L'Énigme des Invalides

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Message Publié : 16 Mars 2020 18:09 
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Pour ne pas perdre le moral !

Attestée à Paris en 1427, 1510, 1580, 1610, 1657, 1733, 1743, 1766, 1781 (on l’appelait la « suette anglaise ») et 1782 (la « coquette du Nord »), la grippe s’invitait depuis longtemps, à intervalles plus ou moins réguliers, dans le royaume de France où elle fauchait la gente faible et pauvre en priorité. Par une sorte de miracle, l’affection que l’on avait aussi désignée sous le vocable effrayant de « peste inflammatoire » ne s’était plus manifestée depuis le début de la Révolution (2). On ne l’avait pas oubliée, mais, peut-être, pensait-on qu’elle avait oublié Paris. Elle s’annonça dans les derniers jours de 1802 et se découvrit vraiment à partir du début de 1803. La pointe de l’épidémie se situa en février-mars, la situation ne rentrant dans l’ordre qu’à la fin avril. Entre-temps, la maladie avait fait plusieurs milliers de victimes.

L’épidémie en chiffres

Alors que les premiers « catarrhes » étaient signalés à la fin du mois de décembre, les autorités parisiennes ne semblent pas s’être inquiétées d’une arrivée de la grippe, si l’on en juge par les rapports du ministre de la Justice ou les bulletins du préfet de Police. Il y avait en moyenne une soixantaine de décès quotidiens dans la capitale et quelques unités de plus ou de moins ne troublaient guère le ministre Regnier, le préfet de la Seine Frochot ou le préfet de Police Dubois. Nul ne fut alerté par le temps exceptionnellement doux de décembre, accompagné de pluies, et qui allait favoriser l’explosion d’une maladie que l’on n’avait plus revue à grande échelle depuis vingt ans.

Ce n’est qu’à la fin de janvier que Dubois tira la sonnette d’alarme : « Il y a une quantité considérable de malades, et les morts sont plus fréquents que de coutume. Les maladies sont presque toutes les mêmes : ce sont des rhumes accompagnés de maux de tête violents et qui ont pour cause, dit-on, des transpirations arrêtées » . Cette fois, la grippe était là. À partir de la semaine suivante, le rapport quotidien du préfet égrena le nombre des décès du jour (voir courbe), pratique qu’il arrêta au début avril, signifiant que, de son point de vue, l’épidémie était alors terminée. On regrettera que ses rapports n’aient pas enregistré les morts du mois de janvier car l’épidémie avait déjà commencé.

Quoiqu’il en soit, on peut, partant des données de la préfecture, estimer à plus de 4 000 en tout cas le nombre des morts « dus à la grippe » pendant l’hiver 1802-1803 . La journée la plus noire fut celle du 6 février, avec 202 morts. Le plus fort de l’épidémie semble se situer entre cette date et la fin du mois : 202 morts le 6, 131 le 7, 146 le 8, 163 le 9, 140 le 10, 155 le 11, 131 le 12, etc.

Évidemment, on ne mourait pas « de la grippe ». L’affection avait un fort retentissement sur les êtres faibles et fatigués, d’où l’impossibilité de donner un bilan exact : certains malades en phase terminale furent « achevés » par la grippe et, si l’on ose dire, figurent donc à double titre dans la statistique préfectorale. Ceci explique que le 12e arrondissement de Paris fut un des plus touchés : les hospices de la Salpêtrière et des Enfants de la Patrie s’y trouvaient. L’Hôtel-Dieu, situé dans le 9e arrondissement fournit lui aussi un gros bataillon de victimes . Du 1er au 27 février, le préfet de Police précisa dans son rapports le sexe des victimes adultes (hommes ou femmes) ainsi que le nombre d’enfants décédés. Durant cette période, sur 3 401 morts dénombrés dans la capitale, 561 étaient des enfants (16 %) et 2 840 étaient des adultes (84 %), dont 1 462 hommes (51 % des adultes) et 1 378 femmes (49 % des adultes). « Les enfants et les vieillards ont payé le principal tribut à la grippe ; croque-morts et fossoyeurs sont sur les dents », notait alors un visiteur allemand, venu passer l’hiver à Paris (8), tandis qu’un autre témoin confirme : « Il n’est peut-être pas une seule maison où il n’y ait de malades, et dans la plupart, on compte des victimes. Dans plusieurs arrondissements, on a été obligé de garder les morts trois ou quatre jours, avant de pouvoir les faire enlever » .

