et belle cause des Alliés par leurs vengeances, leurs mauvais traitements et leurs violences », et Wellington affirmer que ces Allemands « ressemblent à des gens qui, ayant pris un gâteau, veulent à la fois le garder et le manger ».
*
• **
Que les Prussiens et autres Allemands abusassent plus que tous autres de la situation, il plaisait à leurs alliés russes, anglais et autrichiens de le signaler ; mais la faute en était au direc- toire interallié qui n'avait pas su envisager, dès les premiers jours, la situation créée par l'invasion de juin, proclamer les principes de l'occupation et en imposer fermement le respect.
Ce directoire avait, à la vérité, à peine Paris occupé, fait faux bond aux déclarations de Wellington et de Schwarzenberg ; ils ne se conduisaient plus, après huit jours, comme des « alliés »
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accourus au secours de leur « allié » Louis XVIII et tenus à ne pas traiter la France en ennemie vaincue. Toutes les fois que Talleyrand, au nom du Roi, entendait, par des notes, d'ailleurs enveloppées de diplomatie, les rappeler à la situation qu'ils avaient, une heure bien, brève, reconnue, on n'accueillait plus qu'avec des sourires légèrement ironiques ces rappels, et l'on ne vit pas, un instant, de juillet à novembre, qu'il s'agît des procédés d'occupation ou des conditions de la paix future, les ministres alliés montrer le moindre égard à la « fiction » où, seul, Talleyrand faisait mine de se complaire. D'autre part, i l parut, dès les premières semaines, que les puissances occupantes se souciaient assez peu de respecter les « droits » de la nation occupée qui, à la vérité, ne devaient que dans le cours du XIX* siècle être fixés par la loi internationale, notamment celui de la souveraineté du gouvernement établi à la tête du paya occupé et de l'indépendance de ses agents. Le droit international impose aujourd'hui — en principe — ce respect à l'occupant d'une façon plus précise ; mais, en 1815, les égards dus à un régime que, précisément, les Alliés avaient prétendu restaurer, eussent dû, à défaut d'un règlement, suffire à leur imposer la pins grande modération. L'interdiction de lever directement des contributions, de saisir les caisses publiques, de s'emparer des réserves de l'Etat, de frapper de réquisitions communautés et particuliers, de se substituer aux administrateurs et aux tribu- naux, avait, pendant des semaines, paru lettre morte aux chefs militaires, grands et petits, comme aux commissaires alliés* Le pays avait, durant des semaines, paru victime, non d'une occu-
pation réglée par une convention, mais d'une invasion, particu- lièrement violente. Des préfets se plaignaient que leur autorité fût méconnue, leurs bureaux envahis, leurs personnes même me- nacées, parfois malmenées, et, plus encore, celles de leurs subor- donnés plus modestes — et les maires en particulier — que les caisses publiques fussent à tout instant saisies et vidées, que des contributions énormes fussent imposées, sans même qu'on les en avisât, aux villes de leurs départements et que les occu- pants affichassent le mépris'le plus complet de leurs observa- tions et réclamations.
Devant les protestations répétées de Talleyrand, le directoire avait bien consenti, le 24 juillet, à ce que cet état de choses prît fin ; les commissaires alliés en province, d'après la note envoyée^
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ce 24 juillet, au gouvernement français, devaient cesser de mé- connaître l'autorité des agents du souverain, renoncer à lever sans* leur autorisation des contributions et suspendre celles qui Avaient été établies. Mais quand, forts de cette note du 24 juil- let qui lisur avait été communiquée, les préfets avaient entendu reprendre leurs droits, ils s'étaient encore heurtés au mauvais .vouloir des généraux. Le prince de Wrède, commandant l'armée bavaroise, affirmait que la note ne l'obligeait pas, qu'étant « en pays conquis », il userait des avantages du conquérant, qu'il res- tait maître de lever des contributions et que le droit lui apparte- nait, si les préfets n'obtempéraient pas à « ses ordres », de destituer ces fonctionnaires et de les remplacer.
