L'Énigme des Invalides

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Message Publié : 20 Mars 2019 9:47 
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Cet ordre de Bugeaud est tiré dans la lettre qu'il écrivit le 11 juin 1845 au colonel Pélissier.
L'ordre fut respecté par l'intéressé. Ainsi, trois jours après le massacre des grottes de Ghar-el-Frachih, et onze jours après l'ordre de Bugeaud, le colonel Pélissier rédigeait à l'intention de son supérieur ce rapport :

« Je suis venu, ainsi que j'avais eu l'honneur de vous le faire connaître par ma lettre du 16 juin, n°5, placer mon camp à Oued-bel-Amria, chez les Ouled-Rhia. Aussitôt que j'eus mis le pied dans leur pays [le colonel pélissier était à la tête d'une colonne forte de 2 254 hommes : 2 bataillons du 6e léger, un du 36e de ligne, 3e bataillon des chasseurs d’Orléans, une section d’artillerie, une section d’ambulance, un corps de cavaliers indigènes, un détachement du génie et un autre du train], dont les hauteurs au loin se couronnaient de fusils, j'ai fait une halte pendant laquelle tous les vergers et les habitations qui se trouvaient à portée furent abattus ou détruits et fouillés au loin par le maghzen. Je continuai ma marche et, le camp établi, la même opération allait être reprise, lorsque les Ouled-Rhia de la rive droite envoyèrent pour dire qu'ils désiraient se soumettre. Vainement, ils avaient tenté d'amener ceux de la rive gauche à ce but ; ils se séparaient d'eux et demandaient un aman particulier. Il leur fut donné, et le cavalier qui le leur portait leur faisait connaître le chiffre de leur impôt en chevaux et fusils.
Pendant cette négociation, les vergers de la rive gauche étaient jetés par terre, les dacheras incendiés, et l'on détruisait de fond en comble deux habitations, la propriété de Bel-Amria, l'un des principaux adhérents du chérif. La fin du jour approcha, et la djemmaa de ceux de la rive droite s'était séparée sans solution précise, éprouvant un grand éloignement à remettre les fusils.
Mon parti était pris et je résolus de marcher, dès le lendemain 18, au point du jour, sur le Ksar-el-Frachich, cette retraite regardée dans tout le pays comme inexpugnable et qu'ils ont surnommée Djezaïr-el-Dahra. Je maintins d'autant plus volontiers cette résolution que ces brutes avaient pensé à nous attaquer de nuit. Mes avant-postes étaient poussés aussi loin que vous l'avez toujours prescrit ; des embuscades étaient placées dans les abatis des vergers. Néanmoins, vers 9 heures un quart, quelques Kabyles parvinrent en rampant et à la faveur du terrain, horriblement découpé, à s'approcher à longue portée du camp. Les ravins nombreux n'ont pas permis aux embuscades de les tourner avec assez de rapidité mais un détachement de chasseurs d'Orléans, guidé par le capitaine Morand, que j'envoyai à eux, les eut bientôt fait déguerpir et la nuit se passa fort paisiblement. Au point du jour, j'étais en marche avec un bataillon du 6e léger et celui du 36e de ligne sans sacs, la cavalerie, le maghzen, une pièce et des cacolets. Je laissai au colonel Renault le commandement du camp dont je ne m'éloignais guère que de six kilomètres et je m'avançai vers les grottes. Tout fuyait à mon approche ; la direction prise par une partie de la population indiquait suffisamment l'emplacement des grottes où me guidait El-Hadj-El-Kaïn. Je fus m'établir sur un plateau incliné qui les domine toutes et qui, traversé souterrainement par un affluent torrentueux de l'oued Frachich, forme les grottes dans un énorme gisement de plâtre qui a reçu des Arabes le nom d'El-Kantara. Je m'y plaçai parfaitement à l'abri d'une attaque soudaine et, tout en réprimant les inutiles fantasias du maghzen, je me mis en devoir de reconnaître les différentes entrées de ces grottes. Le capitaine Raoult fit résolument, mais avec toute précaution, reconnaître l'entrée principale, qui se trouve en amont du torrent ; le capitaine du génie Morard de Brévan fut à celles placées en aval ; le capitaine de Valdan se rendait compte de l'ensemble et je m'emparai de tout le système au moyen d'embuscades de la compagnie de carabiniers du 6e léger que j'avais à l'avant-garde et des carabiniers du 3e d'Orléans que j'avais pris avec moi. La cavalerie fut disposée à couvert, de manière à courir sur des fuyards s'il s'en présentait. L'obusier fut mis en batterie et à couvert, en face de la principale entrée. Malgré toutes ces précautions, dès les premiers instants, cinq hommes furent blessés : un sergent d'Orléans, d'une balle à l'oeil gauche, un sergent, un caporal et un carabinier du 6e léger, plus ou moins grièvement, et un servant de l'obusier, d'une balle à l'épaule. Aux abords de la grotte et cachés dans les arbres qui en couvrent l'entrée, se trouvaient plusieurs Kabyles ; pour les forcer à la retraite et compléter le système d'embuscade, je fis envoyer quelques obus qui refoulèrent les plus audacieux dans la caverne. Je les fis sommer de se rendre mais il ne fut fait d'autre réponse que quelques coups de fusil auxquels il était répondu sans danger. Quelques cavaliers du maghzen mirent pied à terre pour se rapprocher du ravin et renouveler la sommation ; l'un d'eux fut renversé raide d'une balle et ôta toute envie aux autres de renouveler une tentative. Dès lors, je n'eus plus qu'à suivre la marche que vous m'aviez indiquée ; je fis faire une masse de fagots et, après beaucoup d'efforts, un foyer fut allumé et entretenu à l'entrée supérieure ; le feu dura toute la journée. J'envoyai chercher la plus forte partie de mon camp et je l'établis dans une excellente position, de manière à rester maître absolu dé toutes les issues. Je leur laissai la nuit pour réfléchir ou pour tenter de se sauver, bien certain que j'étais, à la faveur de la lune et de toutes mes embuscades, de n'en laisser échapper aucun. La nuit fut tranquille. Un Arabe qui était sorti avec une guerba pour atteindre la réserve par une issue qu'un fourré de thuyas nous avait dérobée jusque-là, fut blessé et parvint à se traîner dans les broussailles et à rejoindre ceux des siens à qui les grottes, attendu notre subite arrivée, n'avaient pu servir de retraite. Le cheik des Zerrifa apprit, par cette circonstance, que les réfugiés manquaient d'eau et qu'ils étaient disposés à écouter les paroles qu'on pourrait leur porter. Il en prévint le khalifa qui m'en donna avis immédiatement. J'étais occupé à faire pratiquer au haut des rochers de plâtre des plates-formes qui devaient nous permettre de jeter toutes nos fascines à coup sûr. De nombreuses corvées étaient occupées à rassembler les fascines et la paille ou à abattre tous les arbres qui dominaient les entrées des grottes en aval, dont une seule, celle qui avait été découverte la nuit même, communiquait avec la grotte supérieure, mais qui toutes renfermaient du monde. Je fis suspendre immédiatement les travaux, sauf toutefois la confection des fascines. Je fis approcher aussitôt et avec précaution les chaouchs du khalifa qui firent un appel auquel il ne fut répondu qu'après une grande hésitation et de longs pourparlers.
Enfin, un négociateur sortit de la caverne. Il demanda l'aman et la promesse de ne point être conduit prisonnier, lui ou ses frères, à Mostaganem. Ces deux engagements furent pris, à la condition qu'ils seraient tous désarmés, et l'aman par écrit leur fut peu de temps après envoyé par le khalifa. Une fois l'aman entre leurs mains, il y eut entre eux et sous nos yeux une sorte de djemmaa (conseil) dont j'attendis patiemment l'issue. De ce moment recommença une longue série d'hésitations à travers laquelle perçait une grande terreur de la tour des Cigognes ; toutes les protestations possibles leur furent faites à cet égard, et à chaque appel il arrivait toujours un nouveau négociateur, exposant toujours la même crainte et souvent en termes assez vifs, accusant ceux de Mostaganem de leur avoir manqué de foi. Je cherchai à les rassurer sur vos intentions dont je n'étais que l'expression, et je crus les avoir ébranlés. Plusieurs fois ils firent quelques pas pour sortir du ravin ; puis tout à coup la colonne s'arrêtait. Cet effort de longanimité ne dura pas moins de trois heures. Je fis approcher l'intrépide goert des négociateurs pour leur répéter en termes concis, les assurances qui leur avaient été vingt fois données. Ils allaient enfin sortir, lorsque l'un d'eux s'écria qu'il fallait que le camp français se retirât et qu'alors ils abandonneraient la caverne. Cette condition était inadmissible. Mon interprète retourna auprès d'eux et leur répéta textuellement ces paroles :
« Aucun homme, aucune femme, aucun enfant ne sera conduit prisonnier à Mostaganem ; lorsque la caverne sera totalement évacuée et que j'en aurai acquis la conviction, vous serez libres de vous retirer dans vos habitations respectives ; je vous le répète depuis bientôt trois heures vous avez votre aman. Je vous laisse un quart d'heure pour y réfléchir, après quoi il ne me restera plus qu'à vous contraindre de sortir et j'y suis déterminé par tous les moyens qui sont en mon pouvoir. Je vous répète encore un quart d'heure, et ce travail qui se faisait ce matin au-dessus de vos têtes recommencera, alors il sera trop tard et e vous seuls l'aurez voulu. »
Ils ne répondirent que par une invitation de retraite de notre part.
« Je persiste, leur repartis-je ; ainsi réfléchissez-y ; le quart d'heure a commencé. »
Au milieu du délai fatal, je leur répétai la même exhortation en leur faisant remarquer que les minutes s'écoulaient avec rapidité. Même observation. Même exigence. Alors je me retirai, j'invitai les curieux, qui circonviennent toujours en pareille circonstance, à s'éloigner, et prescrivis au capitaine Raoult de rappeler les corvées qui, depuis près de trois heures, avaient rejoint leurs bataillons respectifs. A peine étais-je défilé qu'un coup partit de la grotte et atteignit un carabinier des chasseurs d'Orléans que la curiosité avait fait se découvrir. Il était alors plus de 10 heures. A une heure tout était paré pour le travail et je ne voulus point recommencer à les enfumer sans une sommation nouvelle. Je leur envoyai par l'entrée inférieure, dont l'accès était moins compromettant, l'un des trois premiers négociateurs qui, ainsi que son frère, avait abandonné la caverne malgré l'obstination des autres. Il resta cinq quarts d'heure avec eux et ne put obtenir la moindre concession ; j'étais aux limites de la longanimité. A 3 heures, l'incendie commença sur tous les points, et jusqu'à une heure avant le jour, le feu fut entretenu tant bien que mal, afin de pouvoir bien saisir ceux qui pourraient tenter de se soustraire par la fuite à la soumission. Comme une sortie désespérée pouvait s'effectuer par l'entrée principale, j'avais, au moyen de caisses à biscuit remplies de terre, placé un obusier en batterie à cinquante mètres de cette issue. Le feu faisant tomber d'assez larges éclats de plâtre sur ce point, et autant pour aider à cette destruction que pour causer dans la caverne un effroi salutaire, je fis envoyer quelques obus qui firent du mal et dont les éclats détruisirent surtout le bétail accumulé à l'entrée. J'ordonnai une interruption mais ils ne répondirent que par des cris, fondés sur l'espoir qu'ils avaient de se préserver bien longtemps encore. Malheureusement, il en fut autrement pour eux. Il finit par s'établir, au moyen de la caverne inférieure, un tirage qui les eût tous asphyxiés, si je n'avais, longtemps avant le jour, fait suspendre le jet des fascines. Comme l'on avait entendu dans la caverne quelques explosions assez distinctes, j'avais lieu de supposer que l'anarchie se déclarait entre eux et je profitai de cette circonstance pour presser l'envoi d'un émissaire qui revint avec quelques hommes haletants qui nous firent mesurer l'étendue du mal qui avait été fait.
J'envoyai aussitôt, pour faire sortir ceux qui existaient encore et qui n'avaient nulle envie de se défendre et, après de grands efforts, nous parvînmes à extraire une cinquantaine de personnes dont quelques-unes succombèrent à l'ambulance. L'état de l'atmosphère dans la caverne me força de suspendre ce travail. Dans la journée, quelques-uns sortirent encore et, chose étrange, plusieurs de ces Kabyles eurent la cruauté de faire feu sur des femmes qui sortaient d'elles-mêmes. Heureusement, ils ne les blessèrent pas. La journée se passa ainsi avec quelques sorties individuelles. Le lendemain, au point du jour, l'air s'étant rasséréné, j'y envoyai les sapeurs et l'artillerie avec leurs officiers et des outils pour sauver ce qu'il serait possible de ressaisir encore et ramasser toutes les armes. Nous parvînmes de la sorte à recueillir, dans les deux journées, cent dix individus, parmi lesquels neuf ont expiré à l'ambulance. Les autres ont été renvoyés chez eux mais plus de cinq cents ont trouvé la mort dans les recoins et les divers compartiments de la caverne, dont l'aspect est horrible. Ce sont de ces opérations, monsieur le maréchal, que l'on entreprend quand on y est forcé, mais que l'on prie Dieu de n'avoir à recommencer jamais. C'est une leçon terrible que leur obstination leur a attirée, obstination qui se fondait sur le peu de dommage causé par la chauffée du premier jour et dont le feu de la petite issue les a bien cruellement désillusionnés. Le feu a été tel sur ce point qu'il s'est communiqué à des bagages amoncelés, que de lourds fragments de plâtre se sont détachés de la voûte et, en tombant sur les armes, donnèrent lieu aux explosions que nous avons entendues et que nous avions prises pour un symptôme de division intestine.
Un grand nombre d'armes ont été brûlées ou démolies. Il a été ramassé soixante fusils entiers, une douzaine de sabres, quelques pistolets et de vieilles baïonnettes françaises affûtées en lance.
Depuis hier, les survivants ont toute liberté pour retirer les effets épargnés par le feu et pour enlever les cadavres de leurs frères. Personne qu'eux ne pénètre dans la caverne dont l'accès est interdit aux soldats de la colonne. Elle a été parcourue en détail par le capitaine de Valdan et les officiers du génie. Une attaque de vive force eût été une folie ; deux cents hommes y pénétrant tête baissée y eussent succombé avant de faire un grand mal à l'ennemi et ce n'est qu'en passant sur leurs cadavres qu'on eût pu franchir plusieurs trous profonds et aborder le reste. Il faut de la lumière pour parcourir ce souterrain, et ce n'est qu'à l'aide des lanternes de l'ambulance et de celles des officiers mises en réquisition que nous avons pu tendre la main à tous ces malheureux. Par un hasard providentiel, les plus obstinés dans le parti du chérif ont succombé. J'ai sous la main la femme, la fille et le fils de Ben-Nekah des Beni Zéroual, qui était dans cette contrée le khalifa de Bou Maza. Ce sont les seuls prisonniers que j'aie retenus. La déplorable leçon reçue par les Ouled-Rhia a un grand retentissement dans le pays. Aussi les Béni Zeltis, les Tazgaït apportent leurs fusils en masse et amènent leurs chevaux. Les Mediouna et les Achacha s'exécutent pour les chevaux et rassemblent les fusils ; les Ouled-Khelouf s'occupent de la même opération et seront bientôt ici. Si, par impossible, ils se faisaient attendre, dès que j'aurai tout recueilli, j'irai à eux. »


