Bernard Coppens a magistralement donné les explications qui convenaient sur les "mystères de Waterloo". Il a parfaitement démontré que le 6ème corps commandé par Lobau ne s'est pas rendu à la rencontre des Prussiens, mais qu'il avait bel et bien reçu la mission d'appuyer la droite pour tourner l'aile gauche des Anglais: Plusieurs témoignages d'officiers de la droite française démontrent qu'ils furent surpris par l'irruption des Prussiens et qu'ils parèrent au plus pressé pour y faire face.
Dupuy, Chef d'Escadron au 7ème hussard (déjà cité sur ce forum):
"Jusque vers quatre heures, nous restâmes paisibles spectateurs de la bataille. Dans ce moment le général Domon vint à moi ; le feu des Anglais était à peu près cessé ; il me dit que l'affaire était gagnée, que l'armée ennemie était en retraite, que nous étions là pour faire jonction avec le corps du maréchal Grouchy et que nous serions le soir à Bruxelles ; il partit. Peu de moments après, au lieu de faire jonction avec les troupes du maréchal Grouchy comme nous nous y attendions, nous reçûmes l'attaque d'un régiment de hulans prussiens. Nous le repoussâmes vigoureusement et lui donnâmes la chasse, mais nous fûmes forcés à la retraite par le feu à mitraille de six pièces de canon, derrière lesquelles les hulans se replièrent."
Marbot, Colonel du 7ème hussard: "J'ai été, avec mon régiment, flanqueur de droite de l'armée pendant presque toute la bataille. On m'assurait que le maréchal Grouchy allait arriver sur ce point, qui n'était gardé que par mon régiment, trois pièces de canon et un bataillon d'infanterie légère, ce qui était trop faible. Au lieu du maréchal Grouchy, c'est le corps de Blücher qui a débouché!... Jugez de la manière dont nous avons été arrangés!... Nous avons été enfoncés, et l'ennemi a été sur-le-champ sur nos derrières!..."
Plus déterminant encore:
Combes-Brassard, officier d'Etat major du VIème Corps:
"(...) Ce fut alors que la droite de l’armée française, aux ordres du comte d’Erlon, se porta en avant pour s’engager. Mais le mal était déjà très grand. Notre cavalerie avait fait des pertes énormes ; elle avait peu de moyens de soutenir et de décider une nouvelle attaque. Le 6e corps, formant la réserve (j’étais chef d’état-major général de ce corps), marcha pour soutenir l’attaque de la droite. Ce corps était composé entièrement d’infanterie. Il était trois heures et demie, un feu infernal s’étendait sur toute la ligne des deux armées. Le 6e corps achevait de se déployer en réserve sur toute la droite de l’armée, lorsque, me rendant à l’extrémité de notre droite, je reconnus des têtes de colonnes qui débouchaient du côté de Vavres, par Ohain et Saint-Lambert. Ces colonnes étaient prussiennes. Leur arrivée se produisait sans que l’Empereur eût donné aucun ordre. Nous étions tournés. Incertain encore sur la nature et les intentions de ces troupes, je m’approchai d’elles pour reconnaître leurs mouvements. Bientôt je vis que cette colonne était prussienne et manœuvrait pour se porter sur nos flancs et sur nos derrières, de manière à couper à l’armée française la retraite sur Genape et le pont de la Dyle. Je volai prévenir de ce mouvement. Il était temps encore, en prenant la position où l’armée avait bivouaqué avant de livrer la bataille, de prévenir les dangers de la position où nous nous trouvions. Mais il n’y avait pas un moment à perdre. Le perdre, c’était perdre l’armée. La fatalité en avait ainsi ordonné."