' Saisi des plaintes des préfets, Talleyrand adressait, le 2 août, aux ministres alliés, Une nouvelle note : « Par suite de la ttôn- application de la note du 24 juillet par les chefs militaires, fai- sait-il observer, tous les ressorts administratifs étaient déten- dus, l'action du gouvernement paralysée, les revenus de l'Etat taris à leur source » ; le pays, occupé aux deux tiers, ne vivait plus sous la loi de son roi, mais sous celle de l'étranger. Les ministres alliés ne firent aucune réponse à ces représentations officielles. I l fallut u n incident imprévu pour qu'ils s'émussent. Le 5 août, le duc d'Otrahte, ministre de la Police générale, avait remis au roi et lu au Conseil un rapport, où il rendait compte, d'un ton fort véhément, de l'état cruel Où étaient plongés les départements occupés : « Sire, écrivait Fouché, les ravages de la France sont à leur comble ; on ruine, on dévaste, on détruit comme s'il n'y avait pour nous ni composition ni paix à espérer. Les habitants prennent la fuite devant des soldats indisciplinés, les forêts se remplissent de malheureux qui vont y chercher u n dernier asile, les moissons ont péri dans les champs ; bientôt
le désespoir n'entendra plus la voix de l'autorité et cette guerre, entreprise pour le triomphe de la modération et de la justice, égalera la barbarie de ces trop célèbres invasions dont l'Histoire ne rappelle le souvenir qu'avec horreur ». Louis XVIII avait mis le rapport dans sa poche, priant ses ministres de garder là- dessus le secret, mais Fouché, qui, déjà menacé d'être congédié, entendait assumer un nouveau rôle -V- celui d'un patriote exas-
péré — et, par là, se créer un parti parmi ceux mêmes qui l'avaient naguère accusé de trahison, fit exécuter du rapport des

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copies qui, bientôt multipliées, coururent par centaines Paris et bientôt quelques provinces.
, Les Alliés, tout en protestant contre cette « manœuvre » (le chef de ia police prussienne à Paris, iustin Grüner, en demande personnellement raison au duc d'Otrante), sentirent qu'il était temps de donner satisfaction aux protestations en train de gron- der. Le 9 août, ils proposaient à Talleyrand une nouvelle conven- tion : moyennant le versement annuel de 50 millions par le Tré- sor français, toute levée de contributions et l'exercice même des réquisitions seraient formellement interdits aux commis- saires alliés dans les départements. Talleyrand ayant, non sans quelques plaintes sur son onéreuse contre-partie, agréé la con- vention, une circulaire fut, par le directoire des puissances, adressée à leurs agents militaires et civils dans le sens convenu. Mais ceux-ci ne s'y soumirent nullement Talleyrand multiplia les réclamations et, embarrassé d'ailleurs de procéder aux pre- miers versements des 50 millions mensuels prévus (le Trésor, nous le verrons, était ruiné), déclara que ces versements seraient subordonnés à la reconnaissance formelle de l'autorité des pré- fets et à la cessation des abus. E n fait, des abus allaient se per- pétuer jusqu'à la veille de la signature de la paix sans que le directoire interallié eût su ou pu faire prévaloir, près des agents de l'occupation, avec les principes du droit, les stipula- tions consenties le 10 août.
*
La France occupée fut, en fait, pendant quatre mois, soumise au Don plaisir, et à un bon plaisir qu'inspiraient parfois la cupi- dité, la rancune et la haine.
. H e n r y Houssaye a, sous le titre significatif : La France cru- cifiée, consacré près de deux cents pages de son « 1815 » à l'histoire de ces mois affreux. Le pays n'en a pas souvent connu de pires, car une guerre civile latente venait, par surcroît, enve- nimer la situation déjà si affreuse.
L'occupation des deux tiers de la France par l'étranger était si cruelle, que les passions partisanes eussent dû se taire devant les maux éprouvés ; or, tout au contraire, elles les aggravaient.