Je n’ai malheureusement trouvé aucun témoignage du côté des survivants des grottes. On peut néanmoins lire le rapport de Pélissier en parallèle avec les lettres de deux autres témoins du massacre de Dhara : un officier espagnol attaché à l’état-major, correspondant du journal l’Héraldo (lettre retranscrite l’année même dans l’ouvrage Histoire pittoresque de l’Afrique française) et un sous-officier du 36e de ligne, dont l’écrit fut communiqué au Journal de Saint-Étienne.
Les voici :

« Le 17 juin, sur la rive gauche de l'un des ruisseaux qui vont se jeter dans la mer, nommé d'abord Roudjérah, et plus loin, Bel-Amria, quelques Kabyles s'avancèrent en tirailleurs, et ne cessèrent pas leur feu, même lorsqu'un de nos bataillons se dirigea de ce côté pour couper les figuiers et autres arbres fruitiers, et pour brûler quelques maisons. Je partis avec ce bataillon, et m'avançai, avec plusieurs officiers, quinze cavaliers du goum et autant de fantassins, pour reconnaître des grottes où l'on savait qu'une grande portion de la tribu des Oulad-Rhia et quelques chefs de la conspiration avaient l'intention de s'enfermer et de se défendre. Arrivés à un quart de lieue de ces grottes, nous vîmes 50 à 60 Kabyles qui se mirent à courir, sans doute pour se cacher dans l'intérieur de ces cavernes. Quelques-uns d'entre eux se détachèrent vers nous, et firent feu d'une distance énorme ; ce qui fut cause néanmoins que les cavaliers du goum nous abandonnèrent peu à peu. Au moyen de nos guides, on fit appeler l'un des Kabyles et on lui dit que s'ils ne se soumettaient pas, ils seraient brûlés par les Français, qui avaient 56 mules chargées de matières combustibles. L'Arabe répondit, sans se troubler, qu'ils étaient résolus à se défendre.
Le 18, nous partîmes de bonne heure avec deux bataillons et demi, une pièce d'artillerie de montagne, la cavalerie et le corps du goum, pour assiéger la fameuse grotte ou caverne que nous avions reconnue la veille, située sur les bords du ruisseau Frechih, et nommée Ghar-el-Frechih (grotte du Frecheh). Après avoir posé des chasseurs devant les ouvertures, placées du côté le plus accessible du Kantan, les troupes commencèrent à couper du bois et à ramasser de la paille pour allumer le feu à l'entrée de l'ouest et obliger ainsi les Arabes à se rendre, attendu que tout autre genre d'attaque eût été très sanglant et presque impossible. A dix heures du matin, on commença à jeter des fagots du haut du contre-fort ElKantara ; mais le feu ne se déclara qu'à midi, à cause de l'obstacle qu'opposait à la flamme, à ce que l'on croyait, un grand amas d'eau que l'on supposait exister à l'entrée; mais bien plus vraisemblablement à cause de la mauvaise direction que l'on avait donnée aux matières combustibles.
Pendant la soirée, les tirailleurs s'approchèrent davantage, et serrèrent de près les ouvertures de la grotte ; néanmoins un des Arabes parvint à se sauver du côté de l'est, et sept autres gagnèrent les bords du ruisseau, où ils firent provision d'eau dans des outres. Vers une heure, on commença à jeter, à l'ouverture de l'orient, des fagots qui, cette fois, prirent feu devant les deux ouvertures de l'autre côté, et par une circonstance singulière, le vent poussait aussi les flammes et la fumée dans l'intérieur, sans qu'il en partit presque rien au dehors, de sorte que les soldats pouvaient pousser les fagots dans les ouvertures de la caverne comme dans un four.
On ne saurait décrire la violence du feu. La flamme s'élevait au haut du Kantara, élevé de 60 varas environ (la vara a un mètre de longueur), et de l'une à l'autre, d'épaisses colonnes de fumée tourbillonnaient devant l'entrée de la caverne. On continua à attiser le feu toute la nuit, et on ne cessa qu'au point du jour. Mais alors le problème était résolu. On n'entendait plus aucun bruit ; à minuit seulement, quelques détonations avaient retenti dans l'intérieur de la grotte, ce qui avait fait penser qu'on s'y battait.
A quatre heures et demie, je m'acheminai vers la grotte, avec deux officiers du génie, un officier d'artillerie et un détachement de 50 à 60 hommes de ces deux corps. A l'entrée se trouvaient des animaux morts, déjà en putréfaction, et enveloppés de couvertures de laine qui brûlaient encore. On arrivait à la porte par une traînée de cendre et de poussière d'un pied de haut, et de là nous pénétrâmes dans une grande cavité de trente pas environ. Rien ne pourrait donner une idée de l'horrible spectacle que présentait la caverne. Tous les cadavres étaient nus, dans des positions qui indiquaient les convulsions qu'ils avaient dû éprouver avant d'expirer, et le sang leur sortait par la bouche ; mais ce qui causait le plus d'horreur, c'était de voir des enfants à la mamelle gisant au milieu des débris de moutons, de sacs de fèves, etc. On voyait aussi des vases de terre qui avaient contenu de l’eau, des caisses, des papiers, et un grand nombre d'effets. Malgré tous les efforts des officiers, on ne put empêcher les soldats de s'emparer de tous ces objets, de chercher les bijoux, et d'emporter les burnous tout sanglants. J'ai acheté un collier pris sur un des cadavres, et je le garderai, ainsi que les deux yatagans que le colonel nous a envoyés comme un souvenir de ces effroyables scènes.
Personne n'a pu savoir ce qui s'est passé dans la grotte, et si les Arabes, étouffés par la fumée, se sont résignés à la mort avec ce stoïcisme dont ils se font gloire, ou bien si ce sont leurs chefs et leurs fanatiques marabouts qui se sont opposés à leur sortie. Quoi qu'il en soit, ce drame est affreux, et jamais à Sagonte ou à Numance plus de courage barbare n'a été déployé.
Le nombre des cadavres s'élevait de 800 à 1000. Le colonel ne voulut pas croire à notre rapport, et il envoya d'autres soldats pour compter les morts. On en sortit de la grotte 600 environ sans compter tous ceux qui étaient entassés les uns sur les autres, et les enfants à la mamelle, presque tous cachés dans les vêtements de leurs mères. Le colonel témoignait toute l'horreur qu'il éprouvait d'un si horrible résultat ; il redoutait principalement les attaques des journaux, qui ne manqueraient pas, sans doute, de critiquer un acte si déplorable, quoique inévitable, à mon avis.
Ce qu'il y a de certain, c'est que l'on a obtenu ainsi que tout le pays se soumette ; de tous côtés, il nous arrive des fusils et des parlementaires ; le prestige superstitieux qui s'attachait aux grottes est détruit pour toujours dans ce pays. Ce prestige était immense ; jamais les Turcs n'avaient osé les attaquer, et ces idées étaient justifiées ici par le fanatisme religieux et par d'anciennes prophéties qui faisaient croire que ces cavernes étaient imprenables. Il n'y a eu d'autres prisonniers que la femme et le fils d'un kalifat, qui s'est échappé, et quelques Arabes dont l'état exige des soins.
Le 23 au soir, nous avons porté notre camp à une demi-lieue plus loin, chassés par l'infection, et nous avons abandonné la place aux corbeaux et aux vautours qui volaient depuis plusieurs jours autour de la grotte, et que, de notre nouveau campement, nous voyions emporter des débris humains.
Le 27 juin, nous sommes arrivés à Mambu-Sicli-Tik-Nigliel, à une demi-lieue de la mer. Le 4 ou le 5, nous devons être rendus à Orléansville, et le 10 ou le 12 à Alger. »



