L'Énigme des Invalides

De façon récurrente, nous aimons nous pencher sur les délicates analyses des idées, des pensées et des décisions de Napoléon tout au long de son règne.

Souvent même, nous rencontrons la question suivante : "Auriez-vous aimé vivre à l'époque de Napoléon", ou "dans son environnement" ou "dans son entourage proche" ? ...

C'est une question plus précise qui m'amène à écrire aujourd'hui, pour vous demander si vous avez déjà songé aux états d'âme qui ont pu animer tous ceux des militaires, comme tous ceux des civils, ayant servi fidèlement le Grand Homme jusqu'au bout pour les uns, l'ayant aimé et reconnu comme "le bienfaiteur" de leur pays, pour les autres, bref tous ces gens, et ils furent plus nombreux que l'on ne croit, qui ont amèrement regretté, qui ont même souffert à l'annonce du "départ" de l'Empereur sur cette île lointaine, au nom bien trop évocateur aujourd'hui pour lui trouver une consonance quelque peu séduisante ...

Imaginez peut-être, pour vous aider dans cette réflexion, l'exil forcé et définitif de votre "Président de République préféré", même si cette catégorie ne saurait être mise en parrallèle avec le Génie de notre Histoire...
N'auriez-vous point souffert intérieurement, votre impuissance à faire changer le cours des évènements rajoutant encore à cette douleur ?

Personnellement, et pour cette seule et unique raison, tout en reconnaissant la faiblesse qui m'entraîne dans cette conclusion, je me console de n'avoir pas eu à vivre au réel ce dernier acte de l'Epopée impériale ....

.... Sauf, bien sûr, s'il m'avait été donné de suivre l'Empereur sur ce chemin, au bout duquel une mort certaine lui avait donné rendez-vous ...

Chère Rose,

Il me semble que nous pouvons trouver dans l'exil hélénien une consolation : celle de la Légende.

De la Première Campagne d'Italie à Waterloo, il fut déjà DE SON VIVANT un Mythe colossal, un espoir pour les peuples asservis (Polonais et Italiens).

Or l'exil hélénien c'est l'entrée de plein pied dans la LEGENDE,...et toujours de SON VIVANT .

L'Aigle, sur cette île perdue au milieu de l'Océan Atlantique...Emprisonné dans de mauvaises conditions....avec une lutte de TOUS les instants pour faire respecter sa Dignité....

Et bien, ses vainqueurs, les empereurs de Russie, d'Autriche, les roitelets de petits états d'Europe le craignaient encore. Le Congrès de Vienne, ce sont des vainqueurs qui tremblent au souvenir de l'Epopée..Exilé au bout du Monde....Sa Gloire et celle de la France rayonnait...Cette titanesque Aventure laissa des traces inneffaçables, elle marqua les esprits....

Le Peuple, non pas les notables qui en très grande majorité avaient choisi leur camp...celui des leurs intérêts...non le Peuple, les humbles qui ont composé ses Glorieuses phalanges, les artisans, les ouvriers gardaient un souvenir illuminé de l'Epopée....Humilié par le retour des émigrés qui n'avaient pas compris ce Reve de Gloire, le Peuple se réfugiait dans le souvenir du Grand Homme.

Et l'on voyait de petites gens se recueillir sur le lieu de l'exécution de Ney, sur la tombe de La Bédoyère...Et l'on se racontait, à voix basse, pour ne pas être arrêté par les argousins de la police royale, l'exécution de Mouton-Duvernet...

Non, Rose, nous devons appréhender l'exil à Sainte-Hélène, non comme un évènement attristant, mais comme le début de la Légende...A partir de ce moment, l'âme du Grand Homme appartient à l'Humanité.

De son rocher, l'Aigle était MORALEMENT plus fort que jamais...

VIVE L'EMPEREUR !!!!

Cordialement

Non, Rose, nous devons appréhender l'exil à Sainte-Hélène, non comme un évènement attristant, mais comme le début de la Légende...A partir de ce moment, l'âme du Grand Homme appartient à l'Humanité. (LOURMARIN) ...


Cher Lourmarin,

Je partage totalement votre vision des faits, mais vous évoquez celle du XXIème siècle, et d'ici en effet, nous pouvons nous "consoler", en quelque sorte, de la disparition du Grand Homme.

Toutefois, c'est du XIXème siècle qu'il convient d'apprécier l'analyse générée par mon interrogation, relative au dernier exil de l'Empereur ...

Qu'auriez-vous eu envie de faire à ce moment-là, quel aurait été votre état d'esprit ?

N'auriez-vous pas eu la mort dans l'âme, en apprenant que Celui qui, durant près de vingt années, avait tout mis en oeuvre, dans tous les domaines, pour rendre la France prospère, belle, grande, et ses Français fiers de leur pays, et qui allait s'éloigner pour ne plus jamais reparaître vivant, ce Géant que l'Histoire enfanta dans la douleur d'une Révolution pour le perdre vingt ans plus tard, dans un ultime cri de détresse, celui de son peuple et de ses soldats, tous désormais orphelins ?