Que le gouvernement royal restauré, après avoir été, en mars précédent, renversé en quelques jours et sans coup férir par le revenant de l'île d'Elbe — « l'invasion d'un pays par un seul

LA BÉVUE
homme », écrira Jacques Bainville — i l est clair qu'il en devait concevoir une naturelle et violente rancœur et recherchée ceux qui, soit par leur complicité active, soit par leur passivité taxée trahison, avaient rendu passible un si fabuleux événement. Louis XVIII, restauré, était cependant disposé personnellement
èf user de la plus large clémence, et ce souverain — l'un des hom- mes les plus équilibrés d'esprit et d'âme dont l'Histoire gardelâ mémoire — ne cessera, en son for intérieur, de juger aussi mala- droits qu'odieux les faits et gestes des royalistes extrêmes. Mais les passions qu'il avait, à son premier retour de 1814, éu tant
de peine à réprimer chez ses propres partisans, s'étaient, pen- dant les Cent Jours, surexcitées de telle façon que maintenant elles débordaient et emportaient le gouvernement royal. Dans le Midi, où avaient subsisté, pendant lâ Révolution et l'Empire, dè violents sentiments contre-révolutionnaires à travers la Pro"- vence, le Languedoc et la Guyenne, des émeutes sanglantes se produisaient contre les tenants du régime impérial déchu ; tandis que, d'Avignon, où le maréchal Brune était massacré, à Tou- louse, où le général Ramel était assommé, les meurtres se multi- pliaient et qUe, sous les yeux du duc d'Angoulême, pourvu d'un large commandement et de pleins pouvoirs, une petite guerre civile éclatait, envenimée d'une guerre religieuse entre catho- liques et protestants, les collèges électoraux — sous « la pression des préfets », écrivent les historiens hostiles de la Restaura- tion, mais bien plus, à mon sens, sous celle des circonstances — envoyaient siéger au Palais Bourbon cette Chambre qui allait, elle aussi, pendant un an, donner le spectacle des passions les
plus aveugles et forcer, en criant « Vive le Roi ! », la clémence naturelle du Roi à capituler devant elle. Cette Chambre, que Louis XVIII avait ironiquement qualifiée d'« introuvable » — il eût pu dire intraitable — le forçait à des rigueurs que le sou- verain n'approuvait pas, le contraignait à des exécutions doulou- reuses — dont celle du maréchal Ney n'était que la plus mar-
. quante — et, sous prétexte d'accorder aux « coupables » une amnistie, d'en excepter pêle-mêle tant de gens, èx-convention- nels régicides et anciens serviteurs de Napoléon, que .cette « l o i d'amnistie » aboutissait à une proscription souvent désordonnée. Ainsi se créaient, dans l'âme des anciens partisans de la Révolu- tion et de l'Empire — et ils étaient légion — des rancunes qui s'exaspéraient et que ne parviendrait pas à apaiser le triomphe,

LES ALLIÉS E N FRANCE D E 1815 A 1818 89
dès 1816, des idées de modération constamment prônées par le Roi et ses plus sages amis. E n attendant, i l paraissait que la guerre civile pouvait, d'un instant à l'autre, sortir des circonstances, et les cabinets étrangers, s'inquiétant à la fois des excès du parti ultra, entraînant un instant le gouverne- ment, et des réactions révolutionnaires qui pourraient s'ensui- vre, prenaient prétexte de cette situation lamentable pour res-
serrer l'étreinte sous laquelle ils tenaient le pays.
Or c'était précisément la présence odieuse de ces étrangers qui contribuait le plus à surexciter les rancunes chez les adver- saires du gouvernement royal et à grossir leur nombre par tfap- point des patriotes exaspérés. On n'avait pas encore trouvé la formule célèbre des « Bourbons revenus dans les fourgons de l'étranger », mais elle était dans L'air : Louis XVIII, affirmaient les adversaires, s'étant dit « l'allié » des envahisseurs, le Roi payait leurs services en livrant son royaume aux excès de ces «alliés». Nous savons, nous, combien la vérité, à force de sim-
plification et tout à la fois d'outrance, était, sur ce point, tra- vestie,
l«e Roi,, bien au contraire, souffrait cruellement de la pré- sence, en son royaume des armées étrangères, s'indignant des excès commis par eux, cherchant avec ses ministres à abréger leur séjour et, en attendant leur départ, à les ramener à la modération ; mais rien ne pouvait empêcher le peuple des pro^ vinçes occupées — et même des autres, où parvenait le brui£ des
« exploits »' de l'occupant — de les mettre à la charge du gou- vernement dont la « faiblesse » était, par ses adversaires, qua- lifiée tous les jours davantage de « trahison nationale ».