L’administration désarmée

Que faisait le gouvernement pour lutter contre l’épidémie ? Il veillait surtout à ce que l’ordre public soit maintenu en tentant d’étouffer les rumeurs, en cachant au public l’ampleur des dégâts, en faisant ramasser le plus vite possible les morts trouvés chaque matin dans les rues. Faute de remèdes efficaces, faute d’avoir eu le temps de travailler vraiment à la salubrité de la ville, le préfet de la Seine et celui de la Police étaient désarmés et s’en remettaient, sinon au ciel (encore que le Concordat ne le leur interdisait plus) au moins au sort qui seul mettrait fin à leurs embarras. Déjà, en août 1802, alors qu’une mystérieuse fièvre avait touché plusieurs personnes à Saint-Denis, c’est la fin tout aussi mystérieuse de la petite épidémie qui avait soulagé l’administration. Les spécialistes de l’École de médecine avaient alors fourni un rapport qui montrait que leur art avait des limites, sans même qu’il soit besoin de se donner la peine de lire entre les lignes : « La fièvre qui règne épisodiquement dans cette commune est une fièvre intermittente, ordinairement quotidienne, qui parcourt ses périodes avec assez de régularité et ne présente par elle-même aucun symptôme fâcheux. Quoiqu’il en soit de l’essence de cette maladie de résister longtemps aux moyens les mieux indiqués pour la guérir, elle devient rarement mortelle, si on n’a point recours à un traitement inconsidéré et s’il ne survient aucune complication dangereuse. Cette considération est propre à rassurer le citoyen préfet sur les effets d’une maladie qu’il a crue plus grave » .
Et Dubois fut en effet rassuré.

On en était loin, en 1802, du principe de précaution. Encore que le gouvernement avait, dès son avènement, créé des instances dont le rôle était notamment de prévenir et de lutter contre les épidémies (on craignait surtout la variole à l’époque). Ainsi, le Conseil général des Hospices civils avait été institué le 10 janvier 1801, afin de gérer onze hôpitaux parisiens, tandis que la préfecture de Police avait institué, en juillet 1802, un Conseil de Salubrité composé de Deyeux, professeur de Chimie, Huzard, inspecteur général des écoles vétérinaires, du pharmacien Cadet de Gassicourt et de Parmentier, président du Conseil de Santé des Armées. Ni la première, ni la seconde instance n’avaient eut le temps de travailler sérieusement au projet suprême : mettre Paris à l’abri des épidémies ou, au moins, en limiter les effets.

Dès le début de l’épisode grippal de 1802, l’administration désarmée dut donc s’en remettre à une médecine elle-même impuissante.

La médecine impuissante

La grippe immobilisa Paris durant près de trois mois. Des milliers d’ouvriers étant alités, les chantiers furent arrêtés. Dubois fit bien sûr surveiller la situation, avant d’être rassuré, quant à l’ordre public s’entend : « Un assez grand nombre d’ouvriers sont sans ouvrage mais ils sont calmes et paisibles, et l’on n’entend de leur part aucun propos ». Les difficultés économiques gagnèrent bientôt le secteur du commerce. Les clients gardant la chambre, la demande s’effondra, y compris chez les boulangers qui, lorsqu’ils étaient valides et travaillaient, durent réduire leurs fournées. Même les réunions mondaines furent contrariées et plusieurs d’entre elles durent être annulées faute de combattants, tandis que les salles de spectacle se vidaient.

Les causes de la maladie, définie comme un « catarrhe épidémique » , étaient inconnues, l’identification des virus étant intervenue tardivement dans le siècle. Si l’on n’ignorait pas que la grippe se transmettait par contact direct ou que l’épidémie était favorisée par l’humidité, s’il n’existait pas de remède contre le virus (ce qui est toujours le cas en dehors de la vaccination), on ne savait pas non plus soigner les surinfections, complications broncho-pulmonaires ou autres défaillances cardiaques qui fauchaient les vieillards et les êtres déjà faibles.