« Les Ouled-Riah n'ont jamais fait leur soumission, et comme ils sont entourés de tribus soumises depuis le printemps de 1843, on n'y avait prêté qu'une médiocre attention, d'autant plus que, depuis cette époque, les besoins de la guerre ont toujours eu des exigences plus sérieuses. C'est cependant de là qu'est partie la dernière insurrection, et ce fait prouve qu'on ne peut, sans danger, laisser en Afrique une contrée, si petite qu'elle soit, habitée par des Arabes insoumis. Les Ouled-Riah, souvent poursuivis dans les derniers troubles, l'ont été, le 18 juin dernier, si vigoureusement par M. le colonel Pélissier, qu'ils ont pris la fuite et se sont retirés pêle-mêle dans les grottes impénétrables qu'ils possèdent, ainsi que toutes les tribus des environs, et qui sont situées près de l’Oued-Gracher, sur les bords de ce ruisseau. Le colonel Pélissier a cerné les grottes et est entré avec eux en négociation. Pour les amener à capituler, cet officier supérieur a parlementé près de quatre heures sans aucun succès ; ils motivaient leur refus obstiné sur la crainte d'être envoyés a Mostaganem comme otages.
Ici commence un récit que je croirais fabuleux si je n'avais été spectateur de la scène que je vais retracer:
Deux heures après notre départ du camp, nous arrivâmes devant celle grotte ; on fit descendre une compagnie de grenadiers par le chemin creux qui y conduit; mais à peine eurent-ils fait quelques pas, qu'une décharge les obligea de rétrograder. La position était inabordable ; on ne pouvait entrer qu'homme à homme, et notre corps aurait été entièrement détruit si l'on eut fait cette tentative. Fiers de leurs retranchements, devant lesquels les Turcs ont toujours échoué, n'ayant jamais été soumis à la domination française, les Arabes refusèrent de se rendre ; alors le colonel donna ordre de couper du bois et de faire des fagots, qu'avec beaucoup de peine on parvint à faire descendre vis-à-vis de l'entrée des trois grottes ; ces fagots, mêlés de paille, étaient retirés par les Arabes aussitôt qu'ils étaient descendus, malgré l'embuscade et les coups tirés par les hommes embusqués. Enfin plusieurs ayant été tués, et l'entrée étant encombrée, ils durent renoncer à cette opération. On fit tomber des gerbes de l'eu, on alluma l'immense amas de bois. La journée du 18 fut employée à alimenter cette fournaise.
Alors on entendit dans l'intérieur un tumulte effroyable formé de cris, de gémissements et de coups de fusil. On sut plus tard qu'on délibérait sur le parti à prendre, et que les uns demandaient à se soumettre, tandis que les autres refusaient. On ignorait encore que les plus violents l'avoient emporté ; on suspendit le feu des fascines et l'on recommença les pourparlers.
Le 19, à neuf heures du malin, un Arabe sortit à travers les flammes : il venait offrir sa soumission. On l'envoya prévenir ses malheureux compatriotes qu'ils devaient suivre le même exemple. Les Arabes offraient de payer 75 000 fr., mais à condition que l'armée se retirerait, que nous ne pénétrerions pas dans l'intérieur des trois grottes, et qu'ils conserveraient leurs armes. Ces conditions ayant été refusées, ils rentrèrent dans les grottes, leur fusillade recommença sur nous et sur ceux qui tentaient de s'échapper, et de notre côté l'ordre fut donné de continuer les corvées de bois : trois heures furent laissées aux reclus pour réfléchir encore.
Enfin, le 19 après midi, le feu se ralluma et fut alimenté toute la nuit. Quelle plume saurait rendre ce tableau ! Voir, au milieu de la nuit, à la faveur de la lune, un corps de troupes occupé à entretenir un feu infernal, entendre les sourds gémissements des hommes, des enfants et des animaux, le craquement des rochers calcinés s'écroulant et les continuelles détonations des armes. Dans celle nuit, il y eut une terrible lutte d'hommes et d'animaux !
Le matin, quand on chercha à dégager l'entrée des cavernes, un horrible spectacle frappa les yeux des assaillants.
J'ai visité les trois grottes ; voici ce que j'ai vu : A l'entrée gisaient des bœufs, des ânes, des moutons ; leur instinct les avait conduits à l'ouverture des grottes pour respirer l'air qui manquait à l'intérieur ; parmi ces animaux, et entassés sous eux, se trouvaient des femmes et des enfants. J'ai vu un homme mort, le genou à terre, la main sur la corne d'un bœuf ; devant lui était une femme tenant un enfant dans ses bras. Cet homme, il était facile de le reconnaître, avait été asphyxié, ainsi que la femme, l'enfant et le bœuf, au moment où l'Arabe cherchait à préserver sa famille de la fureur de cet animal.
Les grottes sont immenses ; on a compté hier 760 cadavres ; une soixante d'individus seulement sont sortis aux trois quarts morts, quarante n'ont pu survivre, dix sont à l'ambulance dangereusement malades, les dix autres ont élé renvoyés dans leurs tribus; ils n'ont plus qu'à pleurer sur des ruines !
Aujourd'hui 23, nous sommes encore devant ce grottes qu'on ne peut envisager sans frémir : des exhalaisons pestilentielles se font Sentir. A dix heures nous levons le camp. A peine la nouvelle de ce terrible dénouement fut-elle connue, que tout le Dahra s'est soumis ; de tous côtés, les Arabes viennent se soumettre et déposer les armes ; notre camp est encombré de fusils ; aussi va-t-on distribuer à la troupe pour six jours de vivres, afin de pouvoir disposer des mulets pour le transport des armes.
Il faut être, comme nous, sur le théâtre des événements pour reconnaître tous les efforts que l'on a tentés pour prévenir la catastrophe et comprendre l'importance qu'il y avait à réduire ces gens-là, dans l'intérêt de la tranquillité générale ; mais les grottes des Ouled-Riah garderont une lugubre renommée. »


Bugeaud, averti par le rapport du 22 juin, annonça la nouvelle à Soult, le ministre de la Guerre, en ces termes, le 25 :
« Les Ouled-Rhia, réfugiés dans leurs cavernes, où ils se croyaient inexpugnables, ont forcé le colonel Pélissier à une extrémité des plus rigoureuses. Le colonel y a mis toute la modération et toute la patience possibles. Mais il a dû les forcer dans leurs derniers retranchements et employer tous les moyens en son pouvoir pour les faire capituler. Cet exemple aura dans toutes ces montagnes un retentissement terrible et sera suivi d'un effet salutaire. J'ai lieu de croire que d'ici à peu de jours tout sera terminé dans le Dahra. »

Deux jours plus tard, il envoyait de nouveaux renseignements et y ajoutait le rapport rédigé par Pélissier.
Soult apprit l’évènement non sans irritation et répondit vertement à la lettre du duc d’Isly (5 juillet) :
« Je ne puis croire non plus que le colonel Pélissier ait eu des ordres pour employer de pareils moyens. Même au seul point de vue de la conquête, ne sont-ils pas plus dangereux qu'utiles ? On obtient sans doute ainsi des soumissions mais ne sème-t-on point des vengeances ? »

_________________
"Tant que les Français constitueront une Nation, ils se souviendront de mon nom."

Napoléon.


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L’irritation du ministre n’allait pas diminuer.
En effet, le 11 juillet suivant, le Journal des Débats publiait un article tiré du journal algérien, L’Akhbar :
« Il vient d'arriver dans le Dahra un de ces événements qui contristent profondément ceux qui en ont été témoins, même lorsqu'ils en ont compris l'affreuse nécessité et qu'ils ont le droit de proclamer que rien n'a été négligé de tout ce qui pouvait prévenir une catastrophe. Le colonel Pélissier s'occupait à poursuivre les Ouled-Riah, tribu qui n'a jamais été soumise, parce que les pays qu'ils habitent renferment d'immenses cavernes, véritable labyrinthe où ce serait le comble de la folie d'essayer d'engager des troupes assaillantes. Les Ouled-Riah, se voyant serrés de trop prés, coururent à leur refuge habituel. Ceci arriva le 18 juin dans la matinée.
Après avoir cerné les grottes, on fabriqua quelques fascines que l'on enflamma et que l'on jeta ensuite devant l'entrée des grottes. Après cette démonstration faite pour montrer à ces gens qu'on pouvait tous les asphyxier dans leurs cavernes, le colonel leur fit jeter des lettres où on leur offrait la vie et la liberté s'ils consentaient à rendre leurs armes et leurs chevaux. Ils refusèrent d'abord, puis ensuite ils répondirent qu'ils feraient ce qu'on leur demandait si l'armée française était préalablement éloignée. On ne voulut pas de cette condition inadmissible. On recommença à jeter des fascines enflammées ; alors un grand tumulte s'éleva dans ces grottes : on sut plus tard qu'on y délibérait sur le parti à prendre, et que les uns demandaient à se soumettre, tandis que les autres s'y refusaient avec opiniâtreté. Ces derniers l'emportèrent; cependant quelques-uns des dissidents s'échappaient de temps à autre. Le colonel Pélissier, voulant sauver ce qui restait dans les grottes, leur envoya des Arabes pour les exhorter à se rendre; les Ouled-Riah refusèrent de le faire. Quelques femmes, qui ne partageaient pas le fanatisme sauvage de ces malheureux, essayèrent de s'enfuir ; mais leurs parents et leurs maris tirent eux-mêmes feu sur elles pour les empêcher de se soustraire au martyre qu'ils avaient résolu de souffrir.
Une dernière fois M. le colonel Pélissier fit suspendre le jet des fagots pour envoyer dans les cavernes au parlementaire français : celui-ci, accueilli par une fusillade, dut se retirer sans avoir rempli sa mission. Ces différentes phases de la catastrophe avaient duré jusque dans la nuit du 19 juin. Alors, à bout de patience et n'espérant pas pouvoir réduire autrement des fanatiques dont l'insoumission orgueilleuse était une instigation permanente à la révolte, et qui étaient le noyau perpétuel des insurrections du Dahra, on rendit au feu toute son intensité : pendant longtemps les cris des malheureux que la fumée allait étouffer retentirent douloureusement à nos oreilles; puis on n'entendit plus rien que le pétillement des bois verts qui formaient les fascines. Ce silence funèbre en disait assez. On entra : cinq cents cadavres étaient étendus ça et la dans les cavernes. On envoya visiter les grottes et sauver ceux qui respiraient encore ; on ne put en retirer que cent cinquante, dont une partie mourut à l'ambulance. Il faut être comme nous sur le théâtre des évènements pour connaître tous les efforts que l’on a tentés pour prévenir la catastrophe, et comprendre la nécessité qu’il y avait de réduire ces gens-là, dans l’intérêt de la tranquillité générale. La nouvelle de cette terrible issue de la lutte était à peine connue, que tout le Dahra s’est soumis, apportant des armes en très grande quantité»


Une telle affaire ne laissa pas indifférent. Ainsi, le jour même de la sortie de l'article dans le Journal des Débats, le prince de la Moskowa, le fils du maréchal Ney, montait au créneau à la Chambre des Pairs :
« Messieurs, un journal qui se publie en Algérie, l'Akhbar, contient le récit d'un fait inouï, sans exemple, et heureusement sans précédent dans notre histoire militaire. Un colonel français se serait rendu coupable d'un acte de cruauté inexplicable, inqualifiable, à l'égard de malheureux Arabes prisonniers. Je viens demander au Gouvernement de s'expliquer sur ce fait. Je le réclame et comme officier de l'armée et comme Pair de France.
[…]
Remarquez, Messieurs, qu'il n'est pas question ici de razzias, mais d'un acte déplorable, d'un meurtre consommé avec préméditation sur un ennemi vaincu, sur un ennemi sans défense. Si le fait auquel je fais allusion n'est point exact, je demande au Gouvernement de le démentir ; si, ce qu'à Dieu ne plaise ! il était vrai, je demande à M. le Président du conseil quelle est la conduite que le Gouvernement se propose de tenir en pareille circonstance. Je vous le demande, Messieurs, est-ce par de pareils moyens que nous pouvons espérer de consolider notre position en Afrique ? Je le répète, il nous faut à cet égard une explication. »
Ney poursuivit par la lecture de l’article évoqué plus haut.

Soult intervint alors :
« Les rapports qui sont parvenus au Ministère de la guerre m'ont paru tellement contradictoires, que j'ai dû m'empresser de demander de nouveaux renseignements. Ceux que le Journal des Débats renferme, et qui viennent d'être lus à la tribune, ne m'étaient pas connus autrement que par la publication que plusieurs journaux en ont faite. J'attends les renseignements qui ont été demandés pour pouvoir donner plus de détails à la Chambre.
Mais, pour le fait en lui-même, le Gouvernement le désapprouve hautement.
Je répète que le Gouvernement le désapprouve hautement; et il a déjà écrit dans ce sens au Gouverneur général de l'Algérie, en lui demandant de plus amples éclaircissements, afin d'apprécier les suites à y donner. »

Le comte de Montalembert prit la parole :
« Un mot seulement. J'avoue que, quant à mon impression personnelle, et je demande pardon à la Chambre de l'exprimer devant elle, le mot de désapprouver, dont vient de se servir M. le Maréchal, est trop faible pour un attentat pareil. Il faut le répudier avec horreur, pour l'honneur de la France. Je vous conjure, Messieurs, de réfléchir à l'effet qu'une pareille nouvelle va produire en Angleterre, hors de France, et je vous demande si, dans la seule Chambre qui est encore en séance, il ne doit pas y avoir un sentiment unanime d'horreur contre un attentat pareil.