L'attitude des préfets prêtait parfois à ces accusations. C'étaient tous d'excellents Français, mais ils se trouvaient dans une situation telle que leur patriotisme n'y pouvait rien. Le per- sonnel des préfectures venait d'être profondément remanié ; si vingt des préfets avaient repris la tête des départements qu'ils. administraient avant le retour de l'Empereur, les autres, trans- féras, en juillet dans d'autres préfectures ou même tout à fait nouveaux dans la carrière, arrivaient à leur poste sans aucune connaissance des régions qu'ils étaient appelés à gouverner. L a

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plupart se trouvaient, comme entrée de jeu, en face d'occupants souvent injurieux et d'occupés, dès la première heure, fort iftfc tés. Us étaient immédiatement en butte atix impérieuses et par- fois brutales exigences des uns, aux récriminations justifiées dès autres. Quelques-uns se soumettaient aux exigences et restaient sourds aux récriminations parce qu'il ne s'agissait pas, à leurs yeux, d'une invasion, si j'ose écrire, ordinaire : ils savaient bien que le gouverhement royal, restauré sous les auspices de Wel- lington, était tenu de ménager les Alliés et, obéissant à un sen- timent qui est d'ailleurs dé tous les temps, ils entendaient, en essayant de composer avec l'occupant, ne pas s'exposer à créer, par leurs plaintes, des « embarras » à leur ministre. D'autres — plus nombreux — essayaient courageusement de s'opposer aux prétentions de leurs terribles « hôtes » ; mais ceux-ci, mal fixés,
je l'ai dit, par le directoire interallié de Paris, sur les « droits » laissés, par une loi internationale alors mal précisée, à la nation occupée et à ses administrateurs, traitaient de haut les protes- tations et plus mal encore les résistances de ces administrateurs. Non contents de rappeler ceux-ci « au style » en lequel, écrit hautainement au préfet de la Meuse le prince de Hesse-Hom- bourg, « un préfet doit écrire à un général qui commande line armée ennemie », ils prétendaient parfois qu'aucun arrêté pré- fectoral ne parût sans le « lu et approuvé » dés chefs alliés' ;fis se disaient autorisés, en cas où le préfet n'obtempérait pas À leurs exigences, de faire chez lui une exécution militaire, de « saisir tous ses biens » et de l'arrêter sous menace de déportation. Nombre d'hôtels préfectoraux étalent, de fait, abu- sivement occupés et certains préfets enlevés et déportés, lés autorités alliées semblant choisir à dessein ceux que paraissaient protéger de puissantes parentés, comme le cousin du président du Conseil lui-même, le baron de Talleyrand, préfet du Loiret, expédié dans une forteresse allemande, et le préfet de la Sarthe, Jules Pasquier, frère du ministre de l'Intérieur, conduit en Alle- magne par ordre du général Thielmann ; c'était le sort que con- naissaient également le marquis de Gasville, préfet de l'Eure et le baron de Vismes, préfet du Maine-et-Loire.
Si les préfets étaient ainsi traités, on pense si les maires se pouvaient faire respecter. Henry Houssaye et, après lui, Roger André citent trente cas — probablement entre des centaines inconnus de nous — de maires menacés, bâtonnés, chassés, arrê-

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tés, quelques-uns même sommairement exécutés pour avoir voulu protéger leurs administrés ou refusé de se prêter à des réquisitions abusives. Cependant, bousculant les fonctionnaires du Trésor, les occupants s'emparaient, contre les stipulations de l'armistice et les règles du droit public, des caisses publiques, des dépôts dè tabac, des salines, des mines et, particulièrement des forêts de l'État où se faisait un massacre d'arbres. « A cet égard, écrit l'historien le plus informé de l'occupation, les docu- ments sont d'une abondance telle qu'il faudrait citer à peu "près1 tous les départements ». On voit des gouverneurs exiger — éga- lement eontre le droit public — que les magistrats français ne rendent la justice « qu'au nom des puissances alliées » et lés agents de ces gouverneurs s^emparer sans vergogne des bureaux de poste et en usurper la gestion pour ouvrir plus à leur aise les lettres et saisir les fonds. Dans tous les domaines, le droit souverain de l'Etat est, quatre mois durant, méconnu, piétiné^" violé.