Alors que l’on était désarmé contre le fléau, en même temps qu’il interdisait aux journaux parisiens de donner le nombre des morts dans leurs colonnes , le préfet de Police convoqua « les meilleurs médecins de Paris » pour « déterminer le traitement le plus convenable pour cette espèce de maladie et le rendre public » . Ils n’eurent guère de solution à proposer et chaque homme de l’art y alla de son avis dans les journaux. Notre visiteur allemand, cité plus haut et dont nous venons de rééditer les souvenirs, écrit : « À la suite des innombrables remèdes contre la grippe et des nécrologues, qui remplissent les journaux, un certain Dr Beauchesne vient de se signaler par une note dans les Débats. Il prétend que la grippe, à laquelle la variole et la rage ont fait place dans les préoccupations publiques, a sensiblement aggravé ses ravages, depuis que les médecins se sont montrés si féconds en traitements préventifs et curatifs. La grippe n’est, d’après lui, qu’une sorte de fièvre catarrhale ou rhumatismale de courte durée, sans gravité, qui ne demande que du repos, de la diète et de la chaleur. Que les malades, dit-il, se gardent de cette nuée de médicastres que « le régime de la patente » a fait pulluler ; qu’ils s’adressent à un docteur authentique, leur guérison est sûre » .On avouera que le chroniqueur du Journal des Débats, compte tenu des connaissances du temps, n’avait pas complètement tort.

On citera ici l’analyse et les propositions du docteur Ruette, publiés par la Gazette de France le 6 février 1803, publication autorisée car elle donnait des conseils positifs pour se prémunir de la maladie :
« On devait s’attendre que la grippe donnerait lieu à une multitude de commentaires, de versions et de bruits populaires plus ou moins exagérés, et qu’on chercherait à lui assigner des causes assez voisines du merveilleux. Les bonnes femmes, les nourrices et autres personnes de la classe la moins éclairée n’y ont pas manqué. Mais les opinions qui peuvent prêter à cette maladie, ou plutôt à ce malaise régnant, des caractères sinistres, n’ont acquis et ne peuvent acquérir aucune consistance dans l’esprit des gens raisonnables (…). Il doit suffire, sans doute, pour dissiper des alarmes qui n’ont pu se répandre, dans les départements, qu’à la faveur de l’éloignement, de recueillir quelques-uns des renseignements que les gens de l’art s’empressent de donner sur la nature de cette indisposition et sur les moyens de s’en préserver. C’est dans cette vue que l’on croit devoir insérer l’extrait d’un avis que vient de publier le docteur Ruette, médecin de bienfaisance des divisions du Roule et des Champs-Élysées. Ainsi que l’auteur des deux articles qu’on a lus, depuis quelques jours, dans cette feuille, sur le même sujet, le docteur Ruette attribue les causes générales de la grippe aux variations fréquentes et subites de la température, aux brouillards et à l’humidité dont l’atmosphère s’est chargée, à la suite d’un été très chaud. Quant à ses causes particulières et immédiates, elles dépendent du tempérament de chaque individu, et tout ce qui peut causer une suppression de transpiration. Cette maladie attaque principalement les enfants et les vieillards. Il est rare aussi qu’elle fasse grâce aux jeunes femmes qui aiment se vêtir légèrement. La grippe s’annonce ordinairement par la sécheresse de la peau et par des frissons accompagnés de gêne dans la poitrine et d’une petite toux sèche. Aux frissons qui quelquefois sont presque insensibles succède bientôt une fièvre dont la durée n’est point déterminée, et qui se prolonge quelquefois pendant deux ou trois jours, rarement au-delà. Pendant ce temps, la toux devient de plus en plus violente. Elle est accompagnée d’une espèce de constriction et de douleur déchirante dans la poitrine. Cet état dure jusqu’à ce que le malade commence à expectorer, la peau cesse alors d’être sèche, et la transpiration se rétablit. On doit rapporter qu’à la violence de la toux les maux de tête qui surviennent. Le rhume de cerveau est aussi quelquefois un des effets de cette maladie. La langue blanche, la bouche amère, quelquefois des vomissements spontanés sont au nombre des incommodités qu’elle fait éprouver. Elle ne présente point de symptôme alarmant, mais l’on sait assez que les rhumes de poitrine négligés dégénèrent, surtout chez les vieillards, en catarrhes chroniques, en phtisie pulmonaire, etc. Aussitôt qu’on se sent saisi du catarrhe, il faut prendre des moyens de rétablir la transpiration. Rester dans un bain tiède pendant une ou deux heures, se frictionner ensuite tout le corps avec de la flanelle, garder le lit, et prendre une boisson diaphorétique, telle que du vin chaud sucré et mêlé d’eau, c’est ce qu’on peut conseiller de mieux avant que la fièvre se déclare ; plus tard, ces remèdes pourraient être insuffisants, et même nuisibles, si la toux est déjà violente. Il faut se contenter, dans ce dernier cas, des boissons pectorales et légèrement diaphorétiques, dont tout le monde connaît la composition. Aussitôt que la fièvre a cessé, si le malade n’a point d’appétit, si la langue est chargée, il faut le faire vomir. L’émétique doit être préféré, parce qu’il favorise la transpiration ; pour les enfants, l’ipécacuana vaut mieux. Il faut excepter les personnes à qui des incommodités particulières interdisent les vomitifs. Elles peuvent les remplacer par un grain de tartre stibié dans une pinte de petit-lait, ou d’eau de veau, qu’elles prendront à plusieurs reprises. Une prostration des forces et un manque total d’appétit annoncent quelquefois cette maladie ; il faut alors se hâter de prendre une tisane délayante et un vomitif. Elle peut devenir très grave, s’il y a complication de maux ; les purgatifs doivent être prescrits avec ménagement. Sur cent malades, il s’en trouve à peine un qui doive être saigné. »

