Après la mort de Pitt en janvier 1806, Fox revient au pouvoir et exerce la charge de secrétaire au Foreign Office. Suite à un échange de lettres avec Talleyrand, il offre franchement la paix, sous condition de la voir agréer par la Russie.
Cette proposition est immédiatement acceptée par Napoléon qui indique sur quelles bases elle pourrait être conclue. Il refuse cependant une négociation collective, préférant une paix séparée. Lille est indiquée pour recevoir les plénipotentiaires.
Cependant, Fox insiste sur une négociation englobant la Russie et l'Angleterre, assurant y être contraint par le traité d'alliance passé avec le Czar. Talleyrand met tout son talent à lever l'obstacle qui surgit, les négociations à peine commencées.
Une négociation directe avec la Russie paraissant praticable, la difficulté semble levée. Les deux parties échangent les prisonniers les plus distingués, dont Lord Yarmouth, préalablement reçu par Talleyrand qui lui résume les propositions françaises.
Suite à l'incident des bouches du Cattaro, le Czar décide d'envoyer à Paris l'ancien secrétaire de la légation russe, M. d'Oubril. La Russie accepterait la paix sur la base de l'état actuel de l'Europe, sous réserve que l'on indemnise les rois de Sardaigne et de Sicile des pertes faites sur le continent.
Dans ces conditions, le retour de Lord Yarmouth se justifie pleinement. Parvenu à Paris, il est porteur des conditions de paix anglaises. La base en est essentiellement l'uti possidetis et le retour du Hanovre à l'Angleterre. Reste à s'entendre sur la Sicile.
Dans l'attente d'Oubril, Napoléon désire allonger le temps des négociations afin de réaliser les projets qu'il a conçu pour l'Europe.
Ce dernier n'arrive à Paris qu'en juin et s'abouche aussitôt avec Talleyrand. Ce dernier consent à garantir l'évacuation de l'Allemagne, l'intégrité de l'empire ottoman, l'indépendance de la république de Raguse. Reste le cas de la Sardaigne et de la Sicile.
L'Empereur refuse absolument des compensations pour le roi de Sardaigne et exige la Sicile, moyennant une indemnité aux Bourbon de Naples. Oubril ne veut pas céder sur ce point, aussi Talleyrand promet-il de la trouver aux Baléares. Yarmouth, tenu au courant, n'est pas très favorable à cette mesure.
Cependant, pour éviter une complication diplomatique au sujet des bouches du Cattaro, Napoléon menaçant de s'en prendre à l'Autriche, Oubril signe finalement la paix le 20 juillet sur les bases proposées de part et d'autre et retourne en russie pour le faire ratifier.
Talleyrand peut alors se retourner vers Yarmouth en lui demandant de produire ses pouvoirs, l'obstacle russe étant désormais aplanni. Ce fut chose faite le 22 juillet, le général Clarke étant désigné comme plénipotentiaire pour la France.
Les deux parties sont près de s'entendre, mais lord Yarmouth résiste sur la question de la Sicile. Entre-temps, le gouvernement anglais paraît furieux de la précipitation de'Oubril à conclure et en proteste auprès de la Russie; il décide d'adjoindre un whig, Lord Lauderdale à Yarmouth, pensant que ce dernier est finalement trop francophile.
Champagny est nommé de son côté pour appuyer Clarke. Lauderdale produit une déclaration formelle s'appuyant sur l'uti possidetis. Après plusieurs explications, les négociateurs semblent près de parvenir à un accord, l'Angleterre acceptant éventuellement la remise de la Sicile à la France, sauf à ajouter aux Baléares déjà promises aux Bourbon de Naples, par exemple en Dalmatie. Les Anglais laissent entendre toutefois que les bases acceptées par M. d'Oubril ne seront peut-être pas acceptées par le Czar. Le sort final de la négociation est donc suspendu à la position d'Alexandre 1er.
Entre-temps, courant août, les relations avec la Prusse, assez médiocres, se tendent brusquement. Cette dernière, réalisant qu'une paix avec la russie et l'Angleterre, la laisserait isolée en face de Napoléon, s'imagine que ce dernier favorisera la restitution du Hanovre à l'Angleterre, sans lui consentir aucune compensation et qu'il mettra même obstacle à la création d'une confédération de l'Allemagne du Nord, sous la présidence de la Prusse.
Encouragé par l'Angleterre et intéressé à l'évolution de la Prusse, le Czar n'a évidemment aucun intérêt à la conclusion de la paix. Il répond donc qu'il s'en remet à l'Angleterre pour ratifier celle-ci, la Sicile demeurant aux Bourbon, avec promesse d'une indemnisation en Dalmatie pour le royaume de Naples et les Baléares pour compenser la perte du Piémont accusée par le roi de Sardaigne !
Pour ne rien arranger, Fox très malade est sur le point de mourir; Lord Yarmouth, fatigué par les négociations et sans-doute une certaine mauvaise foi de son cabinet, se retire, laissant seul Lauderdale.
Ce dernier, libéré des instructions modérées de Fox, s'accroche imperturbablement à la lettre de ses instructions. De son côté, l'Empereur voyant une coalition près de renaître, n'entend pas s'incliner, car remettre les Baléares et la Dalmatie dans les mains de souverains inféodés à l'Angleterre, ce serait naturellement les remettre à l'Angleterre elle-même. Fox disparu, il lui semble que cette puissance pourrait joindre ses forces à la Prusse, sans qu'il puisse tirer avantage d'une paix décidément trop courte.
Tels sont les faits. Il convient alors d'examiner à leurs lumières, si véritablement Napoléon aurait manqué la paix pour en tirer meilleur parti au préalable.
C'est la thèse de Thiers, reprise par MM. Lentz et Waresquiel...
Résumons-la : dégoûté des affaires de l'Europe, le Czar aurait été disposé à signer la paix, à condition que soit garantie la Sardaigne à l'ex-roi de Piémont et la Sicile aux bourbon de Naples. Grâce à Fox, l'Angleterre était pareillement prête à offir la paix, pourvu que Malte et Le Cap lui soient reconnus et le Hanovre restitué, tout en faisant fond sur les demandes de la Russie concernant la Sardaigne et la Sicile.
Napoléon, en refusant une négociation collective et en imposant au contraire, des tractations séparées, aurait manqué une splendide occasion et ajouté des difficultés diplomatiques inextricables à l'aboutissement de la tentative de paix.
Mais, qui peut prétendre qu'en présence des Français, les négociateurs russes et anglais eurent été moins exigeants réunis qu'ils ne le furent séparés ?
Est-ce que l'Angleterre aurait vraiment consenti à lâcher la Sicile, se bornant à donner les Baléares et la Dalmatie aux Bourbon de Naples et dès-lors, à laisser seulement à l'ex-roi de Savoie la Sardaigne ? Est-ce que le Czar pouvait réellement renoncer à toute indemnité en faveur du roi réfugié en Sardaigne ?
Rien, dans les écrits de MM. Lentz et Waresquiel ne le laisse subodorer. D'ailleurs Thiers a singulièrement résumé les prétentions de la Russie et de l'Angleterre, comme si elles avaient pu se résoudre à étendre l'uti possidetis à la Sardaigne et à la Sicile...
_________________ "Tant que les Français constitueront une Nation, ils se souviendront de mon nom."
Napoléon.
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