A quoi, le ministre de la Guerre répondit en guise de conclusion :
« Si l'expression de désapprobation que j'ai employée au sujet du fait dont il est question est insuffisante, j'ajoute que je le déplore. »

Commentaire de Guizot (Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps) :
« Le maréchal Soult manqua, dans cette occasion, de sa présence d'esprit et de son autorité accoutumées ; il exprima, en quelques paroles embarrassées, un blâme froid et timide, livrant le colonel Pélissier sans satisfaire ceux qui l'attaquaient. »


Le duc de Dalmatie allait avoir l’occasion de rectifier le tir lors de séance du 16…


Le lendemain, 12 juillet, Soult écrivait à Bugeaud pour le prévenir de l’émotion suscitée :
« Le sentiment public a été unanime, et d'accord avec le mien, les journaux en ont été les premiers organes, et hier j'ai été interpellé à ce sujet à la Chambre des pairs. Je n'ai pu justifier ce fait qui me semble en effet bien difficile à justifier. Puisque le colonel Pélissier était encore le 22 devant les grottes, je ne m'explique pas quelle cruelle nécessité l'a empêché d'en bloquer les issues au lieu d'en étouffer les habitants. A en juger par la disposition du terrain, cette opération était très praticable et nous compterions une tribu soumise de plus, une tribu anéantie de moins. J'ai répondu à la Chambre des pairs que jusqu'ici les rapports étaient incomplets et contradictoires et que j'avais demandé de nouveaux renseignements. Il est donc nécessaire que vous m'adressiez le plus tôt possible un rapport nouveau, détaillé, sur cet événement, rapport dans lequel il faudrait faire ressortir tout ce qui peut excuser de telles
rigueurs.

P.-S. L'émotion publique a été si vive au récit de la destruction des Ouled-Rhia, que si les nouvelles explications que je vous demande ne me donnaient pas les moyens de la calmer à l'égard du colonel Pélissier, je pourrais être dans la nécessité de rappeler cet officier en France et de le mettre en disponibilité.»

Les journaux évoqués ici par Soult s'étaient en effet emparés de l'affaire.
Ainsi, le périodique L’Algérie, ce même 12 juillet, titrait : « Cinq cents martyrs », et poursuivait ainsi :
« La tribu des Ouled-Rhia n’existe plus. Toute entière, elle a succombé martyre de l’indépendance, préférant la mort aux conditions qui lui étaient imposées pour sa soumission.
Le patriotisme et le dévouement de cette population nous inspire autant d’admiration que la conduite du colonel Pélissier nous révolte et nous afflige.
[suit un récit de l’évènement, résumé de l’article de l’Akhbar]
Ces horribles détails font frémir ! Cette cruelle exécution était-elle nécessaire ? Ne suffisait-il pas de cerner pendant quarante-huit heures, huit jours, quinze jours, cette population exaltée ? Le repos, le sommeil, la faim, la soif l’eussent rappelée à des sentiments plus modérés ; peut-être eût-on trouvé dans les environs un homme sage et dévoué qui leur eut fait comprendre le danger de leur position, et enfin s’ils avaient voulu mourir, ils eussent été responsables seuls de leur mort, et nous n’aurions pas à regretter que des soldats eussent mis le feu au bûcher qui devait dévorer toute la population d’une tribu. Parmi les révoltés, grand nombre voulaient se soumettre. Il fallait attendre. La nuit leur aurait porté conseil. Mais, non, vingt-quatre heures étaient de trop pour l’impatience du colonel Pélissier !
[…]
Depuis longtemps, nous l’avions prévu, le système suivi en Algérie pour obtenir la soumission des tribus devait avoir des conséquences funestes ; nous avions pu espérer que ces conséquences seraient seulement, regrettables, malheureusement, comme l’a dit si parfaitement l’illustre maréchal, président du conseil, elles sont déplorables. Ouvriront-elles les yeux qui, depuis si longtemps se ferment obstinément pour ne point voir ? Le gouvernement comprendra-t-il enfin que l’œuvre de la France en Algérie doit être une œuvre de civilisation et non pas un acte de barbarie ? Cesserons-nous de nous montrer impuissants à saisir ce sol vierge et cette population, belle comme l’enfance, respectable comme la vieillesse, avec les instruments qui sont le signe de notre civilisation, et qui nous distinguent des peuples encore enfants et barbares, des peuples que nous devons appeler à notre vie laborieuse, pacifique, chrétienne, humaine ?
Ense et aratro (« par l’épée et la charrue »), belle devise, charte l’Algérie, quand donc seras tu une vérité ? L’épée, dans la main de l’homme qui tient en même temps la charrue, peut-elle être celle d’un Attila, d’un vandale, d’un barbare ? A la face de l’Europe stupéfaite, oserons-nous encore dire que nous sommes ses représentants, et que nous remplissons, en Afrique, notre mission européenne ?
Honneur aux jeunes pairs qui se sont sentis frappés au cœur par cette affligeante nouvelle ! Honneur au ministre qui s’est hâté de se joindre à eux pour déplorer ces horreurs, indignes de la France. Déjà, à une autre époque, M. le maréchal Soult, avec toute l’autorité de son expérience militaire, avec la vigoureuse énergie d’un cœur brave que l’âge n’a point glacé, M. le maréchal avait flétri des actes de barbarie qui frappaient froidement et inutilement quelques têtes, par la main du bourreau.
Aujourd’hui, c’est un épouvantable autodafé ; c’est un de ces actes dont on ne trouve d’exemples que dans les féroces annales des Espagnols et des Portugais ; c’est un bûcher comme n’en alluma jamais le plus sanguinaire lieutenant d’un de ces sanguinaires conquérants du XVIe siècle ; aujourd’hui, c’est une monstruosité dont la France entière doit repousser la solidarité ;
Lorsque de braves soldats français ont soutenu dans la Djimila, à Mazagran, avec un courage héroïque, les assauts de ces hardis Arabes qui les cernaient de toutes parts, nous avons eu des louanges pour ces braves ; mais nous en appelons à ceux d’entre eux qui ont survécu à ces combats de géants, que sont donc ces combats, qu’est-ce que la mort qu’on y recevait, comparés à cette guerre, à cette chasse, à cette agonie de bêtes féroces enfumées dans leur tanière ?
Ces malheureux, entourés de leurs vieillards, de leurs femmes et de leurs enfants, martyrs de leur foi, martyrs de leur patrie, martyrs de la liberté, n’ont pas même été sabrés, fusillés, égorgés ! Ce n’est pas seulement pour leurs moissons, leurs arbres et leurs habitations que nous préparons l’incendie, c’est sur eux-mêmes que nous dirigeons la flamme ; et sur la drapeau français on peut écrire ense et igne (« par l’épée et le feu »).



Sorti le 12 juillet, soit le lendemain du jour où l’affaire fut révélée au grand public, L’Algérie put réaliser une revue de presse concernant les articles parus la veille dans les journaux parisiens :

« La Réforme qualifie le fait d’armes du 19 juin d’acte de barbarie le plus atroce dont l’histoire fasse mention »


« Le Courrier français dit que cette atrocité, commise de sang froid et sans nécessité, fera frémir d’horreur et d’indignation tout ce qui porte un coeur d’homme, et, pour l’honneur de la France, il croit de son devoir le plus impérieux de le flétrir et de le détester, au nom de la nation, au nom de l’armée, au nom même du gouvernement. Acte digne des aventuriers du 15e siècle conquérant le nouveau monde, digne de l’histoire des boucaniers et des flibustiers de toutes les races, indigne, à jamais indigne de la noble et sainte France du 19e siècle, qui combat héroïquement sur le champ de bataille, mais n’égorge pas ses ennemis vaincus, qui fait la guerre avec l’épée, et non pas avec des fagots et des fascines ; qui est un soldat et non pas un chauffeur ! Il faut que le gouvernement lui-même prononce, après enquête, sur la moralité de ce fait militaire ; il le faut, ou ses protestations d’amour pour la paix ne sembleront aux yeux de l’Europe que la jonglerie du lâche qui se fait pacifique vis-à-vis des puissants et exterminateur vis-à-vis des faibles ! Qu’il ne puisse être dit de la France qu’elle a rétabli la peine du bûcher contre les Arabes musulmans qui défendent leur foi et leur indépendance les armes à la main ; qu’il ne soit pas dit et répété à sa honte que les cruauté du Saint-Office ont reparu dans les rangs de sa généreuse armée, et que pour réduire des fanatiques elle a des bourreaux !
Nous avons affirmé que l’atrocité avait été commise de sang froid et sans nécessité.
Oui, de sang froid ; car la grillade (de quel autre nom appelé ce fait d’armes) a duré du 18 juin dans la matinée jusqu’à une heure de la nuit du 19, et l’opération a été consommée à loisir, avec les intermittences calculées pour attendre l’effet du supplice sur les victimes.
Oui, sans nécessité ; car si M. le colonel Pélissier avait patienté 24 heures de plus, ces malheureux, sans pain et sans eau, se seraient rendus à discrétion et auraient imploré merci ; le feu lui semblé plus expéditif, gloire à lui !
En conséquence, à moins que l’enquête que nous demandons ne relève des circonstance atténuantes, cet acte, devant les lois divines et humaines, n’a qu’un nom : c’est un crime !
Un crime, et nous savons le poids terrible de ce mot. Ce n’est pas sur un arc de triomphe qu’on gravera le souvenir de l’exploit de la caverne des Ouled-Rhia, c’est au pilori de l’histoire !...
Le Courrier français ne trouve pas d’expression assez flétrissante pour qualifier l’éloge donné à la conduite du colonel Pélissier par le journal d’Alger, La France algérienne, qu’il considère comme l’organe spécial du gouverneur général. Lisez, et vous jugerez qu’il y a quelque chose de plus odieux que la férocité, c’est l’éloge de la férocité :
« M. le colonel Pélissier a fait preuve dans cette circonstance difficile et toute nouvelle, même en Afrique, d’un longanimité sans exemple, digne des plus grands éloges, et beaucoup plus glorieuse que les plus brillants résultats dûs à l’entraînement des combats ordinaires. Les grottes des Ouled-Rhia sont célèbres dans l’Armée d’Afrique,
Puis ce journal, après avoir comparé la conduite du gouverneur général de l’Algérie avec les conseils paternels adressés au nom du Roi aux Kabyles et aux Arabes, que l’ont dit aimer comme des frères, termine ainsi :
Oui, les grottes des Ouled-Rhia diront aux Kabyles et aux Arabes la fraternité du maréchal Bugeaud et la fraternité du Roi des Français… Pendant la résidence à Constantinople d’un ambassadeur français dont la raison était dérangée, un Turc demandait à un Européen si le roi de France était devenu fou, puisqu’il se faisait représenter à l’étranger par un insensé. Que notre gouvernement constitutionnel y réfléchisse ! Si notre paternité et notre fraternité sont représentées en Afrique par le maréchal Bugeaud et sa secte de ravageurs, les Arabes seront en droit de demander si en France, le père massacre ses enfants et si les frères les brûlent entre eux.
L’histoire raconte qu’un roi de France, qui, en saccageant une ville de Champagne, avait brûlé 1 300 personnes réfugiées dans une église, entreprit une croisade pour expier ce crime. C’était au douzième siècle. Nous sommes au dix-neuvième ! et un maréchal approuve la brûlure er l’asphyxie de 500 créatures humaines dans une caverne ! Tout cela sous le règne d’un prince qui se glorifie de son amour pour la paix et de son horreur pour la guerre !
Justice ! »

