L'Énigme des Invalides

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Message Publié : 05 Oct 2012 10:18 
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Récit de Ségur :

"Il [Napoléon] était sur les hauteurs de Borodino, d'où il embrassait encore d'un dernier coup d'oeil tout le champ de bataille, et se confirmait dans son plan, quand Davout accourut. Ce maréchal venait d’examiner la gauche des Russes d’autant plus soigneusement que c’était le terrain sur lequel il devait agir, et qu’il se défiait de ses yeux.

Il demande à l’empereur "de lui laisser ses cinq divisions, fortes de trente-cinq mille hommes, et d’y joindre Poniatowski, trop faible à lui seul pour tourner l’ennemi. Le lendemain il mettra cette masse en mouvement ; il couvrira sa marche des dernières ombres de la nuit, et du bois auquel s’appuie l’aile gauche russe, qu’il dépassera en suivant la vieille route de Smolensk à Moscou ; puis tout à coup, par une manœuvre précipitée, il déploiera quarante mille Français et Polonais sur le flanc et en arrière de cette aile. Là, tandis que l’empereur occupera le front des Moscovites par une attaque générale, lui, marchera violemment de redoute en redoute, de réserve en réserve, culbutant tout de la gauche à la droite sur la grande route de Mojaisk, où finiront l’armée russe, la bataille et la guerre !"

L’empereur écouta le maréchal attentivement ; mais, après quelques minutes d’une silencieuse méditation, on l'entendit lui répondre : "Non ! c’est un trop grand mouvement ; il m’écarterait trop de mon but, et me ferait perdre trop de temps."

Cependant, le prince d’Eckmühl, convaincu, persévère ; il s’engage à avoir accompli sa manœuvre avant six heures du matin ; il proteste qu’une heures après, la plus grande partie de son effet sera produit. Mais Napoléon, contrarié, l’interrompt brusquement par cette exclamation : "Ah ! vous êtes toujours pour tourner l’ennemi ; c’est une manœuvre trop dangereuse !"

Le maréchal, repoussé, se tut ; puis il retourna à son poste, en murmurant contre une prudence qu'il trouvait intempestive, à laquelle il n'était pas accoutumé, et qu'il ne savait à quoi attribuer ; à moins que les regards de tant d'alliés si peu sûrs, une armée tant affaiblie, une position si lointaine, et l'âge, n'eussent rendu Napoléon moins entreprenant.

L’empereur, décidé, était rentré dans son camp, lorsque Murat, que les Russes avaient tant de fois trompé, lui persuade qu’il vont fuir encore avant de combattre. En vain Rapp, envoyé pour observer leur contenance, revient dire qu'il les a vus se retranchant de plus en plus ; qu’ils sont nombreux, bien disposés, et qu’ils paraissent déterminés bien plus à attaquer, si on ne les prévient pas, qu’à se retirer."

Prélablement, Ségur avait décrit le champ de bataille :

"De Semenowska au bois d’Utitza, il peut avoir douze cents pas de développement. C’est la nature du terrain qui a décidé Kutusof à refuser ainsi cette aile. Car ici le ravin, qui escarpe le plateau du centre, est déjà à sa naissance ; il est à peine un obstacle ; les pentes de ses rives plus douces, et les sommets, propres pour l’artillerie, sont éloignés de ses bords. Ce côté est évidemment le plus accessible depuis que la redoute du 61e, celle que ce régiment a enlevée la veille, n’en défend plus les approches. Elles sont même favorisées par un bois de grand sapins, qui s’étend depuis cette redoute conquise, jusqu’à celle qui parait terminer la ligne des Russes.
Mais leur aile gauche ne s’arrête pas là. L’empereur sait qu’au-delà de ce taillis se trouve la vieille route de Moscou, avant Mojaisk ; il juge qu’elle doit être occupée, et en effet Tutchkof, avec son corps d’armée, s’est établi en travers, à l’entrée d’un bois ; il s’est couvert par deux hauteurs, qu’il a hérissées d’artillerie.
Mais cela importait peu, parce que, entre ce corps détaché et la dernière redoute russe, il y avait cinq à six cents toises, et un terrain couvert. Si l’on ne commençait pas par accabler Tutchkof, on pouvait donc l’occuper, passer entre lui et la dernière redoute de Bagration, et prendre en flanc l’aile gauche ennemie ; mais l’empereur ne put s’en assurer par lui-même, les avant postes russes et des bois arrêtèrent ses pas et ses regards."

