Je viens de terminer la lecture de l'ouvrage de Jean-Paul Bertaud "Napoléon et les Français" paru aux éditions Armand Colin en 2014. L'auteur, professeur émérite à la Sorbonne (Paris I) s'interroge sur le fait de savoir si, comme l'affirme le mythe de la geste impériale, les Français étaient tous unis dans leur soutien à l'Empire.
S'appuyant sur les acquis les plus récents de la recherche historique et les sources, parfois inédites, offertes par les archives nationales, civiles ou militaires, il replace les Français dans le cadre d'un pouvoir napoléonien qui "gèle" la démocratie et fonde une société qui bénéficie un temps de la prospérité d'un vaste marché et d'une révolution de certains secteurs industriels mais qui doit subir en contrepartie le poids d'un état de guerre quasi continuel.
On y apprend entre autres que le legs de la Révolution a surtout profité à l'ancienne bourgeoisie et à la ci-devant noblesse, que la méritocratie était un mythe et la société de l'époque déjà un monde d'héritiers où les élites se reproduisaient sans grands changements, que si les paysans ont bénéficié de l'abolition confirmée des droits seigneuriaux et de la vente des biens nationaux, la majorité d'entre eux ont, tout comme les ouvriers, beaucoup de mal à vivre car les disettes subsistent endémiquement et qu'ils sont des millions à être au seuil de la pauvreté voire de la misère, tombant parfois dans le vol et la prostitution qui les conduit à l'enfermement dans les prisons de l'ordre moral. Un bilan en demi-teinte donc, bien éloigné du faste des Tuileries.
Dans cette étude passionnante, Bertaud analyse également la défaite de Waterloo et affirme que plusieurs fautes sont imputables à Napoléon lui-même. Premièrement, il n'a pas une connaissance précise du terrain, n'a pas observé la carte des lieux avec sa minutie habituelle et il s'est placé sur un petit tertre trop éloigné du dispositif que pour pouvoir bien juger des dispositions anglaises. Deuxièmement, lorsque Ney mène la charge de cavalerie pour enfoncer le centre anglais, Napoléon ne l'appuie pas avec l'infanterie disponible sur sa gauche. Troisièmement, au moment de la prise de la haie Sainte par ses troupes, il ne se déplace pas pour constater la situation critique dans laquelle se trouve le centre anglais et n'exploite pas immédiatement à fond la situation.
L'auteur ajoute que l'Empereur est apparu à tous comme apathique, "gêné dans ses mouvements" et "embarrassé dans sa démarche", en proie vraisemblablement à des maux d'estomac, à une crise hémorroïdaire ou à la dysurie qui l'accable depuis plusieurs années.
Il s'interroge enfin en se demandant s'il n'est pas devenu, comme certains l'avancent "un joueur usé perdu au milieu de ses fictions", engageant par orgueil des milliers d'hommes dans sa prodigieuse aventure.
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