« La Presse qualifie le fait d’armes des Ouled-Rhia d’épouvantable torture »

« Le Journal des Débats l’appelle un terrible et épouvantable épisode. »

« Le Constitutionnel dit que c’est un fait inouï dans nos annales militaires. »

« Le Siècle espère que des renseignements plus complets dissiperont, au moins en partie, ce que les premiers récits ont présenté d’affligeant pour l’honneur de la civilisation européenne. C’est une horrible exécution. »

« Si une pareille abomination, dit la démocratie pacifique, n’eut été commise sous la société actuelle, nous n’aurions jamais imaginé que des officiers français puissent s’en rendre coupables.
On nous répondra par des sophismes ; on justifiera la mesure par son succès et son but : on comptera combien cette horrible action a épargné de gouttes de sang à la France, mais qui pourra compter ce qu’elle coûte à son honneur ?
Quant à nous, nous n’accepterons qu’une seule réponse : qu’on nous démontre que le sort de la colonne de M. Pélissier était compromis, et qu’il a employé le seul moyen qui se présentait pour la sauver et assurer le salut ce celles qui agissaient de concert avec lui.
Mettez en face l’héroïsme patriotique (que vous appelez fanatique) des Arabes et le sang froid avec lequel a été conçu et exécuté par des Français cet acte de barbarie, et jugez… »

« Tel qui est raconté par L’Akhbar, dit la Patrie, le fait est atroce, parce que rien n’en démontre la nécessité. »

« Le Commerce doute, avec la Patrie, de la vérité de l’acte révélé par L’Akhbar ; mais s’il est vrai, il mériterait les exécrations de tous les cœurs honnêtes, et devrait être officiellement flétri et désavoué. »




Le débat allait être relancé à la Chambre des Pairs le 16 juillet suivant par le marquis de Boissy. L’intervention de ce dernier concernait principalement les châtiments corporels subis par les soldats français en Afrique. Boissy en profita cependant pour évoquer également l’affaire des grottes de Dahra :
« Messieurs, je n'ai pas l'intention de parler d'un fait qui vous a été dénoncé l'autre jour, fait à l'égard duquel je regrette que le gouvernement se soit prononcé aussi promptement. Je voudrais en général que le gouvernement avant de désavouer, ainsi qu'il l'a fait, prit te temps d'examiner les faits. M. le maréchal ministre de la guerre avait dit que les rapports qu’il avait reçus étaient contradictoires.
Eh Bien ! il eût été désirable, dans l'intérêt du service comme dans l'intérêt gouvernemental qu'on attendit, avant de se prononcer, qu'on eût reçu de nouveaux renseignements.
Je sais bien que M. le maréchal s'est refusé à employer le mot sollicité par l'un de nos honorables collègues, mais enfin le mot de désaveu a été dit et il a été dur à nos oreilles.
[…]
Je reviens à ce que je disais en commençant, c'est qu'avant de désavouer, il faut attendre qu'on soit parfaitement éclairé sur tes faits. Je ne connais pas le colonel qu'on a accusé mais puisque les rapports étaient contradictoires, qui vous dit qu’il ne s’est pas trouvé dans la nécessité, peut-être par manque de vivres ou par d'autres motifs impérieux, de prendre un parti rigoureux, douloureux, mais enfin un parti que la guerre autorise, car on ne fait pas la guerre sans savoir d'avance qu'on sacrifiera des hommes ? »

Soult intervint alors, donnant du coup une toute autre analyse que celle formulée cinq jours plus tôt devant les Pairs :
« L'honorable préopinant a fait allusion à une discussion qui a eu lieu dernièrement dans la Chambre, et dans laquelle j'ai dit que je désapprouvais et que je déplorais ce qui s'était passé dans le Dahra. Mes expressions se rapportaient au fait en lui-même; car toutes les fois qu’il s'agit d'un accident, d'un malheur, le sentiment naturel porte tout le monde à le déplorer et à en gémir. Mais à ce sujet, je veux, être plus explicite. Cette affaire, à laquelle un des plus honorables militaires de l'armée d'Afrique, le colonel Pélissier, dont je ferai constamment l'éloge, s'est trouvé, l'a mis dans une situation fort pénible et fort embarrassante. Il avait à soumettre des révoltés, qui la veille et les jours précédents avaient lâchement assassiné nos soldats.
C'était la troisième ou quatrième fois que cette population se livrait à des meurtres sur nos soldats. En 1842, le maréchal Bugeaud revenait de Mostaganem et parcourait la vallée du Chélif, voulant pacifier toutes tes tribus qui se trouvaient placées sur la droite de cette rivière, il envoya des détachements devant ce même endroit, où les derniers insurgés s'étaient retirés. Ces détachements reçurent des coups de fusil, nous eûmes des blessés, et plusieurs de nos militaires, qui venaient là avec des paroles de paix, furent obligés, à raison de la gravité de leurs blessures, de rester sur le terrain, à l’entrée des grottes. Le lendemain, le maréchal Bugeaud envoya d'autres détachements pour savoir ce qu'étaient devenus les hommes qu'il avait envoyés. On les trouva mutilés. L'année dernière, le général Cavaignac ayant fait une expédition dans la même tribu, vit les mêmes assassinats se renouveler sur ses soldats, et y éprouva des pertes considérables.
Messieurs, je suis aussi patient qu'un autre, mais j'avoue que si j'avais été dans la situation où s'est trouvé le colonel Pélissier, j'aurais peut-être fait aussi un exemple très sévère. Car il ne faut pas perdre de vue que ces soldats qui se trouvaient à la dernière affaire du Dahra avaient en 1842 et 1844 vu leurs camarades succomber sous les coups des Arabes et les avaient retirés de leurs mains mutilés de la plus atroce manière. Croyez-vous que dans cette situation des hommes soient capables d'assez de générosité pour oublier les offenses passées ?
Nous avons un défaut, nous autres Français, c'est de vouloir tout amplifier, tout exagérer, sans se rendre compte souvent des circonstances qui ont provoqué certaines mesures hors du cercle habituel des opérations militaires. En Europe, ce serait affreux, détestable ; en Afrique, c'est la guerre elle-même. Comment voulez-vous que l'on fasse ? Si vous voulez évacuer le pays, rappelez l'armée, c'est bien. Mais vous n'imposerez jamais à un militaire qui sent sa dignité, qui a donné des gages de valeur et qui sacrifie à tout instant son existence, vous ne lui imposerez jamais assez d'abnégation pour qu'il reçoive l'offense sans la rendre.
Je crois donc qu'on ferait beaucoup mieux de s'abstenir de toutes les réflexions qui peuvent produire un très mauvais effet. L'armée qui est en Afrique a donné trop de preuves de son dévouement et de sa valeur, depuis le chef qui la commande, le maréchal Bugeaud, les généraux de tous grades, les officiers supérieurs jusqu'au dernier soldat, pour que la France ne leur tienne pas compte du dévouement qui les anime et des efforts qu’ils font pour ajouter à la gloire des armes françaises. »

La messe était dite…

_________________
"Tant que les Français constitueront une Nation, ils se souviendront de mon nom."

Napoléon.


