« La paix dans Moscou accomplissait et terminait mes expéditions de guerre. C'était, pour la grande cause, la fin des hasards et le commencement de la sécurité. Un nouvel horizon, de nouveaux travaux allaient se dérouler, tous pleins du bien-être et de la prospérité de tous. Le système européen se trouvait fondé ; il n'était plus question que de l'organiser. « Satisfait sur ces grands points, et tranquille partout, j'aurais eu aussi mon congrès et ma sainte-alliance. Ce sont des idées qu'on m'a volées. Dans cette réunion de tous les souverains, nous eussions traité de nos intérêts en famille, et compté de clerc à maître avec les peuples. « La cause du siècle était gagnée, la révolution accomplie; il ne s'agissait plus que de la raccommoder avec ce qu'elle n'avait pas détruit. Or cet ouvrage m'appartenait; je l'avais préparé de longue main, aux dépens de ma popularité peut-être. N'importe. Je devenais l'arche de l'ancienne et de la nouvelle alliance, le médiateur naturel entre l'ancien et le nouvel ordre de choses. J'avais les principes et la confiance de l'un, je m'étais identifié avec l'autre; j'appartenais à tous les deux; j'aurais fait en conscience la part de chacun : « Ma gloire eût été dans mon équité. » Et après avoir énuméré ce qu'il eût proposé de souverain à souverain et de souverains à peuples : « Forts comme nous l'étions, continuait-il, tout ce que nous eussions concédé eût semblé grand. Il nous eût mérité la reconnaissance des peuples. Aujourd'hui ce qu'ils arracheront ne leur semblera jamais assez, et ils ne cesseront de se défier ni d'être mécontents. » Il passait ensuite en revue ce qu'il eût proposé pour la prospérité, les intérêts, la jouissance et le bien-être de l'association européenne. Il eût voulu les mêmes principes, le même système partout ; un code européen, une cour de cassation européenne, redressant pour tous les erreurs, comme la nôtre redresse chez nous celles de nos tribunaux. Une même monnaie sous des coins différents ; les mêmes poids, les mêmes mesures, les mêmes lois, etc., etc. « L'Europe, disait-il, n'eût bientôt fait de la sorte véritablement qu’un même peuple, et chacun, en voyageant partout, se fut trouvé toujours dans la patrie commune. » Il eût demandé toutes les rivières navigables pour tous ; la communauté de mers; que les grandes armées permanentes fussent réduites désormais à la seule garde des souverains, etc. Enfin, c'était une foule d'idées, la plupart nouvelles, les unes des plus simples, d'autres tout à fait sublimes sur les diverses branches politiques, civiles, législatives; sur la religion, les arts, le commerce : elles embrassaient tout. Il a conclu : « De retour en France, au sein de la patrie, grande, forte, magnifique, tranquille, glorieuse, j'eusse proclamé ses limites immuables ; toute guerre future, purement défensive ; tout agrandissement nouveau, anti-national. J'eusse associé mon fils à l'empire ; ma dictature eut fini, et son règne constitutionnel eût commencé « Paris eût été la capitale du monde, et les Français l'envie des nations !... »[…] « Une de mes plus grandes pensées avait été l'agglomération, la concentration des mêmes peuples géographiques qu'ont dissous, morcelés les révolutions et la politique. Ainsi l'on compte en Europe, bien qu’épars, plus de trente millions de Français, quinze millions d'Espagnols, quinze millions d'Italiens, trente millions d'Allemands. J'eusse voulu faire de chacun de ces peuples un seul et même corps de nation. C'est avec un tel cortége qu'il eût été beau de s'avancer dans la postérité et la bénédiction des siècles. Je me sentais digne de cette gloire. Après cette simplification sommaire, observait-il, il eût été plus possible de se livrer à la chimère du beau idéal de la civilisation : c'est dans cet état de choses qu'on eût trouvé plus de chances d'amener partout l'unité des codes, celle des principes, des opinions, des sentiments, des vues et des intérêts. Alors peut-être, à la faveur des lumières universellement répandues, devenait-il permis de rêver, pour la grande famille européenne, l'application du congrès américain, ou celle des Amphictyons de la Grèce ; et quelle perspective alors de force, de grandeur, de jouissances, de prospérité! quel grand et magnifique spectacle! »
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