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Message Publié : 15 Déc 2012 22:23 
Par respect pour l'Empereur, n'écoutez point Ségur...


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Message Publié : 25 Déc 2012 10:47 
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Si Napoléon refuse le plan de Davout n'est-ce pas aussi parcequ'il veut économiser ses forcrs pour la bataille de Moscou ? Celle, d'ailleurs, qui n'aura jamais lieu... :bah:
La prudence qu'il manifeste à l'occasion de cet échange avec son maréchal peut se comprendre ainsi, tout comme le fait qu'il refuse de faire donner la Garde lorsque les Russes se débandent.
Cette bataille semble l'avoir toutefois marqué, au point, que plus tard, il écrira (je crois que c'est dans le Mémorial, mais je n'en suis plus certain) : "Des cinquante batailles que j'ai données, la plus affreuse est celle livrée par moi devant Moscou. Les Français s'étaient montrés dignes d'être vainqueurs, les Russes avaient conquis le droit d'être considérés comme invincibles".

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Message Publié : 26 Déc 2012 14:55 
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Non, pas vraiment. Napoléon ne veut pas conquérir Moscou, il veut détruire l'armée principale des Russes. Cette armée détruite, le Czar ne pourra qu'implorer la paix. Si l'empereur a marché si loin, c'est pour saisir l'armée russe au collet et la prendre à la gorge ! Il a calculé que les généraux russes ne pourraient pas livrer Moscou sans bataille.

Cette occasion lui est donnée. Malheureusement, il ne saura pas la saisir. Le plan de Davout était le seul praticable. L'empereur y a songé avant lui, n'en doutons pas. Mais il ne peut s'y résoudre, car il veut mener cette bataille sans faire donner la Garde. Si loin de ses bases, il veut se ménager cette ultime réserve. C'était vouloir résoudre la quadrature du cercle !

De plus, il est souffrant le jour de la bataille. Un mauvais rhume, sans aucun doute. La veille, il a inspecté le front sur le futur champ de bataille. Mais le 7 septembre, il est inerte, comme endormi. Non pas par rapport à d'autres chefs de guerre, mais par rapport au lion qu'il était. Pour la 1ère fois, il se tient éloigné des boulets. Ce n'est pas qu'il en ait peur, mais si loin de la France, s'il était blessé, que deviendrait l'armée ? A ce stade, il sent comme un gouffre s'ouvrir devant lui.

Le centre russe va céder momentanément avant la fin de la matinée entre Séménovskoïe et les 3 flêches. Il n'exploite pas cette chance, alors que Murat demande des renforts. Il est vrai que le mouvement tournant sur la gauche amorcé par les cosaques de Platov peut faire croire à une tentative ennemie de ce côté.

Faire donner la Garde : il est sur le point de donner l'ordre et se ravise finalement. Puisque cette bataille n'est pas décisive, il devra en livrer une autre sous les murs de Moscou... C'est en tout cas ce qu'il dit.

Mais les Russes, en se tenant au fond du champ de bataille, comme pour défier les Français, vont se priver de cette possibilité. Pendant deux heures, ils vont rester immobiles sous le feu destructeur de l'artillerie française. C'est là que se situe le grand massacre de la Moskowa. Curieusement, par un retournement dont l'Histoire a le secret, ce massacre va mieux servir les Russes que Napoléon...

