Pensez-vous que l'empire de Napoléon, ou le grand empire de Napoléon était disproportionné et si oui quels sont les évènements qui ont conduit au point de rupture? (Reichstadt) ...
Bonjour Cher Duc,
Permettez-moi, tout d'abord, de vous remercier pour cette question fort intéressante, à laquelle je vais tenter d'apporter quelques éléments de mon humble analyse, sachant que le sujet, très vaste, devrait se poursuivre en un échange très enrichissant !...
Selon JB Deroselle, tout empire doit périr, et dans les arguments qu'il avance pour illustrer sa théorie, certains se trouvent tout-à-fait adaptés pour définir la naissance, l'évolution et la chute de l'Empire napoléonien ...
Il disait, entre autre, qu'une grande puissance n'était capable d'assurer à elle seule sa sécurité, que tant que l'adversaire serait pris isolément.
Or, si l'on s'en réfère au Premier Empire, force est de constater qu'il fut constamment "le vainqueur" dans tous les combats bilatéraux, comme nous l'ont démontrées les années 1805-1806-1807-1808-1809 et jusqu'au début même de 1812.
Ceci, bien entendu, n'entame en aucun cas le génie militaire de Napoléon, sans lequel il y aurait certainement matière à réviser ce raisonnement !
Après la retraite de Russie, évènement crucial s'il en fût, maintenir l'adversaire en infériorité commençait à s'avérer des plus délicats ; inconvénient accru par le coup porté aux moyens militaires, juste après cet effroyable épisode en terre russe ...
Je pense que lorsqu'une grande puissance tente de préserver à tout prix son hégémonie, cela a pour effet de susciter la formation de coalitions de plus en plus vastes qui finissent, à la longue, par devenir victorieuses ...
C'est en quelque sorte une espèce de règle qui imposerait que la notion d'équilibre dans un système européen donné, ne supporte pas de se voir remplacé par un autre, et menace, si le fait se produit, de briser son auteur par le biais des alliances des autres puissances ...
A cet égard, Louis XIV en avait précédemment fait les frais dans la même triste expérience, de même que bien plus tard, Guillaume II et l'Allemagne ...
Toutefois, l'Empire napoléonien fut pendant longtemps, reconnu par les puissances comme étant très utile, surtout dans le cadre de leurs ambitions traditionnelles telles l'antagonisme austro-russe, des rivalités germaniques en Allemagne ou encore des visées dominatrices dans le Nord.
De fait, les puissances, chacune leur tour, ont cherché continuellement des accomodements avec cette puissance hégémonique.
Mais l'Histoire nous a appris, en dehors même de l'Empire napoléonien, que l'on ne peut réussir durablement, à construire et unir l'Europe par la seule force de l'hégémonie...
Napoléon a oeuvré et orchestré son Empire de façon admirable durant plusieurs années ; puis il arriva au terme de ce qu'Il pouvait faire "seul" : arrivé aux portes de l'Europe, pour pouvoir aller encore au-delà, il eût certainement fallu le concours des autres puissances ... Or, celles-ci se coalisaient contre Lui !
Ce jour-là, et vous avez raison, Cher Duc, un déséquilibre se produisit pour finir par engendrer une rupture brutale.
Car, si en dernier ressort, les guerres sous le Premier Empire, n'étaient plus que "franco-anglaises", il n'en demeure pas moins que c'est avec le concours des autres Etats européens qu'elles eurent lieu et furent menées sur terre, par procuration ...
Albion était en effet plus habile banquier que militaire avisé ! ...
Ces guerres, imposées ou provoquées, permirent certes des victoires éclatantes aux Français, mais ces triomphes participèrent, en même temps, à l'affaiblissement de la Grande Armée par la démographie, les pertes aux guerres, et la division des forces sur plusieurs fronts à la fois ...
La prépondérance française devint donc insupportable aux autres acteurs européens, que l'Angleterre ne cessait d'animer contre Napoléon ...
Ne voyant d'équilibre que dans l'indépendance des différents Etats, ceux-ci finirent par provoquer l'ultime coalition, celle dont l'essence ne comportait qu'un objectif commun : celui d'en finir avec l'Empire français et son Chef , et d'aller à la guerre une dernière fois, parce qu'elle devait leur apporter la victoire finale ...
Ainsi se trouva balayée d'un coup, la prodigieuse construction impériale, trop superbement élevée sans doute pour se tenir "seule", et, avec elle, la prépondérance française.