Chère Rose,

Dans le contexte que vous décrivez, il n'y avait qu'une réponse : comploter.

Rejoindre dans la lutte un grand nom du bonapartisme : Exelmans.

Et la lutte politique de l'époquie qui s'imposait aux bonapartistes, c'était de combattre la Restauration.

De grands orateurs libéraux furent d'anciens officiers de la Grande Armée, je pense au général Foy.

Et les Trois Glorieuses, cette révolution contre les Bourbons est autant l'oeuvre des bonapartistes que des républicains...

Et l'on vit le glorieux général de cavalerie Pajol, le héros de la bataille de Montereau, rejoindre l'insurrection..Quand le peuple de Paris combattit les troupes royales commandées par l'infâme Marmont...qui finit piteusement sa carrière dans des tâches de maintien de l'ordre pour le compte de Charles X...

Désolé de vous contredire, mais la naissance de la légende napoléonienne ne prit véritablement son essor qu'après que l'Europe eut pris connaissance du décès de l'illustre exilé.
Survenue dans des conditions exceptionnelles, si loin de la patrie, sur ce rocher hostile perdu au milieu de l'océan, cette mort enflamme les imaginations et ravive le bonapartisme.
"Aucun homme de bruti, dira Chateaubriand, n'a eu une fin pareille à celle de Napoléon", et il ajoutera : "vivant, il a manqué le monde; mort, il le possède !"
Oubliant l'oppression, les guerres et leur cortège de souffrances et de désastres, le peuple, d'un mouvement spontané, s'abandonne à l'envoûtement; Napoléon devient alors le héros d'une merveilleuse histoire, contée dans chaque chaumière et embellie de veillée en veillée.
En en faisant un martyr, écrira Chateaubriand, les Anglais "lui rendirent plus brillante pour la postérité la couronne qu'ils croyaient lui avoir ravie".
Si du vivant de Napoléon, alors qu'il régnait, pamphlets et libelles s'étaient accumulés contre lui, à sa mort c'est une efforescence de manifestations à sa louange.
Et lorsqu'en 1823 paraît le Mémorial de Las Cases, c'est le mythe napoléonien qui prend son véritable essor...

Je ne pense qu'il y ait une date "officielle" de début de la Légende. Elle commence quand un soldat rentre chez lui et raconte devant ses enfants ébahis ses combats, son admiration pour l'Empereur...Elle est d'abord orale, cette Légende.

Et c'est pareil à l'étranger quand les Polonais sont rentrés, ils ont raconté leurs souvenirs...De même pour les Italiens qui ont combattu sous le commandement d'Eugène...Orale et internationale.

Et les premiers objets "séditieux" apparaissent du vivant de l'Empereur (cannes truquées, tabatières à double fond...). Ce qui prouve bien que la Légende n'a pas de début bien précisi.

Votre explication est valable pour la Légende littéraire.

[quoteVotre explication est valable pour la Légende littéraire.
][/quote]

Je vous rejoins sur ce point.
La légende orale est effectivement antérieure à la légende littéraire.
Si la première l'a nourrie, la seconde l'a structurée.
Les deux sont donc complémentaires et indissociables l'une de l'autre.

C'est ce qui est émouvant dans la Légende, dans l'admiration pour l'Empereur....Les gens simples, avec leurs mots, leur simplicité, sans aucun intérêt qui admirent Napoléon...et les lettrés, les intellectuels....

Le plus surprenant c'est Chateaubriand, ultra, mais qui ne peut s'empêcher de montrer parfois la grandeur de l'Epopée...

Tout niveau intellectuel, toutes classes sociales, l'Empereur a ébahi, illuminé des gens de toutes conditions...L'Empereur du Peuple, qui a permis à la France, que dis-je à la France, à l'Europe de construire dans le fracas d'une chevauchée glorieuse un monde nouveau ...les lanciers Polonais à Somo Sierra mourrait en criant : " Vive l'Empereur !", les soldats Italiens du vice-roi Eugène à la bataille de Malojaroslavets, le 24 octobre 1812, partait au combat en criant : "A la baïonnetta carciatore, Viva Il Imperatore !"

La "Légende Napoléonienne" n'aura jamais de rides, car elle ne possède qu'une seule date, celle de sa naissance qui se trouve être la date de l'apparition de Napoléon Bonaparte sur la scène de l'Europe.

Cette expression souvent galvaudée, et utilisée à plus ou moins bon escient, c'est le Grand Homme qui la représente et la constitue, de son vivant comme à sa mort et après , jusqu'à nos jours et pour bien longtemps encore...

Elle est et restera intemporelle.

C'est une définition comme une autre, mais elle présente l'avantage de ne pas se sentir "étriquée" dans une période trop précise.

La Légende naît avec le regret de l'Epopée.

C'est avec le regret, ce terrible poison, que nous comprenons la valeur de ce qui est perdu...