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Message Publié : 26 Déc 2012 21:06 
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Citer :
Il a calculé que les généraux russes ne pourraient pas livrer Moscou sans bataille.

Oui, c'est ce que j'écrivais autrement dans mon message précédent. :4:

Citer :
Cette occasion lui est donnée. Malheureusement, il ne saura pas la saisir.

Justement non, puisqu'il pensait rencontrer à nouveau l'armée russe sous les murs de Moscou.
Borodino se situant à 150 kilomètres de Moscou, il aurait été possible que cette hypothèse se réalise.
Les Russes ont préféré la fuite et les flammes.

Citer :
Puisque cette bataille n'est pas décisive, il devra en livrer une autre sous les murs de Moscou... C'est en tout cas ce qu'il dit.

Effectivement. Pensez-vous que cela soit une excuse donnée a posteriori ?

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Message Publié : 27 Déc 2012 11:09 
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Difficile de juger. Mais l'essentiel est de comprendre que Napoléon ne pouvait pas tourner les Russes sans engager la Garde. Or, c'est quasiment le quart de son armée le jour de la confrontation. Il veut se ménager cette suprême réserve, car il est désormais trop loin de ses bases. Et il est décidé à marcher jusqu'à Moscou, pour le prestige du symbole. Seule une défaite aurait pu l'en empêcher.

Evidemment, on peut le voir effectivement comme une excuse donnée a posteriori. Cela dit, l'armée de Koutousov étant réduite à moins de 80 000 hommes, elle n'est plus en état de livrer une seconde bataille, du fait de son infériorité qualitative et numérique. C'est à peine si elle compte encore 40 000 fantassins éprouvés...

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Message Publié : 27 Déc 2012 11:51 
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C'est bien ce qui me turlupine Bruno. :neutral:
Napoléon a affirmé qu'il gardait sa réserve dans le cas d'une bataille sous les murs de Moscou - puisqu'il pensait (à ce qu'il a déclaré ensuite) que les Russes défendraient leur ville sainte -, justifiant ainsi cette économie à Borodino.
A ce sujet, disposez-vous, peut-être, d'autres témoignages (autres que celui de Davout) concernant ce choix ?

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Message Publié : 27 Déc 2012 12:09 
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A brûle-mail, il y a celui de Caulaincourt, autant qu'il m'en souvienne. Ceci étant, je suis persuadé que là où Napoléon a choisi la prudence en conservant sa garde, le Bonaparte d'Italie aurait joué d'audace !

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Message Publié : 27 Déc 2012 20:34 
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Merci Bruno.
Vous pensez donc que c'est avant tout une question d'état d'esprit - ou de condition physique - qui a joué sur le choix de Napoléon de ne pas donner la Garde, demeurée en réserve ?

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Message Publié : 28 Déc 2012 12:28 
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Oui, on peut le voir comme cela. L'Empereur jouait trop gros jeu ! Il a voulu pousser jusqu'à Moscou, malgré l'avis opposé de ses principaux lieutenants. Stratégiquement, c'était une aventure car logistiquement hasardeuse. En se lançant si loin de ses bases, il découvrait ses flancs et s'en remettait au bon-vouloir de Schwarzenberg. On sait comment celui-ci laissera l'amiral Tchitchakov s'emparer de Minsk !

Mais la possibilité de finir la campagne par un coup de tonnerre a été la plus forte. Napoléon s'inquiétait de devoir faire une guerre de 3 ans. La destruction de l'armée principale des Russes, la prise de la capitale, lui paraissaient comme un gage suffisant pour déterminer la paix.

Toutefois, le jour venu, celui de la bataille, la prudence l'a emporté alors que sa démarche était audacieuse. L'armée principale des Russes a bien été vaincue, mais elle n'a pas été détruite, même si elle ne pouvait plus empêcher la prise de Moscou...

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