La mort de La Harpe

L’épidémie de grippe frappa, comme cette maladie en a l’habitude, toutes les classes sociales, même si, les conditions de salubrité et la promiscuité étant moindre dans les classes élevées, celles-ci furent moins durement touchées. Cela étant, la chronique du temps ne nous a laissé que de sèches et anonymes statistiques pour les pauvres et, pour les nantis, une liste de morts célèbres qu’il faut ici passer en revue . Si Joséphine et Hortense de Beauharnais, le poète Delile, l’astronome Lalande furent frappés et sauvés, le jeune prince Grimaldi, la princesse de Castel-Morte, Mlle Clairon (grande actrice de l’époque précédente , le critique théâtral Tiercelin et quelques autres ne passèrent pas l’hiver.

Mais c’est la mort de La Harpe qui frappa le plus l’opinion. Grand historien de la littérature française, Jean-François Delharpe, dit La Harpe, était âgé de 64 ans. D’abord favorable aux Lumières, il avait ensuite infléchi sa position. Au lycée de Paris, ses cours n’étaient devenus qu’une longue critique de la littérature du XVIIIe siècle, ce qui avait fini par indisposer le Premier consul qui l’avait un temps exilé à Corbeil. Autorisé à rentrer à Paris, nommé à l’Institut, il n’allait jamais profiter de ce retour en grâce. Témoin privilégié de cet « hiver à Paris sous le Consulat », Jean-Frédéric Reichardt raconte la mort de l’écrivain et le débat qu’elle suscita. On oublia la grippe pour reparler philosophie, convictions religieuses ou politiques et littérature :
« Enfin La Harpe est mort en bon chrétien, laissant un testament qui contient une profession de foi catholique et l’abjuration de ses opinions philosophiques et antireligieuses ». Le jour même de sa mort, La Harpe avait ajouté à son testament le codicille suivant : « Ayant eu le bonheur de recevoir hier, pour la seconde fois, le saint viatique, je crois devoir faire encore une dernière déclaration des sentiments que j’ai publiquement manifestés depuis neuf ans et dans lesquels je persévère. Chrétien par la grâce de Dieu et professant la religion catholique, apostolique et romaine, dans laquelle seule je veux finir de vivre et mourir, je déclare que je crois fermement tout ce que croit et enseigne l’Église romaine, seule Église fondée par Jésus-Christ ; que je condamne d’esprit et de coeur tout ce qu’elle condamne ; que j’approuve de même tout ce qu’elle approuve ; en conséquence, je rétracte tout ce que j’ai écrit et imprimé, sous mon nom, de contraire à la foi catholique ou aux bonnes moeurs ; le désavouant et, en tant que je puis, en condamnant et dissuadant la promulgation, la réimpression et représentation sur les théâtres. Je rétracte également et condamne toute proposition erronée qui aurait pu m’échapper dans ces différents écrits. »

On ne peut méconnaître dans la formule de cette profession de foi in extremis la main d’un prêtre fanatique. Il est certain que La Harpe, longtemps déiste comme Voltaire, a imprimé des choses contraires à la croyance catholique ; mais il n’a jamais rien écrit de « contraire aux bonnes mœurs ». Il professait trop le culte du bon goût pour se commettre ainsi. M. de Fontanes, entouré d’une députation de l’Académie française, a prononcé, au cimetière de Vaugirard, le discours de dernier adieu . À l’Institut, où il a lu l’éloge du défunt, il a dit que le spectacle de la révolution et la considération des principes religieux avaient non seulement donné plus d’élévation à l’esprit de M. de La Harpe, mais encore plus d’éclat à son talent ; que la croyance de Fénelon et de Racine avait seule pu lui assurer la paix avec laquelle il a vu venir la mort ; il a gémi enfin sur la perte du célèbre littérateur, au moment où l’Académie est restaurée par un grand homme qui égale le fondateur de la Compagnie. Comme ici tout événement donne naissance à une chanson ou à un pamphlet, le testament de La Harpe, publié par les journaux, a été suivi d’un Testament littéraire de Jean-François La Harpe, imprimé sur feuille volante. Ce factum assez plat contient cependant quelques traits qui ne manquent pas de sel : La Harpe, censé travaillant au livre qu’il méditait sur les poètes contemporains et ressentant un premier mouvement de charité, présage de mort, s’écrie, en songeant à ses frères lettrés : "Mon dieu, pardonnez-leur un fol amour d’écrire / Leurs vers sont innoncens : on n’a pas su les lire ! »