On peut présumer, d'après ce qui vient d'être dit des agents de la « force publique », du sort fait aux particuliers : réqui- sitions démesurées et déréglées d'argent*, de vivres, de fourrage, opérées par les soldats alliés sur l'ordre ou avec 1'âutorisatfon des chefs, et contributions levées à propos de tout et de rien. Blucher a voulu donner la note en frappant la ville4 de Paris d'une contribution de 100 millions que Wellington a'
fait réduire à 20. En, province, presque toutes les grandes villes sont ainsi taxées ; dans les plus petits bourgs, les habitants sont obligés de se saigner, « vider le bas de laine » pour satisfaire1 aux exigence» ; à Bourg, jusque-là épargné, des habitants ayant simplement, sur le passage du cardinal Fesch, oncle de'Napo- léon, crié « Vive l'Empereur ! » la ville est condanmée par les' soldats de François d'Autriche, beau-père du même Napoléon,1 à payer, en vingt-quatre heures, 60.000 francs.
Les réquisitions s'exercent sans règle, sans limite, sans con- trôle. Vêtements, chaussures, linge, vivres, boissons, fourrage sont enlevés aux habitants avec une évidente exagération dans « W besoins » que suffit à révéler la réponse d'un cavalier prus- sien à son hôtesse qui s'exclame : « Vous mangez vraiment' beaU-î; coup ! » — «Madame, c'est par ordre. » Dans tous les domaines
*• **

LA BEVUE
(les historiens citent deux cents faits, mais qu'il faut évidem- ment multiplier à l'infini), les réquisitions censées justifiées 3e transformaient en un pillage systématique de toutes les res- sources. C'était «par ordre» qu'on mangeait, buvait, fumait avec un excès gargantuesque, invraisemblable, « par ordre » qu'on enlevait en draps, linge de corps et souliers de quoi four- nir une armée qui eût compté cinq millions d'hommes, « par ordre » qu'on coupait les bois, ravageait les champs, raflait les blés moissonnés, s'emparait des bestiaux et des chevaux, et spé- cialement de tous les étalons. On entendait évidemment moms fournir aux besoins du soldat occupant qu'épuiser en quelques mois le pays occupé.
Celui-ci restait pantelant d'indignation. Ce qui, dans certai- nes régions, surexcitait jusqu'à la plus furieuse colère cette indi- gnation, c'était l'évidente intention, chez certains occupants, d'abaisser, d'humilier, de mortifier cette France qui, hier, pro- menait encore ses victorieuses couleurs à travers l'Europe entière. Là encore, il faudrait citer cent traits : à Gray, dans la Haute-Saône, où les Autrichiens, ayant besoin de planches, forçaient les habitants à enlever eux-mêmes de leurs maisons portes et cloisons et à lés apporter sur leurs épaules au camp des requérants ; à Toury, en Beauce, où les paysans étaient
contraints sous le bâton et le fouet de plier sous le faix des bot- tes de fourrage qui leur étaient indûment enlevées ; à Thionville, en Lorraine, où les Prussiens exigeaient des habitants, sans dis- tinction, qu'ils balayassent et nettoyassent leurs casernes ; à Laon où tous étaient, sous peine d'être mis en prison, tenus de saluer les officiers ; à ce château de l'Eure où les sous-officiers du corps Zieten imposaient à la femme du maire, la comtesse de Saint-Mesmin, de leur retirer leurs bottes et de les servir à table à la place des domestiques. Excès, dit-on, inévitables quand des millions d'hommes de basse nature se sentent les maîtres, mais excès qui, dénoncés aux hautes autorités occupantes par les préfets, restaient sans sanction et même sans répression.