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Message Publié : 20 Mars 2019 9:52 
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D’Alger, Bugeaud, échaudé la missive désapprobatrice de son ministre dont nous avons parlé plus haut, n’eut de cesse de justifier ses ordres et ceux de Pélissier. Ainsi, le 14 juillet, il écrivait à Soult :
« Dans votre dépêche du 5 juillet sur les opérations militaires, vous me dites que vous vous seriez bien gardé d'insérer dans les journaux le détail des rigueurs exercées par M. le colonel Pélissier contre les Ouled-Rhia, et que vous ne pouvez croire que cet officier ait eu des ordres pour employer de pareils moyens.
Il est de mon devoir et de ma loyauté de justifier à vos yeux, puisqu'il en est besoin, M. le colonel Pélissier. Je déclare prendre toute la responsabilité de cet acte. J'avais ordonné au colonel, avant de nous séparer à Orléansville, d'employer ce moyen à la dernière extrémité et, en effet, il ne s'en est servi qu'après avoir épuisé toutes les ressources de la conciliation.
Fallait-il qu'il attaquât de vive force ? Il aurait perdu beaucoup de monde et n'aurait pas enlevé les cavernes, parce que des soldats ne pénètrent pas volontiers dans des souterrains qu'ils ignorent, quand ils reçoivent la mort de tous côtés, sans pouvoir la rendre. Fallait-il se borner à un simple blocus ? Mais on savait que cette population avait réuni là des vivres et des troupeaux et que quinze jours de blocus n'auraient pas obtenu leur reddition par la famine. Or, M. le colonel Pélissier n'avait pas quinze jours à consacrer à cette opération. Il devait concourir avec M. le colonel Saint-Arnaud à la soumission du bas Dahra. Leurs deux colonnes manoeuvraient de concert l'une d'elles ne pouvait retarder longtemps sa marche sans nuire aux opérations de l'autre.
Maintenant, Monsieur le maréchal, il me reste à justifier le moyen en lui-même. Ce ne sera peut-être pas facile vis-à-vis d'une fausse philanthropie; mais j'ai la confiance que je réussirai avec vous qui connaissez la guerre et ses exigences, dans l'intérêt du pays que l'on sert, dans l'intérêt même bien entendu de l'humanité.
La guerre et la politique veulent que l'on emploie tous les moyens, quelque énergiques qu'ils soient, pour arriver le plus promptement possible au but. C'est servir aussi les intérêts de l'humanité pour les vainqueurs comme pour les vaincus car les guerres prolongées par suite des moyens peu vigoureux que l'on emploie sont celles qui ruinent les nations et multiplient les victimes. Ces principes incontestables étant posés, je demande si le siège des grottes fait par M. le colonel Pélissier est plus cruel que le bombardement et la famine dont nous accablons la population entière des villes de guerre en Europe ?
Et, en mer, ne canonne-t-on pas un vaisseau à le faire couler ou sauter jusqu'à ce qu'il amène son pavillon ? Est-ce donc plus humain ?
Toutes ces choses-là sont identiques c'est la guerre avec ses conséquences inévitables. Si les philanthropes ne veulent pas les voir, qu'ils aient le talent de donner aux peuples et aux gouvernements des sentiments de paix éternelle.
Maintenant, Monsieur le maréchal, voulez-vous savoir jusqu'à quel point il était important pour la politique et pour l'humanité de détruire la confiance que les populations du Dahra et de beaucoup d'autres lieux avaient dans ces grottes ? Je vais vous le dire aussi brièvement que possible. Les grottes sont très multipliées dans le Dahra, dans une partie de l'Ouarsenis et sur beaucoup d'autres points. Toutes les tribus qui ont des grottes où elles se croyaient inexpugnables, se sont montrées dans tous les temps fort récalcitrantes. Sous les Turcs, elles refusaient l'impôt fort souvent et quand la cavalerie du gouvernement se présentait, la tribu entière se retirait dans les grottes où l'on ne savait pas la forcer. Abd-el-Kader lui-même l'a éprouvé à l'égard des Sbéha qui se sont mis deux fois en révolte contre lui. Il a pu les réduire au moyen de sa grande influence morale qui lui a permis de faire bloquer et séquestrer les Sbéha par les tribus qui les environnent. Un pareil moyen serait inefficace entre nos mains on ne sert pas les chrétiens comme on servait Abd-el-Kader.
L'année dernière, pendant que j'étais au Maroc, M. le général Cavaignac assiégea une petite grotte. Il voulait d'abord employer pour la réduire les moyens ordinaires. Mais il y perdit le capitaine Juvencourt, du 5e bataillon d'Orléans, et plusieurs hommes. Fallait-il, pour se montrer philanthrope, continuer à faire tuer, dans les règles reçues, nos officiers et nos soldats ? M. le général Cavaignac ne le vit pas ainsi il se résigna à employer les moyens qu'a employés par imitation le colonel Pélissier, et il prit la grotte. Cela ne fit pas beaucoup de bruit parce que la grotte était petite et ne recélait qu'une cinquantaine de personnes. Par la même raison, cela ne produisit pas une grande sensation dans le pays. L'effet produit fut attribué à la faible étendue de la caverne et l'on ne perdit point confiance dans la puissance de résistance qu'offraient les grandes grottes. II fallait un exemple plus considérable, appliqué à la grotte la plus renommée, pour détruire une opinion qui a été la source de toutes les révoltes passées et qui a contribué puissamment à la dernière insurrection. Certainement, sans le secours de ces retraites, jugées inexpugnables, beaucoup de tribus n'auraient pas pris part au dernier mouvement.
Vous redoutez pour l'avenir le sentiment de haine profonde qu'aura mis dans tous les cœurs la catastrophe des Ouled-Rhia. A cet égard, je crois pouvoir vous rassurer.
Pour le bien comprendre, il faut d'abord que vous sachiez que jusqu'ici cent exemples nous ont prouvé que les soumissions n'étaient bonnes et durables que lorsque les tribus avaient immensément souffert des maux de la guerre. Presque toutes celles qui n'avaient pas vigoureusement senti le poids de nos armes, ont mal obéi et se sont révoltées à la première occasion. C'est justement le cas de toutes les populations des deux rives du Chéliff central. Dans l'hiver de 1842 à 1843, je soumis cette contrée avec une extrême facilité. S. A. R. Mgr le duc d'Aumale y participait. Les populations n'éprouvèrent presque aucun dommage nous ne leur imposâmes aucune contribution de guerre; la plus sévère discipline fut observée parmi les troupes; nous parcourûmes pendant plus de six semaines les deux rives du Chéliff sans faire une ghazia, sans prendre un bœuf, ni une poule, ni un œuf; nous payâmes religieusement tout ce dont, nous eûmes besoin et les populations vantaient très haut notre justice et notre modération. Forcés de nous retirer parce que nous n'étions pas en mesure d'occuper le pays au milieu de l'hiver, Abd-el-Kader revint, et les populations, si reconnaissantes en apparence de la manière dont nous les avions traitées, se jetèrent toutes dans ses bras.
Au printemps de 1843, je rentrai dans ce pays pour y fonder Tenès et Orléansville. Trois ou quatre petits combats nous le livrèrent de nouveau. Il eût été bien légitime de peser sur lui sévèrement, en punition de sa mauvaise foi nous n'en fîmes rien cependant nous nous bornâmes à de légères contributions de guerre qui ne s'élevèrent qu'à environ 80 000 francs pour l'une des plus riches contrées de toute l'Algérie. Vous avez vu récemment si cette seconde preuve de modération et d'humanité nous a été bien profitable.
Les rigueurs que mes lieutenants et moi venons d'exercer seront mille fois plus efficaces. Les ghazia, l'événement des grottes, le désarmement, beaucoup plus avancé que vous ne paraissez le croire, nous garantissent, selon moi, une domination beaucoup plus facile et une longue suite de tranquillité sur ce point.
Sous le rapport du bien-être, ces événements, cruels, j'en conviens, mais indispensables, ne seront pas beaucoup moins avantageux aux vaincus qu'aux vainqueurs. Les populations, reconnaissant qu'elles sont obligées de subir le joug, conservant longtemps le terrible souvenir des maux qu'a produits la tentative de le secouer, se livreront avec résignation à l'agriculture, au commerce et auront bientôt réparé les maux de la guerre. Si, au contraire, elles n'avaient éprouvé qu'une répression bénigne, et conforme aux absurdes idées des philanthropes, elles seraient souvent tentées de recommencer pour reconquérir leur indépendance, et de ces tentatives multipliées naîtrait pour elles un état de choses fâcheux et prolongé qui rendrait leur situation beaucoup plus cruelle qu'elle ne le sera par suite du coup de foudre qui les a frappées et leur a causé de grands dommages momentanés.
Les intérêts de l'armée et de la France tout entière ont aussi leurs droits. Si, par notre bénignité, nous laissons se perpétuer l'esprit de révolte, nous aurons souvent à réprimer, et, dans ces répressions multipliées, nous userons beaucoup de soldats et nous dépenserons beaucoup d'argent. Serait-ce là bien entendre les intérêts de l'humanité et de la philanthropie ?
La répression énergique produit le même effet chez tous les peuples. Ce n'est que du jour où vous avez réprimé avec un peu de vigueur les émeutes à Lyon et à Paris qu'elles ont cessé. On a beaucoup crié contre l'événement de la rue Transnonain qui, pour le dire en passant, ne m'appartient pas, mais soyez sûr qu'il a contribué à empêcher le retour de ces scènes de barbarie qui seraient devenues de plus en plus considérables, si les insurrections se fussent prolongées.
II vaut beaucoup mieux, pour la politique comme pour la philanthropie, frapper fort une fois que de frapper souvent.
Qu'on se persuade bien, Monsieur le maréchal, que parce que nous avons un habit militaire, nous n'avons pas répudié tout sentiment d'humanité et de pitié. Nos cœurs sont faits comme ceux des citoyens de France, ni plus ni moins; nous faisons beaucoup de philanthropie sans nous en vanter, et, si nos concitoyens ne le reconnaissent pas, les Arabes savent fort bien le proclamer; mais nous ne la faisons qu'après la victoire, après le succès politique. Nous pensons que nos premiers devoirs d'humanité sont envers notre patrie, dont nous ne devons pas sacrifier indéfiniment les enfants et les écus par une philanthropie intempestive. »

Ainsi, Bugeaud couvrait entièrement son subordonné qui, au final, avait respecté les ordres donné par ce même Bugeaud. Le lendemain, ce dernier, s’inspirant largement de sa lettre au ministre, poursuivait et faisait paraître cet article dans le Moniteur algérien :
« Dans la presse, à la tribune et dans le monde, on a souvent reproché à l'armée d'Afrique les razzias, l'incendie des moissons et des villages et la destruction des arbres. Un événement cruel mais inévitable, celui des grottes des Ouled-Rhia, dans le Dahra, paraît avoir réveillé la sensibilité publique. Il est donc opportun d'examiner la valeur de ses reproches et de justifier enfin l'armée d'Afrique des accusations peu réfléchies qui ont été si souvent dirigées contre ses actes. Nous espérons démontrer qu'au lieu du blâme c'est l'éloge qu'il faudrait lui donner. Car si, dans certains cas, elle fait violence aux sentiments d'humanité qui l'animent à un aussi haut degré que toute autre partie de la nation, c'est par dévouement patriotique.
Nous commencerons par examiner, à son véritable point de vue, le terrible siége des grottes des Ouled-Rhia. Pour que le public puisse apprécier cet événement funeste, il faut qu'il sache combien il était important, pour la politique et pour l'humanité, de détruire la confiance que les populations du Dahra et de beaucoup d'autres lieux avaient dans les grottes. Toutes les tribus qui en possèdent s'y croyaient inexpugnables, et, dans cette opinion, elles se sont de tout temps montrées fort récalcitrantes. Sous les Turcs elles refusaient l'impôt fort souvent, et quand la cavalerie du gouvernement se présentait, la tribu tout entière se retirait dans les cavernes, où l'on ne savait pas la forcer. Abd-el-Kader lui-même l'a éprouvé à l'égard des Shéha, qui se sont mis deux fois en révolte contre lui; il a pu les réduire au moyen de sa grande influence morale, qui lui a permis de les faire bloquer et séquestrer par les autres tribus environnantes. Un pareil moyen serait inefficace entre nos mains ; on ne sert pas les chrétiens comme on servait Abd-el-Kader.
Le gouverneur-général, après avoir soumis et en très grande partie désarmé l'Ouarsenis, se rendit à Orléansville afin d'aviser aux moyens d'obtenir les mêmes résultats dans tout le Dahra, déjà fortement ébranlé par M. le général Bourjolly et le colonel Saint-Arnaud. Trois colonnes furent formées et confiées aux colonels Ladmirault, Saint-Arnaud et Pélissier. Le colonel Ladmirault devait agir isolément dans l'est de Ténès, les deux autres devaient opérer de concert dans le bas Dahra. M. de Saint-Arnaud partait de Ténès, et devait parcourir la chaîne montagneuse qui règne tout le long de la mer. M. le colonel Pélissier devait descendre le Chélif jusqu'à Ouarizen , de là remonter chez les Beni-Zentes et puis prendre par l'ouest la chaîne de montagnes que M. de Saint-Arnaud envahissait par l'est. Le colonel Pélissier, après une razzia chez les Beni-Zentes, somma les Ouled-Rhia de se soumettre; une partie de la tribu y consentait en montrant beaucoup de tergiversations; l'autre partie refusa d'une manière absolue; force fut de l'attaquer.
Les guerriers battus se retirèrent dans leurs grottes célèbres, où d'avance ils avaient envoyé leurs femmes, leurs enfants, leurs troupeaux et leur mobilier. Le colonel Pélissier en fit l'investissement; cette opération lui coûta quelques hommes Arabes et Français. Quand l'investissement fut complet, il tenta de parlementer au moyen des Arabes qui étaient dans son camp; on fit feu sur les parlementaires, et l'un d'eux fut tué. Cependant, à force de persévérance, on parvint à ouvrir des pourparlers : ils durèrent toute la journée sans aboutir à rien. Les Ouled-Rhia répondaient toujours : « Que » le camp français se retire, nous sortirons et nous nous soumettrons. » Ce fut en vain qu'on leur fit, à plusieurs reprises, la promesse de respecter les personnes et les propriétés, de n'en considérer aucun comme prisonnier de guerre, et de se borner au désarmement. De temps à autre, on les prévenait que le combustible était ramassé et qu'on allait les chauffer si on n'en finissait pas. De délai en délai la nuit arriva.
Fallait-il que le colonel Pélissier se retirât devant cette obstination et abandonnât la partie ? Mais les soldats et les chefs l'en auraient vivement blâmé. Les conséquences politiques de ces déterminations eussent été funestes, car la confiance dans les grottes aurait beaucoup grandi. Aurait-il dû attaquer de vive force ? Cela était à peu près impossible, et, dans tous les cas, il fallait perdre beaucoup de monde dans cette guerre souterraine qui n'eût pas été beaucoup plus satisfaisante pour l'humanité. Se résigner à un simple blocus qui pouvait durer quinze jours, c'était perdre un temps précieux pour la soumission du Dahra et refuser son concours à M. le colonel Saint-Arnaud. Après avoir pesé ces divers partis, il se décida à employer le moyen qui lui avait été recommandé par le gouverneur-général pour les cas d'extrême urgence. De nombreuses fascines furent jetées d'en haut à l'entrée des grottes ; le feu y fut lancé de la même manière. A une heure du matin, le colonel Pélissier, mu par une vive pitié, le fit cesser; il était trop tard, la catastrophe était arrivée.
Ce cruel événement, qui nous afflige tous, surprend notre jugement par sa nouveauté dans les fastes de la guerre, mais au fond, il n'est pas plus barbare que plusieurs autres choses qui se pratiquent en Europe et contre lesquelles l'opinion ne se récrie pas, parce qu'il est convenu que ce sont des maux indispensables ?
La guerre, la politique et même l'humanité veulent que l'on emploie tous les moyens, quelque énergiques qu'ils soient, pour arriver le plus promptement possible au but. C'est servir aussi les intérêts de la philanthropie, car les guerres prolongées par l'emploi de moyens peu vigoureux, sont celles qui ruinent les nations et multiplient les victimes. Ces principes incontestables étant posés, nous demandons si le siége des grottes est plus cruel que le bombardement et la famine dont nous accablons la population entière des villes de guerre en Europe. Et en mer, ne canonne-t-on pas un vaisseau à le faire couler ou sauter, jusqu'à ce qu'il ait amené son pavillon ?
Toutes ces choses-là sont identiques; c'est la guerre avec ses conséquences forcées. Si les philanthropes ne veulent pas les voir, qu'ils aient le talent de donner aux peuples et aux gouvernements des sentiments de paix éternelle.
On redoute pour l'avenir la haine profonde dont la catastrophe des Ouled-Rhia aura rempli tous les cœurs. Oui, sans doute, il y aura de la haine contre nous dans le cœur des Arabes : elle a toujours existé, elle existera longtemps. Cet événement ne peut guère y ajouter, mais il inspirera une terreur salutaire qui ne sera pas moins favorable au vaincu qu'au vainqueur. Les populations, reconnaissant qu'elles sont obligées de subir le joug, qu'elles n'ont plus aucune retraite assurée, se résigneront et se livreront paisiblement à l'agriculture, au commerce , qui auront bientôt réparé les maux de la guerre. Si, au contraire, elles n'avaient éprouvé qu'une répression bénigne, conforme aux idées peu judicieuses des philanthropes, elles seraient souvent tentées de faire des tentatives pour reprendre leur indépendance, et de ces insurrections multipliées naîtrait pour elles un état de choses désastreux et prolongé qui rendrait leur situation beaucoup plus cruelle qu'elle ne l'est actuellement par suite du coup de foudre qui les a frappées. Il leur a causé de graves dommages, mais ce n'est que momentané.
Les intérêts de l'armée victorieuse et de la France tout entière ont aussi leurs droits. Si, par notre bénignité, nous laissons se perpétuer l'esprit de révolte, nous aurons souvent à réprimer, et dans ces répressions incessantes, nous userons beaucoup plus de soldats, nous dépenserons beaucoup plus d'argent que si, au début, nous avions sévi énergiquement. Serait-ce là bien entendre les intérêts de l'humanité et de la philanthropie ? Les répressions énergiques produisent les mêmes effets chez tous les peuples: dans la guerre ordinaire, dans la guerre civile, dans les émeutes. Il vaut mieux, pour la politique et pour l'humanité, frapper fort une fois que de frapper souvent.
Ces exemples nous ont prouvé que les soumissions n'étaient bonnes et durables que lorsque les tribus avaient immensément souffert des maux de la guerre. Presque toutes celles qui n'avaient pas senti le poids vigoureux de nos armes ont toujours mal obéi et se sont révoltées à la première occasion. C'est justement le cas des populations des deux rives du Chélif central. Dans l'hiver de 1842 à 1843, nous soumîmes cette contrée avec une extrême facilité. Deux ou trois petits combats en firent les frais. Les populations n'éprouvèrent aucun dommage; elles n'eurent à supporter aucune contribution de guerre ; la plus sévère discipline fut observée parmi les troupes. Nous parcourûmes pendant plus de six semaines les deux rives du fleuve sans faire une razzia, sans prendre ni un bœuf, ni une poule, ni un œuf, et nous payâmes religieusement tout ce dont nous avions besoin. Les populations vantaient très haut notre justice et notre modération.
Forcés de nous retirer parce que nous n'étions pas en mesure d'occuper le pays au milieu de l'hiver, Abd-el-Kader revint; les populations, si reconnaissantes en apparence de la manière dont nous les avions traitées, se jetèrent dans ses bras. Il fit couper la tète à une trentaine de chefs compromis, afin de rendre les tribus moins faciles à céder à nos exigences. Abd-el-Kader n'est pas philanthrope, mais il est grand politique. Au printemps de 1843, nous rentrâmes dans ce pays pour y fonder Ténès et Orléansville. Nous le soumîmes moins facilement que la première fois. Cependant deux ou trois combats nous le livrèrent de nouveau. Il était bien légitime alors de peser sévèrement sur lui pour le punir de son manque de fois. Nous n'en fîmes rien cependant. Nous nous bornâmes à de légères contributions de guerre qui ne s'élevèrent qu'à environ 80 000 fr. pour une des plus riches contrées de l'Algérie. On vient de voir si cette seconde preuve de modération et d'humanité nous a été bien profitable ! Les rigueurs que nos troupes viennent d'exercer seront mille fois plus efficaces. Les razzias , l'événement des grottes, le désarmement, nous garantiront, sur ce point, une domination facile et une assez longue suite de tranquillité. Les faits qui ont suivi cette insurrection auront aussi de l'influence sur les parties du pays qui n'ont pas été atteintes.
Quant au reproche qui s'adresse aux razzias, à la destruction des arbres et des moissons, à l'enlèvement des troupeaux et des populations, nous répondrons par ce que nous avons déjà dit dans d'autres occasions : que l'on fasse naître en Afrique des intérêts concentrés et immobiles, comme on les trouve dans les grandes villes de l'Europe, et l'on peut être convaincu que nous n'irons pas nous exténuer à poursuivre des troupeaux et des populations à travers les ravins, les montagnes, les plaines et le désert. Il serait bien plus brillant de faire des entrées triomphales dans de grandes cités, et la guerre marcherait cent fois plus vite. Il suffirait de gagner deux ou trois batailles qui nous ouvriraient la route de ces grands centres de population et d'intérêts. Mais comme, dans toute guerre, il faut, pour la finir, atteindre les intérêts, force est de nous en prendre à ceux qui existent dans le pays où nous opérons. C'est beaucoup plus difficile, beaucoup plus pénible qu'en Europe, et c'est là, on ne saurait trop le redire pour qu'on le comprenne enfin, ce qui exige une grosse armée, non pas pour gagner des batailles, mais afin de pouvoir se subdiviser beaucoup sans trop s'affaiblir, pour saisir les intérêts fugitifs éparpillés sur toute la surface du sol. C'est pour n'avoir pas su atteindre des intérêts que les Russes guerroient depuis quarante-six ans dans le Caucase. Nous voudrions bien que l'on nous dît ce que l'humanité a gagné dans la prolongation de cette guerre ?
Qu'on se persuade donc enfin que l'armée, appelée parla loi sous le joug salutaire de la discipline, n'a pas répudié pour cela tout sentiment d'humanité et de pitié. Elle aussi fait de la philanthropie sans s'en vanter, et si certaines personnes en France ne le connaissent pas, les Arabes savent très bien le proclamer. Mais elle ne se livre aux sentiments humains, aussi vifs chez elle que chez toute autre partie de la nation, qu'après la victoire et le succès politique. Elle pense que les sentiments d'humanité doivent d'abord s'exercer envers la patrie, dont on ne doit pas sacrifier indéfiniment les enfants et les finances par une philanthropie intempestive. Elle frappe fort, et puis elle tâche de guérir ou du moins d'adoucir les maux qu'elle a faits. C'est ainsi qu'elle comprend ses devoirs envers le pays et envers les vaincus. »