La chanson de la grippe

On a coutume de dire qu’en notre si beau pays de France, tout se termine toujours en chanson. L’adage s’applique aussi à la grippe de 1803. Et c’est encore Reichardt qui reproduit dans ses lettres de Paris une chanson qui, dit-il, fut « la chanson du jour » au plus fort de l’épidémie :

Chanson sur la grippe.
Air : Femmes, voulez-vous éprouver.
Il règne, dit-on, dans Paris,
Une étonnante maladie ;
La grippe est son nom, mes amis.
Chacun doit craindre sa furie,
Car j’ai vu gripper un époux,
Tyran de sa femme jolie.
Si la grippe en veut aux jaloux…
Ah! que n’est-ce une épidémie !
Lucile voit le jeune Armand
Lui jurer l’amour le plus tendre ;
Hélas, son coeur fut inconstant
Et la grippe vint la surprendre.
Amis, tremblons pour la beauté ;
Car si l’affreuse maladie
Attaquait l’infidélité…
Ah ! grand dieu, quelle épidémie !
Tranquille, couché sur son or,
Du sort loin d’avoir à se plaindre,
Un usurier pour son trésor
Croyait n’avoir plus rien à craindre.
Mais la grippe vint lui ravir
Ses richesses avec la vie…
Que des gens l’on verra mourir
De cette étrange épidémie !
Contre elle pour se prémunir,
Il faut aimer sans jalousie ;
Être heureux et savoir bannir
Toute inconstante fantaisie ;
Chasser le vil amour de l’or
Et les passions ennemies…
Mais l’on sera longtemps encor
Grippé par ces épidémies.

Nous ne saurions rien ajouter à cette joyeuse marche funèbre pleine de bon sens et qui vaudra sans doute encore lors des prochaines épidémies de grippe que nous ne manquerons pas de traverser.

Ainsi, avec ses 4 000 victimes, rien qu’à Paris (on peut penser qu’il y en eut encore quelques milliers de plus dans les départements), la grippe de 1803 fut un événement important qui eut, finalement, quelques conséquences bénéfiques sur l’hygiène de la capitale. On activa et on renforça les conseils préfectoraux chargés de ces questions. On installa des boîtes fumigatoires, on organisa mieux l’évacuation des eaux usées, le nettoyage des rues et des prisons. On fit encore la chasse aux marchands de remèdes secrets, parfois plus dangereux que les maux eux-mêmes, tout en encourageant la médecine officielle à approfondir ses travaux sur les diverses maladies épidémiques.

C’est ainsi que la capitale échappa aux grands drames pendant de nombreuses années, avant la grande épidémie de choléra de 1832 (environ 20 000 morts). On signale encore, bien sûr, quelques épisodes, sous Napoléon mais qui furent tous contenus : variole en 1804, coliques diverses dues à la mauvaise qualité de l’eau, petite vérole encore en 1810, fièvres non-identifiées dans les « banlieues » un an plus tard, typhus en 1814. À l’occasion de l’avant-dernier épisode, le préfet de la Seine rendit un rapport dans lequel il se réjouissait presque « qu’aucun habitant aisé de la commune de Pantin n'(ait) été atteint par cette maladie ». Et Jean Tulard de remarquer : « C’était dénoncer la vraie cause du mal ». Ce ne fut qu’avec le recul de la misère et de la pauvreté que les épidémies reculèrent. Cette leçon est, hélas, toujours d’actualité [Note BRH : pas exactement, en ce moment].

Auteur : LENTZ Thierry (comme quoi, tout arrive)...


https://www.napoleon.org/histoire-des-2 ... 1802-1803/

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"Tant que les Français constitueront une Nation, ils se souviendront de mon nom."

Napoléon.


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