Réduire cette affaire à une simple vendetta me semble extrêmement réducteur.
Sans exonérer Napoléon, il y a indubitablement la marque du prince de Bénévent là-dessous.
Une lettre datée du 8 mars 1804 en fait foi.
"J'ai beaucoup réfléchi à ce que vous m'avez fait l'honneur de me dire hier. La forme du gouvernement qui nous régit est la plus appropriée au moeurs, aux besoins, aux intérêts de notre pays. Mais ce qu'on ne sent pas assez en France et même en Europe, c'est que cet ordre de choses si précieux tient uniquement à votre personne, qu'il ne peut subsister et se consolider que par elle. Les convictions à cet égard seraient même à peu près unanimes, si quelques intrigants mal intentionnés n'avaient l'art de semer continuellement des bruits qui tendent à faire croire que vos idées ne sont pas complètement arrêtées, que vous pourriez tourner vos regards vers l'ancienne famille régnante. Ils vont même jusqu'à donner à entendre que vous pourriez vous contenter du rôle de Monk. Cette supposition, répandue avec une grande perfidie, fait le plus grand mal. Voilà qu'une occasion se présente de dissiper toutes ces inquiétudes. La laisserez-vous échapper ? Elle vous est offerte par l'affaire qui doit amener devant les tribunaux les auteurs, les acteurs et les complices de la conspiration récemment découverte. Les hommes de Fructidor s'y retrouvent avec les Vendéens qui les secondent. Un prince de la maison de Bourbon les dirige. Le but est également l'assassinnat de votre personne. Vous êtes dans le droit de la défense personnelle. Si la justice doit punir rigoureusement, elle doit aussi punir sans exception. Réfléchissez-y bien."
Charles-Maurice est entré dans la danse.
Comme l'écrit son amie Aimée de Coigny, s'il n'a d'abord pas voulu la mort du duc d'Enghien, il n'a pas hésité à se rallier à Bonaparte.
Il n'a rien à perdre et beaucoup à se faire pardonner.
Cette affaire est pour lui l'occasion de se remettre en selle.
Le vin est tiré, il faut le boire.
A d'Hauterive qui menace de démisionner, il répond, l'air blasé : "Eh bien, quoi, ce sont les affaires."
"M. de Talleyrand fut le noeud de cette affaire", écrit Mme de Coigny. Il a conseillé et facilité l'arrestation et l'exécution d'un Bourbon. Il l'a justifiée à l'étranger. En cela, il a pris un risque considérable motivé à ses yeux par la raison d'Etat, sans parler des bénéfices qu'il comptait en tirer deux mois plus tard à la faveur du passage à l'Empire. Si Bonaparte est le premier responsable du crime, Talleyrand n'est pas loin derrière."
(extraits de la biographie rédigée par E. de Waresquiel)
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