Averti par la lettre de Soult du 12 juillet de la séance houleuse de la veille à la Chambre des Pairs, Bugeaud poursuivait sa justification auprès de son ministre. Nous étions le 18 juillet ; à cette date, l’affaire de Dhara n’en était déjà plus vraiment une à Paris :
« Je regrette, monsieur le maréchal, que vous ayez cru devoir blâmer, sans correctif aucun, la conduite de M. le colonel Pélissier. Je prends sur moi la responsabilité de son acte ; si le Gouvernement jugeait qu'il y a justice à faire, c'est sur moi qu'elle doit être faite. J'avais ordonné au colonel Pélissier, avant de nous séparer à Orléansville, d'employer ce moyen à la dernière extrémité. Et, en effet, il ne s'en est servi qu'après avoir épuisé toutes les ressources de la conciliation. C'est à bon droit que je puis appeler déplorables, bien que le principe en soit louable, les interpellations de la séance du 11. Elles produiront sur l'armée un bien pénible effet qui ne peut que s'aggraver par les déclamations furibondes de
la presse.
Avant d'administrer, de civiliser, de coloniser, il faut que les populations aient accepté notre loi. Mille exemples ont prouvé qu'elles ne l’acceptent que par la force, et celle-ci même est impuissante si elle n'atteint pas les personnes et les intérêts. Par une rigoureuse philanthropie, on éterniserait la guerre d'Afrique en même temps que l'esprit de révolte et alors on n'atteindrait même pas le but philanthropique. »