Janin, officier d'Etat major du VIème Corps : "Le 6e corps se porte en avant pour soutenir l'attaque du centre : à peine est-il arrivé sur la crête du ravin qui sépare les deux armées que son chef d'état-major, le général Durieux, qui l'avait devancé, revient blessé et annonce que des tirailleurs ennemis s'étendent sur notre flanc droit : le comte de Lobau s'avance avec le général Jacquinot et moi pour les reconnaître, et bientôt nous voyons déboucher deux colonnes d'environ dix mille hommes chacune : c'était le corps prussien de Bulow. La destination du 6e corps se trouva changée par cet incident : il ne s'agissait plus de continuer l'attaque contre les Anglais, mais bien de repousser celle des Prussiens : en un mot par la force des choses nous étions réduits à la défensive la plus défavorable et dont le résultat n'était plus douteux."
Bourdon de Vatry, Aide de camp de Jérôme ex-roi de Westphalie: "Vers 4 heures du soir, le général Drouot vint dire au Prince Jérôme, de la part de l'Empereur, qu'il fallait à tout prix tenir à Hougoumont, afin de faciliter un mouvement décisif que Ney allait tenter sur le centre de l'ennemi, mouvement qui est blâmé dans la relation de Sainte Hélène. Un peu plus tard, le comte de Lobau, commandant la droite à Waterloo, fit dire à l'Empereur qu'il était attaqué par les Prussiens. Napoléon ne voulut pas d'abord admettre que la chose fût possible. Lobau dit à M. de Canonne, un de ses officiers : "Faites un prisonnier et portez le lui, peut être sera-t'il convaincu."
De tous ces témoignages il est INCONTESTABLE que le VIème Corps était disposé en vue de soutenir l'attaque du Ier Corps, que l'on s'attendait à ce que la bataille soit gagnée vers 16h00 et que l'on s'attendait à l'arrivée de Grouchy pour finir par un triomphe !
Il est désormais bien établi que les troupes de la droite n'aient reçu aucune instruction pour faire face aux Prussiens.
Voici ce que Bülow von Dennewitz (commandant du IVème corps prussien) écrivit dans son rapport:
"Avant 3 heures, il (l'ennemi français) avait renouvellé son attaque avec une nouvelle énergie et montré clairement son intention d'enfoncer l'aile gauche des Anglais et de les séparer de nous. Le moment était donc favorable pour agir contre le flanc droit de l'ennemi, qui se montrait d'une négligence incompréhensible et semblait ne faire aucune attention à notre existence"
Sur le cheminement des Prussiens, voici ce que Bernard Coppens produit comme témoignages:
Le Prince von Thurn und Taxis (cité par B. Coppens - Récit critique):
"Le chemin descendait de façon abrupte d'une hauteur dans la vallée de la Lasne, puis immédiatement après avoir passé celui-ci, il remontait de façon aussi abrupte; il faut ajouter à cela que le chemin était très étroit et en mauvais état. Ce défilé nous retint de façon extraordinaire, et nous eûmes une peine incroyable à faire monter l'artillerie sur la hauteur en question. Un petit détachement ennemi aurait pu nous disputer ici le passage toute la journée."
Le coeur se serre à cette lecture... Le Général Von Reiche, chef d'état-major du Ier corps prussien décrit le cheminement des troupes (B. Coppens - Carnets de la campagne n° 4): "Le corps quitta les bivouacs à 2h00 de l'après-midi après que le 12ème régiment ait rejoint sa brigade. La marche vers le champ de bataille fut excessivement pénible. Nous devions emprunter des chemins défoncés tracés à travers des défilés profonds; le terrain des deux côtés était pratiquement couvert de bois, de sorte qu'il n'y avait pas moyen d'en prendre d'autre, et la marche fut d'autant plus lente que hommes et chevaux, à plusieurs endroits, ne pouvaient aller qu'à la file, et que les canons devaient devaient être traînés avec les plus grandes peines. De ce fait, les colonnes furent disloquées, et les têtes de colonne devaient faire halte là où le terrain le permettait, afin que les sections pussent se rassembler.(...) Il fallut renoncer à garder la colonne unie, et l'on était déjà heureux quand les brigades ou les régiments parvenaient à rester ensemble
La marche des Prussiens fut rien moins que pénible.
