Collectif des Antillais et des... Accueil > Actualité du collectif > J’ai vu l’image subliminale du racisme français
J’ai vu l’image subliminale du racisme français...
C’était le 19 mai 2006 à 18 heures. Tout le gratin du lobby bonapartiste était là, à n’en point douter, la bourgeoisie des 8e, 16e et 17e arrondissements, peut-être de Neuilly, toute imprégnée de la philosophie de ces Lumières qui jamais, hélas, ne furent noires.
Et les complets vestons décorés de rubans discrets faisaient assauts de politesse :
Mon général, prenez la parole
Après vous Monsieur le baron... etc., etc.
Le 19 mai 2006 à 18 heures, Messieurs Pierre Branda et Thierry Lentz, « historiens », présentaient à la mairie du 8e arrondissement, qui se situe non loin du cercle militaire Saint-Augustin, leur dernier ouvrage : Napoléon, l’esclavage et les colonies, publié chez Fayard et paru en mai 2006.
De leur propre aveu il s’agit d’un ouvrage rédigé hâtivement pour répondre à l’essai de Claude Ribbe (cité d’ailleurs par eux à plusieurs reprises), Le crime de Napoléon, paru en décembre 2005 aux éditions Privé, et qui dévoile avec un vrai talent de polémiste la face cachée de Napoléon Bonaparte dont les admirateurs et contempteurs se regroupent le plus souvent autour de la Fondation du même nom. Il fallait contrer au plus vite celui qui avait commencé le travail de démolition de leur idole, dont ils avaient réussi jusque-là à cacher les vices rédhibitoires.
J’avais lu avec plaisir le bouquin de Claude Ribbe, (que beaucoup d’historiens ont contesté sous prétexte qu’il n’est pas historien diplômé et estampillé), tout en relevant cependant que la volonté polémique avait conduit l’auteur à être parfois un peu excessif dans la forme, sans jamais pourtant que la logique de sa démarche intellectuelle pût être prise en défaut. J’avais donc émis intérieurement quelques réserves sur l’ouvrage. Je les retire complètement après avoir entendu Messieurs Pierre Branda et Thierry Lentz et je recommande très vivement la lecture du Crime de Napoléon à tous les originaires des « départements d’outre-mer », à tous les Africains, à tous les habitants des anciennes colonies, et après tout à tout ceux qui ont un semblant de conscience. Claude Ribbe est encore probablement en dessous de la vérité...
En écoutant les sieurs Branda et Lentz, j’ai vu l’image subliminale du racisme français au travers de la physionomie sournoise de ces prétendus historiens qui ont distillé pendant une heure et demie leurs insanités. Il m’a fallu beaucoup de courage pour rester impassible et ne rien dire en me promettant de faire partager aux honnêtes gens le sentiment d’horreur et de désespoir qui m’a pétrifié sur l’instant.
La thèse de ces gens là est simple :
Non ! Napoléon Bonaparte n’était pas raciste. Il a d’ailleurs beaucoup hésité avant de rétablir l’esclavage. Ce sont ses collaborateurs qui l’ont entraîné à le faire. Et s’il a cédé, c’est qu’il avait une conscience extrême de ce qu’étaient les intérêts de la France. La prospérité de la France comptait plus à ses yeux que le terrible sort fait à quelques millions de pauvres nègres. Le seul bonheur des Français justifiait parfaitement que ces pauvres bougres fussent réduits à l’état de bêtes.
Pour démontrer la justesse de leur thèse, Branda et Lentz n’hésitent devant aucun effet. Ils citent pèle-mèle L’abbé Grégoire, Jacques Adélaide-Merlande, historien nègre des Antilles, Sala-Molins pour son Code noir commenté, Pierre Pluchon, qui doit se retourner dans sa tombe, Yves Benot, Marcel Dorigny, Marc Ferro, Serge Mam Lam Fouck, l’historien guyanais, Thomas Madiou, le Haïtien . En se mettant en compagnie de ces historiens de qualité ils prétendent acquérir à bon compte une crédibilité qui les autoriserait à raconter n’importe quoi et à essayer de démolir certains aspects des thèses soutenues par Claude Ribbe.
En fait, l’ouvrage des sieurs Lentz et Branda ressemble fort à un agrégat d’arguties du genre de celles qu’emploient les coupables pour se justifier à tout prix.
Ainsi, prétendre que le « gazage », à Saint-Domingue, de certains « rebelles » dans les soutes de navires par le cruel Rochambeau aurait été ignoré de Napoléon, sous prétexte que ce dernier aurait été à des milliers de kilomètres de là, me paraît-il être un enfantillage.
Napoléon Bonaparte n’ignorait rien de ce que faisait ses généraux. En tout état de cause, il porte seul la responsabilité de leurs actes. Lorsque d’ailleurs ses généraux montraient une quelconque réticence à exécuter des ordres par trop cruels, il les éliminait. Ce fut le cas, en Egypte, du général révolutionnaire Dumas qui avait manifesté un certain dégoût pour les atrocités commises sur ordre de Napoléon. Dumas présentait deux défauts essentiels, il était nègre et il était humain. Contrairement à ce que prétendent ces « historiens » de la réaction bonapartiste il n’a pas été chassé d’Egypte parce qu’il était un mauvais général, mais bien parce que Napoléon avait depuis longtemps fourbi le dessein d’éliminer ce « nègre à épaulettes » qui savait lui donner mauvaise conscience.
En écoutant donc les petits messieurs Lentz et Branda, j’ai enfin vu l’image subliminale du racisme français apparaissant clairement sur les visages des ces barons d’empire en mal de héros, opinant avec bonhomie à la moindre horreur, visiblement convaincus de la capacité de la race supérieure à juger ces pauvres noirs qui ont été si malheureux dans le passé, et ravis de leur B.A consistant à avoir participé à la séance de dédouanement de Napoléon, organisée comme une œuvre de bienfaisance.
On paie le bouquin à la sortie avec dédicace en prime.
En quarante ans d’administration centrale, le haut fonctionnaire que je fus, avait souvent ressenti cet étrange malaise au regard d’« anomalies » comme la « cristallisation des pensions », ou la commisération exprimée à l’égard des braves tirailleurs sénégalais (qu’on avait peur désormais d’appeler troupes indigènes), ou la compassion manifestée au regard de cette petite négresse si gentille, mais incapable de passer le concours de commis. Mais jamais je n’avais vu avec autant de netteté l’image du racisme qui imprègne si profondément la mentalité de la bourgeoisie française.
Comment peut-on être nègre et avoir le culot de protester contre le mépris, l’humiliation et les exactions subies par ses ancêtres au nom de la prospérité des autres !
Je regrette pour ma part qu’on ait choisi de changer le nom de la rue Richepance pour lui donner le nom du Chevalier de Saint-Georges.
Richepance, comme Rochambeau, n’était qu’un militaire aux ordres. Le seul responsable et le seul coupable des crimes commis contre les peuples de la Caraïbe, en un mot du génocide, c’est Napoléon Bonaparte. C’est donc la rue Bonaparte qui aurait dû devenir rue du Chevalier de Saint-Georges, ou, mieux encore, rue du général Dumas.
Paris le 1er juin 2006
Henri Hazaël-Massieux
Guadeloupéen
|