L’oeuvre justificative continua à Paris. Le Journal des Débats publia le 27 juillet ce long article :
« A l'occasion de !a triste et si regrettable affaire des grottes d'Ouled-Rhia, plusieurs journaux ont violemment attaqué les chefs de l'armée d'Afrique, et ont récusé comme partiales les explications présentées par le Moniteur Algérien et la France Algérienne, feuilles de la colonie. Nous trouvons aujourd'hui dans l’Algérie un récit très circonstancié de cet événement par un témoin oculaire, récit qui contient des détails nouveaux et bien propres à modifier les premières impressions reçues. Telle est l'opinion qu'exprime l’Algérie journal publié à Paris en dehors de toute influence de la part des autorités de la colonie, dont il critique même très souvent les actes. Nous espérons que cette louable impartialité aura des imitateurs, et qu'après avoir lu te récit suivant, on cessera toutes ces furibondes déclamations contre nos officiers de l’armée d'Afrique, au sujet d'une affreuse catastrophe qu'ils ont déplorée les premiers, qu'ils se sont vainement efforcés de prévenir et qui rentre malheureusement dans la classe des terribles extrémités de la guerre:
Journée du 18 juin. Deux bataillons d'infanterie, un escadron de cavalerie, une demi-section d'artillerie, un détachement de sapeurs du génie et une section d'ambulance partent sous les ordres du colonel Pélissier et arrivent, en suivant une direction nord-ouest, aux grottes appelées Ghar-el-Frachich, dans lesquelles les Ouled-Rhia de la rive gauche de l'Oued Boudjerah se renferment tous à notre arrivée. Déjà ils y avaient placé leurs bagages et leurs troupeaux.
Ces grottes se composent de deux cavernes dont l'une, la principale, a deux issues et l'autre une seule. Ces retraites souterraines sont fermées par les eaux d'un ravin, qui, en cherchant à se faire jour dans le massif de sulfate de chaux qui compose ces terrains, leur ont donné naissance. La partie supérieure s'appelle El-Kantra (le pont), parce qu'elle forme une espèce de pont gigantesque. Les eaux du ravin entrent par une large ouverture, parcourent un trajet de 320 mètres et viennent sortir à l'est à 70 mètres au- dessous du barrage pour se rendre dans l'Ouad-Frachich par un autre ravin de 100 mètres, dont les berges très escarpées ont de 6 à 7 mètres de hauteur.
Le ravin dont les eaux coulent dans la grotte est fermé par deux mamelons ; celui qui domine la rive gauche a une pente très roide; celui de la rive droite au contraire a des pentes assez douces. Le kantra est une espèce de contre-fort qui descend des hauteurs nord du ravin et vient rejoindre par un col assez prononcé celle du sud. Son épaisseur à la base est d'environ 100 mètres ; l'entrée et la sortie des eaux sous le kantra forment les portes de la grande caverne. A 80 mètres à l'ouest, et à 30 mètres au-dessus de l'issue orientale, se trouve une seconde ouverture; c'est l'entrée de l'autre grotte, longue de 40 mètres ; la grande caverne n'est qu'un couloir de 320 mètres de longueur, sur 2 mètres de largeur moyenne. La hauteur moyenne est de 4 mètres. De distance en distance, la caverne s'élargit et détermine ainsi quelques chambres, dont la plus grande a 16 mètres de longueur
sur 8 mètres de largeur.
Dans la partie supérieure de cette chambre, se trouve une sorte de puits percé verticalement, conduisant à deux chambres situées l'une au-dessus de l'autre. La chambre supérieure prend jour sur le ravin par une ouverture triangulaire de 3 mètres de […] Les parois latérales de la grotte sont taillées irrégulièrement dans la roche de plâtre. Le plafond est formé par des blocs de sulfate de chaux qui s'arc-boutent les uns contre les autres. Bien que la différence de niveau entre la porte de l'ouest et celle de l'est soit d'environ 40 mètres, la pente du fond est peu rapide. Cela tient à l'existence de plusieurs versants de 2, 3 et même 5 mètres de hauteur, qui rendent la circulation dans l'intérieur de la caverne difficile et même dangereuse. La position des portes et des parties du couloir qui les avoisinent en défend l'intérieur contre l'entrée des balles et empêche d'employer, pour y pénétrer de vive force, les moyens d'attaque ordinaires.
La seconde grotte est tout à fait indépendante de la première l'entrée en est fort étroite; c'est un couloir de 10 mètres de longueur sur 61 centimètres de
largeur et sur 1 mètre 30 centimètres de hauteur. Aussi est-on obligé de se courber pour y pénétrer. Ce couloir conduit à deux chambres superposées qui ne communiquent que par un puits de 7 à 8 mètres de hauteur. Aussi ne peut-on passer de l'une dans l'autre qu'au moyen d'une corde. La différence de niveau entre l'entrée et le sol des chambres est de 12 à 15 mètres; la longueur totale de la grotte est de 40 mètres. Telle est la description fidèle et minutieuse de ce qu'on appelle Ghar-el-Frachich (la caverne de Frachich).
Le 18, à six heures du matin, la colonne descendait des hauteurs sud; immédiatement elle vint s'établir sur le kantra, d'où l'on envoya une compagnie prendre position sur le mamelon nord. Ce poste détacha une section sur la pente de la rive gauche du ravin, tandis qu'un obusier soutenu par une compagnie fut envoyé sur la rive droite, pour contenir les Arabes à l'issue de l'ouest. Dans le cas où ils chercheraient à fuir, une division do cavalerie doit les poursuivre.
Des obus lancés dans la chambre située au-dessus de la grotte, par l'ouverture qui lui donne jour sur le ravin, et le feu des hommes embusqués sur les deux rives, forcent le s Arabes à ralentir leur feu. Trois postes sont aussi établis sur le versant est du kantra pour observer les deux entrées situées de ce coté. Les Ouled-Rhia, confiants dans la sûreté de leurs grottes, excités d'ailleurs par les conseils de Bou-Maza, échangent quelques paroles avec les cavaliers du goum, et leur déclarent l'intention où ils sont de résister.
Dans ces circonstances, trois moyens se présentaient pour amener l'ennemi à composition il fallait ou l'attaquer de vive force, ou le tenir bloqué ou l’enfumer pour le contraindre à sortir de la grotte. L'attaque de vive force, que l'ignorance des lieux pouvait faire croire possible, devait entraîner la perte d'un grand nombre d'hommes parmi les Français, tandis qu'elle eût été peu meurtrière pour l'ennemi. Cette considération empêcha le colonel Pélissier d'adopter ce parti. L'examen des lieux a prouvé depuis que ce moyen n'avait aucune chance de succès, et n'aurait abouti qu à augmenter à nos dépens la confiance des révoltés.
Le blocus n'était pas plus praticable que l'attaque de vive force tous les indigènes s'accordaient à dire que les Ouled-Rhia avaient enfermé de grands approvisionnements dans les grottes. On me pouvait que difficilement admettre un moyen qui eût fait perdre à la colonne un temps considérable pour réduire une poignée d'hommes. Dans les pays de montagnes, et surtout dans le mois de juin, un orage transforme les plus petits ruisseaux en torrents infranchissables, et on pouvait craindre qu'une pluie de quelques heures ne vînt séparer en trois parties le petit corps du colonel Pélissier, et compromettre le salut de chacune d'elles isolement.
Restait donc le troisième moyen. On pensa qu'en allumant du feu à l'entrée des grottes la fumée, poussée dans l'intérieur, déterminerait les insurgés à se rendre, comme la famine dans une ville assiégée. D'ailleurs, pour procéder avec mesure et circonspection, il ne fut allumé qu'un seul feu à la porte ouest de la grotte principale. Disons d'abord que l'existence de trois ouvertures nous faisait supposer qu'on avait à faire aire à trois grottes différentes. A dix heures on commença à jeter, du haut de l'escarpement qui couvre la grotte, des fascines et de la paille enflammées, et l'on continua cette opération jusqu'à deux heures de l'après-midi. A la nuit, les gardes placées près des issues furent rapprochées afin d'empêcher une sortie. La colonne campa sar les lieux.
Journée du 19. Le 19 juin, au point du jour les Ouled-Rhia n'ayant fait encore aucune démonstration pacifique, on se disposa à allumer des feux aux trois entrées. Des approvisionnements de fascines et de paille, des plates-formes sont disposées au dessus de chacune des portes pour couvrir les travailleurs contre la fusillade que les Arabes entretenaient depuis le jour sur nos gardes embusquées.
A six heures, les cheik des Zerrefa prévint le commandant de la colonne que les Ouled-Rhia étaient disposés à parlementer. Un Arabe, échappé de la grotte pendant la nuit par une issue inconnue, l'avait chargé de faire cette démarche.
A l'instant l'ordre fut donné de cesser les travaux et l'on entra en pourparlers. Le colonel leur offrit l'aman et les assura que leur liberté et leurs biens seraient respectés. Ces démarches de la part des insurgés n'avaient pour objet que de gagner du temps et de leur permettre d'introduire dans les grottes quelques troupeaux qui étaient restés au dehors.
Aux offres du commandant français, les Ouled-Rhia répondirent qu'ils voulaient avoir l'aman écrit […] Après avoir ainsi satisfait à leurs demandes, on s'attendait, comme cela était convenu, à les voir sortir de la grotte. Mais cette attente fut encore trompée. Au lieu de remplir l'engagement qu'ils avaient pris, ils témoignèrent la crainte que les Français ne les fissent lier et conduire prisonniers à Mostaganem. Ils exigèrent que le colonel levât le camp, promettant de se rendre ensuite au goum arabe. Le colonel leur fit réitérer l'assurance que leurs biens et leurs personnes seraient respectés.
Pendant ces pourparlers, les hostilités demeuraient suspendues, les Arabes, sous prétexte de se consulter, gagnaient du temps; ceux des Outed-Rhia qui étaient restés en dehors des grottes continuaient à y entrer. Il était dix heures et vingt minutes. Tout ce qu'il était possible de faire pour amener les Ouled-Rhia à composition par voie d'accommodement avait été essayé, et cependant ils ne se rendaient pas.
Le colonel leur fit annoncer que, puisqu'ils ne consentaient pas à sortir de leur retraite, il allait immédiatement faire continuer les travaux. Malgré cette menace, il attendit encore cinq minutes. Ce nouveau délai expiré, il quitta la place qu'il occupait près de l'entrée ouest, et s'éloigna. Aussitôt les Arabes rentrèrent dans leur retraite, et recommencèrent à tirer sur nos gardes.
Les dispositions préparatoires continuèrent jusque une heure. A ce moment, tout était prêt pour allumer les trois feux. Toutefois, avant d'en venir à cette cruelle extrémité, le colonel voulut tenter un dernier effort de conciliation. Au moment où les négociations avaient cessé, un Arabe qui servait de parlementaire était resté avec nous. Le colonel l'envoya dans la grotte pour avertir les Ouled-Rhia de ce qui se passait, et les déterminer à se soumettre. Ils persistèrent à exiger que la colonne française se retirât. Enfin, à heures un quart, tous les moyens d'exhortation d'intimidation, de conciliation étant épuisés, on se résolut au parti extrême les feux furent donc allumés et poussés activement jusqu'à huit heures du soir. A partir de ce moment, on se contenta jusqu'au lendemain matin d'entretenir un petit foyer à chaque issue pour empêcher les sorties.
Journée du 20. Au point du jour, le colonel fut averti que quelques détonations s'étaient fait entendre dans les grottes; pensant qu'une lutte pouvait s'être engagée entre les partisans et les adversaires de la soumission, il se hâta d'envoyer un Arabe dans la grotte pour y faire de nouvelles sommations. Le parlementaire revint quelques instants après, ramenant plusieurs individus haletants; il apprit que presque tout le monde était mort.
Un accident qu'il n'avait pas été possible de prévoir contribua surtout à augmenter l'étendue du désastre. Le feu avait pris aux bagages déposés par les Arabes à l'entrée des grottes, et cet incendie s'était propagé par l'action du courant d'air déterminé dans la grotte par les deux feux, dont l'un produisait sur l'autre l'effet d'une cheminée d'appel. Cela prolongea beaucoup le séjour de la fumée dans la grotte et empêcha d'y pénétrer, aussitôt qu'on aurait voulu, pour porter secours aux malheureux qui respiraient encore.
Journée du 21. Au point du jour, les détachements du génie et de l'artillerie, armés de lanternes et d'outils, pénétrèrent dans les grottes pour en retirer tout ce qui vivait encore. Ce fut alors seulement que l'on put mesurer toute l’étendue du mal qu'une déplorable nécessité avait causé. Sur presque tous les points, le sol de la galerie était jonchée de cadavres d'hommes, de femmes et d'enfants mêlés à ceux des troupeaux. Ces malheureux, repoussés par le feu des extrémités, par les éboulements du plâtre cuit, par les balles de nos tirailleurs et par lés éclats des obus, s'étaient réfugiés dans la partie la plus profonde des grottes, où, couchés la face contre terre, ils avaient cherché à respirer un peu de fraîcheur et à retarder ainsi le moment fatal ; malheureux fanatisés qui, en mourant, tiraient encore sur des femmes que nos soldats cherchaient à sauver.
Après quatre heures de marche dans ces cavernes profondes, le détachement, entré par la porte est, en sortait par la porte ouest, rapportant tout ce qui respirait encore. On s'empressa de prodiguer à tous ces malheureux les soins les plus actifs. Le nombre des morts, évalué par les officiers du détachement, différait de beaucoup du nombre indiqué par les Arabes. L'émotion produite par cette scène de désolation, et les soins dus avant tout aux vivant, les avait empêchés, cela se conçoit, de procéder à une estimation exacte des morts.
On fut donc obligé de retourner dans les grottes pour recommencer cette triste opération. Le chiffre qu'elle fournit fut de quatre cent quatre-vingt-dix-neuf cadavres dans la grande grotte, et trente dans l'autre. Le nombre des individus rapportés vivants, s'élève à cent dix dont quelques uns, malgré les soins qu'ils reçurent à l'ambulance, ont succombé.
Tel est le récit fidèle du fatal épisode de Ghar-el-Frachich. Témoins et acteurs de ce drame, nous avons frémi les premiers du terrible parti que les nécessités de la guerre ont forcé de prendre, et que des circonstances entièrement imprévues ont rendu plus terrible encore. En présence de ce désastreux événement, dégagés de l'exaltation que les circonstances critiques où nous nous trouvions rendaient inévitable, nous nous demandons s'il existait un moyen d'éviter l’effroyable résolution dont nous déplorons les suites ? »


La possibilité du rappel du colonel Pélissier évoquée par Soult était déjà bien loin.
Pélissier fut nommé général de brigade en avril 1846 et poursuivit une brillante une carrière qui le mena jusqu’au maréchalat...

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"Tant que les Français constitueront une Nation, ils se souviendront de mon nom."

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Message Publié : 20 Mars 2019 9:55 
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Cyril Drouet a écrit :
A noter qu'il existe un collectif "Déboulonnons Bugeaud".
A ce sujet, on peut lire la prose du politologue Olivier Le Cour Grandmaison :
"Ni statue, ni avenue ! Bugeaud ? Une insulte permanente à l’émancipation des peuples et aux Algériens en particulier, et à la République qu’il a toujours combattue et haïe. Si scandale il y a, il n’est pas dans le fait d’exiger que ses statues disparaissent et que son nom soit effacé de l’avenue parisienne qui l’honore encore, mais dans l’existence même de ces hommages toujours rendus au bâtisseur sanglant de la France coloniale et à l’ennemi de l’égalité, de la liberté et de la fraternité."


https://blogs.mediapart.fr/olivier-le-c ... republique

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Message Publié : 20 Mars 2019 20:58 
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Inscription : 18 Août 2016 0:01
Message(s) : 2298
Olivier Le Cour Grandmaison.... un "politologue" favorable à la régularisation des migrants clandestins, ayant réclamé "pour raison de santé" la fin de la détention provisoire de Tarik Ramadan... :7:

Quant au colonel Pélissier, devenu maréchal et duc, il commandera en chef l'armée française durant la guerre de Crimée

:salut:


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Message Publié : 25 Mars 2019 15:39 
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et c'est signé du petit calomniateur !!! :diablotin:


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