Même si Grouchy avait rencontré des difficultés aussi importantes en se rendant sur le champ de bataille comme Gérard l'en implorait, il n'est pas impossible qu'il soit arrivé à temps pour renverser le cours des choses. Il ne courait guère de risque à être attaqué par les Prussiens lors de son approche.
Est-ce qu'un membre de l'état major de Gérard a pu signaler que l'on pouvait voir défiler les colonnes prussiennes vers St-Lambert depuis les hauteurs de Wavre ? Il s'agirait pluôt d'un officier des dragons d'Excelmans. Ce dernier avait été envoyé vers Wavre en reconnaissance et s'est accroché à l'arrière garde prussienne. Exelmans a certainement aperçu la direction prise par les Prussiens. Il s'en est ouvert à Gérard et a déclaré plus tard qu'il était prêt à brûler la cervelle de Grouchy sur un signe de ce dernier..
On indique souvent que Pierre Charrier, dans son magistral "DAVOUT", indique bien qu'il était possible de VOIR les cheminements empruntés par les Prussiens de Bülow, depuis Walhain et Mont-St-Guibert.
Qu'est-ce que Charrier entend par "voir les cheminements empruntés". Etait-il possible, en étant à Walhain ou Mont Saint Guibert, de voir les colonnes faire mouvement depuis Wavre vers Mont Saint Jean ? Ne pense-t-il pas plutôt qu'il était facile d'apercevoir les traces laissées par les colonnes prussiennes en retraite la veille ?
Car ces fameuses traces conduisaient toutes à Wavre et pas à Mont Saint Jean: l'armée prussienne s'étant d'abord concentrée autour de Wavre avant d'amorcer son mouvement vers la bataille. De plus, le corps de Bülow n'est jamais passé par Mont Saint Guibert. Seule, une forte arrière garde (un régiment de Hussards, une demi batterie et deux bataillons de Landwher) détachée de son corps y fut envoyée menée par le colonel Lebedur.
Pour finir le témoignage de Coignet qui évoque également la surprise des Français par l'attaque soudaine des Prussiens.
"(...)Enfin, le soir, l'empereur lui envoya la cavalerie qui mit les Anglais dans une déroute sans succès prononcés; mais les Anglais se trouvaient démoralisés ; encore un effort, les Anglais étaient renversés dans la forêt et notre centre faisait des progrès. On avait passé la baraque malgré la mitraille qui tombait dans les rangs. Mais nous ne connaissions pas les malheurs qui nous attendaient. Il arrive un officier près de l'Empereur qui arrivait de notre aile droite disant que nos soldats battaient en retraite : "Vous vous trompez, lui dit l'Empereur, c'est Grouchy qui arrive". Il ne croyait pas à un pareil contretemps. Il fit partir de suite dans cette direction pour s'assurer de la vérité. L'Officier de retour, confirma la nouvelle qu'il avait vu une colonne prussienne s'avancer rapidement sur nous et que nos soldats battaient en retraite. L'Empereur prit de suite d'autres dispositions à droite de son armée par une conversion à droite,(...)"
Le témoignage de Coignet confirme l'idée d'une bataille presque gagnée, d'une surprise totale à l'arrivée des Prussiens et d'une conversion à droite du 6ème Corps. (L'officier annonçant que les soldats reculent serait celui envoyé par Lobeau -selon Bourdon de Vatry- et l'officier envoyé pour confirmation serait le Général Bernard).
En conclusion, ces témoignages ne laissent plus planer aucun doute. Mais pour des raisons propres au petit monde des soi-disant napoléoniens, les travaux de Bernard Coppens sont tenus pour sulfureux, pour ne pas dire farfelus... Une expression que nous connaissons bien !
Dernière édition par Bruno Roy-Henry le 08 Avr 2006 10:05, édité 2 fois.
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