Devant ces abus, ces excès, ces vols, ces outrages, l'exaspé- ration croissait de semaine en semaine. Elle pouvait, d'un instant à l'autre, provoquer un soulèvement qui eût eu, pour tous, les

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suites lès plus funestes. Certains Alliés s'en sentaient soucieux. Dès le 14 juillet, Wellington, les premiers excès dénoncés, avait écrit à Castelreagh que « si l'on n'arrêtait pas l'oppression, s'il n'était pas interdit aux troupes des diverses armées de piller et détruire pour le plaisir* de mal faire, on risquait une guerre nationale. Le 28 août, le mal n'ayant fait qu'empirer, le Russe Yerlof mandait à son compatriote Dolgouroukof qu'il fallait que les Alliés changeassent de manières, « à moins qu'on ne voulût voir les Français de tous les partis faire cause com* mtme contre eux ». Dès cette époque, des masses de paysans réfugiés dans les bois (7.000 dans la seule forêt entre Troyes
, et Bar) étaient bien près de se constituer en corps francs ? Ua « n'attendent, écrivent certains préfets, qu'un signe pour se
J
soulever ». La Champagne, la Bourgogne, la Franche-Comté^ le Dauphiné, le Lyonnais paraissaient prêts à s'insurger, fourches et faux dressées. Le préfet de l'Yonne écrivait <t
« Deux coups de tocsin ont suffi à assembler la population d'Auxerre pour exterminer les Bavarois. J'ai eu grand peine à rétablir le calme », et le sous-préfet de Fontainebleau ': * Il est un terme aux souffrances où la mort est un bienfait, mais,que les Alliés ne se méprennent pas, elle serait précédée de terribles, vengeances. »
Le gouvernement, saisi des rapports des préfets, était déses- péré. Louis XVIII, sur le conseil de Talleyrand, écrivit aux ministres alliés que, si leurs soldats continuaient à traiter ses sujets en ennemis, « i l se retirerait du royaume et demanderait asile au roi d'Espagne ». Sur une réponse dilatoire du directoire interallié, Talleyrand revint à la charge, et les Alliés parurent céder. C'est que certains, nous le savons, prenaient peur ; en mars 1814 déjà, époque où les paysans de l'Est s'étaient, trop tardivement, soulevés contre la première invasion,les Alliés avaient manifesté des craintes très vives de ce qu'un Prussien appelait alors la « guerre des blouses bleues ». A la fin d'août 1815, la « guerre des blouses bleues » menaçait d'éclater, de la Lorraine aux Alpes. Les ministres alliés offrirent encore une convention qui, moyennant le paiement de millions, régularise- rait les réquisitions; Talleyrand y consantit, mais, quelques jours
après, i l constatait amèrement que rien ne changeait : !« L a conduite de vos généraux, écrivait-il aux ministres alliés, est pire qu'avant la convention. Vous nous empêchez par vos violences et vos exactions de toucher les contributions dans les départements. » A la fin de septembre encore, le duc de Richelieu, gui avait succédé au prince, disait àjuastelreagh : « Si cet état de choses devait encore durer, nous ve pourrons répondre qu'il n'arrivât des malheurs dont les suites sont incalculables. »
Oh a, en effet, en feuilletant les bulletins de police, l'impres- sion que la nation, rongeant son frein, pouvait soudain le rompre ; une insurrection paysanne était imminente; même réprimée dans le sang,,elle/n'eut pas été, de longtemps, étouffée; •lie était aussi redoutable pour le gouvernement royal) fausse- ment accusé de connivence avec l'étranger, que pour les soldats de l'occupation, dispersés sur 66 départements, déshabitués de la guerre (s'ils l'avaient jamais faite) et dissous par l'indisci-
pline qui, de T&veu de leurs chefs, naissait des excès mêmes auxquels ils se livraient. Aux Tuileries, on redoutait le pire, et l'on travaillait à abréger le séjour de l'étranger gros de menaces pour tous. On aspirait à ce qu'un traité de paix mît fin à l'occupation, devenue intolérable et acheminant à une catastrophe nationale, voire internationale.


_________________
"Tant que les Français constitueront une Nation, ils se souviendront de mon nom."

Napoléon.


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